Livre III

Livre 2 Sommaire Livre 4

I. La guerre punique enfin terminée, après avoir duré vingt-trois ans, les Romains, dont la gloire était déjà immense, envoyèrent des députés à Ptolémée, roi d'Egypte, pour lui promettre du secours contre le roi de Syrie Antiochos, qui lui avait déclaré la guerre. Ptolémée remercia les Romains et n'accepta point cette offre, parce que la bataille avait déjà été livrée. Dans le même temps, un prince des plus puissants, le roide Sicile Hiéron, vint à Rome pour assister aux jeux, et il fit distribuer au peuple deux cent mille boisseaux de blé.

II. (An de R. 517). Sous le consulat de L. Cornélius Lentulus et de Fulvius Flaccus, l'année même où Hiéron vint à Rome, on fit la guerre aux Ligures en Italie, et l'on en triompha. Les Carthaginois essayèrent alors de recommencer la guerre, et poussèrent à la révolte les habitants de la Sardaigne, qui, en vertu du dernier traité, devaient obéissance aux Romains. Toutefois ces mêmes Carthaginois envoyèrent à Rome une ambassade, qui obtint la paix.

III. (An de R. 519). Sous le consulat de T. Manlius Torquatus et de C. Atilius Bulbus, on triompha de la Sardaigne ; et les Romains, ayant consenti partout à la paix, n'eurent plus aucune guerre à soutenir ; ce qui, depuis la fondation de Rome, ne leur était arrivé qu'une fois, sous le règne de Numa Pompilius.

IV. (An de R. 525). Les consuls L. Postumius Albinus et Cu. Fulvius Centumalus firent la guerre aux Illyriens, leur prirent plusieurs villes, et reçurent même la soumission de quelques rois. C'est alors pour la première fois qu'on triompha de ce peuple. (An de R. 521)

V. (II). (An de R. 529). Sous le consulat de L. Emilius, une formidable armée de Gaulois passa les Alpes. Toute l'Italie prit le parti des Romains ; et l'historien Fabius, qui servit dans cette guerre, rapporte que huit cent mille hommes se levèrent contre l'ennemi. Mais le consul remporta seul tous les avantages de cette campagne : on tua quarante mille ennemis, et le triomphe fut décerné à Emilius.

VI. Quelques années après, on se battit encore contre les Gaulois en Italie, et la guerre fut terminée par les consuls M. Claudius Marcellus et Cn. Cornélius Scipion (An de R. 53.2). Marcellus combattit à la tête d'un petit corps de cavalerie, et tua de sa main le roi des Gaulois, nommé Virdomare. Réuni ensuite à son collègue, il tailla en pièces cette innombrable armée de Gaulois, força Milan, et revint à Rome avec un grand butin. Il y entra en triomphe, portant sur ses épaules, au bout d'un pieu, les dépouilles du Gaulois.

VII. (An de R. 533) Sous le consulat de M. Minucius Rufus et de P. Cornélius, on fit la guerre aux Istriens, qui avaient pillé des vaisseaux romains chargés de blé, et on les soumit tous entièrement. (III) Dans cette même année (An de R. 536), commença la seconde guerre punique, sous la conduite d'Annibal, général des Carthaginois, qui, alors âgé de vingt ans et à la tête de cent cinquante mille fantassins et de vingt mille chevaux, mit le siége devant Sagonte, ville d'Espagne et amie du peuple romain. Les Romains lui envoyèrent des ambassadeurs pour l'engager à cesser les hostilités. Annibal ne voulut pas les recevoir. Ils en envoyèrent aussi à Carthage, pour demander qu'on lui défendît de faire la guerre aux alliés de Rome. Mais ils ne redurent des Carthaginois que de dures réponses. Cependant Sagonte, vaincue par la famine, fut prise par Annibal, qui fit subir aux habitants les plus cruels supplices.

VIII. Alors P. Cornélius Scipion partit avec une armée pour l'Espagne, et Tibérius Sempronius pour la Sicile ; la guerre fut alors déclarée aux Carthaginois. (IV) Annibal, ayant laissé son frère Asdrubal en Espagne, passa les Pyrénées ; il s'ouvrit un passage à travers les Alpes, par un côté jusqu'alors impraticable. On dit qu'il entra en Italie avec quatre-vingt mille hommes d'infanterie, vingt mille chevaux et trente-sept éléphants. D'un autre côté, un grand nombre de Ligures et de Gaulois se joignirent à lui. Sempronius Gracchus, informé de l'arrivée d'Annibal en Italie, fit passer son armée de la Sicile à Rimini.

IX. P. Cornélius Scipion alla le premier à la rencontre d'Annibal, et lui livra bataille ; mais son armée fut mise eu déroute, et, blessé lui-même, il se retira dans son camp. Sempronius Gracchus en vint aussi aux mains avec lui près de la rivière de Trébie, et il fut également vaincu. Plusieurs peuples de l'Italie se soumirent alors à Annibal. Il passa de là dans la Toscane, et se porta au-devant du consul Flaminius, qui fut tué dans le combat (An de R. 537). Vingt-cinq mille Romains furent taillés en pièces ; les autres prirent la fuite. Les Romains envoyèrent ensuite contre Annibal Q. Fabius Maximus. Celui-ci sut arrêter, en temporisant, l'impétuosité de son ennemi, et, à la première occasion favorable qu'il en trouva, il le vainquit.

X. (V) (An de R. 538) L'an cinq cent quarante de la fondation de Rome, L. Emilius Paullus et P. Térentius Varron furent envoyés contre Annibal, à la place de Fabius. Celui-ci avertit les deux consuls qu'ils ne pourraient vaincre cet habile et fougueux général qu'en évitant d'en venir aux mains avec lui. Mais l'impatient Varron lui livra bataille, contre l'avis de son collègue, près d'un bourg d'Apulie appelé Cannes, et les deux consuls furent vaincus par Annibal. Les Africains perdirent dans ce combat trois mille hommes, et furent presque tous blessés ; mais dans aucune guerre punique les Romains ne reçurent un plus grave échec. On eut, en effet, à déplorer la perte du consul Emilius Paullus, de vingt consulaires ou anciens préteurs, de trente sénateurs pris ou tués, de trois cents citoyens des plus nobles familles, de quarante mille fantassins et de trois mille cinq cents cavaliers. Malgré tant de maux, personne parmi les Romains ne voulut parler de paix. Les esclaves (chose inouïe jusqu'alors,) furent affranchis et enrôlés comme soldats.

XI. (VI) Après cette bataille, plusieurs villes d'Italie qui étaient soumises aux Romains embrassèrent le parti d'Annibal. Ce général offrit aux Romains le rachat des prisonniers de leur nation ; mais le sénat répondit qu'il n'avait pas besoin de citoyens qui avaient pu se laisser prendre les armes à la main. Annibal les fit tous périr par divers supplices, et il envoya à Carthage trois boisseaux d'anneaux d'or, qu'il avait fait arracher des doigts des chevaliers, des sénateurs et des soldats romains. Cependant Asdrubal son frère, qui était resté avec une forte armée en Espagne, pour la soumettre tout entière aux Africains, fut vaincu par les deux Scipions, générauxde l'armée romaine, et perdit dans le combat trente-cinq mille hommes, dont dix mille furent faits prisonniers et vingt-cinq mille tués. Les Carthaginois lui envoyèrent, pour réparer ces pertes, douze mille fantassins, quatre mille cavaliers, et vingt éléphants.

XII. (VII) (An de R. 530) Quatre ans après l'entrée d'Annibal en Italie, le consul M. Claudius Marcellus combattit avec succès contre lui près de Nole, ville de la Campanie. Annibal ne laissa pas de s'emparer de plusieurs villes dans l'Apulie, dans la Calabre et dans le Bruttium. Dans ce même temps, Philippe, roi de Macédoine, lui envoya des députés pour lui promettre des secours contre les Romains, à condition qu'après avoir détruit leur armée il lui en fournirait à son tour contre les Grecs. Mais les Romains s'étant saisis des députés de Philippe et assurés de ses intentions, envoyèrent en Macédoine M. Valérius Lévinus, et en Sardaigne le proconsul T. Manlius Torquatus; car ce pays avait aussi abandonné le parti des Romains, à l'instigation d'Annibal.

XIII. Ainsi les Romains combattaient alors dans quatre pays à la fois : en Italie, contre Annibal ; en Espagne, contre son frère Asdrubal ; en Macédoine, contre Philippe ; en Sardaigne, contre les peuples de cette île, et contre un autre Asdrubal de Carthage. Ce dernier fut pris vivant par le proconsul T. Manlius, qu'on avait envoyé en Sardaigne ; on lui tua douze mille hommes, on lui fit quinze cents prisonniers, et la Sardaigne rentra sous le pouvoir des Romains. Manlius revint victorieux à Rome avec Asdrubal et avec ses prisanniers. Cependant Philippe fut battu aussi en Macédoine par Lévinus, et les deux Scipions vainquirent en Espagne Asdrubal et Magon, le troisième frère d'Annibal.

XIV. (VIII) (An de R. 543). Dix ans après la descente d'Annibal en Italie, sous le consulat de P. Sulpicius et de Cn. Fulvius, Annibal s'avança jusqu'à quatre milles de Rome, et ses cavaliers jusqu'aux portes mêmes de cette ville. Mais l'approche des consuls, qui venaient avec une armée, l'obligea bientôt de se retirer dans la Campanie. En Espagne, son frère Asdrubal tua les deux Scipions, qui, pendant plusieurs années, y avaient toujours été vainqueurs. Leur armée resta néanmoins intacte ; car ils avaient plutôt succombé à la ruse qu'à la valeur. Dans ce temps aussi (An de R. 542), le consul Marcellus reprit une grande partie de la Sicile, dont les Carthaginois s'étaient emparés, et un immense butin fait à Syracuse, la plus fameuse ville de ce pays, fut transporté à Rome. En Macédoine, Lévinus fit alliance avec Philippe, avec plusieurs peuples de la Grèce, et avec Attale, roi d'Asie. Etant passé en Sicile, il prit, auprès d'Agrigente et avec cette ville même, un certain Hannon, général carthaginois, qu'il envoya ensuite à Rome avec les plus nobles de ses prisonniers. Il reçut la soumission de quarante villes, et il en força vingt-six. Après avoir ainsi reconquis toute la Sicile et abattu la Macédoine, il revint lui-même à Rome, chargé de gloire. En Italie, Annibal ayant attaqué à l'improviste le consul Cn. Fulvius, le tua avec huit mille hommes (An de R. 543).

XV. (IX) Cependant on envoya dans les Espagnes, où, depuis la mort des deux Scipions, l'armée romaine était sans chef, P. Cornélius Scipion, fils de ce P. Scipion qui y avait fait la guerre. Il était alors âgé de vingt-quatre ans (An de R. 543), et ce fut peut-être le premier des Romains de son siècle et des siècles suivants. Il prit Carthagène (An de R. 544), où les Africains avaient tout leur or, tout leur argent, toutes leurs munitions, et les plus illustres otages qu'ils eussent reçus des Espagnols. Il prit aussi Magon, frère d'Annibal, et il eut soin de l'envoyer à Rome avec les autres prisonniers. La nouvelle de ces succès causa dans cette ville une grande joie. D'un autre côté, Scipion rendit à leurs parents les otages espagnols; ce qui fit aussitôt passer dans son parti presque toute l'Espagne. Il ne tarda pas à vaincre aussi Asdrubal, frère d'Annibal, le mit en fuite, et lui prit un riche butin.

XVI. (An de R. 545). En Italie, le consul Q. Fabius Maximus prit Tarente, où Annibal avait amassé d'immenses provisions de guerre. Il y tua aussi Carthalon, un de ses lieutenants, vendit vingt-cinq mille prisonniers, distribua le butin aux soldats, et versa dans le trésor le produit de la vente des prisonniers. Alors un grand nombre de villes qui appartenaient aux Romains et s'étaient déclarées pour Annibal, firent leur soumission à Fabius Maximus. (X) L'année suivante, Scipion remporta de grands avantages eu Espagne, et, aidé de son frère L. Scipion, il reprit soixante-dix villes. Mais les Romains ne furent pas aussi heureux en Italie, où le consul Claudius Marcellus fut tué par Annibal.

XVII. Scipion, dans la troisième année de son entrée en Espagne, obtint encore de brillants succès. Il accorda son amitié au roi de ce pays, ii près l'avoir vaincu dans une grande bataille, et il fut le premier Romain qui ne demanda point des otages à un ennemi vaincu.

XVIII. Annibal, désespérant de pouvoir disputer plus longtemps à Scipion la possession des Espagnes, appela en Italie son frère Asdrubal avec toutes ses troupes. Celui-ci, en s'y rendant par le même chemin qu'avait déjà pris Annibal, tomba dans les embûches que lui avaient tendues, pres du fleuve Métaure et de Séna, ville du Picénum, les consuls Appius Claudius Néron et M. Livius Salinator (An de R. 547). Il périt, après avoir vaillamment combattu ; ses troupes, qui étaient nombreuses, furent tuées ou faites prisonnières, et une grande quantité d'or et d'argent fut transportée à Rome. Ces revers inspirèrent à Annibal quelque défiance sur l'issue de la guerre. Les Romains, au contraire, en conçurent de grandes espérances, et ils rappelèrent eux-mêmes d'Espagne P. Cornélius Scipion (An de R. 548), qui revint à Rome couvert de gloire.

XIX. (An de R. 548) Sous le consulat de Q. Cécilius et de L. Valérius, toutes les villes du Bruttium qui avaient subi la loi d'Annibal se rendirent aux Romains.

XX. (XI) La quatorzième année de l'entrée d'Annibal en Italie, Scipion, qui avait remporté de nombreux avantages en Espagne, fut fait consul et envoyé en Afrique (An de R. 549). On lui supposait généralement quelque chose de divin, et l'on était persuadé qu'il avait des entretiens avec les dieux. A son arrivée en Afrique, il livra bataille à Hannon, général des Carthaginois, et il tailla son armée en pièces. Dans un second combat, il s'empara de son camp, lui tua onze mille hommes et lui fit quatre mille cinq cents prisonniers (An de R. 551). Il prit aussi le roi de Numidie Syphax, qui s'était joint aux Carthaginois, et il força son camp. Il envoya ensuite ce prince à Rome, avec les plus nobles des Numides et de riches dépouilles. A la nouvelle de ces succès, presque toute l'Italie abandonna le parti d'Annibal. Il reçut même des Carthaginois l'ordre de retourner en Afrique, où Scipion faisait des ravages.

XXI. (An de R. 552) Ainsi, après dix-sept années de guerres, l'Italie fut délivrée d'Annibal, qui ne la quitta, dit-on, qu'en pleurant. (XII) Les Carthaginois envoyèrent des ambassadeurs à Scipion pour lui demander la paix. Scipion les envoya à Rome, pour traiter avec le sénat ; il leur accorda quarante-cinq jours de trêve, pour leur donner le temps d'y aller et d'en revenir ; et il reçut d'eux trente mille livres pesant d'argent. Le sénat remit à Scipion le droit de régler et de conclure la paix avec les Carthaginois. Scipion la leur donna, en y mettant pour condition «qu'ils ne conserveraient que trente vaisseaux ; qu'ils donneraient cinq cent mille livres pesant d'argent, et qu'ils rendraient les prisonniers et les transfuges».

XXII. Cependant le retour d'Annibal en Afrique rompit la paix qu'on allait conclure, et les Carthaginois commirent plusieurs actes d'hostilité. Scipion ne laissa pas de leur renvoyer leurs ambassadeurs, qui avaient été pris par ses troupes en revenant de Rome. Annibal, vaincu par Scipion dans plusieurs combats, finit aussi par lui demander la paix. Une conférence eut lieu entre ces deux capitaines, et Scipion lui accorda la paix aux mêmes conditions qu'auparavant, en ajoutant, à cause de sa nouvelle perfidie, cent mille livres d'argent aux cinq cent mille exigées dans le premier traité. Les Carthaginois ne voulurent point accepter ces conditions, et ordonne-vent à Annibal de combattre. Scipion et Masinissa, autre roi des Numides, qui avait fait alliance avec le général romain. portèrent la guerre sous les murs de Carthage. (XIII) Annibal avait envoyé trois espions reconnaître le camp des Romains : ces espions ayant été pris, Scipion les fit conduire dans son camp, leur montra toute son armée, puis leur fit servir un repas, et les renvoya, pour qu'ils rapportassent à Annibal ce qu'ils avaient vu.

XXIII. Cependant les deux généraux firent leurs dispositions pour le combat, l'un des plus mémorables qui se soient jamais livrés, les armées ayant pour chefs les deux plus grands capitaines du monde. Scipion demeura vainqueur, et peu s'en fallut qu'on ne prît Annibal, qui s'échappa d'abord avec un grand nombre de cavaliers, puis avec vingt, et enfin avec quatre seulement. On trouva dans son camp vingt mille livres pesant d'argent, huit cents livres d'or et quantité d'objets précieux. Après cette bataille, on fit la paix avec les Carthaginois (An de R. 553). Scipion revint ensuite à Rome, où il fut honoré du plus glorieux triomphe ; et il reçut le surnom d'Africain, qui lui resta. Ainsi finit la seconde guerre punique, après avoir duré dix-sept ans.


Livre 2 Haut de la page Livre 4