[La guerre des Gaules]

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XVI. Voilà les actions de sa vie qui précédèrent son commandement dans les Gaules. Les guerres qu'il fit depuis, ces expéditions fameuses dans lesquelles il soumit les Gaules, lui ouvrirent une route toute différente, et commencèrent, en quelque sorte, pour lui une seconde vie ; c'est dans cette nouvelle carrière qu'il se montre à nous aussi grand homme de guerre, aussi habile capitaine qu'aucun des généraux qui se sont fait le plus admirer, et ont acquis le plus de gloire par leurs exploits. Soit qu'on lui compare les Fabius, les Métellus, les Scipions, ou les autres généraux ses contemporains, ou ceux qui ont vécu peu de temps avant lui, tels que les Sylla, les Marius, les Lucullus, et Pompée lui-même,

Dont la gloire et le nom s'élèvent jusqu'aux cieux ;

en quelque genre de succès militaire que ce soit, on reconnaîtra que les exploits de César le mettent au-dessus de tous ces grands capitaines. Il a surpassé l'un par la difficulté des lieux où il a fait la guerre ; l'autre, par l'étendue des pays qu'il a subjugués ; celui-ci, par le nombre et la force des ennemis qu'il a vaincus ; celui-là, par la férocité et la perfidie des nations qu'il a soumises ; l'un, par sa douceur et sa clémence envers les prisonniers ; un autre, par les présents et les bienfaits dont il a comblé ses troupes ; enfin, il a été supérieur à tous ses grands hommes, par le nombre de batailles qu'il a livrées, et par la multitude incroyable d'ennemis qu'il a fait périr. En moins de dix ans qu'a duré sa guerre dans les Gaules, il a pris d'assaut plus de huit cents villes, il a soumis trois cents nations différentes, et combattu, en plusieurs batailles rangées, contre trois millions d'ennemis, dont il en a tué un million, et fait autant de prisonniers.

XVII. D'ailleurs, il savait inspirer à ses soldats un affection et une ardeur si vives que ceux qui, sous d'autres chefs et dans d'autres guerres, ne différaient pas des soldats ordinaires, devenaient invincibles sous César, et ne trouvaient rien qui pût résister à l'impétuosité avec laquelle ils se précipitaient dans les plus grands dangers. Tel fut Acilius, qui, dans un combat naval donné près de Marseille, s'étant jeté dans un vaisseau ennemi, et ayant eu la main droite abattue d'un coup d'épée, n'abandonna pas son bouclier qu'il tenait de la main gauche, et dont il frappa sans relâche les ennemis au visage avec tant de roideur, qu'il les renversa tous, et se rendit maître du vaisseau. Au combat de Dyrrachium, Cassius Scéva eut l'oeil percé d'une flèche, l'épaule et la cuisse traversées de deux javelots, et reçut cent trente coups sur son bouclier (17). Il appela les ennemis, comme s'il eût eu l'intention de se rendre ; et de deux qui s'approchèrent, l'un eut l'épaule abattue d'un coup d'épée ; l'autre, blessé au visage, prit la fuite. Cassius, secouru par ses compagnons, eut le bonheur de s'échapper. Dans la Grande-Bretagne, les chefs de bande s'étaient engagés dans un fond marécageux et plein d'eau, où ils étaient attaqués vivement par les ennemis. Un soldat de César, sous les yeux mêmes du général se jetant au milieu des Barbares, fait des prodiges incroyables de valeur, les oblige de prendre la fuite et sauve les officiers. Ensuite, il passe le marais le dernier, traverse avec la plus grande peine cette eau bourbeuse, partie à la nage, partie en marchant, et gagne l'autre rive, mais avec le chagrin d'avoir laissé son bouclier. César, qui ne pouvait trop admirer son courage, court à lui avec toutes les démonstrations de la joie la plus vive ; mais le soldat, la tête baissée et les yeux baignés de larmes, tombe aux pieds de César et lui demande pardon d'être revenu sans son bouclier. En Afrique, Scipion s'était emparé d'un vaisseau de César, monté par Granius Pétron, qui venait d'être nommé questeur. Scipion fit massacrer tout l'équipage, et dit au questeur qu'il lui donnait la vie. Granius répondit que les soldats de César étaient accoutumés à donner la vie aux autres, non pas à la recevoir. En disant ces mots, il tire son épée et se tue.

XVIII. Cette ardeur et cette émulation pour la gloire étaient produites et nourries en eux par les récompenses et les honneurs que César leur prodiguait ; par l'espérance qu'il leur donnait qu'au lieu de faire servir à son luxe et à ses plaisirs les richesses qu'il amassait dans ces guerres, il les mettait en dépôt chez lui pour être le prix de la valeur, également destiné à tous ceux qui le mériteraient ; et qu'il ne se croyait riche qu'autant qu'il pouvait récompenser la bonne conduite de ses soldats. D'ailleurs, il s'exposait volontiers à tous les périls et ne se refusait à aucun des travaux de la guerre. Ce mépris du danger n'étonnait point ses soldats, qui connaissaient son amour pour la gloire ; mais ils étaient surpris de sa patience dans les travaux, qu'ils trouvaient supérieure à ses forces ; car il avait la peau blanche et délicate, était frêle de corps, et sujet à de fréquents maux de tête et à des attaques d'épilepsie, dont il avait senti les premiers accès à Cordoue. Mais, loin de se faire de la faiblesse de son tempérament un prétexte pour vivre dans la mollesse, il cherchait dans les exercices de la guerre un remède à ses maladies ; il les combattait par des marches forcées, par un régime frugal, par l'habitude de coucher en plein air, et d'endurcir ainsi son corps à toutes sortes de fatigues. Il prenait presque toujours son sommeil dans un chariot ou dans une litière, pour faire servir son repos même à quelque fin utile. Le jour, il visitait les forteresses, les villes et les camps ; et il avait toujours à côté de lui un secrétaire pour écrire sous sa dictée en voyageant, et derrière, un soldat qui portait son épée. Avec cela, il faisait une si grande diligence que la première fois qu'il sortit de Rome, il se rendit, en huit jours, sur les bords du Rhône. Il eut, dès sa première jeunesse, une grande habitude du cheval, et il acquit la facilité de courir à toute bride, les mains croisées derrière le dos. Dans la guerre des Gaules, il s'accoutuma à dicter des lettres étant à cheval, et à occuper deux secrétaires à la fois, ou même un plus grand nombre, suivant Oppius. Il fut, dit-on, le premier qui introduisit dans Rome l'usage de communiquer par lettres avec ses amis (18), lorsque les affaires pressées ne lui permettaient pas de s'aboucher avec eux, ou que le grand nombre de ses occupations et l'étendue de la ville ne lui en laissaient pas le temps.

XIX. On cite un trait remarquable de sa simplicité dans la manière de vivre : Valérius Léo, son hôte à Milan, lui donnant un jour à souper, fit servir un plat d'asperges que l'on avait assaisonnées avec de l'huile de senteur, au lieu d'huile d'olive. Il en mangea sans avoir l'air de s'en apercevoir ; et ses amis s'en étant plaints, il leur en fit des reproches. «Ne devait-il pas vous suffire, leur dit-il, de n'en pas manger, si vous ne les trouviez pas bonnes ? Relever ce défaut de savoir-vivre, ce n'est pas savoir vivre soi-même». Surpris, dans un de ses voyages, par un orage violent, il fut obligé de chercher une retraite dans la chaumière d'un pauvre homme, où il ne se trouva qu'une petite chambre, à peine suffisante pour une seule personne. «Il faut, dit-il à ses amis, céder aux grands les lieux les plus honorables ; mais les plus nécessaires ; il faut les laisser aux plus malades». Il fit coucher Oppius dans la chambre, parce qu'il était incommodé, et il passa la nuit, avec ses autres amis, sous une couverture du toit en saillie.

XX. Les Helvétiens et les Tiguriniens (19) furent les premiers peuples de la Gaule qu'il combattit. Après avoir eux-mêmes brûlé leurs douze villes et quatre cents villages de leur dépendance, ils s'avançaient pour traverser la partie des Gaules qui était soumise aux Romains, comme autrefois les Cimbres et les Teutons, à qui ils n'étaient inférieurs ni par leur audace, ni par leur multitude ; on en portait le nombre à trois cent mille hommes, dont quatre-vingt-dix mille étaient en âge de servir. Il ne marcha pas en personne contre les Tiguriniens ; ce fut Labiénus, un de ses lieutenants, qui les défit et les tailla en pièces sur les bords de l'Arar. Il conduisait lui-même son corps d'armée dans une ville alliée, lorsque les Hélvétiens tombèrent sur lui sans qu'il s'y attendît. Il fut obligé de gagner un lieu fort d'assiette, où il rassembla ses troupes et les mit, en bataille. Lorsqu'on lui amena le cheval qu'il devait monter : «Je m'en servirai, dit-il, après la victoire, afin de poursuivre les ennemis ; maintenant marchons à eux», et il alla les charger à pied. Il lui en coûta beaucoup de temps et de peine pour enfoncer leurs bataillons ; et après les avoir mis en déroute, il eut encore un plus grand combat à soutenir pour forcer leur camp : outre qu'ils y avaient fait avec leurs chariots un fort retranchement, et que ceux qu'il avait rompus s'y étaient ralliés, leurs enfants et leurs femmes s'y défendirent avec le dernier acharnement ; ils se firent tous tailler en pièces, et le combat finit à peine au milieu de la nuit. Il ajouta à l'éclat de cette victoire un succès plus glorieux encore : ce fut de réunir tous les Barbares qui avaient échappé au carnage, de les faire retourner dans le pays qu'ils avaient abandonné, pour rétablir les villes qu'ils avaient brûlées : ils étaient plus de cent mille. Son motif était d'empêcher que les Germains, voyant ce pays désert, ne passassent le Rhin pour s'y établir.

XXI. La seconde guerre qu'il entreprit eut pour objet de défendre les Celtes (20) contre les Germains. Il avait fait, quelque temps avant, reconnaître à Rome Ariovistus, leur roi, pour ami et pour allié des Romains ; mais c'étaient des voisins insupportables pour les peuples que César avait soumis (21), et l'on ne pouvait douter qu'à la première occasion, peu contents de ce qu'ils possédaient, ils ne voulussent s'emparer du reste de la Gaule. César s'étant aperçu que ses capitaines, les plus jeunes surtout et les plus nobles, qui ne l'avaient suivi que dans l'espoir de s'enrichir et de vivre dans le luxe, redoutaient cette nouvelle guerre, les assembla, et leur dit qu'ils pouvaient quitter le service ; que, lâches et mous comme ils l'étaient, ils ne devaient pas contre leur gré s'exposer au péril. «Je n'ai besoin, ajouta-t-il, que de la dixième légion pour attaquer les Barbares, qui ne sont pas des ennemis plus redoutables que les Cimbres ; et je ne me crois pas inférieur à Marius». La dixième légion, flattée de cette marque d'estime, lui députa quelques officiers pour lui témoigner sa reconnaissance : les autres légions désavouèrent leurs capitaines : et tous également, remplis d'ardeur et de zèle, le suivirent pendant plusieurs journées de chemin et campèrent à deux cents stades de l'ennemi. Leur arrivée rabattit beaucoup de l'audace d'Ariovistus. Loin de s'attendre à être attaqué par les Romains, il avait cru qu'ils n'oseraient pas soutenir la présence de ses troupes ; il fut donc étonné de la hardiesse de César et s'aperçut qu'elle avait jeté le trouble dans son armée. Leur ardeur fut encore plus émoussée par les prédictions de leurs prêtresses, qui, prétendant connaître l'avenir par le bruit des eaux, par les tourbillons que les courants font dans les rivières, leur défendaient de livrer la bataille avant la nouvelle lune (22). César, averti de cette défense, et voyant les Barbares se tenir en repos, crut qu'il aurait bien plus d'avantage à les attaquer dans cet état de découragement, que de rester lui-même oisif et d'attendre le moment qui leur serait favorable. Il alla donc escarmoucher contre eux jusque dans leurs retranchements, et sur les collines où ils étaient campés. Cette provocation les irrita tellement que, n'écoutant plus que leur colère, ils descendirent dans la plaine pour combattre. Ils furent complètement défaits ; et César les ayant poursuivis jusqu'aux bords du Rhin, l'espace de trois cents stades (23), couvrit toute la plaine de morts et de dépouilles. Ariovistus, qui avait fui des premiers, passa le Rhin avec une suite peu nombreuse : il resta, dit-on, quatre-vingt mille morts sur la place.

XXII. Après tous ces exploits, il mit ses troupes en quartier d'hiver dans le pays des Séquanais (24) ; et lui-même, pour veiller de plus près sur ce qui se passait à Rome, il alla dans la Gaule, qui est baignée par le Pô (25), et qui faisait partie de son Gouvernement ; car le Rubicon sépare la Gaule cisalpine du reste de l'Italie. Pendant le séjour assez long qu'il y fit, il grossit beaucoup le nombre de ses partisans ; on s'y rendait en foule de Rome, et il donnait libéralement ce que chacun lui demandait : il les renvoya tous, ou comblés de présents, ou pleins d'espérance. Dans tout le cours de cette guerre, Pompée ne se douta même pas que tour à tour César domptait les ennemis avec les armes des Romains, et qu'il gagnait les Romains avec l'argent des ennemis. Cependant César ayant appris que les belges, les plus puissants des Gaulois, et qui occupent la troisième partie de la Gaule (26), s'étaient soulevés, et avaient mis sur pied une armée nombreuse, y courut en diligence, tomba sur eux pendant qu'ils ravageaient les terres des alliés de Rome, défit tous ceux qui s'étaient réunis, et qui se défendirent lâchement ; il en tua un si grand nombre que les Romains passaient les rivières et les étangs sur les corps morts dont ils étaient remplis. Cette défaite effraya tellement les peuples qui habitaient les bords de l'Océan qu'ils se rendirent sans combat.

XXIII. Après cette victoire, il marcha contre les Nerviens (27), les plus sauvages et les plus belliqueux des Belges ; ils habitaient un pays couvert d'épaisses forêts, au fond desquelles ils avaient retiré, le plus loin qu'ils avaient pu de l'ennemi, leurs femmes, leurs enfants, et leurs richesses. Ils vinrent au nombre de soixante mille fondre sur César, occupé alors à se retrancher, et qui ne s'attendait pas à combattre. Sa cavalerie fut rompue du premier choc ; et les Barbares, sans perdre un instant, ayant enveloppé la douzième et la septième légion, en massacrèrent tous les officiers : si César, arrachant le bouclier d'un soldat, et se faisant jour à travers ceux qui combattaient devant lui, ne se fût jeté sur les Barbares ; si la dixième légion, qui, du haut de la colline qu'elle occupait, vit le danger auquel César était exposé, n'eût fondu précipitamment sur les Barbares, et n'eût, en arrivant, renversé leurs premiers bataillons, il ne serait pas resté un seul Romain ; mais ranimés par l'audace de leur général, ils combattirent avec un courage supérieur à leurs forces ; cependant, malgré tous leurs efforts, ils ne purent faire tourner le dos aux Nerviens, qui furent taillés en pièces en se défendant avec la plus grande valeur. De soixante mille qu'ils étaient, il ne s'en sauva, dit-on, que cinq cents ; et de quatre cents de leurs sénateurs, il ne s'en échappa que trois. Dès que le sénat à Rome eut appris ces succès extraordinaires, il ordonna qu'on ferait, pendant quinze jours, des sacrifices aux dieux, et qu'on célébrerait des fêtes publiques : jamais encore on n'en avait fait autant pour aucune victoire ; mais le soulèvement simultané de tant de nations avait montré toute la grandeur du péril ; et l'affection du peuple pour César attachait plus d'éclat à la victoire qu'il avait remportée. Jaloux d'entretenir cette disposition de la multitude, il venait chaque année, après avoir réglé les affaires de la Gaule, passer l'hiver aux environs du Pô, pour disposer des affaires de Rome.

XXIV. Non seulement il fournissait à ceux qui briguaient les charges l'argent nécessaire pour corrompre le peuple, et se donnait par là des magistrats qui employaient toute leur autorité à accroître sa puissance ; mais encore il donnait rendez-vous, à Lucques, à tout ce qu'il y avait dans Rome de plus grands et de plus illustres personnages, tels que Pompée, Crassus, Appius, gouverneur de la Sardaigne, et Népos, proconsul d'Espagne ; en sorte qu'il s'y trouvait jusqu'à cent vingt licteurs qui portaient les faisceaux, et plus de deux cents sénateurs. Ce fut là qu'avant de se séparer, ils tinrent un conseil, dans lequel on convint que Crassus et Pompée seraient désignés consuls pour l'année suivante ; qu'on continuerait à César, pour cinq autres années, le gouvernement de la Gaule, et qu'on lui fournirait de l'argent pour la solde des troupes. Ces dispositions révoltèrent tout ce qu'il y avait de gens sensés à Rome ; car ceux à qui César donnait de l'argent engageaient le sénat à lui en fournir, comme s'il en eût manqué ; ou plutôt ils arrachaient au sénat des décrets dont ce corps lui-même ne pouvait s'empêcher de gémir. Il est vrai que Caton était absent ; on l'avait à dessein envoyé en Cypre. Favonius, imitateur zélé de Caton, tenta de s'opposer à ces décrets ; et voyant que ses oppositions étaient inutiles, il s'élança hors du sénat et alla dans l'assemblée du peuple pour parler hautement contre ces lois ; mais il ne fut écouté de personne ; les uns étaient retenus par leur respect pour Pompée et Crassus ; le plus grand nombre voulaient faire plaisir à César, et se tenaient tranquilles, parce qu'ils ne vivaient que des espérances qu'ils avaient en lui.

XXV. Lorsque César fut de retour à son armée des Gaules, il trouva la guerre allumée. Deux grandes nations de la Germanie, les Usipes et les Tenchtères (28), avaient passé le Rhin pour s'emparer des terres situées au delà de ce fleuve. César dit lui-même, dans ses Commentaires (29), en parlant de la bataille qu'il leur livra, que ces Barbares, après lui avoir envoyé des députés et fait une trêve avec, ne laissèrent pas de l'attaquer en chemin, et, avec huit cents cavaliers seulement, ils mirent en fuite cinq milles hommes de sa cavalerie, qui ne s'attendaient à rien moins qu'à cette attaque : ils lui envoyèrent une seconde ambassade, à dessein de le tromper encore ; mais il fit arrêter leurs députés, et marcha contre les Barbares, regardant comme une folie de se piquer de bonne foi envers des perfides qui venaient de violer l'accord qu'ils avaient fait avec lui. Canusius (30) écrit que le sénat ayant décrété une seconde fois des sacrifices et des fêtes pour cette victoire, Caton opina qu'il fallait livrer César aux Barbares, pour détourner de dessus Rome la punition que méritait l'infraction de la trêve, et en faire retomber la malédiction sur son auteur. De cette multitude de Barbares qui avaient passé le Rhin, quatre cent mille furent taillés en pièce ; il ne s'en sauva qu'un petit nombre que recueillirent les Sicambres (31), nations germanique. César saisit le prétexte de satisfaire sa passion pour la gloire. Jaloux d'être le premier des Romains qui eût fait passer le Rhin à une armée, il construisit un pont sur ce fleuve, qui, ordinairement fort large, a encore plus d'étendue en cet endroit ; son courant rapide entraînait avec violence les troncs d'arbres et les pièces de bois que les Barbares y jetaient, et qui venaient frapper avec une telle impétuosité les pieux qui soutenait le pont qu'ils en étaient ébranlés ou rompus. Pour amortir la roideur des coups, il fit enfoncer, au milieu du fleuve, au-dessus du pont, de grosses poutres qui détournaient les arbres et les autres bois qu'on abandonnait au fil de l'eau, et brisaient, en quelque sorte, la rapidité du courant. On vit aussi la chose qui paraissait la plus incroyable, un pont entièrement achevé en dix jours. Il y fit passer son armée, sans que personne osât s'y opposer ; les Suèves même (32), les plus belliqueux des peuples de la Germanie, s'étaient retirés dans des vallées profondes et couvertes de bois. César, après avoir brûlé leur pays et ranimé la confiance des peuples qui tenaient le parti des Romains, repassa dans la Gaule ; il n'avait employé que dix-huit jours à cette expédition dans la Germanie.

XXVI. Celle qu'il entreprit contre les habitants de la Grande-Bretagne est d'une audace extraordinaire. Il fut le premier qui pénétra avec une flotte dans l'Océan occidental, et qui fit traverser à son armée la mer Atlantique, pour aller porter la guerre dans cette île. Ce qu'on rapportait de sa grandeur faisait douter de son existence, et a donné lieu à une dispute entre plusieurs historiens, qui ont cru n'elle n'avait jamais existé, et que tout ce qu'on en débitait, jusqu'à son nom même, était une pure fable. César osa tenter d'en faire la conquête, et de porter au delà des terres habitables les bornes de l'empire romain il y passa deux fois, de la côte opposée de la Gaule ; et, dans plusieurs combats qu'il livra, il fit plus de mal aux ennemis qu'il ne procura d'avantage à ses troupes ; elles ne purent rien tirer de ces peuples, qui menaient une vie pauvre et misérable. Cette expédition ne fut donc pas aussi heureuse qu'il l'aurait désiré ; seulement il prit des otages de leur roi, lui imposa un tribut, et repassa dans la Gaule. Il y trouva des lettres qu'on allait lui porter dans l'île, et par lesquelles ses amis de Rome lui apprenaient que sa fille était morte en couches dans la maison de Pompée. Cette mort ne causa pas moins de douleur au père qu'au mari ; leurs amis en furent vivement affligés ; ils prévirent que cette mort allait rompre une alliance qui entretenait la paix et la concorde dans la république, déjà travaillée par des maladies dangereuses. L'enfant même dont elle était accouchée mourut peu de jours après sa mère. Le peuple, malgré les tribuns, enleva le corps de Julie et le porta dans le champ de mars, où elle fut enterrée.

XXVII. César avait été obligé de partager en plusieurs corps l'armée nombreuse qu'il commandait, et de la distribuer en divers quartiers pour y passer l'hiver (33) ; après quoi, suivant sa coutume, il était allé en Italie. Pendant son absence, toute la Gaule se souleva de nouveau et fit marcher des armées considérables, qui allèrent attaquer les quartiers des Romains, et entreprirent de forcer leurs retranchements. Les plus nombreux et les plus puissants de ces peuples, commandés par Ambiorix, tombèrent sur les légions de Cotta et de Titurius, et les taillèrent en pièces ; de là ils allèrent, avec soixante mille hommes, assiéger la légion qui était sous les ordres de Q. Cicéron, et peu s'en fallut que ses retranchements ne fussent forcés (34) ; tous ceux qui y étaient renfermés avaient été blessés, et se défendaient avec le plus de courage que leur état ne semblait le permettre. César, qui était déjà fort loin de ses quartiers, ayant appris ces fâcheuses nouvelles, revint précipitamment sur ses pas, et n'ayant pu rassembler en tout que sept mille hommes, il fit la plus grande diligence pour aller dégager Cicéron. Les assiégeants, à qui il ne put dérober sa marche, levèrent le siège et allèrent à sa rencontre, méprisant son petit nombre et se croyant sûrs de l'enlever. César, afin de les tromper, fit semblant de fuir, et, ayant trouvé un poste commode pour tenir tête avec peu de monde à une armée nombreuse, il fortifia son camp, défendit à ses soldats de tenter aucun combat, fit élever de grands retranchements et boucher les portes, afin que cette apparence de frayeur inspirât aux généraux ennemis encore plus de mépris pour lui. Son stratagème lui réussit : les Gaulois, pleins de confiance, viennent l'attaquer séparés et sans ordre ; alors il fait sortir sa troupe, tombe sur les Barbares qu'il met en fuite, et en fait un grand carnage. Cette victoire éteignit tous les soulèvements des Gaulois dans ces quartiers-là ; César, pour en prévenir de nouveaux, se portait avec promptitude partout où il voyait quelque mouvement à craindre. Pour remplacer les légions qu'il avait perdues, il lui en était venu trois d'Italie, dont deux lui avaient été prêtées par Pompée, et la troisième venait d'être levée dans la Gaule aux environs du Pô.

XXVIII. Cependant (35) on vit tout à coup se développer, au fond de la Gaule, des semences de révolte, que les chefs les plus puissants avaient depuis longtemps répandues en secret parmi les peuples les plus belliqueux, et qui donnèrent naissance à la plus grande et à la plus dangereuse guerre qui eût encore eu lieu dans ces contrées. Tout se réunissait pour la rendre terrible : une jeunesse aussi nombreuse que brillante, une immense quantité d'armes rassemblées de toutes parts, les fonds énormes qu'ils avaient faits, les places fortes dont ils s'étaient assurés, les lieux presque inaccessibles dont ils avaient faits leurs retraites : on était d'ailleurs dans le fort de l'hiver ; les rivières étaient glacées, les forêts couvertes de neige ; les campagnes inondées étaient comme des torrents ; les chemins, ou ensevelis sous des monceaux de neige, ou couverts de marais et d'eaux débordées, étaient impossibles à reconnaître. Tant de difficultés faisaient croire aux Gaulois que César ne pourrait les attaquer. Entre les nations révoltées, les plus considérables étaient les Arverniens et les Carnutes (36), qui avaient investi de tout le pouvoir militaire Vercingétorix, dont les Gaulois avaient massacré le père parce qu'ils le soupçonnaient d'aspirer à la tyrannie. Ce général, après avoir divisé son armée en plusieurs corps, et établi plusieurs capitaines, fit entrer dans cette ligue tous les peuples des environs, jusqu'à la Saône (37) ; il pensait à faire prendre subitement les armes à toute la Gaule, pendant qu'à Rome on préparait un soulèvement général contre César. Si le chef des Gaulois eût différé son entreprise, jusqu'à ce que César eût eu sur les bras la guerre civile, il n'eût pas causé à l'Italie entière moins de terreur qu'autrefois les Cimbres et les Teutons.

XXIX. César, qui tirait parti de tous les avantages que la guerre peut offrir, et qui surtout savait profiter du temps, n'eut pas plutôt appris cette révolte générale qu'il partit sans perdre un instant ; et reprenant les mêmes chemins qu'il avait déjà tenus, il fit voir aux Barbares, par la célérité de sa marche dans un hiver si rigoureux, qu'ils avaient en tête une armée invincible, à laquelle rien ne pouvait résister. Il eût paru incroyable qu'un simple courrier fût venu en un temps beaucoup plus long du lieu d'où il était parti, et ils le voyaient, arrivé en peu de jours avec toute son armée, piller et ravager leur pays, détruire leurs places fortes, et recevoir ceux qui venaient se rendre à lui ; mais quand les Eduens (38), qui jusqu'alors s'étaient appelés les frères des Romains, et en avaient été traités avec la plus grande distinction, se révoltèrent aussi et entrèrent dans la ligue commune, le découragement se jeta dans ses troupes. César fut donc obligé de décamper promptement, et de traverser le pays des Lingons, pour entrer dans celui des Séquanois, amis des Romains, et plus voisins de l'Italie que le reste de la Gaule. Là, environné par les ennemis, qui étaient venus fondre sur lui avec plusieurs milliers de combattants, il les charge avec tant de vigueur, qu'après un combat long et sanglant, il a partout l'avantage, et met en fuite ces Barbares. Il semble néanmoins qu'il y reçut d'abord quelque échec ; car les Arverniens montrent encore une épée suspendue dans un de leurs temples, qu'ils prétendent être une dépouille prise sur César. Il l'y vit lui-même dans la suite, et ne fit qu'en rire ; ses amis l'engageaient à la faire ôter ; mais il ne le voulut pas, parce qu'il la regardait comme une chose sacrée.

XXX. Le plus grand nombre de ceux qui s'étaient sauvés par la fuite se renfermèrent avec leur roi dans la ville d'Alésia (39). César alla sur-le-champ l'assiéger, quoique la hauteur de ses murailles et la multitude des troupes qui la défendaient la fissent regarder comme imprenable. Fendant ce siège, il se vit dans un danger dont on ne saurait donner une juste idée. Ce qu'il y avait de plus brave parmi toutes les nations de la Gaule, s'étant rassemblé au nombre de trois cent mille hommes (40), vint en armes au secours de la ville ; ceux qui étaient renfermés dans Alésia ne montaient pas à moins de soixante-dix mille. César, ainsi enfermé et assiégé entre deux armées si puissantes, fut obligé de se remparer de deux murailles, l'une contre ceux de la place, l'autre contre les troupes qui étaient venues au secours des assiégés : si ces deux armées avaient réuni leurs forces, c'en était fait de César. Aussi le péril extrême auquel il fut exposé devant Alésia lui acquit, à plus d'un titre, la gloire la mieux méritée ; c'est de tous ses exploits celui où il montra le plus d'audace et le plus d'habileté. Mais ce qui doit singulièrement surprendre, c'est que les assiégés n'aient été instruits du combat qu'il livra à tant de milliers d'hommes qu'après qu'il les eut défaits ; et ce qui est plus étonnant encore, les Romains qui gardaient la muraille que César avait tirée contre la ville n'apprirent sa victoire que par les cris des habitants d'Alésia et par les lamentations de leurs femmes, qui virent, des différents quartiers de la ville, les soldats romains emporter dans leur camp une immense quantité de boucliers garnis d'or et d'argent, des cuirasses souillées de sang, de la vaisselle et des pavillons gaulois (41). Toute cette puissance formidable se dissipa et s'évanouit avec la rapidité d'un fantôme ou d'un songe ; car ils périrent presque tous dans le combat. Les assiégés, après avoir donné bien du mal à César, et en avoir souffert eux-mêmes, finirent par se rendre. Vercingétorix, qui avait été l'âme de toute cette guerre, s'étant couvert de ses plus belles armes, sortit de la ville sur un cheval magnifiquement paré ; et après l'avoir fait caracoler autour de César, qui était assis sur son tribunal, il mit pied à terre, se dépouilla de toutes ses armes, et alla s'asseoir aux pieds du général romain, où il se tint dans le plus grand silence. César le remit en garde à des soldats et le réserva à l'ornement de son triomphe.


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(17)  César raconte lui-même cette action dans son troisième livre de la Guerre civile, p. 337.

(18)  Amyot a traduit ainsi cet endroit : «Ce fut luy qui inventa le premier la manière de parler avec ses amis par chiffre de lettres transposées». Ce que ce traducteur dit des chiffres de César, formés par la transposition des lettres, n'est pas dans le texte de Plutarque, mais est conforme à l'histoire.

(19)  César, qui, dans le premier livre de la Guerre des Gaules, parle de ses combats contre les Helvétiens ou les Suisses, dit, p. 18, qu'on trouva dans leur camp des registres écrits en grec, qui contenaient le nombre de ceux qui étaient sortis de leur pays en âge de porter les armes, celui des femmes, des vieillards et des enfants ; qu'il y avait en tout trois cent soixante-huit mille personnes, dont quatre-vingt-douze mille en état de combattre. Cet historien place les limites de leur pays entre le Rhin, le mont Jura, le lac Léman ou de Genève, et le Rhône. Les Tigeriniens étaient ceux du canton de Zurich. Quand Plutarque dit, quelques lignes plus bas, que ce fut Labiénus qui défit les Tiguriniens, il est en contradiction avec César, qui rapporte lui-même, ibid. p. 6 et 7, qu'il laissa cet officier à la garde du retranchement qu'il avait fait depuis le lac de Genève jusqu'au mont Jura ; et que lui-même en personne, avec trois légions, il alla attaquer les Tiguriniens comme ils passaient la Saône, et qu'il en tua une grande partie.

(20)  Il s'agit ici des peuples qui habitaient la partie de la Gaule qu'on appelait celtique, dont nous avons donné la position, et fait connaître les noms modernes (note 16).

(21)  Pour bien entendre ce passage, il faut en rapprocher ce que César rapporte dans le premier livre de la Guerre des Gaules, p. 19.

(22)  Les Germains et les Gaulois avaient une grande vénération pour leurs femmes ; Tacite, dans le quatrième livre de son Histoire, chap.LXI, dit que, de temps immémorial, les Germains attribuent à la plupart des femmes la faculté de connaître l'avenir, et que celles à qui la superstition donne la vogue sont regardées comme des divinités. Dans son ouvrage sur les Moeurs des Germains, chap. VIII, le même auteur rapporte que ce peuple va jusqu'à croire que ce sexe, en général, a quelque chose de divin, et qu'il regarde ses conseils comme des oracles.

(23)  Les trois cents stades feraient quinze de nos lieues, ce qui n'est pas croyable César, lib.I de Bello Gallico, p. 35, met cinq mille pas ; et une marque sûre, suivant l'observation de M. Dacier, que César avait écrit cinq mille, et non pas cinquante mille, comme portent quelques éditions, c'est que son traducteur grec a mis quarante stades, qui font cinq mille pas. Les trois cents stades de Plutarque ne peuvent être qu'une erreur de copiste ; genre de faute très ordinaire dans les chiffres dont les Grecs se servaient pour marquer les nombres. Les quarante stades font deux lieues.

(24)  Les Séquanais étaient dans la partie de la Gaule appelée la cinquième Lyonnaise, qui comprenait la Franche-Comté, la Bresse. Voyez la note 16.

(25)  C'était la partie de l'Italie qu'on appelait la Gaule cisalpine, comme le prouve ce qui suit, et qui renfermait les Gaules cispadane et transpadane, dont nous avons donné (note 16), les noms modernes et les pays qu'elles comprennent.

(26)  Voyez, dans la note déjà citée, la division de cette partie de la Gaule en deux Belgiques, avec les pays actuels qui y sont renfermés.

(27)  Les Nerviens, peuples de la Gaule belgique, occupaient la plus grande partie de la Flandre et du Hainaut.

(28)  Ces deux peuples habitaient le pays qu'on nomme aujourd'hui la Westphalie, le duché de Clèves, l'évêché de Munster et les environs. Ce que Plutarque va dire de la guerre des Usipes ou Usipètes et des Tenchtères (car c'est ainsi que César les nomme, liv.IV, p. 70, et non pas Tentérites, comme dans Plutarque), eut lieu sous le consulat de Crassus et de Pompée ; mais auparavant, et après l'affaire de Namur qu'il a omise, il s'était passé des choses considérables dont il ne parle point. Il omet tout le troisième livre de la Guerre des Gaules par César, qui contient la guerre des Romains dans le Valais, la révolte et la défaite des peuples de Vannes, d'Evreux, de Lisieux et de Coutances ; la conquête de la Gascogne, et les courses de César sur les terres de Térouenne et de Gueldres... Il est vrai que la plupart de ces combats furent l'ouvrage de ses lieutenants Galba, Crassus, Titurius Sabinus ; mais la bataille navale gagnée sur ceux de Vannes, l'expédition contre ceux de Térouenne et de Gueldres, où César était en personne, méritaient au moins qu'il en dît un mot, quand ce n'aurait été que pour marquer la suite et la liaison des faits.

(29)  Il y a dans le texte : ses Ephémérides ; et l'on voit par là que Plutarque donne ce nom aux Commentaires de César ; car c'est dans le quatrième livre de ce dernier ouvrage qu'est rapporté le fait dont il s'agit ici. Plutarque a donc confondu deux ouvrages très différents. Les Ephémérides de César étaient des journaux où, comme le nom l'indique, il avait marqué jour par jour ce qui lui était arrivé ; et ses Commentaires sont une histoire suivie de ses expéditions, année par année. Les Ephémérides, qui subsistaient longtemps encore après Plutarque, sont devenues depuis la proie du temps.

(30)  Canusius Geminus, grand ami de Cicéron, avait écrit une Histoire et des Annales. Voyez Vossius, de Hist. lat. lib. 1, cap. XII.

(31)  Les Sicambres, anciens peuples de la Germanie, demeurèrent d'abord le long de la Sige, dans la Westphalie méridionale, et se transportèrent ensuite entre le Rhin et la Meuse, dans le pays qui fait partie des duchés de Gueldres et de Clèves. Il y en avait aussi dans le comté de Zulphen. La cavalerie des Usipètes et des Tenchtères, qui n'avait pas eu part au combat, s'était retirée chez les Sicambres. César ayant envoyé sommer ces peuples de lui livrer cette cavalerie, qui lui avait fait la guerre, ils répondirent que la domination romaine finissait au Rhin, et que comme il ne voulait pas que les Germains passassent le Rhin malgré lui, ii n'était pas juste non plus qu'il voulùt étendre sa domination au delà de ce fleuve. Caes. de Bell. Gall. lib.IV, p. 77 et 78.

(32)  On comprenait quelquefois sous ce nom générique, non seulement des peuples de la Germanie, mais même des habitants de la Sarmatie et de la Scandinavie (la Pologne et la Suède) ; ceux dont il est question ici semblent avoir laissé leur nom à la Souabe, grande contrée de l'Allemagne méridionale, entre la Franconie, la Bavière, les Grisons, les Suisses et l'Alsace. Les Suèves, du temps de César, étaient les peuples les plus considérables et les plus belliqueux de la Germanie, comme il le dit lui-même, liv. IV, p. 70.

(33)  César avait alors huit légions ; et il dit, liv.V, p. 103, que la disette causée par les sécheresses l'obligea de répandre ses troupes pour les faire subsister, et qu'il ne les quitta qu'après qu'il les eut vues bien retranchées et établies dans leurs quartiers. Le seul reproche qu'on pourrait peut-être lui faire, c'est d'avoir pris des quartiers trop éloignés, et qui ne pouvaient s'entresecourir assez promptement ; il semble avoir voulu prévenir ce reproche, en disant lui-même que toutes ces légions, à la réserve d'une seule qui était plus écartée, et dans un pays tranquille, étaient renfermées dans l'espace de trente lieues ; mais les géographes, suivant M. Dacier, y en trouvent davantage.

(34)  Ce récit est un peu tronqué ; Plutarque ne parle point de la perfidie d'Ambiorix, qui est rapportée dans César, lib. V de Bello Gallico, p. 104, 105, 113 et 114.

(35)  Plutarque passe encore ici tout le sixième livre des Commentaires de César, qui contient cependant des événements assez considérables : ils se passèrent entre la dernière victoire de César et l'affaire de Vercingétorix, qu'il va raconter ; comme la défaite de ceux de Trèves, le second passage du Rhin par César, et la poursuite qu'il fit d'Ambiorix.

(36)  Les Arverniens, peuples de la première Aquitaine, occupaient le pays qu'on a depuis appelé l'Auvergne ; en particulier Clermont et Saint-Flour. Les Carnutes, qui avaient Chartes pour capitale, étaient épars dans l'Orléanais, le Blésois, le Vendômois, le Dunois, le pays Chartrain, celui de Dreux, le Maniais, le Pinserais, la Beauce, le Gâtinais, la Puisaie et la Sologne. Chacun de ces peuples était distingué par un nom particulier.

(37)  Il y a dans le texte : jusqu'à la mer Adriatique ; mais c'est une faute que tous les critiques ont relevée ; car la révolte de Vercingétorix, loin de s'étendre jusqu'à cette mer, n'embrassa pas même toute la Gaule. Les variantes y substituent jusqu'à la Saône, dont le nom grec a quelque ressemblance avec celui de l'Adriatique. Cette rivière, après avoir traversé ia Franche-Comté, un angle de la Bourgogne et le Beaujolais, va lentement se perdre dans le Rhône, à Lyon.

(38)  Les Eduens étaient compris entre la Saône, la Loire et la Seine ; ils avaient pour capitale Autun, et comprenaient les diocèses d'Autun, de Lyon, de Mâcon, de Chalons-sur-Saône et de Nevers. Les Lingons, dont il est question tout de suite après, habitaient le pays de Langres ; mais leurs possessions s'étendaient fort loin. Les Séquanais, anciens peuples d'Europe, étaient renfermés entre la Saône, le Rhône et le Rhin, et occupaient la Bourgogne orientale, ou la Franche-Comté, le Bugey, l'Alsace méridionale, le Suntgaw, le Bâlois et la Suisse, jusqu'à la Russ ; ainsi le plus grand nombre était dans la Gaule Belgique. Voyez la note 16.

(39)  Alésia, nommée aussi Alexia, était, selon les uns, une cité de la Gaule celtique, qu'on ne reconnaît plus qu'à quelques fondements qui se trouvent auprès de la petite ville de Sainte-Reine en Bourgogne, qui a été bâtie de ses ruines. D'autres veulent que ce soit Alise, village en Auxois, dans le duché de Bourgogne, entre Semur et Saint-Seine.

(40)  Plutarque exagère un peu le nombre des combattants. César dit, lib. VII, p. 190, qu'à la revue générale qui se fit dans le pays des Eduens, il se trouva huit mille chevaux, et deux cent quarante mille hommes de pied. C'était encore une armée bien formidable pour César, qui avait à se défendre en même temps contre plus de soixante-dix mille hommes renfermés dans la ville.

(41)  La manière dont Plutarque raconte cette guerre particulière est sans aucune vraisemblance. Ces faits sont démentis par César, liv.VII, p. 193.