[A la poursuite de Pompée]
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XXXVIII. La prise d'Ariminium ouvrit, pour ainsi dire,
toutes les portes de la guerre et sur terre et sur mer ; et
César, en franchissant les limites de son
gouvernement, parut avoir transgressé toutes les lois
de Rome. Ce n'était pas seulement, comme dans les
autres guerres, des hommes et des femmes qu'on voyait courir
éperdus dans toute l'Italie ; les villes
elles-mêmes semblaient s'être arrachées de
leurs fondements pour prendre la fuite, et se transporter
d'un lieu dans un autre ; Rome elle-même se trouva
comme inondée d'un déluge de peuples qui s'y
réfugiaient de tous les environs ; et dans une
agitation, dans une tempête si violente, il
n'était plus possible à aucun magistrat de la
contenir par la raison ni par l'autorité ; elle fut
sur le point de se détruire par ses propres mains. Ce
n'était partout que des passions contraires et des ni
mouvements convulsifs ; ceux mêmes qui applaudissaient
à l'entreprise de César ne pouvaient se tenir
tranquilles : comme ils rencontraient à chaque pas des
gens qui en étaient affligés et inquiets (ce
qui arrive toujours dans une grande ville), ils les
insultaient avec fierté, et les menaçaient de
l'avenir. Pompée, déjà assez
étonné par lui-même, était encore
plus troublé par les propos qu'on lui tenait de toutes
parts : il était puni avec justice, lui disaient les
uns, d'avoir agrandi César contre lui-même et
contre la république ; les autres l'accusaient d'avoir
rejeté les conditions raisonnables auxquelles
César avait consenti de se réduire, et de
l'avoir livré aux outrages de Lentulus. Favonius
même osa lui dire de frapper enfin du pied la terre,
parce qu'un jour Pompée, en parlant de lui-même
en plein sénat dans les termes les plus avantageux,
avait déclaré aux sénateurs qu'ils ne
devaient s'embarrasser de rien, ni s'inquiéter des
préparatifs de la guerre ; que dès que
César se serait mis en marche, il n'aurait qu'à
frapper la terre du pied, et qu'il remplirait de
légions toute l'Italie.
XXXIX. Pompée
était encore supérieur à César
par le nombre de ses troupes ; mais il n'était pas le
maître de suivre ses propres sentiments ; les fausses
nouvelles qu'on lui apportait, les terreurs qu'on ne cessait
de lui inspirer, comme si l'ennemi eût
été déjà aux portes de Rome et
maître de tout, l'obligèrent enfin de
céder au torrent, et de se laisser entraîner
à la fuite générale. Il déclara
que le tumulte était dans la ville, et il l'abandonna,
en ordonnant au sénat de le suivre, et intimant
à tous ceux qui préféraient à la
tyrannie leur patrie et la liberté, la défense
d'y rester. Les consuls quittèrent Rome sans avoir
fait les sacrifices qu'il était dans l'usage d'offrir
aux dieux lorsqu'ils sortaient de la ville ; la plupart des
sénateurs prirent aussi la fuite, saisissant, en
quelque sorte, ce qu'ils trouvaient chez eux sous leurs
mains, comme s'ils l'eussent enlevé aux ennemis : il y
en eut même qui, d'abord très attachés
à César, furent tellement troublés par
la crainte que sans aucune nécessité ils se
laissèrent emporter par le torrent des fuyards.
XL. C'était un
spectacle digne de pitié que de voir, dans une si
terrible tempête, cette ville abandonnée, et
semblable à un vaisseau sans pilote, flotter au hasard
dans l'incertitude de son sort. Mais quelque
déplorable que fût cette fuite, les Romains
regardaient le camp de Pompée comme la patrie, et ils
fuyaient Rome comme le camp de César. Labiénius
lui-même, un des plus intimes amis de César, son
lieutenant dans toute la guerre des Gaules, et qui l'avait
toujours servi avec le plus grand zèle, quitta son
parti et alla joindre Pompée. Cette désertion
n'empêcha pas César de lui renvoyer son argent
et ses équipages : il alla camper ensuite devant
Corfinium (45),
où Domitius commandait pour Pompée. Cet
officier, qui désespérait de pouvoir
défendre la ville, demanda du poison à un de
ses esclaves, qui était médecin, et l'avala
dans l'espérance de mourir promptement ; mais ayant
bientôt appris avec quelle extrême bonté
César traitait ses prisonniers, il déplora son
malheur, et la précipitation avec laquelle il avait
pris une détermination si violente. Son médecin
le rassura, en lui disant que le breuvage qu'il lui avait
donné n'était pas un poison mortel, mais un
simple narcotique. Content de cette assurance, il se leva
sur-le-champ, et alla trouver César, qui le
reçut avec beaucoup d'amitié : cependant, peu
de temps après, Domitius se rendit au camp de
Pompée (46).
Ces nouvelles portées à Rome causèrent
beaucoup de joie à ceux qui y étaient
restés, et plusieurs de ceux qui en avaient fui y
retournèrent.
XLI. César prit
à sa solde les troupes de Domitius ; et ayant
prévenu ceux qui faisaient dans les villes des
levées de soldats pour Pompée, il incorpora ces
nouvelles recrues dans son armée. Devenu redoutable
par ces renforts, il marcha contre Pompée ; mais
celui-ci, ne jugeant pas à propos de l'attendre, se
retira à Brunduse, d'où il fit d'abord partir
les consuls pour Dyrrachium avec des troupes, et y passa
lui-même bientôt après l'arrivée de
César devant Brunduse (47). J'ai raconté ces
faits en détail dans la vie de Pompée.
César eût bien voulu le poursuivre ; mais il
manquait de vaisseaux ; il s'en retourna donc à Rome,
après s'être rendu maître, en soixante
jours, de toute l'Italie, sans verser une goutte de sang. Il
trouva la ville beaucoup plus calme qu'il ne l'avait
espéré ; il parla avec beaucoup de douceur et
de popularité à un grand nombre de
sénateurs que la confiance y avait ramenés et
les exhorta à députer vers Pompée, pour
lui porter de sa part des conditions raisonnables. Aucun
d'eux ne voulut accepter cette commission, soit qu'ils
craignissent Pompée après l'avoir
abandonné, soit qu'ils crussent que César ne
parlait pas sincèrement, et que ce n'étaient de
sa part que des paroles spécieuses. Le tribun
Métellus voulut l'empêcher de prendre de
l'argent dans le trésor public, et lui allégua
des lois qui le défendaient. «Le temps des
armes, lui dit César, n'est pas celui des lois : si tu
n'approuves pas ce que je veux faire, retire-toi ; la guerre
ne souffre pas cette liberté de parler. Quand
après l'accommodement fait, j'aurai posé les
armes, tu pourras alors haranguer tant que tu voudras. Au
reste, ajouta-t-il, quand je parle ainsi, je n'use pas encore
de tous mes droits, car vous m'appartenez par le droit de la
guerre, toi et tous ceux qui, après vous être
déclarés contre moi, êtes tombés
entre mes mains». En parlant ainsi à
Métellus, il s'avança vers les portes du
trésor ; et comme on ne trouvait pas les clefs, il
envoya chercher des serruriers, et leur ordonna d'enfoncer
les portes. Métellus voulut encore s'y opposer ; et
plusieurs personnes louaient sa fermeté. César,
prenant un ton plus haut, le menaça de le tuer s'il
l'importunait encore. «Et tu sais, jeune homme,
ajouta-t-il, qu'il m'est moins facile de le dire que de le
faire». Métellus, effrayé de ces
dernières paroles, se retira, et tout de suite on
fournit à César, sans aucune difficulté,
tout l'argent dont il eut besoin pour faire la guerre.
XLII. Il se rendit
aussitôt en Espagne avec une armée, pour en
chasser les lieutenants de Pompée, Afranius et Varron,
et pouvoir, après s'être rendu maître de
leurs troupes et de leurs gouvernements, marcher contre
Pompée, sans laisser derrière lui aucun ennemi.
Dans cette guerre, sa vie fut souvent en danger par les
embûches qu'on lui dressa, et son armée manqua
de périr par la disette ; mais il n'en fut pas moins
ardent à poursuivre les ennemis, à les
provoquer au combat, à les environner de
tranchées, à ne pas s'arrêter, qu'il
n'eût en sa puissance leurs troupes et leurs camps. Les
chefs prirent la fuite, et allèrent trouver
Pompée. Quand César fut de retour à
Rome, Pison, son beau-père, lui conseilla d'envoyer
des députés à Pompée, pour
traiter d'un accommodement ; mais lsauricus, qui voulait
plaire à César, combattit cette proposition.
Elu dictateur par le sénat, il rappela les bannis,
rétablit dans tous leurs droits les enfants de ceux
qui avaient été proscrits par Sylla, et
déchargea les débiteurs d'une partie des
intérêts de leurs dettes (48). Il fit quelques autres
ordonnances semblables, et ne garda la dictature que onze
jours ; après ce terme, il déposa cette
magistrature, qui tenait de la monarchie, se nomma
lui-même consul avec Servilius Isauricus, et ne
s'occupa plus que de la guerre.
XLIII. Il fit tant de
diligence qu'il laissa derrière lui une grande partie
de son armée, et quoiqu'il n'eût que six cents
chevaux d'élite et cinq légions (49) ; quoiqu'on fût
vers le solstice d'hiver, au commencement de janvier, qui
répond au mois Posidéon des Athéniens
(50), il s'embarqua,
traversa la mer Ionienne, et se rendit maître des
villes d'Oricum et d'Apollonie. Il renvoya des vaisseaux de
transport à Brunduse (51), pour amener les troupes
qui n'avaient pu s'y rendre avant qu'il en partît. Ces
troupes, épuisées de fatigue, rebutées
de combattre sans relâche contre tant d'ennemis, se
plaignaient de César dans leur route :
«Où donc, disaient-elles, cet homme veut-il nous
mener ? Quel terme mettra-t-il à nos travaux ? Ne
cessera-t-il à jamais de nous traîner partout
à sa suite, et de se servir de nous comme si nous
avions des corps de fer ? Mais le fer même s'use par
les coups dont on le frappe, les boucliers et les cuirasses
ont de temps en temps besoin de repos. César, en
voyant nos blessures, ne doit-il pas songer qu'il commande
à des hommes mortels, et que nous souffrons tous les
maux attachés à notre condition ? Un dieu
lui-même peut-il, sur les mers, forcer la saison de
l'hiver, des vents et des tempêtes ? Et cependant c'est
dans cette saison qu'il nous expose à tous les
périls de la mer ; on dirait, non qu'il poursuit des
ennemis, mais qu'il fuit devant eux». Tout
occupés de leurs plaintes, ils s'acheminaient
lentement vers Brunduse ; et lorsqu'en y arrivant ils
trouvèrent César déjà parti,
alors, changeant de langage, ils se firent à
eux-mêmes les plus vifs reproches, et
s'accusèrent d'avoir trahi leur général
; ils s'en prirent à leurs officiers qui n'avaient pas
pressé leur marche ; et, assis au haut de la
côte, ils portaient leurs regards sur la mer et vers
l'Epire, pour voir s'ils apercevraient les vaisseaux qui
devaient revenir les chercher.
XLIV. Cependant
César se trouvait à Apollonie avec une
armée trop faible pour rien entreprendre, parce que
les troupes de Brunduse tardaient à arriver.
Livré à une incertitude affligeante, il prit
enfin la résolution hasardeuse de s'embarquer seul,
à l'insu de tout le monde, sur un simple bateau
à douze rames, pour se rendre le plus promptement
à Brunduse, quoique la mer fût couverte de
vaisseaux ennemis. A l'entrée de la nuit, il se
déguise en esclave, monte dans le bateau, se jette
dans un coin, comme le dernier des passagers, et s'y tient
sans rien dire. La barque descendait le fleuve Anius (52), qui la portait vers la
mer. L'embouchure de ce fleuve était ordinairement
tranquille ; un vent de terre qui se levait tous les matins
repoussait les vagues de la mer et les empêchait
d'entrer dans la rivière ; mais cette nuit-là
il s'éleva tout à coup un vent de mer si
violent, qu'il fit tomber le vent de terre. Le fleuve,
soulevé par la marée et par la
résistance des vagues, qui, poussées avec
furie, luttaient contre son courant, devint d'une navigation
dangereuse ; ses eaux, repoussées violemment vers leur
source par les tourbillons rapides que cette lutte causait,
et qui étaient accompagnés d'un affreux
mugissement, ne permettaient pas au pilote de gouverner sa
barque et de maîtriser les flots. Il ordonna donc
à ses matelots de tourner la barque, et de remonter le
fleuve. César ayant entendu donner cet ordre, se fait
connaître, et prenant la main du pilote, fort
étonné de voir là César :
«Mon ami, lui dit-il, continue ta route, et risque tout
sans rien craindre ; tu conduis César et sa
fortune». Les matelots, oubliant la tempête,
forcent de rames et emploient tout ce qu'ils ont l'ardeur
pour surmonter la violence des vagues ; mais tous leurs
efforts sont inutiles. César, qui voit la barque faire
eau de toutes parts, et prête à couler à
fond dans l'embouchure même du fleuve, permet au
pilote, avec bien du regret, de retourner sur ses pas. Il
regagnait son camp, lorsque ses soldats, qui étaient
sortis en foule au-devant de lui, se plaignirent avec douleur
de ce que, désespérant de vaincre avec eux
seuls, et se méfiant de ceux qui étaient
auprès de lui, il allait, par une inquiétude
injurieuse pour eux, s'exposer au plus terrible danger pour
chercher les absents.
XLV. Antoine étant
arrivé bientôt après avec les troupes de
Brunduse (53),
César, plein de confiance, présenta le combat
à Pompée, qui, placé dans un poste
avantageux, tirait abondamment de la terre et de la mer
toutes ses provisions, tandis que César, qui n'en
avait pas d'abord en abondance, se trouva bientôt
réduit à manquer des choses les plus
nécessaires (54). Ses soldats, pour se
nourrir, pilaient une certaine racine qu'ils
détrempaient avec du lait ; quelquefois même ils
en faisaient du pain (55) ; et, s'avançant
jusqu'aux premiers postes des ennemis, ils jetaient de ces
pains dans leurs retranchements, en leur disant que tant que
la terre produirait de ces racines, ils ne cesseraient pas de
tenir Pompée assiégé. Pompée
défendit qu'on rapportât ces discours dans son
camp, et qu'on y montrât ces pains ; il craignait
l'entier découragement de ses soldats, qu'il voyait
redouter déjà la dureté et
l'insensibilité farouche de leurs ennemis, qui comme
des bêtes sauvages supportaient patiemment les plus
grandes privations. Il se faisait chaque jour, près du
camp de Pompée, des escarmouches, où
César avait toujours l'avantage ; une fois seulement
ses troupes furent mises en déroute, et il se vit en
danger de perdre son camp.
XLVI. Pompée les
ayant attaquées avec vigueur, aucun des corps de
César ne tint ferme, ils prirent tous la fuite ; on en
fit un si grand carnage, que les tranchées furent
couvertes de morts, et ils furent poursuivis jusque dans
leurs lignes et leurs retranchements (56). César courut
au-devant des fuyards, pour les ramener au combat ; et voyant
ses efforts inutiles, il saisit les drapeaux des enseignes,
afin de les arrêter ; mais ils les jetaient à
terre, et trente-deux tombèrent au pouvoir de
l'ennemi. César lui-même manqua d'y périr
; il avait voulu retenir un soldat, grand et robuste, qui
fuyait comme les autres, et l'obliger de faire face à
l'ennemi : cet homme, troublé par le danger, et hors
de lui-même, leva l'épée pour le frapper
; mais l'écuyer de César le prévint, et
d'un coup d'épée il lui abattit
l'épaule. César croyait déjà tout
perdu ; et lorsque Pompée, ou par un excès de
précaution, ou par un caprice de la fortune, eut
manqué de conduire à son terme un si heureux
commencement ; que, satisfait d'avoir obligé les
fuyards de se renfermer dans leur camp, il se fut
retiré, César, en s'en retournant, dit à
ses amis : «La victoire était aujourd'hui
assurée aux ennemis, si leur chef avait su
vaincre». Après être rentré dans sa
tente, il se coucha, et passa la nuit dans la plus cruelle
inquiétude, livré à de tristes
réflexions ; il se reprochait la faute qu'il avait
faite, lorsque, ayant devant lui un pays abondant, et les
villes opulentes de la Macédoine et de la Thessalie,
au lieu d'attirer la guerre dans ces belles contrées,
il s'était campé sur les bords de la mer, dont
les ennemis étaient les maîtres, et où il
était lui-même bien plus assiégé
par la disette, qu'il n'assiégeait Pompée par
les armes.
XLVII.
Déchiré par ces réflexions,
tourmenté du défaut de vivres, et de la
situation fâcheuse dans laquelle il se trouvait, il
leva son camp, résolu d'aller, dans la
Macédoine, combattre Scipion ; il espérait ou
attirer Pompée sur ses pas, et l'obliger de combattre
dans un pays qui ne lui donnerait pas la facilité de
tirer ses provisions par mer, ou opprimer aisément
Scipion, si Pompée l'abandonnait. La retraite de
César enfla le courage des soldats de Pompée,
et surtout des officiers, qui voulaient qu'on le
poursuivît sur-le-champ, comme un ennemi
déjà vaincu et mis en fuite. Mais Pompée
n'était pas assez imprudent pour mettre de si grands
intérêts au hasard d'une bataille : abondamment
pourvu de tout ce qui lui était nécessaire pour
attendre le bénéfice du temps, il croyait plus
sage de tirer la guerre en longueur, et de laisser se
flétrir le peu de vigueur qui restait encore aux
soldats de César. Les plus aguerris d'entre eux
avaient beaucoup d'expérience et d'audace dans les
combats ; mais quand il fallait faire des marches et des
campements, assiéger des places fortes et passer les
nuits sous les armes, leur vieillesse les faisait
bientôt succomber à ces fatigues ; ils
étaient trop pesants pour des travaux si
pénibles, et leur courage cédait à la
faiblesse de leur corps. On disait d'ailleurs qu'il
régnait dans son camp une maladie contagieuse, dont la
mauvaise nourriture avait été la
première cause ; et ce qui était encore plus
fâcheux pour César, il n'avait ni vivres ni
argent, et il ne pouvait éviter de se consumer
lui-même en peu de temps. Tous ces motifs
déterminaient Pompée à refuser le
combat. Caton était le seul qui, par le désir
d'épargner le sang des citoyens, approuvât sa
résolution ; il n'avait pu voir les corps des ennemis
tués à la dernière action, au nombre de
mille, sans verser des larmes ; et en se retirant, il se
couvrit la tête de sa robe, en signe de deuil. Mais
tous les autres accusaient Pompée de refuser le combat
par lâcheté ; ils cherchaient à le
piquer, en l'appelant Agamemnon, et roi des rois, en lui
imputant de ne vouloir pas renoncer à cette
autorité monarchique dont il était investi,
à ce concours de tant de capitaines qui venaient dans
sa tente prendre ses ordres, et dont sa vanité
était flattée. Pavonius, qui cherchait à
imiter la liberté de Caton dans ses paroles,
déplorait, d'un ton tragique le malheur qu'on aurait
encore cette année de ne pas manger des figues de
Tusculum (57), pour
ne pas dépouiller Pompée du pouvoir absolu.
Afranius, nouvellement arrivé d'Espagne, où il
s'était fort mal conduit, et qu'on accusait d'avoir
vendu et livré son armée, lui demanda pourquoi
il n'allait pas combattre contre ce marchand qui avait
acheté de lui ses gouvernements. Tous ces propos ayant
forcé Pompée de se déterminer à
combattre, il se mit à la poursuite de
César.
XLVIII. Celui-ci avait
éprouvé les plus grandes difficultés
dans les premiers jours de sa marche. Personne ne voulait lui
fournir des vivres ; et sa dernière défaite lui
attirait un mépris général ; mais
lorsqu'il eut pris la ville de Gomphes (58) en Thessalie, il eut des
vivres en abondance pour son armée, qui fut
guérie même de sa maladie d'une manière
fort étrange. Ses soldats ayant trouvé une
quantité prodigieuse de vin, en burent avec
excès, et, se livrant à la débauche, ils
célébrèrent, dans tout le chemin, une
espèce de bacchanale. Cette ivresse continuelle chassa
la maladie, qui venait d'une cause contraire, et changea
entièrement la disposition de leur corps. Quand les
deux généraux furent entrés dans la
Thessalie, et qu'ils eurent assis leur camp l'un
vis-à-vis de l'autre, Pompée revint d'autant
plus volontiers à sa première
résolution, qu'il était alarmé par des
présages sinistres, et par une vision qu'il avait eue
pendant son sommeil (59). Il avait cru être
à Rome dans le théâtre, où le
peuple le recevait avec de grands applaudissements, pendant
que lui-même s'était mis à orner la
chapelle de Vénus Nicéphore. Cette vision lui
donnait d'un côté de la confiance, à
cause des applaudissements, du peuple ; mais, d'un autre
côté, il craignait que ce songe ne
signifiât qu'il relèverait, par ses propres
dépouilles, la gloire du descendant de Vénus,
à qui César rapportait son origine.
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(45) C'est
aujourd'hui Sulmona, dans le canton des
Péligniens, maintenant appelé l'Abruzze, au
royaume de Naples.
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(46) César
ne parle point de l'aventure de Domitius. Peut-être
a-t-il voulu l'épargner.
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(47) Dyrachiim
ou Epidamne, aujourd'hui Durazzo, ville de la Turquie
européenne, dans l'Albanie, près de la mer.
- Brunduse, dans la Grande-Grèce, maintenant
Brindes, ville maritime d'Italie, au royaume de Naples,
dans la terre d'Otrante. Voyez César, de Bell.
civ. lib.I, p. 243 et 244.
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(48) Le terme
dont Plutarque se sert ici pour exprimer cette diminution
des intérêts des dettes est le même
que celui qu'il a employé dans la vie de
Solon, pour rendre la même chose.
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(49) César
dit lui-même, de Bell. civ. lib.III, p. 306,
qu'ayant trouvé peu de navires à Brunduse,
il ne put faire passer avec lui que quinze mille hommes
de pied et cinq cents chevaux. Et dans la suite il
appelle ces quinze mille hommes, non pas cinq
légions, comme Plutarque, mais sept ;
c'est-à-dire qu'elles n'étaient pas
complètes.
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(50) Plutarque,
ou plutôt quelque commentateur, s'est trompé
ici, en mettant en marge une note qui aura ensuite
passé dans le texte ; ce n'est pas au mois de
Posidéon que répond le mois de janvier,
mais à celui de Gamélion. Posidéon
répond à décembre. - Oricum et
Apollonie étaient sur la côte d'Epire ; la
dernière est actuellement connue sous le nom de
Piergo, sur un petit golfe de l'Albanie, au midi de
Durazzo.
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(51) Plutarque
ne dit pas que César ayant renvoyé ces
vaisseaux trop tard, ils perdirent l'occasion du vent, et
rencontrèrent Bibulus qui en prit trente, sur
lesquels il déchargea sa colère, en les
faisant tous brûler avec les matelots et les
pilotes, espérant qu'un traitement si cruel
intimiderait les autres, liv. III, p. 309.
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(52) Strabon,
liv.VII, p. 316, l'appelle Aoüs, et dit qu'il coule
à dix stades, une demi-lieue d'Apollonie.
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(53) Antoine
amena, sur les vaisseaux échappés à
Bibulus, huit cents chevaux et quatre légions,
trois vieilles et une nouvelle ; et il renvoya les
navires à Brunduse, pour ramener le reste qui
n'avait pu s'embarquer.
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(54) Plutarque
parle ici de ce qui eut lieu devant Dyrrachium ; mais il
passe légèrement sur des choses
intéressantes. César assiégeait une
armée beaucoup plus forte que la sienne,
abondamment pourvue de tout, et qui n'avait reçu
aucun échec, tandis qu'il était
réduit à une extrême disette. Cette
manière de faire la guerre, qu'il a décrite
dans le troisième livre de la Guerre
civile, p. 329 et suiv. est très instructive
pour les gens de l'art.
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(55) César,
ibid. p. 334, raconte que, dans cette
extrémité, ceux de ses soldats qui avaient
été en Sardaigne avec Valérius
trouvèrent le moyen de faire du pain avec une
racine qu'il nomme chara, et d'autres
clara, en la détrempant avec du lait, et
qu'ils jetaient de ces pains aux ennemis quand ils leur
reprochaient leur disette, afin de leur ôter
l'espérance de les réduire par la faim.
Pline, liv. XIX, chap. VIII, dit qu'on fait aussi du pain
avec du chou sauvage.
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(56) Il
s'agit ici de l'affaire que César rapporte,
ibid. p. 341.
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(57) Tusculum
était à cinq lieues de Rome, en tirant au
sud-est. Ce canton était très fertile, et
plein de maisons de plaisance ; Cicéron y en avait
une, qu'il a rendue célèbre par un de ses
meilleurs et de ses plus intéressants ouvrages,
les Tusculanes. C'est là qu'est aujourd'hui
Frascati, avec cette différence qu'il est au pied
de la montagne, et que l'ancien Tusculum était
à mi-côte.
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(58) Gomphes
est la première ville de Thessalie, en sortant de
l'Epire, dit César, liv.III, p. 352.
Androsthène, préteur de Thessalie, y
commandait ; César, qui vit qu'il fallait
l'emporter avant que Pompée ou Scipion pussent la
secourir, la fit attaquer en même temps de tous
côtés. L'assaut avait commencé
à plus de trois heures après midi ; et
quoique les murailles en fussent très hautes, il
fut maltre de la ville avant le coucher du soleil.
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(59) Tout ce
qui suit, jusqu'à la fin de cet article, manque
dans le texte : je l'ai suppléé
d'après la vie de Pompée, comme
Amyot et Dacier l'avaient déjà fait.
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