VII - Servius Tullius (an de Rome 175 et suiv.) | | | |
Servius Tullius était fils de Publius de la ville de Corniculum, et d'une captive, nominée Ocresia. Dans le temps qu'il était élevé dans le palais de Tarquin, une espèce de flamme parut un jour autour de sa tête (1). A la vue de ce phénomène, Tanaquil, comprenant que c'était pour lui un présage de la dignité royale, conseilla au roi son époux de lui donner la même éducation qu'à ses propres fils. Devenu grand, il épousa la fille de Tarquin. Après la mort tragique de ce prince, Tanaquil, se montrant au peuple, d'un endroit élevé du palais, lui dit que la blessure du roi, quoique très dangereuse, n'était point mortelle, et qu'il désirait qu'en attendant sa parfaite guérison, les Romains obéissent aux ordres de Servius Tullius qui, dès ce moment, se mit à exercer comme précairement l'autorité royale, mais avec beaucoup de sagesse. Ce monarque remporta plusieurs victoires sur les Etrusques. Il ajouta les monts Quirinal, Viminal, Esquilin, à la ville dont il augmenta les fortifications par des retranchements et des fossés. Le peuple fut partagé en quatre tribus (2). Des distributions de blé furent instituées en faveur des dernières classes de citoyens ; les mesures et les poids furent réglés ; et ce fut alors qu'eut lieu la nouvelle division des curies et des centuries (3). Servius fut le premier de tous les princes qui l'avaient précédé, qui ordonna le cens, mesure jusqu'alors inconnue dans le monde (4). Ensuite, il persuada aux Latins d'imiter, en sacrifiant à Diane sur le mont Aventin, les peuples de l'Asie qui avaient élevé à cette déesse un temple dans la ville d'Ephèse. Après que ces peuples y eurent consenti, un Latin, à qui était née une génisse d'une taille extraordinaire, et qui avait appris en songe que l'empire était destiné au peuple dont un citoyen l'immolerait, la conduisit sur le mont Aventin, et rendit compte à un prêtre romain du motif qui l'avait porté à cette démarche. Celui-ci, homme rusé, lui dit qu'il devait d'abord se laver les mains dans les eaux du fleuve. Le Latin suivit ce conseil ; mais, pendant qu'il descendait vers le Tibre, le prêtre immola la génisse. Par cette action, effet de sa présence d'esprit, il procura l'empire à ses concitoyens, et s'acquit à lui-même une gloire immortelle. Servius Tullius avait deux filles. L'une était d'un naturel féroce ; l'autre, d'un caractère fort doux. Comme les fils de Tarquin l'Ancien offraient le même contraste dans leur caractère, il maria sa fille aînée à celui des deux dont il connaissait la douceur, et la cadette à celui dont la méchanceté lui était connue. Il espérait que le bon naturel des uns corrigerait ce qu'il y avait de mauvais dans celui des autres (5) : il se trompa. Soit par hasard, soit par trahison, celui des deux Tarquins qui avait de la douceur, et celle des filles de Servius qui lui ressemblait, eurent bientôt perdu la vie. La conformité de leurs caractères réunit les deux autres. A peine cette union eut-elle été formée, que Tarquin le Superbe, excité par sa femme Tullie, convoqua le sénat pour lui redemander le trône de son père. A cette nouvelle, Servius se hâta de se rendre à cette assemblée : mais, lorsqu'il y fut arrivé, Tarquin le fit jeter en bas des marches du temple ; et, comme il s'enfuyait vers son palais, des assassins le mirent à mort. Cependant Tullie, s'empressant d'aller rejoindre son époux, fut la première à le saluer roi au milieu du forum. Obligée par son ordre de se retirer de la foule en tumulte, elle reprit le chemin de son palais (6) : le cadavre de son père se trouvait étendu sur son passage (7) ; elle le vit ; le conducteur de son char voulut l'éviter ; mais elle lui ordonna froidement de le faire passer dessus. La rue où ce forfait fut commis prit le nom de Scélérate (8). Quelques années après, cette exécrable Tullie fut bannie de Rome avec son époux.
| (1) Florus rapporte ce même prodige. On en trouve un semblable dans Virgile. En., l.2, v. 681-2 : Ecce levis summo de vertice visus Iuli / Fundere lumen apex, etc.
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| (2) Il faut entendre ici le peuple de la ville. Ces tribus habitaient chacune un quartier de Rome, et se nommaient Palatine, Esquiline, Suburrane, Colline.
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| (3) Il y avait six classes ou curies qui comprenaient cent quatre-vingt-treize centuries. Pendant les comices, le peuple romain donnait, dans certaines occasions importantes, son suffrage par centuries. Comme la première classe, qui était composée des citoyens les plus distingués par leur naissance et par leurs dignités, en comprenait quatre-vingt-dix-huit, et la dernière, qui était celle des plus pauvres, ne formait qu'une centurie, les charges et les dignités étaient nécessairement accordées aux citoyens, à qui la première donnait son suffrage. De là des querelles, sans cesse renaissantes, entre les patriciens et le peuple.
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| (4) Le cens était un dénombrement des habitants de Rome, qui avait lieu tous les cinq ans. 11 s'y en trouva alors quatre-vingt mille en état de porter les armes ; ce qui suppose une population d'environ trois cent mille âmes.
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| (5) Servius suivit en cela le sentiment de Platon, qui prétend que rien ne contribue plus à rendre un mariage heureux, que la différence des caractères des époux ; parce que, si l'un d'eux est emporté, son emportement est modéré par la douceur de l'autre. C'est un contraste d'où naît souvent l'harmonie.
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| (6) L'édition de Leipsik porte jussa e turba, etc. La préposition e ne se trouve point dans les autres que j'ai consultées. Dans beaucoup de livres imprimés on lit, a quo jussa turba recedere ; et dans les manuscrits, a quo jussa turba discedere. Cette dernière leçon, qui présente un sens clair, est conforme au récit de Tite-Live. Nous l'avons adoptée d'après l'édition de Juncker.
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| (7) Selon Florus, Tullie fit passer son char sur le corps de son père, en allant saluer roi Tarquin, son mari.
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| (8) Cette rue se nommait auparavant Cyprienne, vicus Cyprius.
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