| Mais, dès qu'il se fut laissé entraîner au crime par les caresses de Messaline (4), sa femme, et par les flatteries de ses affranchis, il ne se livra pas seulement aux excès que se permettent les tyrans ordinaires, mais encore à tous ceux qu'une femme corrompue à l'excès, et les plus vils esclaves pouvaient conseiller à un insensé élevé à la suprême puissance. On vit alors l'épouse de Claude chercher çà et là, comme par une sorte de droit, des hommes qui voulussent répondre à sa passion adultère, et faire mourir avec les coupables dont elle s'était servie ceux qui, soit par devoir, soit par crainte, avaient refusé de condescendre à ses désirs. Par un artifice familier aux femmes de cette espèce, elle les accusait d'avoir voulu attenter à sa pudicité, quand c'était elle-même qui les avait provoqués. Enfin, dévorée de plus en plus d'un feu criminel, elle se mit à contraindre les femmes mariées et les vierges des plus illustres familles à se prostituer avec elle, et des hommes à assister à ce honteux spectacle ; et, si quelqu'un d'entre eux en manifestait de l'horreur, elle l'accusait d'un crime, pour le faire périr avec toute sa famille. C'était ordinairement d'une conjuration qu'elle le chargeait auprès de l'empereur, facile à s'effrayer. Les affranchis avaient recours à la même accusation pour perdre ceux dont ils voulaient se défaire. Quand ces mêmes affranchis, d'abord complices des crimes de leur protectrice, eurent acquis une autorité égale à la sienne, ils la firent mourir par les mains de leurs satellites, comme si l'empereur, qui ignorait leur dessein, leur eût commandé cette mort. Messaline avait poussé l'infamie à un tel excès, que, pendant un voyage que Claude fit à Ostie, pour se divertir avec des courtisanes, elle contracta à Rome un nouveau mariage (5). Cet événement mit le comble à sa mauvaise réputation ; et l'on s'étonna que la femme d'un empereur eût épousé un autre homme qu'un empereur. Après sa mort, les affranchis, devenus plus puissants que jamais, signalèrent leur pouvoir par les viols, les exils, les meurtres, les proscriptions, et engagèrent leur imbécile maître, tout vieux qu'il était, à épouser la fille de son frère (6). Comme cette princesse passait pour être pire que Messaline, et que, pour cette raison, elle craignait d'en éprouver le sort, elle empoisonna son époux. Claude avait régné quatorze ans. La sixième année de son empire (7), on célébra à Rome avec beaucoup de pompe la huitième année séculaire de la fondation de cette ville. Cette même année parut en Egypte un phénix (8), espèce d'oiseau qui, dit-on, y arrive tous les cinq cents ans, du fond de l'Arabie, et une île nouvelle sortit tout à coup du fond des flots de la mer Egée, pendant une nuit où il était arrivé une éclipse de lune (9). La mort tragique de Claude fut longtemps tenue cachée, comme l'avait été celle de Tarquin l'Ancien. Les gardes, gagnés par l'impératrice, firent semblant de croire qu'il était malade, et qu'en attendant sa guérison, il avait confié le gouvernement de la république â son beau-fils, qu'il avait mis peu auparavant au nombre de ses enfants.
| (1) La Mauritanie avait déjà été réduite par Caligula sous la puissance romaine, et divisée en deux provinces, la Tingitane et la Césarienne, comprises aujourd'hui dans l'empire de Maroc.
| | (2) C'étaient des peuples d'Afrique. Selon le savant Barth, leur nom est l'origine de celui de musulmans, que nous donnons aux Turcs.
| | (3) Sur le golfe de Baies, et près des côtes de la Campanie.
| | (4) Valeria Messalina, fille de Barbatus Messala, Suet.
| | (5) Selon Tacite, Ann.II, ch. 12 et 26, Messaline épousa Caïus Silius. Le même historien rapporte que Claude s'était rendu à Ostie pour y offrir un sacrifice.
| | (6) Agrippine, fille de Germanicus et mère de Néron, qu'elle avait eu de Domitius Ahenobarbus, son premier mari.
| | (7) Claude ayant commencé à régner l'an de Rome 793, la sixième année de son empire tombe à l'année 799. Aurelius Victor s'est donc trompé d'un an.
| | (8) Le phénix est un oiseau fabuleux dont on peut lire la description dans Tacite, Ann. VI, ch. 28, et dans le poème latin de Phoenice, inséré à la fin des oeuvres de Lactance, cum notis variorum.
| | (9) Cette île avait trente stades de long, et parut entre Théra et Théramènes, deux des îles, dites Cyclades, le dernier jour de décembre de l'an 798. Victor se trompe encore cette fois sur la date.
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