XL - Constance, Armentarius, Constantin et Maxence (an de Rome 1056)

Chapitre 39SommaireChapitre 41

Monnaie de Constance Chlore
et Galère Maximien

Constance et Armentarius (1) succédèrent à Dioclétien et à Maximien. Sévère et Maximin, nés en Illyrie, furent créés césars. Le premier eut l'Italie, et le second les provinces que Jovius s'était réservées. Constantin (2), qui dès son enfance avait donné des marques d'un grand et puissant génie, et se montrait dévoré de l'ambition de commander, ne put souffrir un tel partage. Comme il était retenu en otage par Galerius , sous un prétexte de religion (3), il prit la fuite. Pour arrêter ceux qui le poursuivaient, il fit tuer sur la route tous les chevaux destinés au service public. Par ce moyen, il se rendit dans la Grande-Bretagne, où son père Constance était sur le point de mourir. Dès que ce prince eut rendu l'esprit, il fut proclamé empereur par tous ceux qui se trouvaient présens. Dans le même temps, le peuple de Rome et les troupes prétoriennes confirmèrent Maxence dans la même dignité, malgré la longue opposition de son père Herculius. A cette nouvelle, Armentarius ordonne au césar Sévère, qui alors se trouvait dans les environs de Rome, de prendre aussitôt les armes contre cet ennemi ; mais lorsque Sévère eut ordonné à ses troupes d'entourer la ville, elles se laissèrent gagner par Maxence. Abandonné par elles, il s'enfuit à Ravenne (4), où il mourut pendant le siége qu'il y eut à soutenir (5).

Galerius irrité de plus en plus, prend les conseils de Jovius, nomme auguste le césar Licinius, auquel il était lié d'une étroite amitié, le charge de défendre l'Illyrie et la Thrace, et se rend à Rome à marches forcées. Comme le siège de cette ville traînait en longueur, appréhendant que ses soldats, après s'être laissé gagner comme ceux de Sévère, ne vinssent aussi à l'abandonner, il sortit de l'Italie. Peu de temps après il mourut d'une plaie contagieuse (6). La république lui fut redevable d'une campagne fertile, dans laquelle il changea un vaste terrain de la Pannonie, en partie couvert de forêts qu'il fit couper, en partie des eaux du lac Pelson, qu'il fit écouler dans le Danube. Lorsque cette entreprise fut achevée, il nomma cette contrée Valérie (7), qui était le nom de sa femme. Son règne avait duré cinq ans (8), et celui de Constance un an. Ils avaient conservé tous deux pendant treize années le titre de césar. Les avantages que la nature avait départis à ces deux princes étaient si grands, que si, au lieu d'être accompagnés d'une grossièreté révoltante, ils l'avaient été d'une instruction convenable et capable d'en relever l'éclat, ils auraient pu être le sujet principal de leur éloge. C'est bien ce qui prouve que l'instruction, la politesse et surtout l'affabilité sont des qualités nécessaires aux princes, et que, sans elles, les dons qu'ils ont reçus de la nature perdent tous leurs charmes, et même deviennent méprisables par ce défaut d'ornement. C'est par l'heureuse union de ces dons naturels et de ces qualités acquises que Cyrus, roi des Perses, s'est procuré une gloire immortelle ; et que, de notre temps, Constantin (9), qui d'ailleurs était orné de plusieurs vertus, a été porté jusqu'aux astres par les voeux de tous les peuples. Sans doute il n'y aurait eu entre un dieu et lui qu'une légère différence, s'il avait su mettre des bornes à ses largesses, à son ambition et à ces desseins par lesquels ces grands génies, que la passion de la gloire pousse trop loin, tombent dans l'abîme qu'ils voulaient éviter. Dès que Constantin eut appris que Rome et l'Italie étaient en proie à la dévastation, et que les armées des deux empereurs avaient été, ou mises en fuite ou gagnées, il pourvut à la tranquillité de la Gaule, et marcha contre Maxence. Cependant un certain Alexandre, né en Pannonie (10), qui gouvernait la province de Carthage en qualité de préfet, se mit follement dans l'esprit de s'élever au rang suprême. Déjà affaibli par l'âge, plus stupide encore et plus grossier que les parents qui lui avaient donné le jour, il s'était formé à la hâte une troupe de soldats sans discipline, et dont la moitié à peu près était sans armes. Rufius Volusien, préfet du prétoire, et quelques autres chefs envoyés contre lui par le tyran Maxence avec un petit nombre de cohortes, lui livrèrent un combat qui se termina bientôt par sa mort. Après cette victoire Maxence ordonna que Carthage, cet ornement de l'univers (11) ainsi que les plus beaux endroits de l'Afrique, fût ravagée, livrée au pillage et aux flammes. Ce tyran féroce et inhumain, plus détestable encore par ses débauches que par sa cruauté, timide et lâche, portait l'indolence à un tel excès, que dans le temps même que le feu de la guerre s'allumait de tout côté en Italie, et que ses troupes étaient vaincues près de Vérone, il se livrait sans inquiétude à ses occupations ordinaires, et que la mort tragique de son père Herculius ne lui causa pas la plus légère émotion. Soit faiblesse de caractère, soit crainte des effets que pouvait produire l'indolence de son fils, celui-ci avait repris imprudemment les marques de la dignité impériale. Ensuite, tout en feignant de prendre les intérêts de Constantin, son gendre, il avait tenté de le faire périr en trahison. Une mort violente avait été la juste punition de sa perfidie.

Maxence, qui devenait plus cruel de jour en jour, sortit enfin de Rome avec ses troupes, et s'avança, non sans beaucoup de répugnance, jusqu'aux rochers rouges (12), situés à neuf milles de la ville. Son armée ayant été mise en déroute, il prit la fuite mais comme il traversait le Tibre, il tomba dans le piége même qu'il avait tendu à son ennemi sur le pont Milvius (13). Sa tyrannie avait duré six ans. Ou ne saurait s'imaginer les transports de joie auxquels le sénat et le peuple se livrèrent à la nouvelle de sa mort. On pourra néanmoins s'en faire une idée, lorsqu'on saura que ce tyran permit un jour aux prétoriens de massacrer autant de plébéiens qu'ils jugeraient à propos, et qu'il fut le premier qui, par une loi détestable et sous le prétexte du culte des dieux (14), obligea les sénateurs et les cultivateurs de lui donner de l'argent pour satisfaire de criminelles prodigalités. Après sa victoire, Flavius cassa les cohortes prétoriennes, que leur conduite lui avaient rendues odieuses, ainsi que les troupes de la ville, moins portées à la garder qu'à se soulever. Il leur ôta leurs armes et leur interdit l'habit militaire. Ensuite le sénat lui dédia, par reconnaissance pour les bienfaits qu'il en avait reçus, les magnifiques édifices que Maxence avait élevés, comme le temple et la Basilique de Rome (15). Quelque temps après, ce prince répara le grand cirque avec beaucoup de magnificence, et bâtit des Thermes (16) qui ne le cédaient presqu'en aucune manière à ceux qui existaient auparavant. Par son ordre furent placées, dans les endroits les plus apparents de la ville, des statues, dont plusieurs étaient d'or ou d'argent. Dans ce même temps, le sacerdoce de l'Afrique fut déféré à la famille Flavia, et la ville de Cirta (17), qui avait été ruinée par le siège qu'elle avait soutenu contre Alexandre, fut rebâtie, embellie, et reçut le nom de Constantine (18). Tant d'honneurs, rendus à Constantin, prouvent que les hommes les plus chéris des peuples sont ceux qui chassent les tyrans, surtout, s'ils montrent eux-mêmes de la modération et de la retenue dans leur conduite. En effet, les hommes qui se voient frustrés d'un bonheur qu'ils espéraient, et qui, après avoir été délivrés d'un mauvais prince, ont à supporter les mêmes misères qu'auparavant, ont coutume de se croire plus grièvement offensés.


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(1)  Armentarius est le même que Galerius, qui prit ce surnom, parce qu'il avait gardé les troupeaux.

(2)  Constantin était fils de Constance Chlore et d'Hélène, on ignore le lieu de sa naissance, quoique quelques historiens le fassent naître à Naïsse.

(3)  Soit que Constance, son père, favorisât les chrétiens, soit que lui-même se montrât bien disposé à leur égard.

(4)  Zozime rapporte qu'il se retira à Milan, ensuite à Ravenne, ville située sur la mer Adriatique. Suivant Strabon, cette ville avait été fondée par les Thessaliens. Toutes les maisons en étaient de bois, et plusieurs canaux la traversaient. Elle devint dans la suite le chef-lieu d'un exarcat, magistrature qui s'exerçait sur six districts ou cantons.

(5)  Zozime rapporte autrement les circonstances de la mort de Sévère. «Maxence, dit cet historien, ayant appris que Sévère s'était enfui dans la ville de Ravenne, courut l'y assiéger. Ne pouvant l'y forcer, il l'engagea avec serment à se rendre à Rome avec lui. Sévère se laissa gagner ; mais, lorsqu'il fut arrivé près d'un endroit nommé les Trois Hôtelleries, il fut arrêté et étranglé par des soldats que Maxence y avait placés en embuscade».

(6)  C'est-à-dire, d'un ulcère où s'engendra une immense quantité de vers. Cette terrible maladie lui fit perdre les yeux ; ses chairs tombèrent en lambeaux, et ses parties viriles en pourriture. Voyez Lactance, de mort. persecut.

(7)  C'est le pays situé entre la Drave et le Danube, et qui se nomme aujourd'hui Styrie.

(8)  Scaliger sur la Chronique d'Eusèbe, et Baluze sur Lactance assurent que Galerius régna près de sept ans. Le règne de Constance fut de deux ans. Sans doute Aurelius Victor aura voulu dire que Galerius régna cinq ans après lui.

(9)  Nicolas Lefèvre, Sylburge, Gruter et madame Dacier veulent qu'on lise Constantium au lieu de Constantinum, parce que c'est de l'empereur Constance, sous l'empire duquel il vivait, que Victor veut parler ici.

(10)  L'auteur de l'Epitome dit qu'il était phrygien.

(11)  Il ne faut pas s'étonner qu'Aurelius Victor, qui était africain, appelle Carthage la Merveille du monde.

(12)  Près de Tibur, aujourd'hui Tivoli.

(13)  Zozime rapporte que le pont s'étant rompu sous le poids des fuyards, Maxence tomba dans le Tibre, et fut submergé. Où est donc le piège tendu par ce tyran à Constantin ? Ce pont était de bois, établi sur des bateaux, à quelque distance du pont Milvius, qui était de pierre.

(14)  Schott, madame Dacier et Juncker préfèrent numinum à munerum, qui se trouve ici dans l'édition d'Arntzen. En effet, comment Aurelius Victor aurait-il pu dire que Maxence fut le premier qui exigea des présents, puisque longtemps auparavant Auguste, Caligula et d'autres empereurs s'en faisaient donner sous le nom d'étrennes ? Et, s'il n'est ici question que de présents, pourquoi encore notre auteur nomme-t-il instituum pessimum une loi, une obligation qui, quelque tyrannique qu'elle pût être, n'était pas plus odieuse que tant d'autres actes de l'autorité de Maxence ? Il faut convenir que les mots primus et pessimum expriment une sorte d'impiété détestable dont Maxence se rendit coupable le premier. Ces considérations m'ont fait préférer numinum à munerum.

(15)  Ce temple de la ville était, sans doute, celui de la déesse Roma, situé sur la voie Sacrée, car les historiens ne font nulle mention d'un temple de la ville, urbis, proprement dit.

(16)  Ces Thermes furent bâtis à la descente du mont Quirinal, du côté du nord. On en voit encore de beaux restes. Il est surprenant que Victor ne dise rien de ce fameux arc de triomphe que le peuple romain éleva à Constantin après sa victoire contre Maxence, et qui existe encore presque tout entier.

(17)  Cette ville, située en Numidie, était une place forte que Micipsa avait fondée en partie, et peuplée de Grecs. Strabon assure qu'elle pouvait fournir dix mille cavaliers et vingt mille hommes de pied. Ce qui supposerait une population de plus de deux cent mille âmes.

(18)  Du temps de saint Augustin, la ville de Constantine était la métropole de la Numidie, et un concile de Carthage lui donne cette qualité. Elle subsiste encore sous le même nom.