A tous les gobe-mouches, à tous les barbiers de la bonne ville, on n'apprend rien en leur disant comment le Gréco-Romain Persius rejeta dans son cloaque un certain Rupilius, surnommé le Roi, mauvaise langue, et chassé de toutes parts. Ce Persius, un des gros négociants de Clazomènes, homme riche, insupportable, arrogant, avait, avec ce Rupilius-Roi, un procès interminable ; il était (pour le moins) aussi grossier que sa partie adverse, et vraiment ces deux hâbleurs, le Sisenne et le Barrus, étaient distancés par cette injure à quatre chevaux.

Le fait est que toute espèce d'arrangement était impossible entre ce Roi et ce Persée ; ils avaient cela de commun, tout simplement, avec les deux héros de l'Iliade : Hector, fils de Priam, et l'impétueux Achille se poursuivant l'un l'autre d'une haine... Rien que la mort n'était capable d'y mettre un terme, étant également braves et hardis tous les deux. Au contraire, opposez l'un à l'autre deux poltrons ou bien deux forces inégales, Diomède à Glaucus, le plus faible aussitôt se retire, offrant de soi-même un présent à l'ennemi qui l'épargne.

Donc, en ce temps-là Brutus étant préteur dans la riche Asie, il advint que le susdit Rupilius et son digne ennemi Persius se rencontrèrent à son tribunal pour soutenir leur querelle, et jamais, que je sache, un plus fameux couple, en comptant Biton et Bacchius, n'avait donné un spectacle plus imposant.

La parole est donnée à Persius ; il expose le fait, et dès l'exorde, l'assemblée entière part d'un éclat de rire.

« Honneur à Brutus ! disait-il, louange à sa suite ! A coup sûr Brutus est le soleil de l'Asie, et ses compagnons en sont les étoiles bienveillantes.

Quant à Rupilius-Roi, c'est le grand chien, l'astre ennemi du pauvre laboureur ».

Tout cela roulait comme, en hiver, ces torrents ravageurs des forêts, qui ne laissent rien pour la cognée.

A ces flots d'une âcre invective, Rupilius riposte, et je vous réponds qu'il a dépassé, en ce moment les plus furieuses grossièretés du vendangeur, quand, du haut de son arbre effronté, il rend insulte pour insulte, au passant, qui lui fait : Coucou ! coucou !

A son tour Persius, le demi-Grec, trempé dans le vinaigre latin :

« Par Jupiter, s'écria-t-il, ô Brutus ! ennemi-né des rois, que n'étrangles-tu ce Roi-ci ? et quel plus digne couronnement des hauts faits de ton aïeul ? »


Traduction de Jules Janin [1878] - A l'enseigne du pot cassé, coll. Antiqua n°22 (1931)