Michiel Sweerts - La peste dans une cité antique (détail) - 1652-1654 - Los Angeles County Museum of Art
Lucrèce - De Natura Rerum, livre VI - v.1137-1212Au nombre des réécritures de l'épisode de la peste d'Athènes raconté par Thucydide figure en première place celle du poète Lucrèce, qui au milieu du Ier siècle av.JC conclut son poème didactique en latin, De Natura Rerum, par une traduction versifiée mais distincte du texte de l'historien grec. Sa situation dans un poème tout entier dédié à la vulgarisation de l'épicurisme donne évidemment à l'épisode un sens précis. La peste atteint aussi bien le corps que l'âme, elle induit des bouleversements de toutes natures, ne serait-ce que parce qu'elle frappe indistinctement innocents et coupables, jeunes et vieux, sans discrimination, et donc sans espoir d'y échapper. Contrairement à ce qu'affirment les mythes, dans l'Iliade ou Œdipe roi par exemple, elle surgit de manière inopinée, sans lien avec un événement précis, sans qu'on puisse l'imputer à une divinité courroucée qu'il suffirait de radoucir pour que le mal s'arrête. Elle n'a donc ni nécessité ni finalité, elle EST une épreuve par laquelle on doit passer. Mais la place de l'épisode en fin de poème, qu'il soit inachevé ou pas, invite à revenir sur tout ce qui le précède : Lucrèce a cherché à démontrer, après Epicure et les atomistes, que tout a une cause naturelle et que la mort n'existe pas, puisque l'âme n'en a pas conscience et se redécompose, comme le corps, en éléments primordiaux. Si donc il ne convient de craindre ni les dieux, ni la mort, il reste à mettre en pratique les enseignements épicuriens et à se mettre sur le chemin qui mène à l'ataraxie, l'absence de troubles. « Cette section du récit de la peste fonctionne donc pour Lucrèce à la fois comme un cas d’étude et comme un avertissement : un événement naturel auquel appliquer le paradigme explicatif de l’être vivant, en se servant, à sa manière, des informations fournies par Thucydide, et une mise en garde éthique sur les souffrances psychologiques et les comportements insensés qu’un événement effrayant comme celui de la peste peut causer à tous ceux qui ne sont pas protégés par le savoir épicurien. » (Giulia Scalas) |
Tel jadis, emplissant d'épouvante les plaines Traduction d'André Lefèvre, 1899 |
François Perrier - La Peste d'Athènes - v.1640 - Musée des Beaux-Arts de Dijon
Ovide - Métamorphoses, livre VII - v.523-613Cet épisode de l'immense poème des Métamorphoses d'Ovide (43 av.JC-17 apr.JC), met en scène un jeune Athénien, venu chercher de l'aide contre l'impérialisme de Minos auprès d'Eaque, le roi de l'île d'Egine, et qui s'étonne de ne voir sur l'île que des jeunes gens. Le roi lui répond que l'île a subi un fléau terrible envoyé par la déesse Junon, qui a anéanti toute sa population : en vain a-t-on tenté de fléchir la déesse par des sacrifices. Mais une fois la catastrophe accomplie, Eaque a prié Jupiter, l'ancien amant de sa mère Egine, de lui venir en aide, et le dieu a métamorphosé en humains une impressionnante colonne de fourmis, les Myrmidons, qui sont les habitants actuels de l'île à présent apaisée.. Si le morceau de bravoure d'Ovide constitue à son tour une réécriture de Thucydide et de Lucrèce, il s'en démarque manifestement par son parti-pris mythologique, plus proche en cela des versions d'Homère ou de Sophocle. Mais la virulence de la colère de Junon, qui s'en prend à des innocents qu'elle extermine jusqu'au dernier pour châtier l'une des innombrables tromperies de son divin époux Jupiter, est à compter parmi les multiples exemples de passions divines tout à fait disproportionnées et d'exercices illégitimes d'un pouvoir qui n'est pas rationnellement fondé. Comme toujours chez Ovide, la mythologie n'est qu'un masque pour parler de politique - et la peste n'est donc ici qu'un prétexte, ce qui justifie que ce texte figure moins souvent que celui de Lucrèce dans les anthologies. |
« Un terrible fléau, dû à la colère de l'injuste Junon, qui haïssait Des tas de cadavres de chiens, d'oiseaux, de moutons et de boeufs, La peste, plus pesante encore, atteint les malheureux paysans, Quel fut alors mon état d'esprit ? N'était-il pas normal Traduction d'A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2006 |