Quand le prince de Tarente eut quitté Toulouse il se
rendit auprès de son père, le roi Charles, qui lui
demanda ce qui s'était passé dans les
conférences. Son fils lui raconta comment le roi de
France et le roi de Majorque l'avaient honorablement
reçu, mais ajouta que le roi d'Aragon n'avait jamais
voulu se familiariser avec lui et s'était toujours
montré rude et haineux à son égard. Le roi
Charles en fut fâché ; il comprit bien que
c'était une épine qu'il avait au coeur, comme il
s'en était déjà douté ; toutefois,
ayant grande confiance en ses chevaliers et en sa puissance, il
se dit en son coeur qu'il n'avait rien à redouter de lui.
Il pouvait bien penser ainsi, puisqu'il possédait quatre
avantages que n'avait aucun autre roi. Premièrement, il
était regardé comme le plus habile et le plus
courageux prince du monde, depuis la mort du roi En Jacques
d'Aragon ; la seconde chose était que, possédant
tout ce qui avait appartenu au roi Mainfroi, il était le
roi le plus puissant qui fût alors ; troisièmement
il était comte de Provence et d'Anjou ; et enfin il
était sénateur de Rome et vicaire
général de toute la Toscane, de la Lombardie et de
la Marche d'Ancône, et de plus vicaire
général de tout le pays d'outre-mer, et chef
suprême de tous les chrétiens qui se trouvaient
outre-mer (1), ainsi
que des Ordres du Temple, de l'Hôpital et des Allemands (2), aussi bien que des
cités, châteaux, villes et de toutes les nations
chrétiennes qui y étaient ou pourraient y venir ;
il avait aussi l'appui du Saint-Père et de la sainte
Eglise romaine qui comptaient sur lui comme leur grand
gonfalonier et gouverneur. D'un autre côté il avait
encore pour lui la maison de France, car son frère le roi
Louis, avant sa mort, avait recommandé son frère
Charles au roi Philippe qui devenait roi de France ; il comptait
donc sur lui comme il l'eût fait sur son frère
Louis, s'il eût vécu. Ainsi en considérant
sa puissance il ne pouvait redouter le roi En Pierre ; il
énuméra bien son pouvoir en son coeur, mais il ne
songea pas à celui de Dieu. Or, celui qui se confie plus
en sa puissance qu'en celle de Dieu peut être certain que
Dieu lui fera sentir sa force, et donnera à
connaître et à comprendre à tout le monde
qu'il n'y a rien de réel que la puissance de Dieu qu'il
ne m'est plus nécessaire d'en parler. Or ce roi se
reposait ainsi dans l'espoir de ses forces.
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(1) Par
le traité de 1267 les empereurs de
Constantinople lui avaient cédé
leurs droits, en ne se réservant que les
îles de Lesbos, Samos, Cos et Chio ; et le
mariage de son fils Philippe avec Isabelle de
Ville-Hardoin, princesse d'Achaïe, lui
assurait la seigneurie réelle de la
Morée, dont il n'était, par la
concession de Baudoin et de Geoffroy de
Ville-Hardoin, que le seigneur
supérieur.
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(2) Chevaliers de l'ordre
teutonique.
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