Scène 1 TITE, FLAVIAN TITE As-tu vu Bérénice ? Aime-t-elle mon frère ? Et se plaît-elle à voir qu'il tâche de lui plaire ? Me la demande-t-il de son consentement ?
FLAVIAN Ne la soupçonnez point d'un si bas sentiment ; Elle n'en peut souffrir non pas même la feinte.
TITE As-tu vu dans son coeur encor la même atteinte ?
FLAVIAN Elle veut vous parler, c'est tout ce que j'en sai.
TITE Faut-il de son pouvoir faire un nouvel essai ?
FLAVIAN M'en croirez-vous, seigneur ? évitez sa présence, Ou mettez-vous contre elle un peu mieux en défense. Quel fruit espérez-vous de tout son entretien ?
TITE L'en aimer davantage, et ne résoudre rien.
FLAVIAN L'irrésolution doit-elle être éternelle ? Vous ne me dites plus que Domitie est belle, Seigneur, vous qui disiez que ses seules beautés Vous peuvent consoler de ce que vous quittez ; Qu'elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre Vos feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre.
TITE Je l'ai dit, il est vrai ; mais j'avais d'autres yeux, Et je ne voyais pas Bérénice en ces lieux.
FLAVIAN Quand aux feux les plus beaux un monarque défère, Il s'en fait un plaisir et non pas une affaire, Et regarde l'amour comme un lâche attentat Dès qu'il veut prévaloir sur la raison d'état. Son grand coeur, au-dessus des plus dignes amorces, A ses devoirs pressants laisse toutes leurs forces ; Et son plus doux espoir n'ose lui demander Ce que sa dignité ne lui peut accorder.
TITE Je sais qu'un empereur doit parler ce langage ; Et quand il l'a fallu, j'en ai dit davantage ; Mais de ces duretés que j'étale à regret, Chaque mot à mon coeur coûte un soupir secret ; Et quand à la raison j'accorde un tel empire, Je le dis seulement parce qu'il le faut dire, Et qu'étant au-dessus de tous les potentats, Il me serait honteux de ne le dire pas. De quoi s'enorgueillit un souverain de Rome, Si par respect pour elle il doit cesser d'être homme, Eteindre un feu qui plaît, ou ne le ressentir Que pour s'en faire honte et pour le démentir ? Cette toute-puissance est bien imaginaire, Qui s'asservit soi-même à la peur de déplaire, Qui laisse au goût public régler tous ses projets, Et prend le plus haut rang pour craindre ses sujets. Je ne me donne point d'empire sur leurs âmes, Je laisse en liberté leurs soupirs et leurs flammes ; Et quand d'un bel objet j'en vois quelqu'un charmé, J'applaudis au bonheur d'aimer et d'être aimé. Quand je l'obtiens du ciel, me portent-ils envie ? Qu'ont d'amer pour eux tous les douceurs de ma vie ? Et par quel intérêt...
FLAVIAN Ils perdraient tout en vous. Vous faites le bonheur et le salut de tous, Seigneur ; et l'univers, de qui vous êtes l'âme...
TITE Ne perds plus de raisons à combattre ma flamme : Les yeux de Bérénice inspirent des avis Qui persuadent mieux que tout ce que tu dis.
FLAVIAN Ne vous exposez donc qu'à ceux de Domitie.
TITE Je n'ai plus, Flavian, que quatre jours de vie : Pourquoi prends-tu plaisir à les tyranniser ?
FLAVIAN Mais vous savez qu'il faut la perdre ou l'épouser ?
TITE En vain donc à ses voeux tout mon amour s'oppose ; Périr ou faire un crime est pour moi même chose. Laissons-lui toutefois soulever des mutins ; Hasardons sur la foi de nos heureux destins : Ils m'ont promis la reine, et doivent à ses charmes Tout ce qu'ils ont soumis à l'effort de mes armes ; Par elle j'ai vaincu, pour elle il faut périr.
FLAVIAN Seigneur...
TITE Oui, Flavian, c'est à faire à mourir. La vie est peu de chose ; et tôt ou tard, qu'importe Qu'un traître me l'arrache, ou que l'âge l'emporte ? Nous mourons à toute heure ; et dans le plus doux sort Chaque instant de la vie est un pas vers la mort.
FLAVIAN Flattez mieux les désirs de votre ambitieuse, Et ne la changez pas de fière en furieuse. Elle vient vous parler.
TITE Dieux ! Quel comble d'ennuis !
Scène 2 DOMITIE, TITE, FLAVIAN, PLAUTINE DOMITIE Je viens savoir de vous, seigneur, ce que je suis. J'ai votre foi pour gage, et mes aïeux pour marques Du grand droit de prétendre au plus grand des monarques ; Mais Bérénice est belle, et des yeux si puissants Renversent aisément des droits si languissants. Ce grand jour qui devait unir mon sort au vôtre, Servira-t-il, seigneur, au triomphe d'une autre ?
TITE J'ai quatre jours encor pour en délibérer, Madame ; jusque-là laissez-moi respirer. C'est peu de quatre jours pour un tel sacrifice ; Et s'il faut à vos droits immoler Bérénice, Je ne vous réponds pas que Rome et tous vos droits Puissent en quatre jours m'en imposer les lois.
DOMITIE Il n'en faudrait pas tant, seigneur, pour vous résoudre A lancer sur ma tête un dernier coup de foudre, Si vous ne craigniez point qu'il rejaillît sur vous.
TITE Suspendez quelque temps encor ce grand courroux. Puis-je étouffer sitôt une si belle flamme ?
DOMITIE Quoi ? Vous ne pouvez pas ce que peut une femme ? Que vous me rendez mal ce que vous me devez ! J'ai brisé de beaux fers, seigneur, vous le savez ; Et mon âme, sensible à l'amour comme une autre, En étouffe un peut-être aussi fort que le vôtre.
TITE Peut-être auriez-vous peine à le bien étouffer, Si votre ambition n'en savait triompher. Moi qui n'ai que les dieux au-dessus de ma tête, Qui ne vois plus de rang digne de ma conquête, Du trône où je me sieds puis-je aspirer à rien Qu'à posséder un coeur qui n'aspire qu'au mien ? C'est là de mes pareils la noble inquiétude : L'ambition remplie y jette leur étude ; Et sitôt qu'à prétendre elle n'a plus de jour, Elle abandonne un coeur tout entier à l'amour.
DOMITIE Elle abandonne ainsi le vôtre à cette reine, Qui cherche une grandeur encor plus souveraine.
TITE Non, madame : je veux que vous sortiez d'erreur. Bérénice aime Tite, et non pas l'empereur ; Elle en veut à mon coeur, et non pas à l'empire.
DOMITIE D'autres avaient déjà pris soin de me le dire, Seigneur ; et votre reine a le goût délicat De n'en vouloir qu'au coeur, et non pas à l'éclat. Cet amour épuré que Tite seul lui donne Renoncerait au rang pour être à la personne ! Mais on a beau, seigneur, raffiner sur ce point, La personne et le rang ne se séparent point. Sous les tendres brillants de cette noble amorce L'ambition cachée attaque, presse, force ; Par là de ses projets elle vient mieux à bout ; Elle ne prétend rien, et s'empare de tout. L'art est grand ; mais enfin je ne sais s'il mérite La bouche d'une reine et l'oreille de Tite. Pour moi, j'aime autrement ; et tout me charme en vous ; Tout m'en est précieux, seigneur, tout m'en est doux ; Je ne sais point si j'aime ou l'empereur ou Tite, Si je m'attache au rang ou n'en veux qu'au mérite, Mais je sais qu'en l'état où je suis aujourd'hui J'applaudis à mon coeur de n'aspirer qu'à lui.
TITE Mais me le donnez-vous tout ce coeur qui n'aspire, En se tournant vers moi, qu'aux honneurs de l'empire ? Suit-il l'ambition en dépit de l'amour, Madame ? La suit-il sans espoir de retour ?
DOMITIE Si c'est à mon égard ce qui vous inquiète, Le coeur se rend bientôt quand l'âme est satisfaite : Nous le défendons mal de qui remplit nos voeux. Un moment dans le trône éteint tous autres feux ; Et donner tout ce coeur, souvent ce n'est que faire D'un trésor invisible un don imaginaire. A l'amour vraiment noble il suffit du dehors ; Il veut bien du dedans ignorer les ressorts : Il n'a d'yeux que pour voir ce qui s'offre à la vue, Tout le reste est pour eux une terre inconnue ; Et sans importuner le coeur d'un souverain, Il a tout ce qu'il veut quand il en a la main. Ne m'ôtez pas la vôtre, et disposez du reste. Le coeur a quelque chose en soi de tout céleste ; Il n'appartient qu'aux dieux ; et comme c'est leur choix, Je ne veux point, seigneur, attenter sur leurs droits.
TITE Et moi, qui suis des dieux la plus visible image, Je veux ce coeur comme eux, et j'en veux tout l'hommage. Mais vous n'en avez plus, madame, à me donner ; Vous ne voulez ma main que pour vous couronner. D'autres pourront un jour vous rendre ce service. Cependant, pour régler le sort de Bérénice, Vous pouvez faire agir vos amis au sénat ; Ils peuvent m'y nommer lâche, parjure, ingrat : J'attendrai son arrêt, et le suivrai peut-être.
DOMITIE Suivez-le, mais tremblez s'il flatte trop son maître. Ce grand corps tous les ans change d'âme et de coeurs ; C'est le même sénat, et d'autres sénateurs. S'il alla pour Néron jusqu'à l'idolâtrie, Il le traita depuis de traître à sa patrie, Et réduisit ce prince indigne de son rang A la nécessité de se percer le flanc. Vous êtes son amour, craignez d'être sa haine Après l'indignité d'épouser une reine. Vous avez quatre jours pour en délibérer. J'attends le coup fatal, que je ne puis parer. Adieu. Si vous l'osez, contentez votre envie ; Mais en m'ôtant l'honneur n'épargnez pas ma vie.
Scène 3 TITE, FLAVIAN TITE L'impétueux esprit ! Conçois-tu, Flavian, Où pourraient ses fureurs porter Domitian, Et de quelle importance est pour moi l'hyménée Où par tous mes désirs je la sens condamnée ?
FLAVIAN Je vous l'ai déjà dit, seigneur : pensez-y bien, Et surtout de la reine évitez l'entretien. Redoutez... Mais elle entre, et sa moindre tendresse De toutes nos raisons va montrer la faiblesse.
Scène 4 TITE, BERENICE, PHILON, FLAVIAN TITE Eh bien ! Madame, eh bien ! Faut-il tout hasarder ? Et venez-vous ici pour me le commander ?
BERENICE De ce qui m'est permis je sais mieux la mesure, Seigneur ; et j'ai pour vous une flamme trop pure Pour vouloir, en faveur d'un zèle ambitieux, Mettre au moindre péril des jours si précieux. Quelque pouvoir sur moi que notre amour obtienne, J'ai soin de votre gloire ; ayez-en de la mienne. Je ne demande plus que pour de si beaux feux Votre absolu pouvoir hasarde un : Je le veux. Cet amour le voudrait ; mais comme je suis reine, Je sais des souverains la raison souveraine. Si l'ardeur de vous voir l'a voulue ignorer, Si mon indigne exil s'est permis d'espérer, Si j'ai rentré dans Rome avec quelque imprudence, Tite à ce trop d'ardeur doit un peu d'indulgence. Souffrez qu'un peu d'éclat, pour prix de tant d'amour, Signale ma venue, et marque mon retour. Voudrez-vous que je parte avec l'ignominie De ne vous avoir vu que pour me voir bannie ? Laissez-moi la douceur de languir en ces lieux, D'y soupirer pour vous, d'y mourir à vos yeux : C'en sera bientôt fait, ma douleur est trop vive Pour y tenir longtemps votre attente captive ; Et si je tarde trop à mourir de douleur, J'irai loin de vos yeux terminer mon malheur. Mais laissez-m'en choisir la funeste journée ; Et du moins jusque-là, seigneur, point d'hyménée. Pour votre ambitieuse avez-vous tant d'amour Que vous ne le puissiez différer d'un seul jour ? Pouvez-vous refuser à ma douleur profonde...
TITE Hélas ! Que voulez-vous que la mienne réponde ? Et que puis-je résoudre alors que vous parlez, Moi qui ne puis vouloir que ce que vous voulez ? Vous parlez de languir, de mourir à ma vue ; Mais, ô dieux ! Songez-vous que chaque mot me tue, Et porte dans mon coeur de si sensibles coups, Qu'il ne m'en faut plus qu'un pour mourir avant vous ? De ceux qui m'ont percé souffrez que je soupire. Pourquoi partir, madame, et pourquoi me le dire ? Ah ! Si vous vous forcez d'abandonner ces lieux, Ne m'assassinez point de vos cruels adieux. Je vous suivrais, madame ; et flatté de l'idée D'oser mourir à Rome, et revivre en Judée, Pour aller de mes feux vous demander le fruit, Je quitterais l'empire et tout ce qui leur nuit.
BERENICE Daigne me préserver le ciel...
TITE De quoi, madame ?
BERENICE De voir tant de faiblesse en une si grande âme ! Si j'avais droit par là de vous moins estimer, Je cesserais peut-être aussi de vous aimer.
TITE Ordonnez donc enfin ce qu'il faut que je fasse.
BERENICE S'il faut partir demain, je ne veux qu'une grâce : Que ce soit vous, seigneur, qui le veuilliez pour moi, Et non votre sénat qui m'en fasse la loi. Faites-lui souvenir, quoi qu'il craigne ou projette, Que je suis son amie, et non pas sa sujette ; Que d'un tel attentat notre rang est jaloux, Et que tout mon amour ne m'asservit qu'à vous.
TITE Mais peut-être, madame...
BERENICE Il n'est point de peut-être, Seigneur : s'il en décide, il se fait voir mon maître ; Et dût-il vous porter à tout ce que je veux, Je ne l'ai point choisi pour juge de mes voeux.
Scène 5 TITE, BERENICE, DOMITIAN, ALBIN, FLAVIAN, PHILON TITE Allez dire au sénat, Flavian, qu'il se lève : Quoi qu'il ait commencé, je défends qu'il achève. Soit qu'il parle à présent du Vésuve ou de moi, Qu'il cesse, et que chacun se retire chez soi. Ainsi le veut la reine ; et comme amant fidèle, Je veux qu'il obéisse aux lois que je prends d'elle, Qu'il laisse à notre amour régler notre intérêt.
DOMITIAN Il n'est plus temps, seigneur ; j'en apporte l'arrêt.
TITE Qu'ose-t-il m'ordonner ?
DOMITIAN Seigneur, il vous conjure De remplir tout l'espoir d'une flamme si pure. Des services rendus à vous, à tout l'état, C'est le prix qu'a jugé lui devoir le sénat ; Et pour ne vous prier que pour une Romaine, D'une commune voix Rome adopte la reine ; Et le peuple à grands cris montre sa passion De voir un plein effet de cette adoption.
TITE Madame...
BERENICE Permettez, seigneur, que je prévienne Ce que peut votre flamme accorder à la mienne. Grâces au juste ciel, ma gloire en sûreté N'a plus à redouter aucune indignité. J'éprouve du sénat l'amour et la justice, Et n'ai qu'à le vouloir pour être impératrice. Je n'abuserai point d'un surprenant respect Qui semble un peu bien prompt pour n'être point suspect : Souvent on se dédit de tant de complaisance. Non que vous ne puissiez en fixer l'inconstance : Si nous avons trop vu ses flux et ses reflux Pour Galba, pour Othon, et pour Vitellius, Rome, dont aujourd'hui vous êtes les délices, N'aura jamais pour vous ces insolents caprices ; Mais aussi cet amour qu'a pour vous l'univers Ne vous peut garantir des ennemis couverts. Un million de bras a beau garder un maître, Un million de bras ne pare point d'un traître : Il n'en faut qu'un pour perdre un prince aimé de tous, Il n'y faut qu'un brutal qui me haïsse en vous ; Aux zèles indiscrets tout paraît légitime, Et la fausse vertu se fait honneur du crime. Rome a sauvé ma gloire en me donnant sa voix ; Sauvons-lui, vous et moi, la gloire de ses lois ; Rendons-lui, vous et moi, cette reconnaissance D'en avoir pour vous plaire affaibli la puissance, De l'avoir immolée à vos plus doux souhaits. On nous aime : faisons qu'on nous aime à jamais. D'autres sur votre exemple épouseroient des reines Qui n'auraient pas, seigneur, des âmes si romaines, Et lui feraient peut-être avec trop de raison Haïr votre mémoire et détester mon nom. Un refus généreux de tant de déférence Contre tous ces périls nous met en assurance.
TITE Le ciel de ces périls saura trop nous garder.
BERENICE Je les vois de trop près pour vous y hasarder.
TITE Quand Rome vous appelle à la grandeur suprême...
BERENICE Jamais un tendre amour n'expose ce qu'il aime.
TITE Mais, madame, tout cède, et nos voeux exaucés...
BERENICE Votre coeur est à moi, j'y règne ; c'est assez.
TITE Malgré les voeux publics refuser d'être heureuse, C'est plus craindre qu'aimer.
BERENICE La crainte est amoureuse. Ne me renvoyez pas, mais laissez-moi partir. Ma gloire ne peut croître, et peut se démentir. Elle passe aujourd'hui celle du plus grand homme, Puisqu'enfin je triomphe et dans Rome et de Rome : J'y vois à mes genoux le peuple et le sénat ; Plus j'y craignais de honte, et plus j'y prends d'éclat ; J'y tremblais sous sa haine, et la laisse impuissante ; J'y rentrais exilée, et j'en sors triomphante.
TITE L'amour peut-il se faire une si dure loi ?
BERENICE La raison me la fait malgré vous, malgré moi. Si je vous en croyais, si je voulais m'en croire, Nous pourrions vivre heureux, mais avec moins de gloire. Epousez Domitie : il ne m'importe plus Qui vous enrichissiez d'un si noble refus. C'est à force d'amour que je m'arrache au vôtre ; Et je serais à vous, si j'aimais comme une autre. Adieu, seigneur : je pars.
TITE Ah ! Madame, arrêtez.
DOMITIAN Est-ce là donc pour moi l'effet de vos bontés, Madame ? Est-ce le prix de vous avoir servie ? J'assure votre gloire, et vous m'ôtez la vie.
TITE Ne vous alarmez point : quoi que la reine ait dit, Domitie est à vous, si j'ai quelque crédit. Madame, en ce refus un tel amour éclate, Que j'aurais pour vous l'âme au dernier point ingrate, Et mériterais mal ce qu'on a fait pour moi, Si je portais ailleurs la main que je vous doi. Tout est à vous : l'amour, l'honneur, Rome l'ordonne. Un si noble refus n'enrichira personne, J'en jure par l'espoir qui nous fut le plus doux : Tout est à vous, madame, et ne sera qu'à vous ; Et ce que mon amour doit à l'excès du vôtre Ne deviendra jamais le partage d'une autre.
BERENICE Le mien vous aurait fait déjà ces beaux serments, S'il n'eût craint d'inspirer de pareils sentiments : Vous vous devez des fils, et des Césars à Rome, Qui fassent à jamais revivre un si grand homme.
TITE Pour revivre en des fils nous n'en mourons pas moins, Et vous mettez ma gloire au-dessus de ces soins. Du levant au couchant, du More jusqu'au Scythe, Les peuples vanteront et Bérénice et Tite ; Et l'histoire à l'envi forcera l'avenir D'en garder à jamais l'illustre souvenir. Prince, après mon trépas soyez sûr de l'empire ; Prenez-y part en frère, attendant que j'expire. Allons voir Domitie, et la fléchir pour vous. Le premier rang dans Rome est pour elle assez doux ; Et je vais lui jurer qu'à moins que je périsse, Elle seule y tiendra celui d'impératrice. Est-ce là vous l'ôter ?
DOMITIAN Ah ! C'en est trop, seigneur.
TITE Daignez contribuer à faire son bonheur, Madame, et nous aider à mettre de cette âme Toute l'ambition d'accord avec sa flamme.
BERENICE Allons, seigneur : ma gloire en croîtra de moitié, Si je puis remporter chez moi son amitié.
TITE Ainsi pour mon hymen la fête préparée Vous rendra cette foi qu'on vous avait jurée, Prince ; et ce jour, pour vous si noir, si rigoureux, N'aura d'éclat ici que pour vous rendre heureux. |