Dante - La Divine Comédie (1306-1321, édition en 1472)

Pendant la Semaine sainte de l'an 1300, le poète Dante, égaré dans une forêt, rencontre Virgile, le poète latin, qui le conduit au coeur de la terre : descendant de plus en plus profond dans les neuf cercles de l'Enfer, Dante croise de nombreux personnages, et en particulier certains des protagonistes de la Guerre de Troie. Mais il n'est pas dans son intention de réécrire tel ou tel épisode, si ce n'est celui de la mort d'Ulysse, qui diffère totalement de la tradition de la Télégonie. Nous nous contenterons ici de citer les passages qui les évoquent dans la Divine Comédie.

Achille

Enfer, V, v.65-66
Elena vedi, per cui tanto reo
tempo si volse, e vedi 'l grande Achille,
che con amore al fine combatteo.
Je vis Hélène, cause de tant de maux,
et je vis le grand Achille
qui par l'amour enfin périt.
Enfer, XII, v.69-70
E quel di mezzo, ch'al petto si mira,
è il gran Chirón, il qual nodrì Achille ;
Et celui du milieu, qui regarde sa poitrine,
est le grand Chiron, le nourricier d'Achille ;
Purgatoire, IX, v.34 sqq
Non altrimenti Achille si riscosse,
li occhi svegliati rivolgendo in giro
e non sappiendo là dove si fosse,
quando la madre da Chirón a Schiro
trafuggò lui dormendo in le sue braccia,
là onde poi li Greci il dipartiro ;
che mi scoss'io, sì come da la faccia
mi fuggì 'l sonno, e diventa' ismorto,
come fa l'uom che, spaventato, agghiaccia.
Comme Achille à soi revint,
portant tout autour ses yeux réveillés,
et ne sachant où il était,
lorsque, endormi dans les bras de Chiron,
sa mère le fit transporter à Scyros,
d'où ensuite les Grecs l'emmenèrent,
ainsi revins-je à moi, lorsque de ma face
s'enfuit le sommeil, et je devins pâle
comme l'homme glacé de peur.
Purgatoire, XXI, v.92
Stazio la gente ancor di là mi noma :
cantai di Tebe, e poi del grande Achille ;
ma caddi in via con la seconda soma.
Là encore on me nomme Stace :
je chantai de Thèbes, puis du grand Achille ;
mais sous la seconde charge en chemin je tombai.

Agamemnon

Paradis, V, v.69
Non prendan li mortali il voto a ciancia ;
siate fedeli, e a ciò far non bieci,
come Ieptè a la sua prima mancia ;
cui più si convenia dicer 'Mal feci',
che, servando, far peggio ; e così stolto
ritrovar puoi il gran duca de' Greci,
onde pianse Efigènia il suo bel volto,
e fé pianger di sé i folli e i savi
ch'udir parlar di così fatto cólto.
Que les mortels ne se jouent point du voeu :
soyez fidèles, mais à ce faire non imprudents,
comme fut Jephté en sa première promesse ;
à qui plus il convenait de dire : j'ai mal fait,
qu'en la gardant faire pis. Et aussi insensé
tu trouveras le grand chef des Grecs ;
d'où Iphigénie pleura son beau visage,
et sur soi fit pleurer et les fous et les sages,
qui ouïrent parler d'un pareil culte.

Anchise

Enfer, I, v.73-75
Poeta fui, e cantai di quel giusto
figliuol d'Anchise che venne di Troia,
poi che 'l superbo Ilïón fu combusto.
Je fus poète et chantai ce juste
fils d'Anchise, qui vint de Troie,
après l'incendie du superbe Ilion.
Paradis, XV, v.25-27
Sì pïa l'ombra d'Anchise si porse,
se fede merta nostra maggior musa,
quando in Eliso del figlio s'accorse.
Ainsi s'avança la pieuse ombre d'Anchise
(si mérite foi notre plus grande Muse)
lorsque dans l'Elysée il aperçut son fils.
Paradis, XIX, v.130-132
Vedrassi l'avarizia e la viltate
di quei che guarda l'isola del foco,
ove Anchise finì la lunga etate.
Se verra l'avarice et la lâcheté
de celui qui garde l'île de feu,
où Anchise terminera son long âge.

Anténor

Enfer, XXXII 88
(Celui qui parle est Bocca degli Abati, le traître di Montaperti):
« Or tu chi se' che vai per l'Antenora,
percotendo, rispuose, altrui le gote,
sì che, se fossi vivo, troppo fora ? ».
 

Et toi, qui es-tu, répond-il, qui, à travers l'Antenora,
vas heurtant les joues des autres,
tellement que trop serait-ce si tu étais vivant ?
Purgatoire, V, 75
Quindi fu' io ; ma li profondi fóri
ond'uscì 'l sangue in sul quale io sedea,
fatti mi fuoro in grembo a li Antenori,
là dov'io più sicuro esser credea :
quel da Esti il fé far, che m'avea in ira
assai più là che dritto non volea.
De là je fus, mais les profondes blessures
par où sortit le sang dans lequel l'âme siège,
me furent faites les fils d'Antenor,
là où je croyais être le plus en sûreté :
me le fit faire un des Este, beaucoup plus irrité
contre moi que ne le voulait le droit.

Calchas

Enfer, XX, v.106-114
Allor mi disse : « Quel che da la gota
porge la barba in su le spalle brune,
fu - quando Grecia fu di maschi vòta,
sì ch'a pena rimaser per le cune -
augure, e diede 'l punto con Calcanta
in Aulide a tagliar la prima fune.
Euripilo ebbe nome, e così 'l canta
l'alta mia tragedìa in alcun loco :
ben lo sai tu che la sai tutta quanta ».
Lors il me dit : « Celui dont la barbe
descend sur ses brunes épaules,
fut augure, quand la Grèce tellement se dépeupla de mâles
qu'à peine lestèrent ceux au berceau,
et, avec Calchas, donna en Aulide
le signal de couper le premier câble.
Il eut nom Euripile, et ainsi le chante
ma haute tragédie :
tu le sais bien, toi qui la sais tout entière ».

Creuse

Paradis, IX, v.93-98
Folco mi disse quella gente a cui
fu noto il nome mio ; e questo cielo
di me s'imprenta, com'io fe' di lui ;
ché più non arse la figlia di Belo,
noiando e a Sicheo e a Creusa,
di me, infin che si convenne al pelo.
Foulques m'appelait ce peuple,
à qui fut connu mon nom ; et de moi ce ciel
s'empreint, comme je le fis de lui :
car, au déplaisir de Sichée et de Creuse,
plus que moi ne brûla la fille de Bélus,
tant qu'au poil il convint.

Enée

Enfer, I, v.73-75
Poeta fui, e cantai di quel giusto
figliuol d'Anchise che venne di Troia,
poi che 'l superbo Ilïón fu combusto.
Je fus poète et chantai ce juste
fils d'Anchise, qui vint de Troie,
après l'incendie du superbe Ilion.
Enfer, II, v.32
Ma io, perché venirvi ? o chi 'l concede ?
Io non Enëa, io non Paulo sono ;
me degno a ciò né io né altri 'l crede.
Mais moi, pourquoi y viendrais-je ? ou qui le permet ?
Je ne suis ni Enée, ni Paul :
digne de cela ni moi ni aucun autre ne me croit.
Enfer, IV, v.121-123
I' vidi Elettra con molti compagni,
tra ' quai conobbi Ettòr ed Enea,
Cesare armato con li occhi grifagni.
Je vis Electre, accompagnée de beaucoup d'autres,
parmi lesquels je reconnus Hector, et Enée,
et César, armé de ses yeux d'épervier.
Enfer, XXVI, v.90-99
Quando
mi diparti' da Circe, che sottrasse
me più d'un anno là presso a Gaeta,
prima che sì Enëa la nomasse,
né dolcezza di figlio, né la pieta
del vecchio padre, né 'l debito amore
lo qual dovea Penelopè far lieta,
vincer potero dentro a me l'ardore
ch'i' ebbi a divenir del mondo esperto
e de li vizi umani e del valore.
Quand
je quittai Circé, qui me retint
caché plus d'un an, là, près de Gaëte,
avant qu'ainsi Enée la nommât,
ni la douce pensée de mon fils, ni la piété
envers mon vieux père, ni l'amour qui devait être
la joie de Pénélope,
ne purent vaincre en moi l'ardeur
d'acquérir la connaissance du monde,
et des vices des hommes, et de leurs vertus.
Purgatoire, XVIII, 133-138
Di retro a tutti dicean : « Prima fue
morta la gente a cui il mar s'aperse,
che vedesse Iordan le rede sue  » ;
e : « Quella che l'affanno non sofferse
fino a la fine col figlio d'Anchise,
sé stessa a vita sanza gloria offerse ».
Derrière tous les autres ils disaient :
« Moururent ceux pour qui la mer s'ouvrit,
avant que le Jourdain vît ses héritiers » ;
et ceux qui, jusqu'à la fin ne supportèrent pas
la fatigue avec le fils d'Anchise,
et se plongèrent eux-mêmes dans une vie sans gloire ».
Paradis, XV, v.25-27
Sì pïa l'ombra d'Anchise si porse,
se fede merta nostra maggior musa,
quando in Eliso del figlio s'accorse.
Ainsi s'avança la pieuse ombre d'Anchise
(si mérite foi notre plus grande Muse)
lorsque dans l'Elysée il aperçut son fils.

Hector

Enfer, IV, v.121-123
I' vidi Elettra con molti compagni,
tra ' quai conobbi Ettòr ed Enea,
Cesare armato con li occhi grifagni.
Je vis Electre, accompagnée de beaucoup d'autres,
parmi lesquels je reconnus Hector, et Enée,
et César, armé de ses yeux d'épervier.
Paradis, VI, v.67-69
Antandro e Simeonta, onde si mosse,
rivide e là dov'Ettore si cuba ;
e mal per Tolomeo poscia si scosse.
Il revit Antandros et le Simoïs,
et le lieu où gît Hector ;
puis, pour la perte de Ptolomée il reprit son vol.

Hécube, Polyxène et Polydore

Enfer, XXX, v.13-21
E quando la fortuna volse in basso
l'altezza de' Troian che tutto ardiva,
sì che 'nsieme col regno il re fu casso,
Ecuba trista, misera e cattiva,
poscia che vide Polissena morta,
e del suo Polidoro in su la riva
del mar si fu la dolorosa accorta,
forsennata latrò sì come cane ;
tanto il dolor le fé la mente torta.
Et quand la fortune abaissa
l'orgueil des Troyens, qui tout osait,
de sorte que royaume et roi ensemble s'évanouirent,
Hécube triste, misérable et captive,
lorsqu'elle eut vu Polixène morte,
et que, sur le rivage de la mer, elle fit
de son Polydore la funeste rencontre,
forcenée, elle aboya comme un chien,
tant la douleur lui tordit l'esprit.

Hélène

Enfer, V, v.64
Elena vedi, per cui tanto reo
tempo si volse, e vedi 'l grande Achille,
che con amore al fine combatteo.
Je vis Hélène, cause de tant de maux,
et je vis le grand Achille
qui par l'amour enfin périt.

Le Palladium

Enfer, XXVI, v.52-63
« Chi è 'n quel foco che vien sì diviso
di sopra, che par surger de la pira
dov'Eteòcle col fratel fu miso ? ».
Rispuose a me : « Là dentro si martira
Ulisse e Dïomede, e così insieme
a la vendetta vanno come a l'ira ;
e dentro da la lor fiamma si geme
l'agguato del caval che fé la porta
onde uscì de' Romani il gentil seme.
Piangevisi entro l'arte per che, morta,
Deïdamìa ancor si duol d'Achille,
e del Palladio pena vi si porta ».
« Qui est dans ce feu, si divisé
à son sommet qu'on dirait qu'il s'élève du bûcher
sur lequel Etéocle fut mis avec son frère ?  »
Il me répondit : « Là dedans sont tourmentés
Ulysse et Diomède ; ils sont ensemble
emportés par la vengeance, comme ils le furent par la colère.
Au dedans de leur flamme se pleure
l'embûche du cheval qui fut la porte
d'où sortit des Romains la noble semence ;
et s'y pleure aussi l'artifice par lequel
Déidamie morte déplore encore le destin d'Achille,
et du Palladium s'y porte la peine ».

Pâris

Enfer, V, v.67
Vedi Parìs, Tristano ; e più di mille
ombre mostrommi e nominommi a dito,
ch'amor di nostra vita dipartille.
Je vis Pâris, Tristan ; et plus de mille ombres
il me nomma et me montra du doigt,
qu'amour fit sortir de notre vie.

Penthésilée

Enfer, IV, v.124
Vidi Cammilla e la Pantasilea ;
da l'altra parte, vidi 'l re Latino
che con Lavina sua figlia sedea.
Je vis Camille et Penthésilée ;
de l'autre côté je vis aussi le roi Latinus
assis avec sa fille Lavinie.

Polydore

Enfer, XXX, v.13-21
E quando la fortuna volse in basso
l'altezza de' Troian che tutto ardiva,
sì che 'nsieme col regno il re fu casso,
Ecuba trista, misera e cattiva,
poscia che vide Polissena morta,
e del suo Polidoro in su la riva
del mar si fu la dolorosa accorta,
forsennata latrò sì come cane ;
tanto il dolor le fé la mente torta.
Et quand la fortune abaissa
l'orgueil des Troyens, qui tout osait,
de sorte que royaume et roi ensemble s'évanouirent,
Hécube triste, misérable et captive,
lorsqu'elle eut vu Polixène morte,
et que, sur le rivage de la mer, elle fit
de son Polydore la funeste rencontre,
forcenée, elle aboya comme un chien,
tant la douleur lui tordit l'esprit.
Purgatoire, XX, v.112-115
Indi accusiam col marito Saffira ;
lodiam i calci ch'ebbe Elïodoro ;
e in infamia tutto 'l monte gira
Polimestòr ch'ancise Polidoro.
Ensuite nous accusons Saphira avec son mari,
aux ruades que reçut Héliodore nous applaudissons,
et tout le mont roule dans l'infamie
Polymnestor qui tua Polydore.

Sinon

Enfer, XXX, v.91-129
E io a lui : « Chi son li due tapini
che fumman come man bagnate 'l verno,
giacendo stretti a' tuoi destri confini ? ».
« Qui li trovai - e poi volta non dierno - »,
rispuose, « quando piovvi in questo greppo,
e non credo che dieno in sempiterno.
L'una è la falsa ch'accusò Gioseppo ;
l'altr'è 'l falso Sinon greco di Troia :
per febbre aguta gittan tanto leppo ».
E l'un di lor, che si recò a noia
forse d'esser nomato sì oscuro,
col pugno li percosse l'epa croia.
Quella sonò come fosse un tamburo ;
e mastro Adamo li percosse il volto
col braccio suo, che non parve men duro,
dicendo a lui : « Ancor che mi sia tolto
lo muover per le membra che son gravi,
ho io il braccio a tal mestiere sciolto ».
Ond'ei rispuose : « Quando tu andavi
al fuoco, non l'avei tu così presto ;
ma sì e più l'avei quando coniavi ».
E l'idropico : « Tu di' ver di questo :
ma tu non fosti sì ver testimonio
là 've del ver fosti a Troia richesto ».
« S'io dissi falso, e tu falsasti il conio »,
disse Sinon ; « e son qui per un fallo,
e tu per più ch'alcun altro demonio ! ».
« Ricorditi, spergiuro, del cavallo »,
rispuose quel ch'avëa infiata l'epa ;
« e sieti reo che tutto il mondo sallo ! ».
« E te sia rea la sete onde ti crepa »,
disse 'l Greco, « la lingua, e l'acqua marcia
che 'l ventre innanzi a li occhi sì t'assiepa ! ».
Allora il monetier : « Così si squarcia
la bocca tua per tuo mal come suole ;
ché, s'i' ho sete e omor mi rinfarcia,
tu hai l'arsura e 'l capo che ti duole,
e per leccar lo specchio di Narcisso,
non vorresti a 'nvitar molte parole ».
Et moi à lui : - Qui sont les deux malheureux
qui fument, comme en hiver une main mouillée,
et gisent serrés l'un contre l'autre, à ta droite ?
«  Ici les trouvai-je, répondit-il,
quand je tombai dans cette sentine,
et depuis ils n'ont bougé, ni je crois ne bougeront éternellement.
L'une est celle qui accusa faussement Joseph ;
l'autre est Sinon, le Grec fourbe de Troie :
une fièvre ardente fait que d'eux sort cette fumée infecte ».
Et l'un d'eux, qui peut-être fut chagrin
de s'entendre nommer si honteusement,
du poing lui frappa la dure panse.
Celle-ci sonna comme un tambour ;
et , avec la main maître Adam lui frappa le visage,
qui ne parut pas moins dur,
lui disant : « Quoique je ne puisse
remuer mes membres à cause de leur poids,
j'ai le bras dispos pour une telle besogne ».
A quoi l'autre répondit : « En allant
au feu, tu ne l'avais pas si agile ;
mais oui bien, et plus, quand tu battais monnaie ».
Et l'hydropique : « Tu dis vrai en cela ;
mais tu ne fus pas si véridique,
lorsqu'à Troie on requit de toi la vérité ».
« - Si mon dire fut faux, tu as, toi, falsifié la monnaie,
dit Sinon, et je suis ici pour une seule faute,
et toi pour plus qu'aucun autre démon ».
« Souviens-toi du cheval, parjure,
répondit celui qui avait le ventre enflé ;
et qu'à tourment te soit que tout le monde sache ton crime !
- Et qu'à toi, dit le Grec, à tourment soit
la soif dont te crève la langue, et l'eau pourrie
qui fait de ton ventre une haie devant tes yeux ! »
Alors le monnayeur : « Ta bouche,
comme d'ordinaire, se disloque pour mal dire :
que si j'ai soif, et que d'eau je sois gonflé,
tu as, toi, la fièvre qui te brûle, et le mal de tête ;
et pour t'inviter à lécher le miroir de Narcisse,
point ne faudrait beaucoup de paroles ».

Ulysse et Diomède

Enfer, XXVI, v.49-142
« Maestro mio, rispuos'io, per udirti
son io più certo ; ma già m'era avviso
che così fosse, e già voleva dirti :
chi è 'n quel foco che vien sì diviso
di sopra, che par surger de la pira
dov'Eteòcle col fratel fu miso ? ».
Rispuose a me : « Là dentro si martira
Ulisse e Dïomede, e così insieme
a la vendetta vanno come a l'ira ;
e dentro da la lor fiamma si geme
l'agguato del caval che fé la porta
onde uscì de' Romani il gentil seme.
Piangevisi entro l'arte per che, morta,
Deïdamìa ancor si duol d'Achille,
e del Palladio pena vi si porta ».
« S'ei posson dentro da quelle faville
parlar, diss'io, maestro, assai ten priego
e ripriego, che 'l priego vaglia mille,
che non mi facci de l'attender niego
fin che la fiamma cornuta qua vegna ;
vedi che del disio ver' lei mi piego ! ».
Ed elli a me : « La tua preghiera è degna
di molta loda, e io però l'accetto ;
ma fa che la tua lingua si sostegna.
Lascia parlare a me, ch'i' ho concetto
ciò che tu vuoi ; ch'ei sarebbero schivi,
perch'e' fuor greci, forse del tuo detto ».
Poi che la fiamma fu venuta quivi
dove parve al mio duca tempo e loco,
in questa forma lui parlare audivi :
« O voi che siete due dentro ad un foco,
s'io meritai di voi mentre ch'io vissi,
s'io meritai di voi assai o poco
quando nel mondo li alti versi scrissi,
non vi movete ; ma l'un di voi dica
dove, per lui, perduto a morir gissi ».
Lo maggior corno de la fiamma antica
cominciò a crollarsi mormorando,
pur come quella cui vento affatica ;
indi la cima qua e là menando,
come fosse la lingua che parlasse,
gittò voce di fuori, e disse : « Quando
mi diparti' da Circe, che sottrasse
me più d'un anno là presso a Gaeta,
prima che sì Enëa la nomasse,
né dolcezza di figlio, né la pieta
del vecchio padre, né 'l debito amore
lo qual dovea Penelopè far lieta,
vincer potero dentro a me l'ardore
ch'i' ebbi a divenir del mondo esperto
e de li vizi umani e del valore ;
ma misi me per l'alto mare aperto
sol con un legno e con quella compagna
picciola da la qual non fui diserto.
L'un lito e l'altro vidi infin la Spagna,
fin nel Morrocco, e l'isola d'i Sardi,
e l'altre che quel mare intorno bagna.
Io e ' compagni eravam vecchi e tardi
quando venimmo a quella foce stretta
dov'Ercule segnò li suoi riguardi
acciò che l'uom più oltre non si metta ;
da la man destra mi lasciai Sibilia,
da l'altra già m'avea lasciata Setta.
'O frati', dissi 'che per cento milia
perigli siete giunti a l'occidente,
a questa tanto picciola vigilia
d'i nostri sensi ch'è del rimanente
non vogliate negar l'esperïenza,
di retro al sol, del mondo sanza gente.
Considerate la vostra semenza :
fatti non foste a viver come bruti,
ma per seguir virtute e canoscenza'.
Li miei compagni fec'io sì aguti,
con questa orazion picciola, al cammino,
che a pena poscia li avrei ritenuti ;
e volta nostra poppa nel mattino,
de' remi facemmo ali al folle volo,
sempre acquistando dal lato mancino.
Tutte le stelle già de l'altro polo
vedea la notte, e 'l nostro tanto basso,
che non surgëa fuor del marin suolo.
Cinque volte racceso e tante casso
lo lume era di sotto da la luna,
poi che 'ntrati eravam ne l'alto passo,
quando n'apparve una montagna, bruna
per la distanza, e parvemi alta tanto
quanto veduta non avëa alcuna.
Noi ci allegrammo, e tosto tornò in pianto ;
ché de la nova terra un turbo nacque
e percosse del legno il primo canto.
Tre volte il fé girar con tutte l'acque ;
a la quarta levar la poppa in suso
e la prora ire in giù, com'altrui piacque,
infin che 'l mar fu sovra noi richiuso ».
- Maître, lui répondis-je, l'ouïr de toi
m'en rend plus certain ; mais déjà je m'étais aperçu
qu'il en était ainsi, et je voulais te demander
qui est dans ce feu, si divisé
à son sommet qu'on dirait qu'il s'élève du bûcher
sur lequel Etéocle fut mis avec son frère ?
Il me répondit : « Là dedans sont tourmentés
Ulysse et Diomède ; ils sont ensemble
emportés par la vengeance, comme ils le furent par la colère.
Au dedans de leur flamme se pleure
l'embûche du cheval qui fut la porte
d'où sortit des Romains la noble semence ;
et s'y pleure aussi l'artifice par lequel Déidamie
morte déplore encore le destin d'Achille,
et du Palladium s'y porte la peine ».
- Si, au milieu de ces étincelles,
ils peuvent parler, dis-je, je t'en prie,
et t'en prie encore Maître, et que ma prière en vaille mille !
ne me refuse point d'arrêter
jusqu'à ce qu'ici vienne la flamme double ;
vois, de désir je me ploie vers elle ».
Et lui à moi : « De beaucoup de louange
ta prière est digne, et ainsi je l'accepte.
Mais fais qu'en repos ta langue se tienne !
Laisse-moi parler : j'ai compris
ce que tu veux, et peut-être, ayant été Grecs,
auraient-ils à dédain ton langage ».
Lorsque la flamme fut venue près de nous,
et qu'à mon Guide il parut que c'était le moment et le lieu,
je l'entendis parier de la sorte :
« O vous qui êtes deux dans un seul feu,
si je méritais de vous pendant que je vivais,
si beaucoup ou peu je méritai de vous
lorsque dans le monde j'écrivis mes hauts vers,
arrêtez-vous ! et que l'un de vous dise
où, par lui-même perdu, il alla mourir ».
La plus grande corne de l'antique flamme,
pareille à celle que fatigue le vent,
commença à s'agiter ;
puis ça et là mouvant sa cime,
comme si ce fut la langue qui parlât,
au dehors émit une voix, et dit : « Quand
je quittai Circé, qui me retint caché
plus d'un an, là, près de Gaëte,
avant qu'ainsi Enée la nommât,
ni la douce pensée de mon fils, ni la piété
envers mon vieux père, ni l'amour
qui devait être la joie de Pénélope,
ne purent vaincre en moi l'ardeur
d'acquérir la connaissance du monde,
et des vices des hommes, et de leurs vertus.
Mais, sur la haute mer de toutes parts ouverte, je me lançai
avec un seul vaisseau, et ce petit nombre de compagnons
qui jamais ne m'abandonnèrent.
L'un et l'autre rivage je vis, jusqu'à l'Espagne
et jusqu'au Maroc, et l'île de Sardaigne,
et les autres que baigne cette mer.
Moi et mes compagnons nous étions vieux et appesantis,
quand nous arrivâmes à ce détroit resserré
où Hercule posa ses bornes,
pour avertir l'homme de ne pas aller plus avant :
je laissai Séville à ma droite ;
de l'autre déjà Septa m'avait laissé.
Alors je dis : « O frères, qui, à travers mille
périls, êtes parvenus à l'Occident,
suivez le soleil, et à vos sens
à qui reste si peu de veille,
ne refusez l'expérience
du monde sans habitants.
Pensez à ce que vous êtes :
point n'avez été faits pour vivre comme des brutes,
mais pour rechercher la vertu et la connaissance ».
Par ces brèves paroles j'excitai tellement
mes compagnons à continuer leur route,
qu'à peine ensuite aurais-je pu les retenir.
La poupe tournée vers le levant,
des rames nous fîmes des ailes pour follement voler,
gagnant toujours à gauche.
Déjà, la nuit, je voyais toutes les étoiles
de l'autre pôle, et le nôtre si bas
que point il ne s'élevait au-dessus de l'onde marine.
Cinq fois la lune avait rallumé son flambeau,
et autant de fois elle l'avait éteint,
depuis que nous étions entrés dans la haute mer,
quand nous apparut une montagne, obscure
à cause de la distance, et qui me sembla plus élevée
qu'aucune autre que j'eusse vue.
Nous nous réjouîmes, et bientôt notre joie se changea en pleurs,
de la nouvelle terre un tourbillon étant venu,
qui par devant frappa le vaisseau.
Trois fois il le fit tournoyer avec toutes les eaux ;
à la quatrième, il dressa la poupe en haut,
et en bas il enfonça la proue, comme il plut à un autre,
jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous ».
Purgatoire, XIX, v.19-24
« Io son, cantava, io son dolce serena,
che' marinari in mezzo mar dismago ;
tanto son di piacere a sentir piena !
Io volsi Ulisse del suo cammin vago
al canto mio ; e qual meco s'ausa,
rado sen parte ; sì tutto l'appago ! ».
« Je suis, chantait-elle, je suis la douce Sirène
qui, au milieu de la mer, égare les mariniers,
tant de m'ouïr le plaisir est grand.
De sa route errante j'attirai Ulysse
à mon chant : qui s'accointe avec moi,
rarement me quitte, si pleinement je le satisfais ».

La traduction française utilisée est celle de l'édition Flammarion (1880) mise en ligne par l'abbaye Saint Benoît de Port-Valais. Nous avons cependant disposé cette traduction comme s'il s'agissait de vers libres, en vis-à-vis des vers italiens, pour donner une idée de leur sens.


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.