Livre XII - traduction de l'Abbé Delille (1834)

Dès qu'il voit des Latins les soldats dispersés,

Sur lui seul désormais tous les regards fixés,

L'état à haute voix réclamant sa promesse,

Turnus laisse éclater la fureur qui le presse,

Rien ne la contient plus. Ainsi, quand de ses traits

Le Numide a percé le tyran des forêts,

L'excès de la douleur irritant son courage,

Aussitôt il s'élance impatient de rage,

Frémit, de ses longs crins bat son cou vigoureux,

Du chasseur dans son flanc rompt le trait douloureux,

Et des terribles sons de sa gueule sanglante

A son vainqueur lui-même inspire l'épouvante :

Tel s'enflamme Turnus ; et, s'adressant au roi :

« Aux lâches Phrygiens s'il reste quelque foi,

Voici le temps enfin de tenir leur parole :

Qu'il vienne ce Troyen qu'il est temps que j'immole ;

Turnus est prêt. Et vous, grand prince, préparez

La pompe, les autels et les pactes sacrés :

L'affaire est entre nous ; que l'armée, immobile,

Demeure du combat spectatrice tranquille.

Oui, des champs phrygiens ce lâche déserteur

Va de ce bras fatal sentir la pesanteur,

Et seul j'aurai vengé la querelle commune ;

Ou si contre Turnus prononce la Fortune,

Et Lavinie et moi serons en son pouvoir. »

A sa fougueuse ardeur le roi, sans s'émouvoir,

Répond : « Jeune guerrier, plus votre âme est sublime,

Plus je dois tempérer cette ardeur magnanime :

S'il faut un grand empire au grand cœur de Turnus,

Les états qu'il joignit aux états de Daunus

Sont pour son héritier un assez beau partage ;

Et moi, par mes sujets, par mon propre courage,

J'espère de mon rang soutenir la grandeur.

Si d'un illustre hymen vous briguez la splendeur,

Il est d'autres beautés, dans cet empire immense,

Qu'honorent la vertu, les grâces, la naissance :

Souffrez donc qu'entre nous laissant parler mon cœur,

Je découvre du sort l'inflexible rigueur.

De tous ceux qu'à ma fille on vit d'abord prétendre,

Nul ne peut espérer de devenir mon gendre ;

Tout met à cet hymen un obstacle puissant :

Vaincu par l'amitié, par les liens du sang,

Par mon épouse en pleurs, des dieux, de leurs ministres,

J'ai bravé pour vous seul les présages sinistres ;

De la paix, de l'hymen, j'ai rompu tous les nœuds,

En combattant les droits d'un peuple aimé des dieux.

Depuis ce jour fatal et fécond en disgrâces,

Vous voyez quels malheurs s'attachent à nos traces ;

Vous le voyez, Turnus : des mêmes coups frappé,

Vous-même aux maux publics n'avez pas échappé.

À nos fiers ennemis, vainqueurs dans deux batailles,

Nous opposons en vain l'abri de nos murailles;

Notre sang teint le Tibre, et de nos bataillons

Les ossements épars ont blanchi les sillons.

L'irrésolution fatigue enfin mon âme ;

Il faut se décider : aux enfants de Pergame

Si le sort quelque jour doit unir Latinus,

Pourquoi payer ces nœuds par le sang de Turnus ?

Laissez-moi donc former ce lien légitime :

Soyez-en le témoin, et non pas la victime.

Et que diraient de moi vos sujets et les miens

Si, lorsque recherchant les plus tendres liens,

Et fier de ses aïeux, à ma noble famille

Turnus cherche à s'unir par l'hymen de ma fille,

Votre mort (loin de moi ces présages affreux !)

Payait seule vos soins, vos bienfaits et vos feux ?

Rappelez-vous du sort l'inconstance ordinaire ;

Songez à la vieillesse, aux longs chagrins d'un père

Qui, loin de votre vue exilé dans sa cour,

De son fils aux autels implore le retour. »

Ce discours, qu'à regret le fier Turnus endure,

Bien loin de l'adoucir, irrite sa blessure ;

Sitôt qu'il peut parler, il répond en ces mots :

« Trop d'intérêts pour moi troublent votre repos,

Grand prince ; permettez que, servant la patrie,

J'achète quelque gloire aux dépens de ma vie.

Entre Énée et Turnus le danger est égal,

Et peut-être je suis digne d'un tel rival ;

Ce fer n'est pas novice à venger mon injure,

Et le sang quelquefois a suivi sa blessure.

Ce guerrier n'aura plus, pour secourir sa peur,

Ni Vénus, ni l'abri d'un nuage trompeur.

Qu'il vienne ce héros que protège une femme ;

Il verra qui je suis, et si l'honneur m'enflamme, »

La reine cependant, craignant ces grands combats,

Tremblante et l'œil en pleurs, le tenait dans ses bras,

Et son cœur en ces mots épanche ses alarmes :

« Si vous êtes sensible à ma gloire, à mes larmes,

Turnus ! ne m'ôtez pas mon unique secours,

Seul espoir de mes maux, seul bien de mes vieux jours ;

Sur vous seul est fondé le bonheur de ma fille,

Le salut des Latins, l'honneur de ma famille.

Au nom de votre amie, au nom de tout l'état,

Évitez, par pitié, ce terrible combat !

Je meurs si vous mourez. Ce brigand du Scamandre

Ne deviendra jamais mon maître ni mon gendre ;

Et la même journée aura vu son orgueil

Traîner ma fille au temple et sa mère au cercueil. »

Amate exhale ainsi sa tristesse mortelle :

La jeune Lavinie, immobile auprès d'elle,

Lui répond par des pleurs. Un feu subit a peint

D'un ardent incarnat l'albâtre de son teint ;

Il brûle sur sa joue, il court sur son visage,

De la pudeur timide intéressante image.

Ainsi des mains de l'art nos yeux verraient sortir

L'ivoire coloré de la pourpre de Tyr ;

Ou tel, en un bouquet de fleurs fraîches écloses,

Le lis peint sa blancheur du doux reflet des roses :

Telle on voit Lavinie ; ainsi l'instant fatal

Du trouble de son cœur peint son front virginal.

Du superbe Ardéen, qui des yeux la dévore,

La fureur et l'amour s'en accroissent encore ;

Et, tous deux en secret enflammant le héros,

A la plaintive Amate il adresse ces mots :

« Reine, cessez vos pleurs, et que ce noir présage

Ne suive pas Turnus dans le champ du courage :

De mes destins futurs mon cœur n'a plus le choix,

Les dieux ont prononcé, j'obéis à leur voix.

Allez, Idmon, portez au tyran de Pergame

Ces mots qui jetteront quelque effroi dans son âme ;

Sitôt que sur son char l'Aurore de retour

Rouvrira la carrière au dieu brillant du jour,

Qu'il suspende l'ardeur de ses bandes troyennes,

Dans le même repos je retiendrai les miennes :

C'est trop à notre cause immoler deux états,

C'est à nous de finir ces funestes débats ;

Nous seuls déciderons du sort de l'Ausonie,

Et le fer nommera l'époux de Lavinie. »

 

Il dit, et se retire au fond de son palais,

Du combat solennel ordonne les apprêts,

Demande ses chevaux, enfants de la Scythie,

Que reçut Pilumnus de la jeune Orithie :

Moins blancs sont les frimas, moins légers sont les vents.

Les dents du buis doré peignent leurs crins mouvants.

Au seul son de sa voix leur noble ardeur éclate,

Et répond au doux bruit de la main qui les flatte.

Puis il prend sa cuirasse, où se mêle avec l'or

Un métal, fruit d'un art plus précieux encor ;

Orne son front guerrier d'une aigrette flottante ;

Saisit avidement son épée éclatante,

Sa foudroyante épée, ouvrage de Vulcain,

Que dans le Styx fatal il trempa de sa main,

Et qui, du fier Turnus défense héréditaire,

Fut à son bras vaillant transmise par son père.

D'un des pilastres d'or de son palais pompeux

Il détache, il saisit de son bras vigoureux,

Il agite en ses mains sa formidable lance

Qu'au belliqueux Actor arracha sa vaillance.

« O toi que nul mortel n'affronte impunément,

Toi que jamais Turnus n'invoqua vainement,

Et qui des mains d'Actor as passé dans la mienne.

Viens, dit-il, viens dompter cette race troyenne !

Que ce vil Phrygien qu'elle appelle son roi,

Ce chef voluptueux tombe immolé par toi !

Déchire sur son corps sa cuirasse impuissante !

Que je traîne à mes pieds dans la poudre sanglante

Ces cheveux sur son front avec art assemblés,

Qu'en anneaux élégants un fer chaud a roulés,

Ces cheveux embaumés des parfums de Pergame,

Opprobre d'un guerrier, parure d'une femme ! »

Ainsi parle Turnus enflammé de fureur :

Tel son courage ardent bouillonne dans son cœur,

Étincelle en ses yeux, brille sur son visage :

Ainsi, brûlant d'amour et mugissant de rage,

D'un taureau furieux le superbe rival,

Quand son puissant courroux prélude au choc fatal,

Lutte contre les vents, s'exerce contre un chêne,

Et sous ses bonds fougueux disperse au loin l'arène.

Cependant à son tour le rival de Turnus,

Couvert du bouclier que lui donna Vénus,

Des feux de la colère échauffe son courage ;

Mars au fond de son cœur souffle toute sa rage :

Fier de sauver l'empire, il s'applaudit tout bas

De s'exposer tout seul au hasard des combats,

D'Ascagne et des Troyens apaise les alarmes,

Leur parle des destins protecteurs de ses armes,

Et par un prompt courrier fait annoncer au roi

De ce noble cartel la salutaire loi.

 

A peine de la mer quittant le noir abîme

Les coursiers du Soleil des monts doraient la cime,

Et, chassant devant eux l'humide obscurité,

Soufflaient de leurs naseaux des torrents de clarté ;

Auprès de la cité, tranquille spectatrice,

A ces rivaux fameux on prépare la lice :

Les feux du sacrifice au milieu sont placés ;

En gazons verdoyants les autels sont dressés ;

Là, des divinités aux deux peuples communes,

Et Troyens et Latins attendent leurs fortunes.

Le front ceint de verveine et d'un voile de lin,

D'autres portent l'eau sainte et le brasier divin ;

Tout est prêt. Des Latins les nombreuses cohortes

S'élancent de leurs murs et franchissent les portes ;

Les Troyens à leur tour et les braves Toscans

Sous leurs drapeaux divers abandonnent leurs camps :

Tous ils marchent armés, comme si des batailles

Le dieu les appelait à sauver leurs murailles.

De pourpre revêtus, et d'or éblouissants,

Les chefs de deux partis volent de rangs en rangs :

Ici brille Asylas, et là Mnesthée étale

L'antique majesté de sa race royale ;

Et le fougueux Messape, enfant du dieu des mers,

De ses yeux enflammés fait jaillir les éclairs.

Le signal est donné : soudain un large espace

Sépare les deux camps ; et chacun à sa place,

Debout, son javelot dans la terre enfoncé,

Tient, tranquille témoin, son bouclier baissé.

Les mères cependant, et la foule sans armes,

Et les faibles vieillards, pleins d'espoir et d'alarmes,

Pour voir ce grand combat assiègent à la fois

Et les créneaux des tours et les sommets des toits ;

Des murailles, des tours d'autres couvrant le faîte,

Contemplent en tremblant cette terrible fête.

 

Cependant, des hauteurs d'un mont alors sans nom,

Qu'Albe illustra depuis, la puissante Junon

En silence fixait cette scène imposante,

Les deux peuples, leurs camps, et les murs de Laurente.

Aussitôt de Turnus elle appelle la sœur,

Juturne, qu'en tout temps distingua sa faveur,

Qui voit sous son pouvoir et les ruisseaux limpides,

Et les marais dormants, et les fleuves rapides ;

Pour prix de sa pudeur qu'outragèrent ses feux,

Jupiter lui donna cet emploi glorieux.

La déesse en ces mots à la nymphe s'adresse :

« Nymphe, ornement des cieux, et chère à ma tendresse,

De celles qu'en dépit de mon orgueil jaloux

Dans sa couche infidèle appela mon époux,

Nulle, vous le savez, n'a de mon indulgence

Obtenu tant d'égards ; et ma toute-puissance,

Du perfide oubliant l'amour injurieux,

De mon lit profané vous porta dans les cieux.

Eh bien ! apprenez donc quel malheur vous menace,

Et n'allez point du sort m'imputer la disgrâce :

Autant que l'ont permis les sévères destins,

J'ai sauvé votre frère et servi les Latins ;

Mais c'en est fait ; je vois venir l'heure fatale,

Turnus court affronter une lutte inégale,

Mon œil avec effroi voit ce dernier combat.

Vous, protégez des jours aussi chers à l'état :

Si vous osez tenter quelque noble entreprise,

Partez, de tous ses vœux Junon vous favorise ;

D'un prince infortuné secourez la valeur,

Peut-être le hasard servira le malheur. »

Juturne, à ce discours, laisse échapper des larmes,

Et sa pitié touchante augmente encor ses charmes ;

Par trois fois elle frappe et meurtrit son beau sein.

(Ce n'est point par des pleurs qu'on fléchit le destin) :

« Partez, lui dit Junon ; à ce destin sévère

Hâtez-vous, s'il se peut, d'arracher votre frère ;

Ou, d'un fatal traité prévenant les effets,

Qu'un stratagème heureux fasse avorter la paix

Partez, courez, volez, c'est moi qui vous l'ordonne. »

Junon s'exprime ainsi, s'éloigne et l'abandonne

Au tumulte orageux de son cœur incertain.

 

Au même instant le chef de l'empire latin

Marche dans tout l'éclat de sa magnificence ;

Quatre brillants coursiers traînent son char immense :

Noble image du dieu dont son aïeul est né,

De douze rayons d'or son front est couronné.

Turnus ouvre à pas lents la marche solennelle ;

Deux coursiers aussi blancs que la neige nouvelle

Traînent son char superbe ; et de leur large fer

Deux dards entre ses mains font rejaillir l'éclair.

Enée alors paraît : à l'éclat de ses armes

On reconnaît Vulcain, et Vénus à ses charmes ;

Énée, ami des dieux, modèle des humains :

Près de lui c'est Ascagne, autre espoir des Romains.

Chacun sort de ses camps : le pontife suprême,

Revêtu d'un lin pur, et ceint d'un diadème,

Conduit le porc avide et la jeune brebis

Dont le fer n'a jamais dépouillé les habits.

L'œil tourné vers les lieux où le jour se rallume,

Les princes, sur l'autel où déjà l'encens fume,

Placent les saints gâteaux qu'assaisonne le sel ;

Des fronts prêts à tomber sous le couteau mortel,

D'autres coupent le poil, gage des sacrifices,

Et de la coupe sainte épanchent les prémices.

Le glaive en main, alors le héros des Troyens

S'écrie : « Entends les vœux de mon peuple et les miens,

Astre brillant du jour ; et toi, belle Ausonie,

Pour qui j'ai supporté ma trop pénible vie :

Toi, puissant Jupiter ; toi, sévère Junon,

Qui vois d'un œil plus doux les malheurs d'Ilion,

Jadis mon ennemie, aujourd'hui ma déesse :

Et toi, terrible Mars, à qui ma voix s'adresse ;

Vous tous, ô dieux des eaux, de la terre et des cieux :

Si le sort, de Turnus fait triompher les voeux,

J'en jure ici par vous, dans la cité d'Évandre

Nos dieux seront portés, et sans plus rien prétendre,

Ascagne et les Troyens laisseront à jamais

Leurs armes en repos, et ce royaume en paix :

Mais si (puissent les dieux servir notre espérance !)

Le sort pour les Troyens fait pencher la balance,

Je ne réclame point la couronne des rois,

Et vaincus et vainqueurs auront les mêmes lois ;

Latinus m'admettra dans sa noble famille,

Il recevra mes dieux, me donnera sa fille ;

Et, bâti par nos mains, un nouvel Ilion

Du nom de Lavinie empruntera son nom. »

Tel parle le premier le héros de Scamandre,

Latinus à son tour ainsi se fait entendre,

L'œil tourné vers l'Olympe et la main sur l'autel :

« Par la mer, et la terre, et la voûte du ciel,

Et Janus aux deux fronts, et Diane, et son frère,

Par le dieu du Tartare et son noir sanctuaire

Que jamais les mortels n'attestèrent en vain,

Par ces feux solennels où je plonge ma main ;

Comme vous j'y consens, comme vous je le jure :

Qu'il m'entende ce dieu qui punit le parjure !

Plutôt que mes sujets, attaquant les Troyens,

Osent rompre la paix et briser nos liens,

Qu'avec les noirs enfers l'Olympe se confonde,

Que la terre à mes yeux s'engloutisse dans l'onde !

Oui, ce sceptre (il tenait son sceptre dans les mains),

Antique attribut de tant de souverains,

Qui perdit sous le fer sa molle chevelure,

Et dont ce cercle d'or remplace la verdure,

Verra, redevenu ce qu'il était jadis,

Sa feuille renaissante et ses bras reverdis,

Avant que la Discorde, ensanglantant la terre,

Revienne secouer les torches de la guerre. »

Tels ces deux souverains, entourés de leur cour,

Par de communs serments s'engageaient tour à tour.

Soudain le fer se lève et le glaive étincelle,

Le sang des animaux dans la flamme ruisselle,

Et de leurs corps tombés sous le couteau mortel

Les intestins sanglants palpitent sur l'autel.

Cependant pour Turnus son peuple entier se trouble ;

Plus le moment approche, et plus l'effroi redouble ;

Et, voyant de plus près l'un et l'autre rival,

Ils craignent plus encor ce combat inégal.

Là, le roi des Troyens semble à sa contenance

Avoir pour lui les dieux, ses droits et sa vaillance ;

Ici, le beau Turnus, pâle et baissant les yeux,

Semble en les implorant se défier des dieux :

L'éclat de ses exploits, le feu de sa jeunesse,

Sa touchante pâleur, pour lui tout intéresse ;

Sitôt qu'il apparaît, tout le peuple troublé

Sent son cœur incertain, son courage ébranlé.

Appelant à son aide une heureuse imposture,

Juturne, de Camerte empruntant la figure,

De ce mortel qui, fier de ses nobles aïeux,

Joignit sa propre gloire à leurs faits glorieux ;

Et, sous ces traits menteurs déguisant sa présence,

Au milieu des soldats la déesse s'élance,

Court semer dans les rangs mille adroites rumeurs,

Et par ces mots amers aiguillonne les cœurs :

« Ainsi votre valeur sans honte se repose !

Faut-il que pour nous tous un seul guerrier s'expose ?

Ces sauvages enfants des monts arcadiens,

Ces bannis attroupés sous les drapeaux troyens,

Ces Toscans qu'un oracle arma pour leur défense,

Dont la haine en Turnus poursuit encor Mézence,

Tous ces peuples ligués, les voilà sous vos yeux :

Sommes-nous moins vaillants, sommes-nous moins nombreux ?

Comptez leurs bataillons : dans cette armée entière

Chacun de nous à peine aurait un adversaire,

A peine tous leurs rangs suffiraient à nos coups :

Les dieux à qui Turnus croit s'immoler pour vous,

Ces dieux jusques au ciel porteront sa mémoire,

Il entendra le monde applaudir à sa gloire ;

Et nous, nous, sans patrie ainsi que sans honneur,

Il nous faudra ramper sous ce vil suborneur !

Nous qui, de son danger spectateurs immobiles,

N'osons servir l'état que par des vœux stériles ! »

Tels étaient ses discours. Tout s'enflamme à sa voix ;

Même ardeur a saisi tous les cœurs à la fois ;

Dans tous les rangs circule un sourd et long murmure ;

Tous, disposés naguère à quitter leur armure,

Latins et Laurentins, changent de volonté :

Ceux mêmes qui tantôt sur la foi du traité

Espéraient voir finir ces combats sanguinaires,

Et voyaient dans la paix un terme à leurs misères,

De la soif du repos tout à coup revenus,

Appellent les combats, et tremblent pour Turnus.

C'est peu : pour achever le succès du prestige,

Elle ajoute à ces mots un étonnant prodige,

Un prodige inouï, tel que jamais les cieux

De fait plus surprenant ne frappèrent les yeux :

Un aigle fendait l'air, et des célestes plages

Menaçant les oiseaux nourrissons des rivages,

Pressait l'essaim bruyant de ces hôtes des eaux :

Tout à coup il s'abat, et parmi les roseaux

Atteint, saisit, enlève en sa robuste serre

Un cygne au beau plumage, et fuit loin de la terre.

On regarde, on s'étonne : ô prodige soudain !

Les oiseaux, à grands cris ralliant leur essaim,

Obscurcissent les airs de leur épais nuage,

Et sur le ravisseur fondent avec courage ;

De l'aile, de la voix pressent son vol troublé ;

Tant qu'enfin succombant sous leur choc redoublé,

Et lassé du fardeau, de sa serre vaincue

L'oiseau lâche sa proie et se perd dans la nue.

Chacun, les bras levés vers les dieux protecteurs,

Salue avec transport ces présages flatteurs ;

Tolumnius surtout, instruit dans les augures,

Dont l'œil lit de si loin dans les choses futures,

« Le voilà, leur dit-il, ce garant de nos vœux,

Tant désiré par moi, tant promis par les dieux !

Je vois, je reconnais leur faveur solennelle,

Marchez, courez, volez, c'est moi qui vous appelle.

Et vous, que ce Troyen, auteur de tous nos maux,

Ose poursuivre ainsi que de faibles oiseaux,

Le barbare ! bientôt vous le verrez sur l'onde

Précipiter au loin sa course vagabonde.

Vous donc, serrez vos rangs, venez, secondez-moi,

Et de ce ravisseur défendez votre roi. »

 

Il dit, et dans la plaine impétueux s'avance ;

Son arc a retenti, le trait fatal s'élance,

Un cri part. et soudain de nouvelles fureurs

Ont armé tous les bras, embrasé tous les cœurs.

Neuf guerriers, éclatants de beauté, de jeunesse,

Brillaient au premier rang où la flèche s'adresse.

Une mère toscane, un père arcadien,

Ont formé ces beaux fruits de leur fécond hymen :

Leur mère était Ida, Gylippe était leur père.

Le plus jeune reçoit l'atteinte meurtrière

A l'endroit où, flottant vers le milieu du corps,

Le baudrier s'agrafe et rejoint ses deux bords.

Mortellement atteint sous l'armure impuissante,

Il rougit de son sang l'arène jaunissante ;

Il tombe ; et tout à coup, pour venger son malheur,

Ses frères sont partis, furieux de douleur :

Chacun sur l'ennemi fond avec violence ;

L'un a saisi son arc, l'autre agite sa lance.

Une égale fureur anime les deux camps,

D'un côté les Latins, de l'autre les Toscans.

Et les Arcadiens, fiers de leur riche armure,

Fondent sur les autels ; la discorde parjure

S'arme des feux sacrés, on voit voler dans l'air

Un nuage de traits, une grêle de fer ;

Des feux, des vases saints chacun se fait des armes.

Latinus fuit lui-même, et, l'œil baigné de larmes

Et réclamant la foi des augustes traités,

Se plaint de son outrage à ses dieux insultés.

Les uns d'un char guerrier guident le vol docile,

D'autres sur leurs coursiers montent d'un saut agile ;

Le fer est dans leurs mains, la rage dans leurs yeux.

Messape, du traité pour mieux briser les nœuds,

Sur Auleste étonné de son audace extrême,

Malgré son nom de roi, malgré son diadème,

Pousse son fier coursier. Le monarque tremblant,

Pressé contre un autel, le heurte en reculant,

Et, du coup qu'il reçoit et du choc qui l'arrête,

Tombe sur le bandeau qui couronne sa tête.

L'ardent Messape accourt, et du roi suppliant,

Du haut de son coursier il a percé le flanc.

« Dieux, recevez, dit-il, ce tribut légitime,

Et félicitez-vous d'une telle victime ;

Cette offrande est plus digne et de vous et de moi. » ;

Les Latins, accourus vers ce malheureux roi,

Ont saisi sa dépouille encor de sang trempée.

Plus loin c'est Ébusus brandissant son épée :

Corynée avec art prévient le coup mortel ;

Il s'arme d'un tison enlevé sur l'autel,

Le lui lance au visage, et la flamme brillante

Parcourt rapidement sa barbe petillante

Qui de ses poils brûlants exhale au loin l'odeur.

Corynée à l'instant s'élance avec ardeur,

Saisit ses longs cheveux, avec force l'entraîne,

Et d'un genou nerveux l'appliquant sur l'arène,

Tandis que sous son bras il se débat en vain,

Lève sur lui le fer et le plonge en son sein.

Parti pour les combats d'un agreste héritage,

Alsus au premier rang signalait son courage :

De près, le glaive en main, Podalire le suit;

Alsus, vers le guerrier dont le bras le poursuit,

Se retourne, et d'un coup de sa hache pesante

Il partage son front et sa bouche sanglante :

Il expire, et ses yeux, où la mort peint ses traits,

D'un repos sans réveil sont fermés pour jamais.

 

Cependant l'ardeur croît, le massacre redouble.

D'Énée à cet aspect le tendre cœur se trouble ;

Aussitôt vers les siens au carnage animés

Il court, la tête nue et les bras désarmés ;

Et leur tendant les mains, d'une voix paternelle

Il s'écrie : « Arrêtez ! quelle ardeur criminelle

Vous ramène aux combats ? Arrêtez ! Arrêtez !

Moi seul dois en ce jour accomplir les traités ;

De Turnus les destins me promirent la tête,

Moi seul je dois tenter cette grande conquête.

Ne craignez rien ; j'y cours, et le ciel aujourd'hui

Verra finir Turnus et la guerre avec lui :

Les dieux m'en sont garants. » Tandis qu'il parle encore,

Un trait siffle et l'atteint. D'où part-il ? on l'ignore.

Quel bras peut s'honorer de ce coup glorieux ?

Est-ce la main du sort, des hommes, ou des dieux ?

Un dieu seul sur Énée obtint cette victoire

Sans doute, et nul mortel n'en réclama la gloire.

A peine des Troyens il voit partir le roi,

Ses chefs déconcertés, son camp saisi d'effroi,

Animé par l'espoir, enflammé de colère,

« Mes armes ! mes chevaux ! » dit son fier adversaire.

Tout est prêt ; sur son char il s'élance soudain,

Elève un front superbe, et les rênes en main

Il presse ses coursiers ; ils volent ; le char roule,

Des Troyens dans sa course il écrase la foule :

Ici tombent les morts, là roulent les mourants,

De bataillons entiers il moissonne les rangs,

Désarme les fuyards, s'élance à leur poursuite,

Et de leurs propres traits ensanglante leur fuite.

Tel de l'Hèbre glacé quand le terrible dieu,

Frappant son bouclier, farouche, l'œil en feu,

A lancé ses coursiers, précurseurs de la guerre,

Plus prompts que les zéphirs, plus craints que le tonnerre :

Ils partent, le char vole, et la terre en frémit,

Sous leurs pas foudroyants la Thrace au loin gémit ;

De cadavres sanglants la Victoire entourée,

La Déroute au front pâle, à la marche égarée,

La bouillante Fureur, le Piège insidieux,

Le Meurtre au bras sanglant, et le fer, et les feux,

Du dieu dévastateur sont l'escorte effrayante ;

Après lui la Ruine, au-devant l'Epouvante :

Tel s'élance Turnus ; de ses coursiers fumants

Ainsi sa main terrible aiguillonne les flancs ;

Dans son œil enflammé brille une affreuse joie ;

Il presse, atteint, égorge et foule aux pieds sa proie ;

Et des rangs enfoncés écrasant les débris,

Des mourants sous les morts il étouffe les cris :

Le sang au loin jaillit sous sa roue embrasée,

Sur le sable rougi pleut l'affreuse rosée,

Et du char dont la course emporte le héros

Le rapide sillon s'en abreuve à grands flots.

Il abat de sa main Sthénélus et Thamyre ;

De loin du trait mortel l'ardent Pholus expire ;

De loin il a frappé les deux fils d'Imbrasus,

Qu'aux sommets lyciens leur mère avait conçus ;

C'est Glaucus, c'est Ladès, qui, fiers des mêmes armes,

Avec la même ardeur affrontaient les alarmes,

Soit qu'il fallût à pied combattre aux premiers rangs,

Soit que leurs prompts coursiers devançassent les vents.

Plus loin, du grand Dolon le neveu téméraire

Au nom de son aïeul joint l'âme de son père ;

Son père, d'un haut fait audacieux auteur,

Lui qui, des ennemis nocturne observateur,

Hasarda dans leur camp sa valeur inutile,

Et demanda pour prix les beaux coursiers d'Achille :

Mais Diomède, hélas ! lui garde un autre sort ;

Au lieu du char d'Achille il lui donne la mort.

Turnus a vu son fils, il en frémit de joie ;

Longtemps avec ardeur le héros suit sa proie,

Et, le fer à la main, élancé sur ses pas,

Sans l'atteindre, longtemps médite son trépas :

Enfin d'un saut léger il descend sur l'arène,

Il fond sur le Troyen tremblant et hors d'haleine,

Et, le pied sur son cou fortement imprimé,

Arrache le poignard dont il était armé,

Le plonge dans son flanc, et lui dit : « Misérable !

As-tu cru te sauver de ce bras redoutable ?

Ces champs tant désirés, ces bords hespériens,

Où devaient s'élever les remparts des Troyens,

Tiens, les voilà ; mesure en tombant cette terre :

De quiconque à Turnus ose livrer la guerre

Telle est la récompense ; ainsi lui sont acquis

Ces champs qu'un fol orgueil en espoir a conquis. »

Il dit, jette sur lui des victimes sans nombre ;

Le vaillant Asbutès accompagne son ombre ;

Le jeune Sybaris expire sous ses traits ;

Il y joint Thersiloque, et Chlorée, et Darès ;

Thymète les suivra ; l'infortuné succombe,

Et tombe renversé sur son coursier qui tombe.

Ainsi, lorsque, du nord enfant tumultueux,

De la Thrace s'élance un vent impétueux,

Il court ; les cieux, les flots à son souffle obéissent :

Ainsi devant Turnus les rangs entiers fléchissent ;

Sa fougue ainsi l'emporte ; il court, vole, et le vent

Balance sur son front son panache mouvant.

A son rapide essor, à sa bouillante rage

Phégée ose lui seul opposer son courage,

Vole devant son char, et saisissant leur mor,

Des rapides coursiers veut détourner l'essor;

Mais pour être arrêtés leur ardeur est trop forte :

Tandis qu'il se suspend au timon qui l'emporte,

Turnus étend sa lance, et sous le double airain

Le trait au large fer vient effleurer son sein ;

Lui, de son bouclier opposant la défense,

Des siens, le glaive en main, implore l'assistance.

Vaine attente ! l'essieu rapidement lancé

Roule, l'atteint, l'entraîne ; il tombe renversé.

Alors, impatient de punir tant d'audace,

Entre les bords du casque et ceux de la cuirasse

Turnus abat sur lui son fer étincelant ;

Et sa tête a roulé loin de son tronc sanglant.

 

Tel combat l'Ardéen. Cependant de sa lance

Aidant ses pas tardifs et marchant en silence,

Enée atteint son camp, où ses braves amis

Le placent tout trempé des larmes de son fils.

Furieux, et domptant la douleur qu'il endure,

Il ébranle le fer brisé dans sa blessure,

Des enfants d'Esculape implore les secours ;

Et son impatience a choisi les plus courts :

Il veut qu'à l'instant même une main vigoureuse

Ouvre au dard enfoncé sa route douloureuse ;

Qu'on presse les moments, que l'art n'hésite pas,

Et sans plus différer le renvoie aux combats.

Vient alors pour sonder la blessure cruelle

Iapis, d'Apollon le disciple fidèle,

A qui ce dieu donna, touché de ses attraits,

Le bâton augurai, et sa lyre et ses traits :

Inutiles présents ! Iapis eut un père

Dont son amour voulait prolonger la carrière ;

Aussi ce tendre fils, empressé de savoir

Les noms des végétaux, leurs vertus, leur pouvoir,

Préféra, pour sauver celui qu'il pleure encore,

Aux chants harmonieux l'art muet d'Epidaure :

Trop heureux si, payé de ce choix généreux,

Il eût fléchi la Parque et désarmé les dieux !

Énée était debout, appuyé sur sa lance ;

Il se plaint d'un retard qui trahit sa vaillance :

Autour de lui, formant un concert de douleurs,

Ses amis et son fils lui prodiguent des pleurs :

Tout gémit, tout frémit, lui seul est immobile.

Aussitôt d'Apollon le nourrisson habile,

Suivant l'usage ancien, de ses flottants habits

Rejetant en arrière et retroussant les plis,

S'approche, et de son art, de ses herbes puissantes,

En vain fait tour à tour mille épreuves savantes,

En vain tâte le trait qui résiste à ses doigts ;

En vain d'un fer mordant le saisissant vingt fois,

Il tâche d'ébranler cette flèche rebelle.

Les secours de son dieu, les efforts de son zèle,

Les herbes, son savoir, tout est infructueux.

Cependant des deux camps le choc tumultueux

Avec plus de fureur rallume le carnage ;

Le péril croît : dans l'air monte un épais nuage,

On entend de plus près les escadrons poudreux,

Le sifflement des dards, les accents douloureux

Du malheureux qui meurt, du malheureux qui tombe.

Aussitôt du héros dont la force succombe,

La mère en gémissant va cueillir sur l'Ida

Cette herbe que le ciel à nos maux accorda,

Le dictame sacré, poussant de sa racine

Sa feuille cotonneuse et sa fleur purpurine.

Tout ressent son pouvoir ; et quand le daim blessé

Emporte au fond des bois le trait qui l'a percé,

Suivant et le besoin et son instinct pour maître,

Parmi cent végétaux il sait le reconnaître.

Sûre de la vertu de ce baume sacré,

Vénus jette autour d'elle un nuage azuré,

Dans le camp de son fils descend d'un vol rapide ;

Et dans l'airain du vase où tremble une eau limpide

Infuse doucement l'herbe dont la vertu

Doit rendre la vigueur à son fils abattu,

Y joint la panacée à la feuille odorante,

Et le nectar qu'aux dieux la jeune Hébé présente.

Le charme est consommé : le bienfaisant vieillard

De ces sucs enchantés plus puissans que son art,

Abreuve doucement la blessure profonde,

Ignorant quel pouvoir en secret le seconde.

O prodige, le mal est aussitôt dompté,

Dans ses secrets canaux le sang est arrêté,

Et le trait meurtrier, sans que le fer l'arrache,

De lui-même a suivi la main qui le détache ;

Il tombe ; et revenu de sa triste langueur

Le héros a senti renaître sa vigueur.

« Des armes, mes amis ; qu'on lui rende ses armes !

Courez, dit Iapis : au succès de ces charmes

Reconnaissez les dieux ; oui, croyez que ma main

Ne fut que l'instrument d'un pouvoir plus qu'humain :

Un dieu seul a tout fait. Pars, guerrier magnanime !

Pars, suis la voix des dieux, suis ton destin sublime. »

 

Impatient déjà de tenter les hasards,

Énée a revêtu l'or de ses longs cuissards,

Abrège les délais dont se plaint son audace,

Saisit son bouclier, endosse sa cuirasse,

Et sa lance à la main il prélude aux combats ;

Puis, tendant vers son fils ses héroïques bras,

Imprime un doux baiser sur sa bouche innocente,

Le serre tendrement ; et d'une voix touchante :

« Apprends de moi, mon fils, la route de l'honneur,

D'autres te donneront l'exemple du bonheur ;

Peu jaloux d'un vain nom, d'une gloire frivole,

A ton noble avenir ton père entier s'immole ;

Seul tu remplis son coeur : ah ! puissent quelque jour

Tes vertus lui payer le prix de tant d'amour !

Puisses-tu te montrer à la terre étonnée

Digne neveu d'Hector, et digne enfant d'Énée ! »

Il dit, et court remplir son glorieux destin.

Un javelot énorme étincelle en sa main ;

De ses braves guerriers la foule l'environne,

Et du bruit de leurs pas la terre au loin résonne ;

Leurs flots tumultueux laissent leurs camps déserts,

De nuages épais tous leurs rangs sont couverts.

Turnus le voit de loin ; les Latins en alarmes

Ont frémi d'épouvante à l'aspect de ses armes ;

Juturne la première, étonnée à ce bruit,

Reconnaît le héros, s'épouvante et s'enfuit.

Affamé de vengeance et plus prompt que la foudre,

Enée avec les siens court dans des flots de poudre :

Tel un affreux nuage, obscurcissant les airs,

Accourt rapidement du vaste sein des mers ;

Du plus loin qu'il a vu sa noirceur menaçante

Le laboureur tremblant est glacé d'épouvante :

Que de maux vont sortir de ses flancs ténébreux !

Les fleurs, les fruits mourront sur son passage affreux ;

Il approche ; avec lui les tempêtes s'avancent,

Et les vents en grondant volent et le devancent :

Tel apparaît Enée, ainsi devant ses pas

Ont volé la terreur, le trouble et le trépas.

Des bataillons troyens la formidable élite

Forme ses rangs, se presse, et s'élance à sa suite.

Le fier Thymbrée envoie Osiris à Pluton,

Gyas égorge Ufens, Achate immole Eplon,

Mnesthée Archétius ; Tolumnius lui-même,

Infracteur des traités, voit son heure surprême.

Des cris frappent les cieux ; on voit de tout côté

Le Rutule à son tour s'enfuir épouvanté ;

Ou de quelques guerriers si la fière imprudence

Ose d'Enée encore affronter la vaillance,

Il passe avec dédain ; pour de plus grands combats,

Pour un plus grand rival il réserve son bras ;

Parmi les flots poudreux, dans ce vaste carnage,

C'est Turnus, Turnus seul que demande sa rage :

Ses yeux, sa voix, ses traits respirent la fureur.

Juturne en a pâli : sa prudente frayeur,

Pour guider de Turnus la course téméraire,

Renverse Métiscus, écuyer de son frère ;

Et, tandis que poussant un cri mal entendu

Le char le laisse au loin sur la terre étendu,

La nymphe, poursuivant son adroit stratagème,

Prend sa taille et ses traits ; c'est Métiscus lui-même :

Et les coursiers, trompés par le son de sa voix,

De leur vieux guide encor pensent suivre les lois.

Juturne cependant conduit le char docile :

Et, telle qu'en son vol une hirondelle agile

Qui, d'un maître opulent partageant le séjour,

Suspendit à ses toits les fruits de son amour

Va, vient, revient, parcourt d'immenses galeries,

Rase tantôt la rive, et tantôt les prairies,

Et, portant à son bec son modeste butin,

De son nid babillard revient calmer la faim ;

En cent lieux à la fois la nymphe ainsi voltige ;

Ainsi trompant les yeux par un heureux prestige,

Aux ailes, dans le centre, errant de rang en rang,

D'un cours toujours rapide et toujours différent,

Montrant partout Turnus et traversant l'armée,

Elle échappe au combat dont elle est alarmée ;

Et cherchant qui l'évite, évitant qui la suit,

Se montre et disparaît, reparaît et s'enfuit.

Cependant le Troyen, que son adresse irrite,

Sur les pas de Turnus redouble sa poursuite ;

Et, des rangs sous sa trace entassant les débris,

II le cherche des yeux, il l'appelle à grands cris.

Vains efforts ! chaque fois qu'il rencontre sa vue,

Chaque fois, éludant sa poursuite imprévue,

S'échappe comme un trait le char insidieux.

Que faire ? que tenter ? mille contraires vœux

Combattent à la fois dans son âme incertaine.

Messape alors paraît sur cette horrible scène :

Il tient en main deux dards ; l'un des deux est parti :

Le héros menacé le voit fondre sur lui ;

Son bras au trait qui vole oppose son égide,

Et sa tête baissée échappe au trait rapide ;

Mais il atteint son casque, et de son front altier

Détache et jette au loin son superbe cimier.

Las de perdre Turnus à travers la poussière,

Après avoir aux dieux adressé sa prière,

Attesté les serments et la foi des traités,

Ces traités solennels par lui seul respectés,

Il part, vole, et, de morts jonchant ces tristes plaines,

A son libre courroux lâche toutes les rênes.

Oh ! qui retracera tant de scènes d'horreur ?

Que de chefs, de héros, moissonnés dans leur fleur,

Ensanglantent la plaine et deviennent la proie

Ou du héros d'Ardée ou du héros de Troie !

Quel démon l'un par l'autre égorgeait tour à tour

Ceux qu'un jour doit unir un éternel amour ?

Terminez, justes dieux ! cette lutte sanglante.

Partout Turnus, Énée, apportent l'épouvante.

Un Rutule (Sucron est son nom malheureux)

Le premier du Troyen sent le bras valeureux ;

Sa mort aux Phrygiens a rendu le courage :

A l'endroit où des os le robuste assemblage

Recouvre sa poitrine, un homicide acier,

Abrégeant son trépas, s'est plongé tout entier.

Amycus renversé, Diorès qui s'élance,

L'un d'un coup de poignard, l'autre d'un coup de lance,

Sont percés par Turnus ; même après le trépas,

Ces frères malheureux ne se séparent pas.

Turnus pend à son char leurs têtes dégouttantes,

Part, et porte, en volant, ces dépouilles sanglantes.

Céthégus, Tanaïs et Talon à la fois

Bravent tous trois Turnus, et succombent tous trois.

Un malheureux Thébain, enfant de Péridie,

Onyte, sans regret perd son sang et sa vie.

Trois frères lyciens descendent chez Pluton :

Ah ! pourquoi quittaient-ils les beaux champs d'Apollon ?

Plus malheureux encor, le timide Menète

De Bellone toujours abhorra la trompette ;

Pauvre cultivateur des domaines d'autrui,

Son père ne semait, ne cueillait pas pour lui ;

Le fils, abandonnant son chaume, sa rivière,

Et les rets du pêcheur pour la lance guerrière,

Arraché malgré lui de ses rustiques toits,

Est venu s'immoler à la cause des rois.

Comme aux deux bords d'un bois, par les vents enhardie,

La flamme, en l'embrasant, forme un double incendie ;

Ou tels que deux torrents, impétueux rivaux,

De deux monts opposés précipitent leurs eaux,

Et, parmi les débris se frayant un passage,

Suivent chacun le lit que s'est creusé leur rage :

Tels Énée et Turnus s'élancent en courroux,

Tels bouillonnent leurs coeurs, ainsi tonnent leurs coups :

Plus de frein, plus d'obstacle, et leur ardeur guerrière

Fait passer dans leurs bras leur âme tout entière.

L'orgueilleux Murranus, au lieu d'exploits fameux,

Faisait sonner son nom, et vingt rois pour aïeux :

Soudain Énée accourt ; et d'un rocher qu 'il lance

L'épouvantable poids abat son insolence :

Il tombe, son char roule, et ses coursiers ingrats,

Sur leur maître écrasé précipitant leurs pas,

Laissent son vain orgueil expirer dans la fange.

Par le trépas d'Hyllus Turnus bientôt le venge:

Hyllus venait à lui, menaçant, furieux;

Mais le rapide trait de l'Ardéen fougueux,

Malgré le casque d'or dont la riche coiffure

Lui servait de défense ainsi que de parure,

Arrête le Troyen à ses pieds renversé :

Et dans son front sanglant le fer reste enfoncé.

En vain, brave Crétus, ta valeur se déploie ;

Grec, tu meurs égorgé par l'ennemi de Troie ;

Turnus tranche tes jours. Prêtre religieux,

Cupencus contre Énée implore en vain ses dieux,

Et de son pavois d'or la parure frivole ;

Énée accourt, le voit, le saisit et l'immole.

Et toi qui résistas à plus d'un bataillon,

Toi que ne vainquit pas le vainqueur d'Ilion.

Eole, adieu tes biens, ta maison opulente :

Ton palais est à Troie, et ta tombe à Laurente ;

Là t'attendait la mort. Cependant les Troyens,

Les Latins, les Toscans, les fiers Arcadiens,

Tout revient, tout reprend cette lutte funeste ;

D'une part c'est Messape, et de l'autre Séreste,

Et le prudent Mnesthée et le brave Asylas :

Chaque instant agrandit la scène des combats ;

Des deux côtés la mort plus largement moissonne,

Partout sifflent les traits, partout le sang bouillonne.

 

Vénus alors, Vénus vient inspirer son fils,

Veut qu'il fonde à l'instant sur les murs ennemis,

Et jusqu'en ses remparts fasse trembler Laurente.

Alors, de tous côtés portant sa vue errante,

Le héros des Troyens dans les champs des combats

Cherche partout Turnus, et ne le trouve pas ;

Soudain d'un œil ardent il regarde la ville

Au milieu du tumulte impunément tranquille.

Il frémit ; et, brûlant d'une héroïque ardeur,

D'un plus noble triomphe il flatte sa valeur ;

Il appelle à grands cris l'intrépide Sergeste,

Et le prudent Mnesthée, et le brave Séreste ;

Et d'un tertre élevé qu'entourent à la fois

Tous ses soldats armés accourus à sa voix :

« Qu'on m'écoute, dit-il, et que l'on m'obéisse :

Le ciel dicta l'arrêt, il faut qu'il s'accomplisse ;

Tout imprévu qu'il est, osez l'exécuter :

Vous voyez ces remparts, c'est là qu'il faut monter ;

Là se forgent nos maux, là l'effroyable guerre

Allume les flambeaux qui ravagent la terre :

S'ils osent résister, les murs de Latinus

De leurs débris fumants vont écraser Turnus.

Dois-je attendre en ces lieux que ce rival sans gloire

Daigne, vaincu deux fois, avouer ma victoire?

C'est là qu'est l'ennemi, l'ennemi de vos dieux,

Et des traités rompus l'infracteur odieux.

Marchez, courez, volez, point de grâce aux parjures,

Et, la flamme à la main, effacez vos injures. »

Il dit : des cris guerriers partent de toutes parts ;

Tous d'un commun élan fondent sur les remparts.

Déjà les feux sont prêts, les échelles dressées,

Les murs sont investis, les portes menacées ;

Déjà du sang latin coulent de longs torrents ;

On marche sur les corps des gardes expirants ;

D'autres de traits ailés font voler un nuage,

Dans les airs obscurcis siffle l'affreux orage.

Enée est à leur tête, et, les mains vers les cieux,

De la paix violée il atteste les dieux,

Accuse Latinus, cause de tant d'alarmes :

On le condamne donc à reprendre les armes ;

Deux fois on rompt la paix et deux fois le traité.

 

Cependant la Discorde agite la cité :

L'un veut que, des Troyens admettant les cohortes,

De la ville à l'instant on leur ouvre les portes ;

Et, pour les recevoir en dépit de Turnus,

D'autres sur les remparts entraînent Latinus ;

Quelques-uns, des Latins ranimant l'espérance,

Veulent de leurs remparts prolonger la défense :

Le tumulte s'accroît, et des partis divers

Les bruyantes clameurs s'élèvent dans les airs.

Tel, lorsqu'au fond d'un roc que la fumée inonde,

Des pasteurs, d'un essaim troublent la paix profonde,

Le désordre est partout, le peuple épouvanté

Dans ses remparts de cire erre de tout côté :

Un bruit sourd se répand, on s'assemble, on consulte,

On s'apprête, on s'excite à repousser l'insulte ;

Et, de leurs creux abris sortie à gros bouillons,

L'odorante vapeur monte en noirs tourbillons.

Un désastre nouveau, qui tout à coup éclate,

Met le comble à l'effroi : la malheureuse Amate,

Voyant par l'ennemi ses remparts menacés,

Jusque dans son palais les noirs brandons lancés,

De Turnus vainement implore l'assistance.

Que doit-elle augurer de sa fatale absence ?

Ce héros, s'il vivait, viendrait la secourir :

Et la mort de Turnus la condamne à mourir !

Elle s'accuse alors des maux de sa famille,

Et nomme tour à tour son époux et sa fille ;

Enfin, lasse du jour, dans un transport fatal,

Change en lien mortel son vêtement royal,

S'y suspend et finit dans cette étreinte affreuse

Par un trépas cruel une vie odieuse.

Elle expire ; et bientôt de ses tristes destins

Le bruit fatal arrive aux femmes des Latins :

La douleur les saisit, et les mères tremblantes

Font retentir les airs de leurs voix gémissantes ;

Sa fille la première, objet de tous ses vœux,

Objet de tous ses soins, arrache ses cheveux,

Et dans son désespoir déchirant son visage,

Aux roses de son teint fait un sanglant outrage.

Sa cour par de longs cris se joint à ses douleurs.

Bientôt le bruit affreux court dans la ville en pleurs :

Le roi, le roi surtout, détestant la lumière,

Souille ses cheveux blancs d'une horrible poussière,

Déchire ses habits. Monarque, père, époux,

Il ressent à lui seul l'infortune de tous ;

La pitié le saisit, le remords le déchire,

Ah ! que n'a-t-il plus tôt, pour l'honneur de l'empire,

Offert à ce héros, pur sang de Dardanus,

Et sa fille, et le sceptre usurpé par Turnus ?

 

Cependant, loin des murs de la ville plaintive,

Turnus pressait les pas d'une foule craintive ;

Mais déjà ses coursiers, sous la main de sa sœur,

De leur essor fougueux ralentissaient l'ardeur.

Tout à coup jusqu'à lui parvient le bruit horrible ;

Il écoute ; il entend un mélange terrible

De sons, de cris confus, qui du sein des remparts

En lugubres accents roulent de toutes parts.

« Qu'entends-je, malheureux ? quels cris épouvantables !

Et d'où peuvent partir ces clameurs lamentables ?

Je ne me trompe pas, ces accents de l'effroi

De nos tristes remparts arrivent jusqu'à moi. »

Il dit, de ses coursiers ramène à lui les rênes,

Et prête encor l'oreille à ces clameurs lointaines.

Sa sœur, qui, sous un nom, sous des traits étrangers,

Avait conduit son frère à travers les dangers,

Le rassure en ces mots : « Turnus, suis ta victoire,

Marchons dans le sentier que nous ouvrit la gloire.

Pour porter à nos murs d'inutiles secours,

De nos premiers succès n'arrêtons point le cours ;

Poursuivons les Troyens dans le champ des batailles,

Assez d'autres sans nous défendent nos murailles.

— Nymphe, répond Turnus, penses-tu que mon cœur

Un seul instant ait pu méconnaître ma soeur ?

Non, non, tu t'es trahie à force de tendresse,

Et sous tes traits mortels j'ai connu la déesse.

Mais toi, quel intérêt ou quel ordre des dieux

Pour ces champs de la mort t'a fait quitter les cieux ?

Viens-tu voir le trépas de ton malheureux frère ?

Car enfin désormais que faut-il que j'espère ?

J'ai perdu mes amis ; j'ai perdu Murranus,

Egorgé, dieux vengeurs ! sous les yeux de Turnus :

Je crois le voir encore, étendu sur le sable,

M'appeler vainement d'une voix lamentable.

Le malheureux Ufens, repoussant mes secours,

Pour ne pas voir ma honte a terminé ses jours ;

Son corps est aux Troyens, les Troyens ont ses armes.

Il me manquait, parmi tant de sujets d'alarmes,

De voir nos murs détruits. Tranquille spectateur,

Justifirai-je donc mon lâche accusateur ?

Et, sacrifiant tout, gloire, amour, hyménée,

Montrerai-je Turnus fuyant devant Enée ?

Non, non, marchons sans crainte au-devant de mon sort,

Mourons : est-ce au malheur de redouter la mort ?

O vous, puisque les cieux me sont inexorables,

Divinités d'enfer ! soyez-moi favorables ;

J'irai, j'irai trouver tous mes nobles aïeux,

Et Turnus au tombeau descendra digne d'eux. »

Comme il parlait, Sacès vers son chef intrépide

Vient, traversant les rangs sur son coursier rapide ;

Et, lui montrant de loin son visage sanglant,

« Turnus ! ayez pitié de ce peuple tremblant,

Dit-il ; vous seul pouvez relever son courage :

Enée au pied des murs fait éclater sa rage ;

Il presse, il frappe, il tonne, et nos forts démolis

Dans leurs débris fumants vont être ensevelis ;

Sur leur faîte ébranlé déjà volent les flammes.

Accourez ; nos vieillards, nos enfants et nos femmes,

Tous, jusqu'à nos guerriers, n'espèrent qu'en Turnus,

Tous ont sur vous les yeux : le triste Latinus,

Glacé par la terreur, glacé par la vieillesse,

Doute de quel côté doit pencher sa faiblesse.

C'est peu : préparez-vous à de plus grands malheurs ;

La reine, succombant au poids de ses douleurs,

La reine, votre appui, détestant la lumière,

A de ses propres mains abrégé sa carrière.

Le valeureux Messape et le brave Atinas

Autour de nos remparts animent nos soldats :

Une double phalange autour d'eux s'est pressée ;

D'une moisson de fer la terre est hérissée ;

Et, lorsque la mort vole au pied de ce rempart,

Turnus sur ces gazons promène en paix son char !... »

Frappé de tant de coups dont frémit sa vaillance,

Turnus reste immobile et garde un long silence :

Il sent tout à la fois bouillonner dans son cœur

La douleur insensée, et la haine, et l'honneur ;

Et l'amour furieux et sa jalouse rage

Egarent ses esprits, et troublent son courage.

Cet aveugle délire est à peine calmé,

Il tourne vers la ville un regard enflammé ;

Il voit, dieux ! quel objet ! la flamme étincelante,

S'élevant dans les airs en colonne brûlante,

Sur les flancs d'une tour rouler au gré du vent ;

Lui-même en construisit l'édifice mouvant,

Et sa main, avec art élevant chaque étage,

Sur des orbes roulants en posa l'assemblage.

« Ah ! c'en est trop, dit-il, obéissons aux dieux ;

J'entends la voix du sort, j'entends l'arrêt des cieux.

Juturne, vainement ta tendresse m'arrête,

Je marche à ce combat au péril de ma tête ;

Tu ne me verras pas indigne de ma sœur :

Laissons là mon salut, il s'agit de l'honneur.

Adieu, je ne prends plus que ma rage pour guide. »

 

Il dit, et de son char descend d'un saut rapide,

Laisse Juturne en pleurs, et, bravant le trépas,

A travers les Troyens précipite ses pas.

Ainsi lorsqu'un rocher dont la superbe cime

Dominait le vallon et pendait sur l'abîme,

De son lit détrempé par les flots pluvieux

Tout à coup se détache, ou des vents furieux

Quand le bruyant essaim conjure sa ruine,

Ou quand l'âge en silence a miné sa racine,

Du sommet escarpé de ses antiques monts

Il croule, il tombe, il roule, il s'élance par bonds,

Traîne avec ses débris bergers, troupeaux, étable :

Ainsi, renversant tout dans sa course indomptable,

Turnus vole à Laurente, aux lieux où le dieu Mars

Fait couler plus de sang, fait siffler plus de dards ;

Commande à ses guerriers de la voix et du geste :

« Cessez, dit-il, cessez cette guerre funeste,

Tout le sort des combats pèse aujourd'hui sur moi ;

Lié par un traité, je dégage ma foi.

Où mon rival est-il ? » Il dit, on lui fait place,

Et les rangs en s'ouvrant laissent un vaste espace.

Au seul nom de Turnus Enée a tressailli ;

De ce fameux combat d'avance enorgueilli,

De Laurente aussitôt il quitte les murailles.

Que lui sont désormais les sièges, les batailles ?

Il vole, il franchit tout d'un pas précipité :

Turnus seul est présent à son cœur irrité.

Il l'aperçoit, le brave, et, sûr de la victoire,

Semble encor s'agrandir à l'aspect de la gloire.

Avec moins de fierté s'élève jusqu'aux cieux

Le sourcilleux Eryx, l'Athos audacieux ;

Avec moins de grandeur l'Apennin se présente,

Quand sur les vieux glaçons de sa cime imposante,

Superbe, il s'applaudit de ses bois toujours verts,

Et porte jusqu'aux cieux le trône des hivers.

Les Troyens, les Latins, que ce spectacle assemble,

Assiégeants, assiégés, tout regarde, tout tremble :

Tranquilles spectateurs, leurs bras sont désarmés.

Latinus, à l'aspect de ces chefs renommés,

Qui si loin l'un de l'autre ont reçu la naissance,

S'étonne de les voir, émules de vaillance,

Entre deux camps oisifs se combattre en ce jour,

Et lutter pour la gloire et l'empire et l'amour.

A peine on a fait place à ce couple intrépide,

L'un sur l'autre à l'instant fondant d'un pas rapide,

De loin ils font voler d'énormes javelots ;

Bientôt du choc affreux gémissent les échos ;

Tous deux avec fureur s'attaquent, se répondent ;

L'adresse, le hasard, la valeur, se confondent ;

Le fer croise le fer, les coups suivent les coups.

Tels, quand deux fiers taureaux, l'un de l'autre jaloux,

Sur le haut du Sila, du Taburne sauvage,

Enflammés par l'amour ou transportés de rage,

Disputent leur amante ou vengent leurs affronts ;

Tous deux, avec fureur heurtant leurs larges fronts,

Se déchirent les flancs de leur corne sanglante ;

Le pâtre est consterné, le troupeau s'épouvante ;

Et la génisse attend dans un muet effroi

Quel sera le vainqueur, son époux et son roi ;

Des bois, des monts lointains les échos retentissent :

Tels de ces deux rivaux les coups s'appesantissent ;

Le fer frappe le fer, et d'un choc furieux

Les boucliers tonnants font retentir les cieux.

Alors le roi des dieux, pour peser ces puissances,

Suspend également ses célestes balances :

Il y place leur sort, et, pour régler son choix,

De leurs destins divers interroge le poids.

Tout à coup Turnus vole, et, dans sa fougue altière,

Se dressant, ramassant sa force tout entière,

A levé sur Énée un glaive audacieux :

Il frappe ; les deux camps font retentir les cieux,

Tous les cœurs sont saisis ; mais le glaive perfide

Se brise, et de Turnus trahit l'attente avide.

Son cœur en a frémi : c'était fait de ses jours

S'il n'avait de la fuite emprunté le secours.

Il fuit ; mais, ô fureur ! dans sa main indignée,

Du glaive malheureux l'inutile poignée

Montre à ses yeux un fer étranger à son bras.

On dit que sur son char s'élançant aux combats

Ce prince, au lieu du fer forgé par Vulcain même,

De son vieil écuyer, dans son ardeur extrême,

Avait saisi le glaive, et longtemps dans ses mains ;

Cette arme épouvanta la foule des Troyens;

Mais contre un fils des dieux, contre une arme céleste,

Quand de ce fer mortel il fit l'essai funeste,

Infidèle à sa gloire, infidèle à son bras,

Tel qu'un glaçon fragile il jaillit en éclats,

Son débris dispersé resplendit sur l'arène.

Alors, voyant sur lui fondre une mort certaine,

Turnus fuit, vient, revient, fait, refait cent détours ;

D'un côté de Laurente il rencontre les tours,

De l'autre les Troyens, de l'autre un lac immense.

Son rival, dont Vénus adoucit la souffrance,

Faible, se plaint encor d'un reste de langueur,

Et ses genoux tremblants servent mal son grand cœur ;

Pourtant il se ranime, il part, et sa menace

Du guerrier fugitif ne quitte point la trace ;

Ses pieds touchent ses pieds, ses pas pressent ses pas.

Ainsi, lorsque, d'un cerf poursuivant le trépas,

Un chien tout haletant le relance dans l'onde,

Ou lorsque, détournant sa course vagabonde,

Une pourpre mobile épouvante ses yeux,

Effrayé tour à tour du piège insidieux,

Et du bord escarpé dont la hauteur l'arrête,

Le cerf en cent détours fuit sa mort qui s'apprête ;

Son ennemi, hâtant son barbare plaisir,

Court, la gueule béante, et prêt à le saisir

Rejoint et fait crier son double rang d'ivoire :

Le cerf vole et se rit de sa fausse victoire ;

Et la dent qu'il évite, aussi prompt que l'éclair,

A cru mordre sa proie, et ne happe que l'air :

Des chiens et des chasseurs les cris au loin résonnent,

Le rivage répond, l'eau frémit, les cieux tonnent.

Tel s'échappe Turnus ; il fuit, et toutefois

Il appelle les siens, demande à haute voix

Ce fer, ce fer divin, sa défense ordinaire.

Son rival à grands cris s'oppose à sa prière,

Menace, si les siens volent à son secours,

D'exterminer la ville et d'embraser ses tours.

Ainsi tous deux, venant, revenant sur leur trace,

Cinq fois du même cercle ont parcouru l'espace.

De faibles intérêts n'animent point leur coeur ;

Il s'agit de la vie, il s'agit de l'honneur.

Mais alors le hasard vient varier la scène.

Un olivier sauvage ombrageait cette plaine ;

Faune le protégeait ; là, des flots écumants

Les nautoniers vainqueurs pendaient leurs vêtements,

Et ces dons qu'ordonna leur pressante détresse

De leur crainte pieuse acquittaient la promesse :

Mais, pour qu'un champ plus libre aux rivaux fût ouvert,

Sans respect du dieu Faune à qui l'arbre est offert,

Les Troyens en avaient délivré cet espace.

D'Enée en ce moment la lance le remplace ;

Et, par son bras puissant avec force poussé,

Dans le pied du vieux tronc le fer reste enfoncé :

Il se courbe, il s'apprête à retirer sa lance ;

Ce trait, mieux que son bras secondant sa vaillance,

Atteindra mieux Turnus. Turnus glacé d'effroi

S'écrie hors de lui-même : « Accours et sauve-moi,

Dieu des pasteurs, et toi, bienfaisante Cybèle ;

Si Turnus en tout temps vous a marqué son zèle,

Retenez cette lance, et d'un peuple ennemi

Sauvez l'état, le roi, sa fille et votre ami ! »

Ses vœux sont entendus : en vain le bras d'Enée

Sollicite vingt fois la racine obstinée ;

Le fer inébranlable enfoncé dans son sein

Trompe ses vains efforts, et résiste à sa main.

Juturne l'aperçoit, et la même imposture

Du vieux Métisque encor lui rendant la figure,

Elle vient de Turnus adoucir le malheur,

Et lui remet le fer qu'implore sa valeur.

Vénus de l'artifice a reconnu l'adresse ;

L'audace de la nymphe irrite la déesse ;

Elle court, et de l'arbre elle arrache le fer.

Alors d'un bras plus sûr, d'un courage plus fier,

Pour ce fatal combat chaque rival s'avance,

L'un armé de son glaive, et l'autre de sa lance.

 

De son nuage d'or Junon du haut des airs

Sur ces fameux rivaux tenait les yeux ouverts :

« Chère épouse, lui dit le maître du tonnerre,

Quel terme mettez-vous à cette affreuse guerre ?

Vous connaissez l'arrêt par les destins rendu :

Dans le palais des dieux Enée est attendu.

Quel est donc votre espoir ? dans quelle attente vaine

Sur le trône des airs veille encor votre haine ?

Pourriez-vous, ô déesse, exiger qu'à mes yeux

Une mortelle main versât le sang des dieux ?

Deviez-vous, des vaincus rehaussant l'espérance,

Rendre à Turnus le fer qu'implorait sa vengeance !

Vous, dis-je (car sans vous qu'aurait osé sa sœur ?).

C'en est trop, laissez-moi fléchir votre rigueur ;

Trop longtemps de la haine épuisant l'amertume,

Votre douleur chagrine en secret vous consume :

Ouvrez-moi donc votre âme, et qu'un besoin plus doux

Epanche votre cœur dans le cœur d'un époux.

Oui, les temps sont venus. Sur les mers, sur la terre,

Votre haine aux Troyens a pu livrer la guerre,

D'une longue discorde allumer les flambeaux,

Changer l'hymen en deuil, les palais en tombeaux ;

Mais, je le veux, là doit s'arrêter votre haine. »

Il dit : des immortels l'auguste souveraine

Lui répond en ces mots d'un air triste et soumis :

« Non, je n'ai rien osé que vous n'ayez permis ;

Sitôt que l'ordonna le maître du tonnerre,

Je délaissai Turnus, et je quittai la terre ;

A vos ordres enfin j'ai souscrit malgré moi :

Sans ce respect profond dont je me fais la loi,

Vous ne me verriez pas, seule sur ces nuages,

Spectatrice immobile, endurer tant d'outrages ;

Le fer, la flamme en main, contre ce peuple errant

Vous me verriez encor combattre au premier rang.

J'ai voulu, j'en conviens, qu'à son malheureux frère

Juturne allât prêter une main tutélaire ;

Si cette nymphe osa blesser un demi-dieu,

Ce fut sans mon secours, ce fut sans mon aveu :

J'en jure par le Styx, ce fleuve inexorable,

Aux célestes pouvoirs seul pouvoir redoutable,

C'en est fait : au destin je ne résiste plus,

J'abjure dès ce jour des combats superflus ;

Mais ce que vos décrets permettent que j'espère,

Ne le refusez pas à ma juste prière,

Au nom du Latium, des rois issus de vous :

Si quelque jour l'hymen de ces nouveaux époux,

Réunissant le père, et le gendre et la fille,

Rend heureux, j'y consens, leur peuple et leur famille,

Que du moins les Latins, enfants de ces beaux lieux,

De ce nom de Troyens à mon cœur odieux

Ne soient jamais nommés ; ce nom m'est un outrage.

Qu'ils conservent leurs mœurs et gardent leur langage ;

Qu'Albe et le Latium, les rois et leurs sujets,

Leurs noms et leurs honneurs, subsistent à jamais ;

Que la race italique en conquérants féconde

Fasse de Rome un jour la maîtresse du monde,

Mais que de Troie enfin périsse jusqu'au nom. »

Jupiter souriant à l'auguste Junon :

« Vous, fille de Saturne, et ma sœur et ma femme,

Faut-il à tant de haine abandonner votre âme ?

C'en est trop, abjurez un stérile courroux ;

Je me rends, Jupiter n'est plus que votre époux :

Des Latins désormais, jugez si je vous aime,

Le langage, l'habit, le nom sera le même :

Les Troyens, adoptés par ces vastes états,

Mêlés à ce grand corps, n'y domineront pas ;

Mais je leur donnerai des dieux, des sacrifices ; 

Leurs enfants réunis sous mes heureux auspices

Seront braves, pieux, et jamais nuls mortels

N'auront de plus d'encens fait fumer vos autels. »

Junon se laisse vaincre à ce flatteur langage,

Et quitte son courroux, les airs et son nuage.

Enfin Jupiter veut, les temps en sont venus,

Que Juturne à son sort abandonne Turnus.

 

Mégère, nous dit-on, eut pour sœurs deux Furies

Que la Nuit enfanta, que l'Enfer a nourries :

Leur mère en les formant les arma toutes deux

D'une aile au vol rapide et de serpents hideux ;

Et par un triple monstre, au sein de l'ombre obscure,

Un même enfantement effraya la nature.

Deux de ces noires sœurs, les plus tristes des trois,

Au trône où Jupiter fait entendre ses lois

Veillent pour accomplir ses volontés suprêmes,

Font pâlir les mortels, font trembler les dieux mêmes.

Faut-il des nations épouvanter l'orgueil,

Là rallumer la guerre, ici porter le deuil ?

Elles partent : soudain la plus prompte d'entre elles

A la voix de son maître a déployé ses ailes ;

Et, descendue aux champs où règne Latinus,

Hideuse, court s'offrir à la sœur de Turnus ;

Autour d'elle ont frémi les airs qu'elle empoisonne ;

La Terreur la précède, et la Nuit l'environne :

Telle, invisible aux yeux, part et siffle dans l'air

La flèche dont le Parthe envenima le fer,

Et qui, d'un vol bruyant fendant la nuit obscure,

Court de ses sucs mortels infecter sa blessure.

Ainsi, traçant dans l'air son horrible sillon,

La fille de la Nuit, dans un noir tourbillon,

S'abattit sur la terre et fondit sur sa proie.

Dès qu'elle a vu les camps de Laurente et de Troie,

Elle quitte ses traits, elle emprunte le corps

De cet oiseau qui, seul sur le tombeau des morts,

Sinistre avant-coureur des grandes infortunes,

Prolonge dans la nuit ses clameurs importunes ;

Sous ces traits, de Turnus elle assiège les yeux,

Vient, revient mille fois avec un bruit affreux,

Et bat son bouclier de son aile sinistre.

Turnus d'un dieu vengeur reconnaît le ministre :

Il tremble, sa voix meurt, tous ses sens sont glacés,

Et d'horreur sur son front ses cheveux sont dressés.

A peine au bruit lointain de son aile fatale

Juturne a reconnu la déesse infernale,

Tout son corps a frémi ; dans son désordre affreux

Elle meurtrit son sein, arrache ses cheveux,

Déchire son visage : « O trop malheureux frère !

C'en est fait, le destin comble notre misère ;

Je renonce, il est temps, à d'impuissants combats :

Vois ce monstre hideux, ministre du trépas ;

Quel art de tes beaux jours peut prolonger la trame ?

Cessez, impurs oiseaux, d'épouvanter mon âme.

Quels bruits, quels sons affreux retentissent dans l'air !

Je sens, je reconnais le puissant Jupiter ;

Il parle, de mon frère il demande la vie :

Quel prix, ô dieu puissant, de ma pudeur ravie,

Et que me font à moi tes présents inhumains ?

Devais-tu du trépas me fermer les chemins,

M'imposer le fardeau d'une vie éternelle !

Eh quoi ! mon frère meurt ! et je suis immortelle !

O Turnus ! ô regrets ! ta misérable sœur

Ne peut suivre ton ombre ! hélas ! quelle douceur

Puis-je goûter sans toi ? Terre, ouvre tes abîmes,

O terre, engloutis-nous et reçois deux victimes !

Et toi, mort secourable ! ô mort ! brise mes fers,

Et plonge une déesse au gouffre des enfers ! »

Elle dit, et fuyant le malheur qui s'apprête,

D'un nuage d'azur enveloppe sa tête,

Se plonge dans le fleuve, et disparaît aux yeux.

 

Cependant de Turnus le rival furieux

Marche à lui, brandissant sa formidable lance :

« Eh bien ! Turnus, eh bien ! ta grande âme balance !

Dit-il ; te repens-tu d'un moment de valeur,

Et crois-tu de nouveau retarder ton malheur ?

Viens, ce n'est plus ici le combat de la course ;

Du courage ou de l'art épuisant la ressource,

Cache-toi dans la terre, envole-toi dans l'air ;

Je t'atteins dans les cieux, je te suis dans l'enfer :

Va, ton heure est venue, et ton trépas s'apprête.

— Barbare, dit Turnus en secouant la tête,

Cesse de m'insulter, de menacer mes jours ;

Mon destin m'épouvante, et non pas tes discours. »

Il dit, et près de lui voit une énorme pierre,

Antique monument qui, partageant la terre,

Marque des champs voisins les bords litigieux,

Et conserve aux enfants les champs de leurs aïeux ;

Douze hommes tels que ceux que notre siècle enfante,

Douze hommes fléchiraient sous sa charge pesante :

Il l'enlève, et soudain, sur ses pieds se dressant,

Sur son fier ennemi fond d'un air menaçant ;

Mais, pour mouvoir ce roc, pour en lancer la masse ;

Sa vigueur l'abandonne et sert mal son audace ;

Son cœur d'un froid mortel se sent soudain frappé ;

Il tremble, et, de ses mains mollement échappé,

Le roc, que du Troyen brave l'audace altière,

N'a pu frapper le but ni fournir la carrière.

Tel, lorsqu'appesanti par un profond sommeil

L'illusion lui rend les scènes du réveil,

L'homme en songe essayant une course impuissante

Cherche et ne trouve plus sa vigueur languissante,

Se soulève, retombe, étend en vain son bras ;

La voix manque à sa langue, et la force à ses pas :

Tel est Turnus ; ainsi, dans sa rage implacable,

Du poids de son destin la déesse l'accable ;

Il roule cent projets ; de ses sombres regards

Son œil troublé parcourt l'armée et les remparts.

Quel pouvoir opposer au sort qui le menace ?

Comment de son rival épouvanter l'audace ?

La mort est devant lui ; plus de char, plus de sœur.

L'ennemi qui longtemps suspendit sa fureur

Enfin cherche des yeux une place à sa lance ;

Il l'élève dans l'air, la dirige, la lance ;

Avec moins de fureur fondent sur les remparts

Les rochers qu'ont poussés les instruments de Mars ;

Et la foudre en éclats rend un son moins horrible.

Pareil à l'ouragan dans sa course terrible,

Le trait part, vole, atteint, perce le bouclier

Dont l'art double sept fois l'impénétrable acier,

Franchit d'un même vol la cuirasse impuissante,

Et s'enfonce en sifflant dans sa cuisse sanglante.

A ce terrible coup, de Turnus foudroyé

Sur la terre en tombant les genoux ont ployé.

De joie et de douleur mille cris se confondent,

L'Olympe en retentit, et les monts lui répondent.

Lui, faible, suppliant, soumettant son grand cœur,

De l'œil et de la main implore le vainqueur :

« Oui, j'osai t'attaquer, et j'en subis la peine ;

Jouis de ton succès et satisfais ta haine :

Loin de moi d'un pardon l'opprobre injurieux !

Mais un père autrefois était cher à tes yeux,

Le mien respire encore, épargne son vieil âge ;

Ou du moins, si tu veux m'immoler à ta rage,

Du tombeau paternel accorde-moi l'honneur.

Tu le vois, rien ne manque à ton cruel bonheur ;

Tous ont vu ma défaite, ainsi que ta victoire,

Lavinie est à toi, ne souille pas ta gloire ;

C'est peu d'être vainqueur, sois humain. » A ces mots

Le fer s'est arrêté dans la main du héros ;

Longtemps il le regarde, et déjà dans son âme

La clémence attendrit le courroux qui l'enflamme ;

Quand d'un meurtre cruel le témoin odieux,

Ce baudrier fatal si connu de ses yeux,

Qu'au malheureux Pallas, à Pallas jeune encore

Ravit en l'immolant le rival qui l'implore,

Avec ses boules d'or, son mobile ornement,

Tout à coup vient s'offrir à son ressentiment.

A peine il aperçoit cet horrible trophée ;

Réveillant dans son cœur sa colère étouffée,

Furieux, il s'écrie : « Assassin d'un enfant !

Eh quoi ! de sa dépouille à mes yeux triomphant,

Tu vivrais ! Non, cruel ! que ta mort le console ;

C'est Pallas, par ma main, c'est Pallas qui t'immole. »

Il dit, le sacrifie à ces mânes si chers,

Et son âme en courroux s'enfuit dans les enfers.


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Texte numérisé par Agnès Vinas à partir d'un exemplaire personnel et mis en ligne le 09/08/2024. Les internautes qui désirent l'emprunter sont priés d'en mentionner explicitement la provenance. Cette disposition s'applique en particulier à tous les contributeurs de Wikisource.