Livre IV, chapitre 1

Livre III, chapitre 11 Sommaire Chapitre 2

Réflexions sur le zèle des premiers chrétiens. - Deux hommes prennent une périlleuse résolution. - Les murs ont des oreilles, surtout les murs sacrés

Quiconque examine l'histoire primitive du christianisme reconnaîtra combien était nécessaire à son triomphe ce zèle fougueux qui, sans craindre aucun danger, sans faire aucune concession, inspirait ses champions et soutenait ses martyrs. Dans une religion dominante, l'esprit d'intolérance trahit sa cause ; dans une église faible et persécutée, le même esprit la soutient. Il fallait mépriser, détester, abhorrer les croyances des autres hommes, pour surmonter les tentations qu'elles présentaient ; il fallait non seulement croire que l'Evangile était la véritable foi, mais qu'elle était l'unique foi qui sauvât, afin de plier le disciple à l'austérité de sa doctrine et de l'encourager dans la chevaleresque et périlleuse entreprise de convertir les polythéistes et les païens. Cette rigueur du sectaire, qui n'accordait la vertu et le ciel qu'à un petit nombre d'élus, qui voyait des démons dans les autres dieux et le châtiment de l'enfer dans une autre religion, inspirait à tout fidèle un ardent désir de convertir chacun de ceux auxquels il était attaché par les noeuds de l'affection humaine ; et le cercle ainsi tracé par la bienveillance pour l'homme était encore élargi par l'envie de contribuer à la gloire de Dieu. C'était pour l'honneur de la foi chrétienne que le chrétien exposait hardiment ses dogmes au scepticisme des uns, aux répugnances des autres, aux mépris des philosophes, à la pieuse horreur du peuple. Sa propre intolérance devenait pour lui son premier instrument de succès ; et le païen adouci finissait par penser qu'il y avait en effet quelque chose de saint dans un zèle si étranger à son expérience, qui ne s'arrêtait devant aucun obstacle, ne redoutait aucun danger, et même dans la torture et sur l'échafaud s'en rapportait, pour une dispute bien autrement sérieuse que les calmes dissertations de la philosophie spéculative, au tribunal d'un juge éternel. C'est ainsi que la même ferveur qui faisait d'un chrétien du Moyen Age un fanatique sans pitié, faisait du chrétien des premiers âges un héros sans peur. Parmi ces natures audacieuses, entreprenantes, intrépides, se distinguait celle de l'ardent Olynthus. Dès qu'Apaecidès, par le sacrement du baptême, eut été reçu dans le sein de l'Eglise, le Nazaréen se hâta de le convaincre qu'il ne lui était plus permis de conserver l'office et le costume de prêtre d'Isis. Il ne pouvait évidemment adorer le vrai Dieu et continuer à honorer, même extérieurement, les autels idolâtres du démon.

Ce ne fut pas tout : l'esprit impétueux et zélé d'Olynthus espéra se servir de la position d'Apaecidès pour faire connaître au peuple trompé les jongleries du temple d'Isis. Il pensa que le ciel lui avait envoyé cet instrument afin de dessiller les yeux de la foule, et de préparer peut-être la voie à la conversion de toute la cité. Il n'hésita pas à faire appel au nouvel enthousiasme d'Apaecidès, à exciter son courage, à stimuler son ardeur. Le lendemain soir, après le baptême d'Apaecidès, ils se rencontrèrent dans le bosquet de Cybèle, que nous avons déjà décrit, et où ils s'étaient donné rendez-vous.

«La première fois que l'on viendra consulter l'oracle, dit Olynthus endoctrinant le jeune homme avec chaleur, avancez-vous jusqu'à la grille, proclamez hautement devant le peuple la tromperie dont il est dupe ; invitez les assistants à entrer, pour qu'ils puissent toucher du doigt eux-mêmes l'imposture, en voyant de près le grossier mécanisme que vous m'avez dépeint. Ne craignez rien : le Dieu qui a protégé Daniel vous protégera. Nous, les membres de la communauté chrétienne, nous serons dans la foule ; nous pousserons en avant les faibles ; et, dans le premier mouvement de l'indignation populaire et de la honte générale, je planterai sur les autels la branche de palmier, symbole de l'Evangile, et l'esprit du Dieu vivant descendra sur mes lèvres.»

Cette suggestion ne déplut pas à Apaecidès, déjà excité et animé à un haut degré. Il se réjouit d'une occasion si prochaine de faire éclater sa foi aux yeux de sa nouvelle secte ; une horreur profonde du rôle qu'il avait joué jusqu'alors, et un vif désir d'en tirer vengeance se joignaient encore à ses sentiments de piété. Dans cet élan qui les transportait au-delà de tous les obstacles, élan nécessaire à tous ceux qui forment des desseins élevés et aventureux, ni Olynthus ni son prosélyte ne mettaient en doute le succès, sans penser que la respectueuse superstition du peuple, en présence des autels de la grande déesse de l'Egypte, refuserait probablement de croire au témoignage de son propre prêtre déposant contre elle.

Apaecidès consentit à ce projet avec une promptitude qui ravit Olynthus. Ils se séparèrent après être convenus qu'Olynthus en conférerait avec les principaux parmi ses frères chrétiens sur cette grande entreprise ; qu'il recueillerait leurs avis et l'assurance de leur concours au jour de l'événement. Or l'une des fêtes d'Isis tombait le surlendemain même de leur entretien. Cette fête offrait l'occasion désirée ; ils résolurent de se réunir le soir suivant au même endroit et dans cette réunion ils réglèrent définitivement les détails de la déclaration qui devait avoir lieu le lendemain.

Il arriva que la dernière partie de cette conférence avait été tenue près du sacellum, ou de la petite chapelle décrite dans la première partie de cet ouvrage ; et, dès que les ombres du prêtre et du chrétien eurent disparu du bosquet, une figure sombre et sinistre sortit de derrière la chapelle.

«J'ai eu raison de vous épier, mon confrère, se dit l'écouteur, vous, prêtre d'Isis, vous ne veniez pas vous livrer à de vaine discussions avec ce mystérieux chrétien. Hélas ! combien il est regrettable que je n'aie pu entendre ce que vous avez dit ! mais j'ai compris du moins que votre intention est de révéler les mystère sacrés, et que demain vous devez vous réunir encore à cette place pour décider de l'heure et du moment. Puisse Osiris aiguiser alors mes oreilles, afin que je surprenne toute l'étendue de votre incroyable audace ! Lorsque j'en aurai appris davantage, j'irai consulter Arbacès. Nous découvrirons vos desseins, mes amis, tout impénétrables que vous croyiez être. Pour le présent, je me contente de renferme votre complot dans mon sein.»

En prononçant ces paroles, Calénus, car c'était lui, s'enveloppa dans sa robe et rentra chez lui d'un air rêveur.


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