Livre IV, chapitre 11

Chapitre 10 Sommaire Chapitre 12

Nydia joue le personnage de sorcière

Lorsque la Thessalienne s'aperçut qu'Arbacès ne revenait pas auprès d'elle, lorsqu'elle eut été livrée heure par heure à la torture de cette cruelle attente que sa cécité lui rendait encore plus intolérable, elle commença à étendre les bras afin de découvrir s'il n'y avait point d'issue à sa prison, et, quand elle eut senti qu'il n'y avait qu'une porte et qu'elle était fermée, elle se mit à pousser des cris avec toute la véhémence d'un caractère naturellement violent, qu'irritait encore l'angoisse de l'impatience.

«Holà ! jeune fille, dit l'esclave chargé de veiller sur elle en ouvrant la porte, as-tu donc été mordue par un scorpion ? ou penses-tu que le silence nous ferait mourir ici, et que, comme Jupiter enfant, nous avons besoin d'être sauvés par un épouvantable charivari ?

- Où est ton maître ? et pourquoi suis-je enfermée ici comme dans une cage ? Il me faut l'air, la liberté... Laisse-moi sortir.

- Hélas ! pauvre petite... ne connais-tu pas assez Arbacès pour savoir que sa volonté vaut un arrêt de l'empereur ? Il a ordonné que l'on te mît en cage ; tu es en cage, et je suis ton gardien. Il ne faut plus penser à l'air, à la liberté ! ... Mais tu auras à ta discrétion, ce qui vaut bien mieux... du pain et du vin.

- O Jupiter ! s'écria la jeune fille en joignant les mains, pourquoi suis-je emprisonnée ainsi ? Qu'est-ce que le grand Arbacès peut vouloir d'une pauvre créature comme moi ?

- Je n'en sais rien ; à moins que ce ne soit pour servir de compagnie à ta nouvelle maîtresse, qui a été amenée ici ce matin.

- Quoi ! Ione est ici ?

- Oui, la pauvre dame ; ce n'est pas de son gré, je présume ; cependant, par le temple de Castor ! Arbacès se montre galant vis-à-vis des femmes... Ta maîtresse est sa pupille, tu le sais.

- Peux-tu me conduire vers elle ?

- Elle est malade de fureur et de dépit... D'ailleurs, je n'ai pas d'ordres à ce sujet (1) ; et je ne prends jamais rien sur moi. Lorsque Arbacès m'a constitué gardien de cette chambre, il m'a dit : «e n'ai qu'une recommandation à te faire ; tant que tu me serviras, tu n'auras plus d'yeux et plus d'oreilles. Tu n'auras qu'une pensée, comme je n'exige de toi qu'une qualité : l'obéissance !

- Mais quel mal y a-t-il à ce que je voie Ione ?

- Je n'en sais rien ; mais si tu as besoin d'un compagnon, je m'entretiendrai avec toi, ma petite, tant que tu voudras ; car je suis assez solitaire dans mon cubiculum. A propos, tu es Thessalienne ne connaîtrais-tu pas quelque divertissement agréable de couteaux et de ciseaux, quelque joli tour pour dire la bonne aventure selon l'usage des personnes de ta race ? cela nous ferait passer le temps.

- Paix ! esclave, silence ! ou, si tu veux parler, dis-moi ce que tu sais de l'état de Glaucus.

- Ah ! mon maître est sorti pour assister au procès de l'Athénien. Mauvaise affaire pour Glaucus !

- Un procès, pourquoi ?

- Pour le meurtre du prêtre Apaecidès.

- Ah ! oui, dit Nydia en pressant ses mains sur son front, j'ai entendu parler de quelque chose comme cela, mais je n'y ai rien compris. Qui oserait toucher à un cheveu de sa tête ?

- Mais le lion, j'en ai peur.

- Dieux puissants ! quelle méchanceté sort de ta bouche !

- C'est la vérité ; s'il est déclaré coupable, le lion sera son exécuteur, à moins que ce ne soit le tigre.»

Nydia bondit comme si un trait lui eût percé le cœur ; elle jeta un cri perçant ; puis, tombant aux pieds de l'esclave, elle cria, d'un ton qui attendrit le cœur de cet homme plein de rudesse :

«Ah ! dis-moi que tu plaisantes... Tu ne peux dire la vérité ! ... Parle ! parle !

- Sur ma parole, jeune aveugle, je ne connais rien à la loi... Il en peut être autrement que je ne t'ai dit. Mais Arbacès l'accuse, et le peuple demande une victime pour l'arène... Calme-toi : qu'est-ce que le sort du Grec peut avoir de commun avec le tien ?

- N'importe, n'importe ! Il a été bon pour moi... Tu ne sais pas alors ce qu'on fera de lui ? ... Arbacès, son accusateur ! ô destin ! Le peuple... le peuple qui peut le voir... ne saurait cruel pour lui... Mais l'amour ne lui a-t-il pas été déjà fatal ? ...»

Elle laissa retomber sa tête sur son sein ; elle garda le silence des larmes inondèrent ses yeux, et tous les efforts de l'esclave ne purent la consoler, ni la distraire de sa profonde rêverie.

Lorsque les soins de ses fonctions forcèrent l'esclave à la quitter, Nydia recueillit ses pensées.

Arbacès était l'accusateur de Glaucus Arbacès l'avait emprisonnée : n'était-ce pas la preuve que sa liberté pouvait être utile à Glaucus ? Oui, elle était évidemment prise dans quelque piège ; elle allait contribuer à la perte de celui qu'elle aimait.

Comme elle aspirait à s'échapper ! Par bonheur pour ses souffrances, toute sensation de douleur s'absorba dans le désir de se sauver, et, à mesure qu'elle réfléchit à la possibilité de sa délivrance, elle devint plus calme et plus rêveuse. Elle possédait toute la ruse de son sexe, et ces dispositions s'étaient accrues encore dans l'habitude de l'esclavage. Quel esclavage a jamais été dépourvu d'artifice ? Elle résolut de tromper son gardien ; et, se rappelant tout à coup sa requête à propos de l'art thessalien qu'il lui supposait, elle espéra trouver dans ce prétexte quelque moyen de fuite. Tout le reste du jour, et pendant les longues heures de la nuit, elle médita sur ce sujet ; et le lendemain matin, en conséquence, lorsque Sosie vint la visiter, elle se hâta de faire prendre à la conversation un cours où l'esclave ne paraissait pas mieux demander que de la suivre.

Elle ne se dissimula pas que la seule chance qu'elle eût de s'échapper devait coïncider avec la nuit, et, malgré le chagrin qu'elle éprouva de ce retard, elle sentit qu'il était nécessaire de différer son entreprise jusqu'au soir.

«La nuit, lui dit-elle, est le seul moment où nous puissions déchiffrer les secrets du destin ; c'est alors que tu dois venir me trouver... Mais que désires-tu connaître ?

- Par Pollux ! Je voudrais être aussi savant que mon maître ; mais c'est un voeu trop ambitieux. Que je sache du moins si je gagnerai assez pour acheter ma liberté, ou si cet Egyptien me la donnera pour rien. Il fait parfois de ces générosités-là. Puis, au cas où cela arriverait, posséderai-je un jour parmi les myropolia (2) cette jolie petite taberna que j'ai toujours devant les yeux ? C'est un gentil métier que celui de parfumeur, et qui convient à un esclave retiré du grand monde, et qui sent encore son homme comme il faut.

- Ce sont là les questions auxquelles tu voudrais avoir des réponses précises ? Il y a plusieurs manières de te satisfaire ; d'abord la lithomancie ou divination sur la pierre parlante, qui répond à nos demandes avec une voix d'enfant ; mais nous n'avons pas ici cette précieuse pierre, très coûteuse et très rare. Il y a ensuite la gastromancie, par laquelle le démon fait voir dans l'eau des figures pâles et terribles qui prédisent l'avenir. Mais cet art réclame aussi des vases d'une certaine forme, pour contenir le liquide consacré, et nous ne les avons pas. Je pense que le meilleur moyen de satisfaire ton désir serait la magie de l'air.

- J'aime à croire, dit Sosie un peu effaré, qu'il n'y a rien d'effrayant dans cette opération ; je ne me soucie pas des apparitions.

- N'aie pas peur, tu ne verras rien. Tu entendras par le bouillonnement de l'eau si ta demande t'est accordée. Prends soin seulement de laisser la porte du jardin entrouverte, quand se lèvera l'étoile du soir, afin que le démon se trouve invité à entrer, place de l'eau et des fruits près de la porte en signe d'hospitalité ; puis, trois heures après le crépuscule, viens me voir avec une coupe remplie de l'eau la plus froide et la plus pure que tu pourras te procurer, et l'art thessalien que ma mère m'a appris s'exercera en ta faveur. N'oublie pas la porte du jardin ; tout est là. Elle doit être ouverte quand tu viendras, et même trois heures auparavant.

- Sois tranquille, reprit Sosie sans soupçons ; je sais ce qu'un homme de distinction éprouve de dépit lorsqu'on lui ferme la porte au nez, comme il m'est arrivé parfois chez le traiteur ; et je sais aussi qu'une personne aussi respectable que le démon ne peut qu'être flattée de quelque marque courtoise d'hospitalité. En attendant, ma petite Thessalienne, voici ton repas du matin.

- Et le procès ? dit-elle.

- Ah ! les avocats parlent toujours... Ils parlent, ils parlent... Cela ne finira que demain matin.

- Demain matin... En es-tu sûr ?

- On me l'a dit.

- Et Ione ?

- Par Bacchus ! elle doit être assez bien, car elle a été assez forte pour faire enrager mon maître, qui en frappait du pied et se mordait les lèvres. Je l'ai vue quitter son appartement avec un front sombre comme un ouragan.

- Loge-t-elle près d'ici ?

- Non... elle loge dans les appartements supérieurs... Mais je ne dois pas rester à bavarder ici plus longtemps. Vale


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(1)  Dans les maisons des grands, chaque appartement avait ses esclaves particuliers.

(2)  Boutiques de parfumeurs.