Livre I, chapitre 1

Préface de 1850 Sommaire Chapitre 2

Les deux élégants de Pompéi

«Hé ! Diomède, bonne rencontre ! Soupez-vous chez Glaucus, cette nuit ? »

Ainsi parlait un jeune homme de petite taille, vêtu d'une tunique aux plis lâches et efféminés, dont l'ampleur témoignait de sa noblesse non moins que de sa fatuité.

«Hélas ! non, cher Claudius : il ne m'a pas invité, répondit Diomède, homme d'une stature avantageuse et d'un âge déjà mûr. Par Pollux, c'est un mauvais tour qu'il me joue. On dit que ses soupers sont les meilleurs de Pompéi.

- Assurément, quoiqu'il n'y ait jamais assez de vin pour moi. Ce n'est pas le vieux sang grec qui coule dans ses veines, car il prétend que le vin lui rend la tête lourde le lendemain matin.

- Il doit y avoir une autre raison à cette parcimonie, dit Diomède en relevant les sourcils ; avec toutes ses imaginations et toutes ses extravagances, il n'est pas aussi riche, je suppose, qu'il affecte de l'être ; et peut-être aime-t-il mieux épargner ses amphores que son esprit.

- Raison de plus pour souper chez lui pendant que les sesterces durent encore. L'année prochaine, nous trouverons un autre Glaucus.

- J'ai ouï dire qu'il était aussi fort ami des dés.

- Ami de tous les plaisirs ; et, puisqu'il se plaît à donner des soupers, nous sommes tous de ses amis.

- Ah ! ah ! Claudius, voilà qui est bien dit. Avez-vous jamais vu mes celliers, par hasard ?

- Je ne le pense pas, mon bon Diomède.

- Alors, vous souperez avec moi quelque soir. J'ai des muraenae (1) d'une certaine valeur dans mon réservoir, et je prierai l'édile Pansa de se joindre à vous.

- Oh ! pas de cérémonie avec moi : Persicos odi apparatus ; je me contente de peu. Mais le jour décline ; je vais aux bains, et vous ?

- Je vais chez le questeur pour affaire d'Etat, ensuite au temple d'Isis. Vale.

- Fastueux, impertinent, mal élevé, murmura Claudius en voyant son compagnon s'éloigner, et en se promenant à pas lents. Il croit, en parlant de ses fêtes et de ses celliers, nous empêcher de nous souvenir qu'il est le fils d'un affranchi ; et nous l'oublierons, en effet, lorsque nous lui ferons l'honneur de lui gagner son argent au jeu : ces riches plébéiens sont une moisson pour nous autres nobles dépensiers.»

En s'entretenant ainsi avec lui-même, Claudius arriva à la voie Domitienne, qui était encombrée de passants et de chars de toute espèce, et qui déployait cette exubérance de vie et de mouvement qu'on rencontre encore de nos jours dans les rues de Naples.

Les clochettes des chars, à mesure qu'ils se croisaient avec rapidité, sonnaient joyeusement aux oreilles de Claudius, dont les sourires et les signes de tête manifestaient une intime connaissance avec les équipages les plus élégants et les plus singuliers : dans le fait, aucun oisif n'était plus connu à Pompéi.

«C'est vous, Claudius ! Comment avez-vous dormi sur votre bonne fortune ? » cria d'une voix plaisante et bien timbrée un jeune homme qui roulait dans un char bizarrement et splendidement orné : on voyait sculptés en relief, sur la surface de bronze, avec l'art toujours exquis de la Grèce, les jeux olympiques ; les deux chevaux qui traînaient le char étaient de race parthe et de la plus rare ; leur forme délicate semblait dédaigner la terre et aspirer à fendre l'air ; et cependant, à la plus légère impulsion du guide, qui se tenait derrière le jeune maître de l'équipage, ils s'arrêtaient immobiles comme s'ils étaient subitement transformés en pierre, sans vie, mais ayant l'apparence de la vie, semblables aux merveilles de Praxitèle, qui paraissaient respirer. Leur maître lui-même possédait ces belles et gracieuses lignes dont la symétrie servait de modèle aux sculpteurs d'Athènes ; son origine grecque se révélait dans ses cheveux dorés et retombant en boucles, ainsi que dans la parfaite harmonie de ses traits. Il ne portait pas la toge, qui, du temps des empereurs, avait cessé d'être le signe distinctif des Romains, et que ceux qui affichaient des prétentions à la mode regardaient comme ridicule ; mais sa tunique resplendissait des plus riches couleurs de la pourpre de Tyr, et les fibule, les agrafes au moyen desquelles elle était soutenue, étincelaient d'émeraudes. Son cou était entouré d'une chaîne d'or, qui descendait en se tordant sur la poitrine et présentait une tête de serpent ; de la bouche de ce serpent sortait un anneau en forme de cachet, du travail le plus achevé ; les manches de sa tunique étaient larges, et garnies aux poignets de franges d'or. Une ceinture brodée de dessins arabes, et de même matière que les franges, ceignait sa taille, et lui servait, en guise de poches, à retenir son mouchoir, sa bourse, son style et ses tablettes.

«Mon cher Glaucus, dit Claudius, je me réjouis de voir que votre perte au jeu n'a rien changé à votre façon d'être. En vérité, vous avez l'air d'être inspiré par Apollon ; votre figure est rayonnante de bonheur : on vous prendrait pour le gagnant, et moi pour le perdant.

- Eh ! qu'y a-t-il donc dans le gain ou dans la perte de ces viles pièces de métal qui puisse altérer notre esprit, mon cher Claudius ? Par Vénus, tant que, jeunes encore, nous pouvons orner nos cheveux de guirlandes, tant que la cithare réjouit nos oreilles avides de sons mélodieux, tant que le sourire de Lydie ou de Chloé précipite dans nos veines notre sang, prompt à s'y répandre, nous serons heureux de vivre sous ce brillant soleil, et le mauvais temps lui-même deviendra le trésorier de nos joies. Vous savez que vous soupez avec moi cette nuit ?

- Qui a jamais oublié une invitation de Glaucus ?

- Mais où allez-vous maintenant ?

- Moi ? J'avais le projet de visiter les bains, mais j'ai encore une heure devant moi.

- Alors, je vais renvoyer mon char, et marcher avec vous. Là, là, mon Phylias, ajouta-t-il, tandis que sa main caressait le cheval à côté duquel il descendait, et qui, hennissant doucement et baissant les oreilles, reconnaissait joyeusement cette courtoisie ; mon Phylias, c'est un jour de fête pour toi ! N'est-ce pas un beau cheval, ami Claudius ?

- Digne de Phébus, répliqua le noble parasite, ou digne de Glaucus.»


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(1)  Muraenae : lamproies.