Préface de 1850

Préface de 1834 Sommaire Chapitre 1

La faveur si générale que cette oeuvre a eu la bonne fortune de susciter auprès du public épargne à l'auteur toute tâche de réplique à la critique adverse. La profonde érudition d'une critique allemande qui a porté une si minutieuse attention à la vie quotidienne des Anciens a suffisamment témoigné de la fidélité globale avec laquelle les manières, les habitudes et les coutumes des habitants de Pompéi ont été décrites dans ces pages. De fait, écrivant presque sur les lieux mêmes de l'action, au milieu d'une population qui a conservé un fort air de famille avec ses ancêtres classiques, je ne pouvais guère manquer de capter quelques touches d'une vie que la seule étude livresque ne m'eût pas permis d'atteindre ; et c'est à ces avantageuses circonstances, je présume, que l'oeuvre doit une popularité plus grande que celle octroyée précédemment aux tentatives, par les savants, de susciter, à travers la fiction, quelque intérêt pour les êtres et les choses de l'Age Classique. Peut-être aussi les auteurs auxquels je fais allusion, et dont les travaux m'inspirent le plus haut respect, ne se sont-ils pas suffisamment souvenus que dans les oeuvres d'imagination la description de l'environnement, si accessoirement importante soit-elle, ne saurait prévaloir sur les éléments d'intérêt vivants : l'intrigue, le protagoniste, la passion. Et, en ressuscitant ces ombres anciennes, ils ont plus cherché à exposer leur érudition qu'à montrer des cœurs humains allant à l'amble, que ce soit sous la tunique grecque ou sous la toge romaine. C'est, de fait, en cela que se distinguent les imitateurs à formation classique de la littérature classique elle-même, - où ne manquent ni passion ni action, ni tous ces éléments plus animés de ce que nous appelons roman. Et, de fait, le roman lui-même, tel que nous le reçûmes du Moyen Age, doit beaucoup à la fable grecque : bien des aventures de chevalerie errante empruntèrent aux épreuves d'Ulysse ou aux exploits de Thésée. Et bien que Homère, pas encore restauré sur son trône au milieu des poètes, n'ait été connu de la littérature de la première chevalerie que sous une forme altérée et grotesque, le génie de la fiction gothique construisit bien des récits du merveilleux nordique sur des fragments mutilés du divin conteur. Parmi ces pertes du passé, tant à déplorer, figurent les vieilles nouvelles ou romans qui firent la renommée de Milet. Et, à juger d'après tous les autres restes de la littérature grecque, il n'est guère de doute que, pour soutenir l'attention d'un auditoire vif et impatient, les récits étaient bien ajustés avec les mêmes artifices indispensables au conteur actuel, et n'y manquèrent ni la variété des incidents, ni les surprises d'un ingénieux imaginaire, ni le contraste des personna-ges, ni, encore moins que tout, les traits d'une fine passion.

Passion qui, à l'exception modelée toutefois par les différentes habitudes nationales, est le principal objet des intérêts humains, dans la multiforme variété des fictions narratrices, des Chinois aux Arabes, des Arabes aux Scandinaves. Passion qui, en ce jour encore, anime les histoires de tant de Boccace itinérants, rassemblant autour d'eux leurs auditeurs fascinés, dans des soirées ensoleillées, aux rives des eaux siciliennes.


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