Préface de 1850 |
La faveur si générale que cette oeuvre a eu
la bonne fortune de susciter auprès du public
épargne à l'auteur toute tâche de
réplique à la critique adverse. La profonde
érudition d'une critique allemande qui a porté
une si minutieuse attention à la vie quotidienne des
Anciens a suffisamment témoigné de la
fidélité globale avec laquelle les
manières, les habitudes et les coutumes des habitants
de Pompéi ont été décrites dans
ces pages. De fait, écrivant presque sur les lieux
mêmes de l'action, au milieu d'une population qui a
conservé un fort air de famille avec ses
ancêtres classiques, je ne pouvais guère manquer
de capter quelques touches d'une vie que la seule
étude livresque ne m'eût pas permis d'atteindre ; et c'est à ces avantageuses circonstances, je
présume, que l'oeuvre doit une popularité plus
grande que celle octroyée précédemment
aux tentatives, par les savants, de susciter, à
travers la fiction, quelque intérêt pour les
êtres et les choses de l'Age Classique. Peut-être
aussi les auteurs auxquels je fais allusion, et dont les
travaux m'inspirent le plus haut respect, ne se sont-ils pas
suffisamment souvenus que dans les oeuvres d'imagination la
description de l'environnement, si accessoirement importante
soit-elle, ne saurait prévaloir sur les
éléments d'intérêt vivants :
l'intrigue, le protagoniste, la passion. Et, en ressuscitant
ces ombres anciennes, ils ont plus cherché à
exposer leur érudition qu'à montrer des cœurs
humains allant à l'amble, que ce soit sous la tunique
grecque ou sous la toge romaine. C'est, de fait, en cela que
se distinguent les imitateurs à formation classique de
la littérature classique elle-même, - où
ne manquent ni passion ni action, ni tous ces
éléments plus animés de ce que nous
appelons roman. Et, de fait, le roman lui-même,
tel que nous le reçûmes du Moyen Age, doit
beaucoup à la fable grecque : bien des aventures de
chevalerie errante empruntèrent aux épreuves
d'Ulysse ou aux exploits de Thésée. Et bien que
Homère, pas encore restauré sur son trône
au milieu des poètes, n'ait été connu de
la littérature de la première chevalerie que
sous une forme altérée et grotesque, le
génie de la fiction gothique construisit bien des
récits du merveilleux nordique sur des fragments
mutilés du divin conteur. Parmi ces pertes du
passé, tant à déplorer, figurent les
vieilles nouvelles ou romans qui firent la renommée de
Milet. Et, à juger d'après tous les autres
restes de la littérature grecque, il n'est
guère de doute que, pour soutenir l'attention d'un
auditoire vif et impatient, les récits étaient
bien ajustés avec les mêmes artifices
indispensables au conteur actuel, et n'y manquèrent ni
la variété des incidents, ni les surprises d'un
ingénieux imaginaire, ni le contraste des
personna-ges, ni, encore moins que tout, les traits d'une
fine passion.
Passion qui, à l'exception modelée toutefois
par les différentes habitudes nationales, est le
principal objet des intérêts humains, dans la
multiforme variété des fictions narratrices,
des Chinois aux Arabes, des Arabes aux Scandinaves. Passion
qui, en ce jour encore, anime les histoires de tant de
Boccace itinérants, rassemblant autour d'eux leurs
auditeurs fascinés, dans des soirées
ensoleillées, aux rives des eaux siciliennes.