Byblis, ou l'enchantement des larmes
A Jacques-Emile Blanche
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Et Amaryllis, entre les trois jeunes femmes et
les trois philosophes, conta, comme à de
petits enfants, cette allégorie fabuleuse
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«Des voyageurs que j'ai connus et qui sont
allés en Carie, ayant remonté le
Méandre plus loin qu'on n'est jamais
allé, ont vu le Dieu du fleuve endormi, au bord
des eaux ombragées par les joncs. Il avait une
longue barbe verte et son visage était
ridé comme les rocs de ses berges grises
d'où pendent des herbes pleurantes. Ses antiques
paupières semblaient mortes sur ses yeux
à jamais aveugles. Il est probable
qu'aujourd'hui, ceux qui voudraient le voir encore ne
le retrouveraient plus vivant.
Or, c'est lui qui fut le père de Byblis
s'étant uni à la nymphe Cyanée ; et voici, je vous dirai l'histoire de
l'infortunée Byblis.»
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Dans la grotte originelle d'où sourdait
mystérieusement le fleuve, la nymphe
Cyanée accoucha de deux enfants à
la fois. L'un était un fils qu'elle nomma
Caunos ; l'autre une fille et ce fut Byblis.
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Ils grandirent tous deux sur les bords du Méandre,
et parfois Cyanée leur montrait, sous la
lumière de la surface, la divine apparence de leur
père dont l'âme agitait les flots
fugitifs.
Ils ne connaissaient du monde que la forêt où
ils étaient nés. Ils n'avaient jamais vu le
soleil qu'à travers le tissu des branches. Byblis ne
quittait pas son frère et le prenait par le cou quand
ils marchaient ensemble.
Elle portait une petite tunique que sa mère lui avait
tissée dans les profondeurs du fleuve, et qui
était bleue et grise comme les premières lueurs
de l'aube. Caunos n'avait autour des reins qu'une ceinture de
roseaux d'où pendait une étoffe jaune.
Dès que le jour était assez clair pour qu'on
pût marcher dans les bois, ils s'en allaient tous deux
très loin, jouer avec des fruits tombés ou
chercher les fleurs les plus grandes, et qui avaient le
meilleur parfum. Et les trouvailles de l'un étaient
toujours pour l'autre et ils ne se disputaient pas, et
à cause de cela leur mère les vantait
près des autres nymphes ses amies.
Or, quand douze années se furent
écoulées depuis le jour de leur naissance, leur
mère se prit d'inquiétude et les suivit
quelquefois.
Les deux enfants ne jouaient plus, et quand ils avaient
vécu tout un jour dans la forêt, ils ne
rapportaient rien à la main, oiseaux ni fleurs, ni
fruits ni couronnes. Ils marchaient si près l'un de
l'autre que leurs chevelures se mêlaient. Les mains de
Byblis erraient sur les bras de son frère. Parfois
elle le baisait sur la joue : alors tous deux restaient
silencieux.
Quand la chaleur était trop forte, ils se glissaient
dans les branches basses, et là, couchés sur la
poitrine à travers la mousse odorante, ils se
parlaient et s'adoraient et ne se désenlaçaient
point.
Alors Cyanée appela son fils à l'écart
et lui dit :
«Pourquoi es-tu triste ? »
Caunos répondit :
«Je ne suis pas triste. Je l'étais autrefois, de
rire et de jouer. A présent, tout est bien
changé. Je n'ai plus besoin des jeux, mère, et
si je ne ris plus, c'est que je suis heureux.»
Et Cyanée lui demanda :
«Pourquoi es-tu heureux ? »
Et Caunos répondit :
«Je regarde Byblis.»
Et Cyanée lui demanda encore :
«Pourquoi ne regardes-tu plus la forêt ?
- Parce que les cheveux de Byblis sont plus doux que les
herbes et plus chargés de parfum ; parce que les yeux
de Byblis...»
Mais Cyanée l'arrêta :
«Enfant ! Tais-toi ! »
Et, espérant le guérir de sa passion
défendue, elle le conduisit aussitôt ches une
nymphe de la montagne, laquelle avait sept filles d'une
beauté plus merveilleuse que les mots ne sauraient
dire :
Et toutes deux lui parlèrent, s'étant
concertées :
«Choisis. Celle qui te plaira, Caunos, sera ta
femme.
Mais Caunos regarda les sept jeunes files d'un oeil aussi
indifférent que s'il eût vu sept rochers, car
l'image de Byblis seule emplissait toute sa petite âme,
et il n'y avait pas de place en lui pour une tendresse
étrangère.
Pendant un mois Cyanée ainsi conduisit son fils de
montagne en montagne et de plaine en plaine, mais sans
réussir une fois à le détourner de son
désir.
Enfin devinant qu'elle ne vaincrait jamais cette obstination
passionnée, elle se prit à haïr son fils
et à l'accuser d'infamie. Mais l'enfant ne comprenait
point ce que lui reprochait sa mère. Pourquoi, entre
toutes les femmes, venait-on lui refuser justement celle
qu'il aimait ? Pourquoi les tendresses qu'on lui eût
permises dans les bras importuns d'une autre devenaient-elles
criminelles dans les bras adorés de Byblis ? Pour
quelles mystérieuses raisons un sentiment qu'il savait
tendre et bon, capable de tous les sacrifices,
était-il jugé digne de tous les
châti-ments ? Dzeus, pensait-il, a bien
épousé sa soeur, et la Dionide Aphrodite a bien
osé tromper avec son frère Arès son
frère Héphaïstos. Car il ne savait pas
encore que les dieux seuls se sont donné une morale
intelligente, et qu'ils inquiètent la vertu par
d'incompréhensibles lois. Et Cyanée dit
à son fils :
«Je te renie pour mon enfant.»
Et elle fit signe à une centauresse qui s'en allait
vers la mer, et elle la fit enfourcher par Caunos, et la
bête rapide détala.
Quelque temps, Cyanée les suivit du regard. Caunos
effaré se retenait aux épaules et parfois il
s'engloutissait sous la monstrueuse chevelure. La centauresse
galopait par bonds allongés et puissants ; elle
s'enfuyait en droite ligne ; elle diminuait dans le lointain
vert. Bientôt ele tourna derrière un bouquet de
bois, puis reparut, mais petite comme un point qui semblait
se déplacer à peine. Et enfin Cyanée
cessa de la distinguer.
A pas lents la mère de Byblis s'en retourna vers la
forêt.
Elle était triste, fière aussi, d'avoir
sauvé par une séparation violente la
destinée de ses deux enfants ; et elle remerciait les
dieux de lui avoir donné l'énergie qui permet
d'accomplir le devoir déchirant.
«Maintenant, pensait-elle, Byblis restée seule
oubliera son frère sacrifié. Elle
s'éprendra du premier qui la saura séduire
demain, et une lignée demi-divine sortira, comme il
convient, du lit d'un mariage régulier. Bénis
soient les dieux immortels ! »
Mais, lorsqu'elle rentra dans la grotte, la petite Byblis n'y
était plus.
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Quand Byblis s'était retrouvée seule
sur le petit lit de feuilles vertes où elle
dormait, côte à côte, avec son
frère, toutes les nuits, elle avait en vain
cherché le sommeil ; les rêves, ce
soir-là, ne la visitèrent point.
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Elle sortit : la nuit était douce. Une respiration
tranquille enflait et affaissait lentement les masses
profondes de la forêt. Elle s'assit sur une pierre et
regarda l'eau couler.
«Caunos, pensait-elle, Caunos. Pourquoi n'est-il pas
rentré ? Qui l'attire et qui le retient ? Qui
l'éloigne de moi, mon père ? »
Et en disant ces derniers mots, elle se pencha sur la
source...
«Mon père ! répéta-t-elle. Mon
père ! Où est Caunos ? Révèle-moi... »
Un murmure des eaux répondit :
«Loin...»
Byblis effrayée reprit vivement :
«Et quand reviendra-t-il ? Quand reviendra-t-il ici ?
- Jamais..., répondit la source.
- Mort ! Il est mort !
- Non...
- Où le reverrai-je ? »
La source ne parlait plus. Le glissement léger du
ruisseau était redevenu monotone. Aucune apparence
divine ne vivait dans l'eau très pure.
Byblis se releva, courut. Elle connaissait le sentier par
où Caunos était parti avec sa mère.
C'était un passage étroit qui tournait d'arbre
en arbre en s'enfonçant dans la forêt. Elle ne
le prenait pas souvent, car il traversait un bas-fond qui
était infesté de serpents et de bêtes
méchantes. Cette fois, son désir fut plus fort
que sa crainte et elle marcha en tremblant, de toute la
vitesse de ses petits pieds nus.
La nuit n'était pas obscure ; mais les ombres de la
lune sont noires, et, derrière les arbres trop larges,
Byblis n'avançait qu'à tâtons.
Elle parvint à un endroit où le sentier se
séparait en deux. Quel chemin choisir et comment
savoirs ? A genoux elle chercha longtemps si une trace
pouvait la guider. La terre était sèche. Byblis
ne vit rien. Mais comme elle levait la tête, elle
aperçut, cachée dans le feuillage d'un
chêne, une hamadryade aux seins verts qui la regardait
en souriant.
«Oh ! s'écria Byblis. Par où a-t-il
passé ? Si tu l'as vu, dis-le moi...»
L'hamadryade étendit vers la droite un de ses longs
bras de branchages, et Byblis la remercia d'un regard
reconnaissant.
Elle marcha encore longtemps, cette nuit-là. Le
sentier continuait toujours, à peine distinct sous les
feuilles tombées ; il allait, sans cesse
détourné, au hasard du sol et des arbres, il
montait, il descendait, dans l'ombre, interminablement.
Enfin, épuisée de fatigue, Byblis tomba sur la
mousse et dormit.
En s'éveillant, le lendemain, sous le soleil
déjà haut, elle sentit une étrange
douceur le long de sa main étendue. Elle ouvrit les
yeux : une biche blonde la léchait avec lenteur. Mais,
au premier mouvement de Byblis, la délicate bête
sauta sur ses pattes fines et releva les deux oreilles, en
fixant tout à coup devant elle ses admirables yeux
humides, noirs et brillants comme l'eau des roches.
«Biche, dit Byblis, à qui es-tu ? Si tu es
à la déesse Artémis, guide-moi, car je
la connais. Je lui donne, à la pleine lune, des
libations de lait de chèvre et elle m'en sait
gré, biche, elle m'aime bien. Si donc tu es de son
cortège, exauce-moi dans l'angoisse où je suis,
et sache que tu ne déplairas pas à la bonne
Chasseresse de la Nuit.» La biche parut comprendre ; elle partit en avant, d'un pas assez mesuré pour que
l'enfant pût la suivre.
Toutes deux, elles traversèrent ainsi un grand espace
de forêt et même deux ruisseaux, que la biche
sauta d'un bond, mais que Byblis ne put franchir qu'en
entrant dans l'eau jusqu'aux genoux. Byblis était
pleine de confiance. Elle était sûre,
maintenant, d'être dans le bon chemin ; sans doute,
cette biche lui avait été envoyée par la
déesse elle-même, en gratitude de sa
dévotion, et l'animal divin la conduisait à
travers bois vers le frère bien-aimé qu'elle ne
quitterait plus. Chaque pas l'approchait du terme où
elle reverrait Caunos. Elle sentait déjà contre
sa poitrine l'étreinte affectueuse du fugitif. Un peu
de son haleine semblait avoir passé dans l'air et
enchanter la brise attiédie.
Soudain, la biche s'arrêta. Elle coula sa jeune
tête entre deux jeunes arbres où apparut en
même temps le profil cornu d'un cerf, et comme si elle
avait atteint le but qu'elle se proposait, elle se coucha,
les pattes sous le ventre, et posa le menton sur
l'herbe.
«Caunos ! »
Byblis appelait.
«Caunos, où es-tu ? »
Pour toute réponse, le cerf fit deux pas vers elle et
la menaça de ses terribles cornes qui se tordaient
comme dix serpents bruns. Et Byblis comprit alors que cette
biche avait été, comme elle, à la
rencontre de son amant, et qu'il est peut-être inutile
de compter sur les bons offices de ceux qu'une passion intime
absorbe déjà tout entiers.
Elle s'en retourna ; mais elle était perdue. Elle prit
un nouveau sentier qui descendait rapidement vers une
vallée invisible. Ses pauvres petits pieds las se
heurtaient aux pierres, s'accrochaient aux racines,
glissaient sur le tapis brun des fuyantes aiguilles de pins.
A un tournant du chemin irrégulier que suivait le
cours d'un ruisseau, elle s'arrêta devant un couple
divin.
C'étaient deux nymphes, d'essences différentes,
l'une d'elles présidant aux forêts et l'autre
aux eaux printanières. L'oréade avait
apporté à la naïade les fraîches
offrandes reçues des hommes, et toutes deux se
baignaient dans le courant, ondoyantes et
embrassées.
«Naïade, dit Byblis, as-tu vu le fils de
Cyanée ?
- Oui. Son ombre a passé sur moi. C'était hier,
au coucher du soleil.
- D'où venait-il ?
- Je ne sais plus.
- Où allait-il ?
- Je ne l'ai pas regardé.» Byblis poussa un long
soupir.
«Et toi, dit-elle à l'autre nymphe, as-tu vu le
fils de Cyanée ?
- Oui. Loin d'ici dans la montagne.
- D'où venait-il ?
- Je ne l'ai pas su.
- Où allait-il ?
- Je l'ai oublié.»
Puis elles reprirent, se dressant au milieu des eaux rapides
:
«Reste avec nous, jeune fille, reste. Pourquoi
songes-tu encore à celui qui n'est plus là ? Nous avons en trésor pour toi l'infini des joies
présentes. Il n'y a pas de bonheur futur qui vaille la
peine d'être poursuivi.»
Mais Byblis ne trouva point que la nymphe eût bien
parlé. Quoiqu'elle ne sût pas exprimer les
idées de sa petite âme, elle ne concevait pas
d'autre joie que de souffrir en persévérant
à la recherche du bonheur. Pendant la première
journée de son inutile voyage, elle avait
compté sur l'aide et sur le zèle des inconnus.
Quand elle les vit, insouciants de favoriser sa
destinée, elle ne compta plus que sur elle-même,
et quittant le sentier tournant, elle pénétra
au hasard dans le labyrinthe des bois.
Cependant les deux immortelles répétaient leurs
sages paroles :
«Reste avec nous, jeune fille, reste. Pourquoi
songes-tu encore à celui qui n'est plus là. Il
n'y a pas de bonheur futur qui vaille la peine d'être
poursuivi.»
Et longtemps, longtemps après, l'enfant qui gravissait
toujours la mystérieuse montagne, entendait dans le
lointain, deux voix claires ensemble appelant : «Byblis ! »
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Pendant une nuit et un jour, Byblis marcha dans la
montagne. Elle interrogea anxieusement toutes les
divinités des bois, celles des arbres, celles
des clairières et celles des antres assombris.
Elle contait sa douleur avec des confidences
interminables ; elle suppliait, elle tremblait, elle
tordait ses petites mains. Mais personne n'avait vu
Caunos.
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Elle alla si loin en montant, que le nom sacré de
sa mère n'était plus connu là où
elle passait, et les nymphes indifférentes ne savaient
pas ce qu'elle voulait dire.
Elle voulut retourner sur ses pas, mais elle-même
s'était perdue. De toute part, une colonnade confuse
de pins énormes l'entourait. Il n'y avait plus de
sentiers. Il n'y avait pas d'horizon. Elle courut dans tous
les sens. Elle appela désespérément. Il
n'y avait même plus d'écho.
Alors, comme ses paupières lasses se fermaient
d'instant en instant, elle se coucha sur la terre, et un
songe qui passait lui dit d'une voix lente :
«Tu ne le reverras plus, ton frère, tu ne le
reverras plus.»
Elle s'éveilla en sursaut.
Ses mains s'étendirent, sa bouche s'ouvrit, mais avec
une telle angoisse qu'elle n'eut pas la force de crier.
La lune s'était levée, rouge comme du sang,
derrière les hautes lignes noires des pins. Byblis la
distinguait à peine. Il lui semblait qu'un voile
humide s'était posé sur ses longs yeux. Un
silence éternel dormait dans les bois.
Et voici qu'une larme gonflée emplit le coin de son
oeil gauche.
Byblis n'avait jamais pleuré. Elle crut qu'elle allait
mourir, et soupira, comme si un soulagement divin la
secourait mystérieusement.
La larme s'accrut, trembla, s'élargit, puis soudain
coula sur la joue.
Byblis resta immobile, les yeux fixes, devant la lune.
Et voici qu'une larme gonflée emplit le coin de son
oeil droit. Elle s'élargit comme la première,
glissa sur les cils et tomba. Deux autres larmes naquirent,
deux gouttes brûlantes qui allongèrent la trace
humide de la joue. Elles atteignirent le pli de la bouche ; une amertume délicieuse enivra l'enfant
accablée.
Ainsi jamais plus sa main ne toucherait la main aimante de
Caunos. Jamais plus elle ne reverrait la lumière noire
de son regard, sa chère tête et ses jeunes
cheveux. Jamais plus ils ne dormiraient côte à
côte sur le même lit de feuilles, enlacés.
Les forêts ne savaient plus son nom.
Une explosion de désespoir fit tomber le visage de
Byblis dans ses mains ; mais une telle abondance de larmes
vint mouiller ses joues enflammées, qu'il lui sembla
qu'elle sentait une source miraculeuse entraîner toutes
ses souffrances comme des feuilles mortes sur l'eau d'un
torrent.
Les larmes naissaient doucement en elle, montaient à
ses yeux, flottaient, débordaient, glissaient en nappe
chaude sur ses joues, inondaient sa poitrine étroite,
retombaient sur ses jambes serrées. Elle ne les
sentait plus perler une à une entre ses longs cils :
c'était un ruissellement continu et doux, une
affluence intarrissable, l'effusion d'une onde
enchantée.
Cependant, réveillées par le clair de lune, les
immortelles de la forêt étaient accourues de
toutes parts. L'écorce des arbres devenue transparente
avait laissé voir la figure des nymphes, et même
les naïades frissonnantes, quittant leurs eaux et leurs
rochers, s'étaient répandues dans les
bois.
Et elles se pressaient autour de Byblis, et elles lui
parlaient, effrayées, car le cours des pleurs de
l'enfant avait tracé dans la terre une ligne sinueuse
et foncée qui gagnait lentement le chemin de la
plaine.
Mais Byblis déjà n'entendait plus rien, ni les
voix, ni les pas, ni le vent de la nuit. Son attitude
devenait peu à peu éternelle. Sa peau avait
pris sous le flot des larmes la teinte lisse et blanche qui
est celle des marbres baignés par les eaux. Le vent
n'aurait pas dérangé un de ses cheveux le long
de son bras. Elle se mourait en pierre pure. A peine une
lueur obscurcie éclairait encore sa vision. Tout
à coup elle s'éteignit ; mais les larmes plus
fraîches n'ont pas cessé de couler.
Et c'est ainsi que Byblis fut changée en
fontaine.