Chapitre 10 |
A peine entré à l'Observatoire, je devins le
collaborateur de Biot dans des recherches sur la
réfraction des gaz, jadis commencées par
Borda.
Durant ce travail, nous nous entretînmes souvent, le
célèbre académicien et moi, de
l'intérêt qu'il y aurait à reprendre en
Espagne la mesure interrompue par la mort de Méchain.
Nous soumîmes notre projet à Laplace, qui
l'accueillit avec ardeur, fit faire les fonds
nécessaires, et le Gouvernement nous confia, à
tous deux, cette mission importante.
Nous partîmes de Paris, M. Biot et moi, et le
commissaire espagnol Rodriguez, au commencement de 1806. Nous
visitâmes, chemin faisant, les stations
indiquées par Méchain ; nous fîmes
à la triangulation projetée quelques
modifications importantes, et nous nous mîmes
aussitôt à l'oeuvre.
Une direction inexacte donnée aux
réverbères établis à Iviza, sur
la montagne Campvey, rendit les observations faites sur le
continent extrêmement difficiles. La lumière du
signal de Campvey se voyait très rarement, et je fus,
pendant six mois, au Desierto de las Palmas, sans
l'apercevoir, tandis que plus tard la lumière
établie au Desierto, mais bien dirigée, se
voyait, tous les soirs, de Campvey. On concevra facilement
quel ennui devait éprouver un astronome actif et
jeune, confiné sur un pic élevé, n'ayant
pour promenade qu'un espace d'une vingtaine de mètres
carrés, et pour distraction que la conversation de
deux chartreux dont le couvent était situé au
pied de la montagne, et qui venaient en cachette enfreindre
la règle de leur ordre.
Au moment où j'écris ces lignes, vieux et
infirme, avec des jambes qui peuvent à peine me
soutenir, ma pensée se reporte involontairement sur
cette époque de ma vie où, jeune et vigoureux,
je résistais aux plus grandes fatigues et marchais
jour et nuit dans les contrées montagneuses qui
séparent les royaumes de Valence et de Catalogne du
royaume d'Aragon, pour aller rétablir nos signaux
géodésiques que les ouragans avaient
renversés.