Chapitre 11 |
J'étais à Valence vers le milieu d'octobre
1806. Un matin, de bonne heure, je vis entrer chez moi le
consul de France, tout effaré : «Voici une
triste nouvelle, me dit M. Lanusse, faites vos
préparatifs de départ ; la ville est toute en
émoi ; une déclaration de guerre contre la
France vient d'être publiée ; il paraît
que nous avons éprouvé un grand désastre
en Prusse. La reine, assure-t-on, s'est mise à la
tête de la cavalerie et de la garde royale ; une partie
de l'armée française a été
taillée en pièces ; le reste est en
complète déroute. Nos vies ne seraient pas en
sûreté si nous restions ici ; l'ambassadeur de
France à Madrid me préviendra quand un
bâtiment américain, à l'ancre au Grao de
Valence, pourra nous prendre à son bord, et moi, je
vous avertirai dès que le moment sera venu.» Ce
moment ne vint pas, car, peu de jours après, la fausse
nouvelle qui, on doit le supposer, avait dicté la
proclamation du prince de la Paix fut remplacée par le
bulletin de le bataille d'Iéna. Les gens qui d'abord
faisaient les fanfarons et menaçaient de tout
pourfendre, étaient subitement devenus d'un platitude
honteuse ; nous pouvions nous promener dans la ville,
tête levée, sans craindre désormais
d'être insultés.
Cette proclamation, dans laquelle on parle des circonstances
critiques où était la nation espagnole, des
difficultés qui entouraient ce peuple, du salut de la
patrie, des palmes et du Dieu de la victoire, d'ennemis avec
lesquels on devait en venir aux mains, ne renfermait pas le
nom de la France. On en profita, le croirait-on ? pour
soutenir qu'elle était dirigée contre le
Portugal.
Napoléon fit semblant de croire à cette
burlesque interprétation ; mais, dès ce moment,
il fut évident que l'Espagne serait tôt ou tard
obligée de rendre un compte sévère des
intentions guerroyantes qu'elle avait subitement
montrées en 1806 : ceci, sans justifier les
événements de Bayonne, les explique d'une
manière fort naturelle.