Chapitre 29

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La casemate étant devenue nécessaire aux détenteurs de la forteresse, on nous transporta dans une petite chapelle où l'on déposait pendant vingt-quatre heures les morts de l'hôpital. Là, nous étions gardés par des paysans venus, à travers la montagne, de divers villages et particulièrement de Cadaquès. Ces paysans, très empressé de raconter ce qu'ils avaient vu de curieux pendant leur campagne d'un jour, me questionnaient sur les faits et gestes de tous mes compagnons d'infortune. Je satisfaisais amplement leur curiosité, étant le seul de la troupe qui sût parler l'espagnol.

España, sus monumentos y artes
Catalunya, Piferrer/Margall (1884)

Pour capter leur bienveillance, je les questionnais moi-même longuement sur ce qu'était leur village, sur les travaux qu'on y exécutait, sur la contrebande, leur principale industrie, etc., etc. Ils répondaient à mes questions avec la loquacité ordinaire aux campagnards. Le lendemain, nos gardiens étaient remplacés par d'autres habitants du même village. «En ma qualité de marchand ambulant, dis-je à ces derniers, j'ai été jadis à Cadaquès», et me voilà leur parlant de ce que j'avais appris la veille, de tel individu, qui se livrait à la contrebande avec plus de succès que les autres, de sa belle habitation, des propriétés qu'il possédait près du village, enfin d'une foule de particularités qui ne semblaient pouvoir être connues que d'un habitant de Cadaquès. Ma plaisanterie produisit un effet inattendu. Des détails si circonstanciés, se dirent nos gardiens, ne peuvent pas être connus d'un marchand ambulant ; ce personnage que nous trouvons ici, dans une si singulière société, est certainement originaire de Cadaquès ; et le fils de l'apothicaire doit avoir à peu près son âge. Il était allé en Amérique tenter la fortune : c'est évidemment lui qui craint de se faire connaître, ayant été rencontré avec toutes ses richesses sur un bâtitnent qui se rendait en France. Le bruit grandit, prend de la consistance, et parvient aux oreilles d'une soeur de l'apothicaire, établie à Rosas. Elle accourt, croit me reconnaître et me saute au cou. Je proteste contre l'identité : «Bien joué ! me dit-elle ; le cas est grave, puisque vous avez été trouvé sur un bâtiment qui se rendait en France ; persistez toujours dans vos dénégations ; les circonstances deviendront peut-être plus favorables, et j'en profiterai pour assurer votre délivrance. En attendant, mon cher neveu, je ne vous laisserai manquer de rien.» Et, en effet, nous recevions, tous les matins, M. Berthemie et moi, un repas confortable.


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