Chapitre 7

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Au commencement de la deuxième année, je fus nommé chef de brigade. Hachette avait été professeur d'hydrographie à Collioure ; ses amis du Roussillon me recommandèrent à lui ; il m'accueillit avec beaucoup de bonté et me donna même une chambre dans son appartement. C'est là que j'eus le plaisir de faire la connaissance de Poisson, qui demeurait à côté. Tous les soirs, le grand géomètre entrait dans ma chambre, et nous passions des heures entières à nous entretenir de politique et de mathématiques, ce qui n'est pas précisément la même chose.

Dans le courant de 1804, l'Ecole fut en proie aux passions politiques, et cela, par la faute du gouvernement.

On voulut d'abord forcer les élèves à signer une adresse de félicitations sur la découverte de la conspiration dans laquelle Moreau était impliqué. Ils s'y refusèrent, en disant qu'ils n'avaient pas à se prononcer sur une cause dont la justice était saisie. Il faut, d'ailleurs, remarquer que Moreau ne s'était pas encore déshonoré en prenant du service dans l'armée russe qui vint attaquer les Français sous les murs de Dresde.

Les élèves furent invités à faire une manifestation en faveur de l'institution de la Légion d'Honneur : ils s'y refusèrent encore ; ils virent bien que la croix donnée sans enquête et sans contrôle serait, en bien des cas, la récompense de la charlatanerie et non du vrai mérite.

La transformation du gouvernement consulaire en gouvernement Impérial donna lieu, dans le sein de l'Ecole, à de très vifs débats.

Beaucoup d'élèves refusèrent de joindre leurs félicitations aux plates adulations des corps constitués.

Le général Lacuée, nommé gouverneur de l'École, rendit compte de cette opposition à l' Empereur.

«Monsieur Lacuée, s'écria Napoléon au milieu d'un groupe de courtisans qui applaudissaient de la voix et du geste, vous ne pouvez conserver à l'Ecole des élèves qui ont montré un républicanisme si ardent ; vous les renverrez.» Puis, se reprenant : «Je veux connaître auparavant leurs noms et leurs rangs de promotion.» Voyant la liste, le lendemain, il n'alla pas au delà du premier nom, qui était le premier de l'artillerie. «Je ne chasse pas les premiers de promotion, dit-il ; ah ! s'ils avalent été à la queue... M. Lacuée, restez-en là.»

Rien ne fut plus curieux que la séance dans laquelle le général Lacuée vint recevoir le serment d'obéissance des élèves. Dans le vaste amphithéâtre qui les réunissait, on ne remarquait aucune trace du recueillement que devait inspirer une telle cérémonie. La plupart, au lieu de répondre à l'appel de leurs noms : «Je le jure», s'écriaient : «Présent.»

Tout à coup, la monotonie de cette scène fut interrompue par un élève, le fils de Brissot le conventionnel, qui s'écria d'une voix de stentor : «Non, je ne prête pas serment d'obéissance à l'Empereur.» Lacuée, pâle et très peu de sang-froid, ordonna à un détachement d'élèves armés placés derrière lui, d'aller arrêter le récalcitrant. Le détachement, à la tête duquel je me trouvais, refusa d'obéir.

Brissot, s'adressant au général, avec le plus grand calme, lui dit : «Indiquez-moi le lieu où vous voulez que je me rende ; ne forcez pas les élèves à se déshonorer en mettant la main sur un camarade qui ne veut pas résister.»

Le lendemain, Brissot fut expulsé.


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