Chère bonne, vous êtes bien
impérieuse, bien despote, comment voulez-vous qu'une
plume docile inscrive ici, sur votre ordre, un récit
fidèle des vicissitudes de nos courses, puisque je
dois subir le frein qui m'est si cruellement imposé ?
Que désire le coursier numide ? Les brumeux horizons,
les steppes et le désert : prêtez-moi donc plus
de liberté, si vous voulez que je n'oublie rien des
périlleuses difficultés de cette route si
longue et si rude qu'on nous prescrit de sillonner.
Dès que nous eûmes quitté le port, un
vent très sec et très peu courtois nous tint en
éveil, et nous nous vîmes forcés de
louvoyer sous les ordres et l'oeil d'un pilote qui, routier
intelligent et fort silencieux, nous dit enfin bonsoir en vue
des côtes de Cherbourg.
Soumis comme un écolier qui redoute le fouet, je ne
puis vous dire le nom de cette lourde quille qui nous porte,
nous berce et nous torture, lorsque, depuis quelques heures
seulement, nous piétinons sur son entre-pont boueux.
Toutefois, souvenez-vous du nom d'un infortuné roi
d'Ecosse que les historiens ont jugé si diversement et
qui mourut en exil, et dès lors vous devinerez celui
que je vous dérobe (1).
Des femmes jeunes, vieilles, hideuses, jolies, rousses,
blondes, brunes, sveltes, dodues, sont près de nous,
les unes sous le joli costume de leur sexe ; les plus
timides, sous les ridicules vêtements d'homme. Eh bien
! j'éprouve une rêverie sombre et une
poétique tristesse, lorsque je les entends, le coeur
oppressé, les prunelles humides, interroger d'une
lèvre inquiète leurs voisins sur les
périls du météore qui gronde et couche
notre voiture neptunéenne sur un de ses
côtés, et secoue ses courbes solides comme si
Dieu lui eût dit : Voici le cercueil qui doit
t'engloutir.
Près de moi, voltigent, rient et trébuchent
sous le roulis vingt-cinq ou trente jeunes gens pleins de
coeur, de droiture et d'énergie, tous fils de
Lutèce, qui visent de l'oeil Monte-Rey et qui
brûlent de compter entre leurs doigts les
délicieuses pépites de ce sol
privilégié qui semble nous fuir, et que nous
sommes si désireux d'interroger.
Vous les nommer est impossible, vous les verrez un jour, et,
comme moi qu'ils chérissent en retour de mon estime
pour eux, vous leur sourirez, chère, si vous voulez
les rendre complètement heureux.
De l'or, des concerts, des voitures et des sourires, c'est
tout ce qu'ils cherchent, c'est tout ce qu'ils veulent ; tout
ce qu'ils envient... Et moi, donc !
Je ne dois point oublier qu'un de nos hommes, un de nos
meilleurs, le plus intrépide peut-être, est
tombé d'une vergue, et que tout ce que nous pouvons
lui donner en ce jour, ce sont des pleurs et des
prières... Priez comme nous... ce fut un excellent
coeur, que nous pleurerons longtemps.
Vous ne vous ferez point une idée précise de
l'ennui des courtes et rigides bordées que nous
courûmes sur les flots où se mirent les
têtes chevelues des Pyrénées, dont le
côté opposé touche le golfe de Lyon ; si
redouté des petites bicoques qu'il soulève tels
que des flocons de duvet.
Nous étions presque tous comme des étourdis,
honteux de nous être livrés nous-mêmes,
pieds et poings liés. Enfin, nous fîmes contre
fortune bon coeur, et nous courûmes vers des
régions moins élevées.
Ici notre curiosité fut souvent et vivement
réveillée : des requins, des souffleurs, des
bonites qui luttent de vitesse ; plus loin, et quelquefois
plus près, contre le bord même, des mollusques
si curieux, si singuliers, si divinement festonnés
qu'on ne peut guère dire si ce sont des poissons, des
fucus ou des bouquets de fleurs.
Les mers sont opulentes pour les géologues et les
zoologistes, chère petite ; elles offrent des
études si fécondes que je ne puis comprendre
qu'elles ne soient point sillonnées plus
souvent.
Pourquoi tenter de vous donner une esquisse de ces splendides
levers et couchers de soleil en présence desquels on
s'incline dévotement et qui enseignent une religion ?
Vous diriez que Dieu se dévoile ici environné
de tous ses sublimes prestiges ; pour eux seuls, croyez-moi,
on se félicite de s'être mis en route, et l'on
oublie que les déjeuners et les dîners sont les
moments les plus douloureux du bord. Toujours ou presque
toujours du cochon, dur non seulement comme des tiges, bien
plus encore, comme des semelles de bottes, puis du boeuf de
même étoffe, des pois ou d'ignobles
légumes privés de sel et d'huile et du biscuit
que des dents de requin... Chut ! silence ! en voici un bien
plus gros que tous ceux que nous vîmes hier, on lui
présente un émérillon, il
frétille, il court, il mord... pincé ! nous
dînerons comme des Lucullus.
Et puisqu'il est ici question de requin... Un jour, lorsque mollement étendu sur quelque dune silencieuse, vous verrez sur le flot moutonneux poindre le dos brun et lisse d'un de ces hideux écumeurs de mer, inclinez-vous, priez et dites-vous tristement : c'est le cercueil d'un fou qui n'eût point dû quitter son bourg pyrénéen, lui qui, depuis quinze hivers, ne voit plus ni le soleil ni un sourire de frère (2). |
Si je ne vous dis rien de ces deux groupes d'îles
sur les bords desquelles nous venons de glisser, c'est que
plusieurs noms propres me sont défendus (3) : vous les voyez
d'où vous êtes, gourmet émérite,
et je n'ignore point que vous fêtez en princesse les
délicieux petits verres qu'elles expédient sur
presque toutes les villes populeuses de l'Europe.
Ténériffe est une île sortie des flots
depuis bien des siècles ; elle est
célèbre et semble fière de son superbe
pic, cône terrible sur le sommet duquel vous voyez en
même temps l'hiver et ses neiges, de fougueuses
colonnes de fumée et de feux qui engloutiront un jour
les villes, les bourgs et les riches vignobles dont
s'enorgueillissent les citoyens les moins cosmopolites du
monde et les brunes fillettes de Ste-Croix que je vous
défie bien d'éviter, si vous étudiez
leur prunelle noire, si vous écoutez le soir, vers le
crépuscule, leur musique monotone et endormie.
Qu'est-ce que cette cérémonie bouffonne qui
occupe nos hommes ? Vous le devinez, chère, elle nous
divertit, elle leur procure en même temps quelques
écus, elle jette un sourire sur des lèvres
qu'une chique noire colore trop souvent ; ne soyons ni plus
ni moins bigots que ceux qui nous ont
précéd-és, et félicitons-nous de
nos économies si utiles et si bien venues,
puisqu'elles consolent l'infortune (4).
Oh ! oh ! que nous disent les lunettes ? Que nous dit le
point ? Que le deuxième tropique nous domine, le voici
: Rio et le Brésil sont sur notre droite ; plus loin,
le fleuve immense où Montevideo dresse ses clochers
pointus, ses églises splendides, ses rues si droites,
et nous présente son port si peu protecteur de nos
intérêts et de notre gloire.
Filons, filons, encore. Toutefois, si vous voulez que je
poursuive mon chemin sur ces feuilles confidentielles, je
vous en supplie, chère, donnez-moi plus de
liberté, je me répète.
Que cet horizon est brumeux, que ces ondes sont froides et
houleuses ! Nous voguons sur une mer tellement turbulente,
que vous devinez que nous piquons vers le pôle et que
nous doublons cette pointe redoutée, que
l'intrépide Horn découvrit en un jour de gloire
pour lui et d'utilité pour tous. Quel horrible tumulte
! les flots touchent le ciel, ou plutôt le ciel descend
sur les flots ; c'est solennel comme un dernier jour, comme
une dernière heure... Les voiles se déchirent,
les vergues crient, les cordes sifflent, les drômes
solides sont enlevées et tourbillonnent. Les hommes
les plus robustes sont renversés, se relèvent,
retombent brisés, mutilés, broyés...
Rien n'est debout, rien ne résiste, tout cède,
le tonnerre gronde et domine ce ténébreux
concert, vous diriez un gouffre qui s'ouvre pour nous
recevoir, vous croiriez entendre une voix terrible qui crie :
Tempête ! et vous montre le pouvoir du Dieu
suprême sous lequel tremblent les empires et mugissent
les mers... Croyons en Dieu.
Ici ont commencé les périls sérieux ; ce
fut ici que l'énergie de nous tous dut se
déployer invincible contre les bouffées
neigeuses qui, en quelques moments, encombrèrent le
pont et le montrèrent tel qu'un linceul étendu
sur les restes encore humides et froids d'une jeune vierge.
Vivent les tempêtes, lorsqu'elles ont fui, lorsqu'elles
ont porté plus loin leur colère. Le
péril n'est plus, le chemin nous est ouvert, puisqu'un
vent tout généreux nous pousse vers des
zônes plus tempérées ; nous toucherons le
but, je l'espère du moins.
Mes yeux éteints se
mouillent de pleurs, et je visite du coeur et de toutes mes
pensées le roc sombre et isolé où
vécut, où souffrit cet ingénieux, cet
intrépide Robinson-Crusoé, dont une longue
vieillesse ne peut nous déshériter (5).
Voici les Chiloé ; courez vite. Les flots
tourbillonnent trop violents sur les rochers d'huîtres
qui emprisonnent ce groupe d'îles où
pèsent d'immenses forêts, éternelle
fortune des indolents citoyens du Chili, leurs voisins.
Si nous en croyons le point, qui ne peut guère nous
induire en erreur, nous verrons bientôt cette
République, féconde entre mille, où le
commerce et l'industrie de tous les empires du monde semblent
s'être donné rendez-vous ; nous y trouverons un
consul, et je compte lui confier cette lettre pour vous.
Excusez-moi, toute bonne, si elle est si courte et si
incomplète ; vous n'en ignorez point les motifs ; je
vous l'envoie, en dépit de ce qu'elle offre de
puéril. Oh ! c'est que je crois l'écrire sur
vos genoux, et que le pupitre m'enrichit de souvenirs, doux
contrepoids des inflexibles ennuis qui nous entourent.
Visitons cette cité, courons les rues, étudions
les hommes et les moeurs. Notre consul est droit, ferme,
énergique, homme d'intelligence et de progrès,
qui prend les intérêts de tous, les
protège et mérite l'estime de quiconque
professe un culte fervent pour ses foyers. Il nous
reçoit poliment ; il n'ose guère nous
féliciter de notre course si longue et si cruellement
échelonnée de périls ; il s'empresse de
nous offrir ses secours désintéressés,
et nous le quittons comme on quitte un de ces esprits
supérieurs et privilégiés qu'on est
heureux de revoir... Nous nous reverrons très souvent
: le coeur est citoyen de l'univers, et c'est de lui seul que
nous viennent les douces et tendres émotions.
Deux motifs
m'empêchent de vous dire le nom de notre consul, deux,
ni plus, ni moins ; mordez-vous les lèvres de me voir
obéir si servilement. Tout ilotisme est coûteux
(6).
Puisque je viens de vous entretenir d'un consul, et que deux
ou trois devront peut-être encore occuper mes
souvenirs, en voici un, celui de Belgique ; son nom m'est
interdit comme celui du premier. Plein de nobles
procédés pour tous les hommes de coeur qu'il
rencontre, il vous évite l'ennui des étiquettes
; il se poste généreusement sur votre chemin,
et une heure ne s'est point écoulée, que vous
brûlez de le tutoyer comme vous le feriez d'un
frère... Le sien vous dit : Gilles et les
Porcherons ; cherchez, vous trouverez ; c'est une
mélodie (7).
Voici un comédien de mérite, un poète,
un homme qui comprend toutes les gloires ; il se nomme
O'Loghlin. Puis des coeurs de bitume, qui écrivent des
feuilles périodiques dont nous serions envieux, si
nous ne prenions une moitié de toutes les
renommées.
Le repos m'énerve... En route.
C'est un des chemins les plus pittoresques et les plus rudes,
que celui qui lie les deux cités chiliennes ; l'oeil
étonné s'y promène sur des cimes
neigeuses qui vous font grelotter, et des bosquets qui vous
enivrent. Les birloches s'y précipitent de telle
sorte, que vous vous croyez victime d'un rêve. On
monte, on prend une prise, on éternue : Dieu vous
bénisse... On est rendu.
Ici se voient un président homme de coeur, des
ministres pleins de droiture, sérieusement
occupés du bien-être d'un peuple insoucieux de
progrès, et qui ne veut pour rien déserter ses
solitudes.
Voici encore un consul
(8) ; c'est le dernier,
ou plutôt le premier, heureux du bonheur de ceux qui
l'entourent, et plus heureux encore des trésors
infinis d'une femme belle comme les plus belles, excellente
comme les meilleures, et que je vous défie de voir et
d'entendre froidement, pour peu que vous trouviez le ciel
bleu, les étoiles lumineuses, et que vous vous sentiez
touché de cette musique éternelle qui remue les
sentiments les plus généreux.
Que cette jeune fille est délicieuse ! comme son rire
est joyeux ! comme ses jolies petites menottes sont douces et
souples ! On s'incline pour presser un front de
Chérubin. Que Dieu te guide, et que mes voeux te
protègent ! Elle se nomme presque Emilie. Devinez...
Je ne me trompe, je crois, que d'une lettre.
Vive le Pérou ! nous en sommes si près, que
nous le touchons des dix doigts. Quelques Péruviennes
font ici des modes et des robes ; on les voit, on les
écoute, on les courtise... Vous êtes
subjugué.
Lutèce ne peut rien leur opposer, et nos lionnes les
plus coquettes doivent se courber en présence de ces
yeux noirs, de ces cils longs et pressés, de ces
cheveux onduleux et soyeux, de ces lèvres roses, de
ces croupes voluptueuses, de ces pieds imperceptibles, de ces
tournures qui donnent le délire et font rêver de
printemps, de poésie et de bonheur. Tenez,
chère, une Péruvienne, et puis mourir... Je me
trompe, deux Péruviennes et puis vivre...
Et sillonner encore cette mer immense, qui gronde presque
toujours comme une tigresse en fureur ! courir d'une
île vers une île, d'un rocher vers un rocher, et
diriger ses études les plus sérieuses sur les
richesses de ces zônes brûlées, où
l'existence court si prompte et si monotone !
Donc, poursuivons notre course, il est honteux de s'endormir
en chemin ; restons éveillé et
écrivons.
Tremblez, frémissez de tous vos membres, vous
êtes en ce moment entourés de chercheurs d'or,
dont le front ridé dit les tortures, dont les doigts
rugueux, dont les yeux ternes disent les profondes douleurs
et les longues insomnies.
C'est une détresse horrible et une opulence
mythologique, c'est le seuil du cimetière, ce sont les
joies des heureux de ce monde, c'est une fièvre qui
ronge, brûle et tue, c'est une soif qui
corrode...
Vous devinez où nous piétinons ? Vous voyez le
sol que nous étudions, les cônes que nous sommes
forcés de dominer... Prenons vite notre essor : Je me
heurte ici contre trop de misères.
Roulons encore : et piquons vers le Sud, puisque c'est notre
route ; toutefois, les vents d'Est nous donnent contre-ordre,
ils sont impérieux, despotes ; ils s'imposent, ils
veulent être obéis ; et nous, courbés
sous le joug, nous devenons ses ilotes.
Que m'importe cette nouvelle course, puisque le péril
me voit sourire !
Je suis ciselé pour les longues douleurs ; mes yeux,
privés de soleil, ne peuvent plus fouiller vers les
horizons ; mon univers, ce sont les ténèbres,
et je sens le besoin du bruit pour me souvenir que
j'existe.
Que le ciel s'inonde de pres-tiges ; que les flots les
reflètent comme le miroir le plus poli ; vous qui
croyez voir les brises se promener sur votre front et sur vos
muscles, qu'elles vivifient, soyez heureux ; je me
réjouis de vos ivresses.
Vers quelle terre courons-nous ? Quels sont les peuples que
nous étudierons ? Nos moeurs, nos coutumes leur
seront-elles connues ? Nous recevront-ils en ennemis, ou nous
offriront-ils, fils d'un Dieu de clémence, les fruits
de leurs forêts, les sourires de leurs femmes et de
leurs filles ?... Silence, et bénissons notre
destinée ! Un promontoire se dessine et monte ; nulle
brume ne nous le dérobe. Encore quelques heures, et
nous pourrons mouiller ! Encore quelques heures, nous nous
bercerons sur une mer bleue et limpide.
O Chinois ! que vous êtes stupides en votre orgueil ! O
Chinois ! que vous êtes impies et cruels en votre
religion ! Oui, j'en conviens, vos vêtements sont les
mêmes depuis plus de trente siècles ! Depuis
plus de trente siècles vous vous nourrissez de chiens,
de poissons, de riz et d'opium ! Depuis plus de trente
siècles vous dressez vos cités sur les fleuves
et sur vos lourdes jonques ! Depuis plus de trente
siècles vous creusez l'ivoire, vous tressez de
superbes crêpes, vous brodez de riches tuniques ! Vous
nous fermez despotiquement vos ports, et vous exercez le vol
mieux que les plus effrontés escrocs de nos
contrées européennes.
Je fouille plus loin, ô Chinois ! mes coquins ; et je
vous prête du génie, lorsque j'étudie vos
superbes et riches étoffes, si souples, si soyeuses,
et quelques-uns de vos somptueux cimetières, où
votre respect pour les morts est une religion. Je vous
vénère, lorsque je songe que nul peuple encore
n'ose s'enorgueillir de votre soumission.
Eh bien ! s'il est glorieux de respirer libre, il l'est
encore plus de progresser. Les temps cheminent, les
siècles se succèdent, ô fils
énervés de Confucius et de Foé ; suivez
leur exemple et ne vous endormez point, heureux de votre
triomphe stérile, de votre encre et de vos
mûriers qu'une seule trombe peut enlever. Vous
êtes intelligents, Chinois ; je redoute de m'être
trompé.
Soyez hommes de génie vous le pouvez. Tuez l'opium qui
vous tue. Est-ce vivre que vivre endormi ?
Le bronze fit entendre ses volées... En mer !
Voici les Moluques, îles opulentes et splendides, sol
de bitume peuplé d'hommes cruels, indomptés,
que nulle tendresse ne peut soumettre, que nulle visite
européenne ne peut civiliser.
Le dîner quotidien, sur quelques-uns de ces
îlots, est un torse nerveux dont on déchire les
fibres ; le repos, c'est celui du lion qui rêve le
meurtre ; le réveil c'est celui du tigre qui se rue
sur une proie endormie...
Je m'éloigne enfin de toutes ces superbes forêts
où se tordent les reptiles les plus venimeux,
où, sous un soleil de plomb, le crocodile se repose de
ses courses et de ses festins qui ont brisé des
membres et où les derniers soupirs des victimes n'ont
point eu d'échos...
Que les vents qui soufflent, généreux et
courtois, escortent nos voeux et que nous puissions
bientôt nous promener sous un ciel pur, sous une
zône moins rigide !
Voici Bornéo, cette île mystérieuse,
immense comme un continent, qui réveille tous nos
souvenirs historiques. Comment y pénétrer,
comment fouiller ces éternelles solitudes que le
tonnerre seul visite, que les plus intrépides n'osent
point interroger, et dont les typhons éloignent les
corvettes et les bricks les mieux construits pour les courses
périlleuses ?
Mes pensées et mes témérités de
tous les jours durent se refouler en moi ; et les vents me
secondèrent hostilement pour m'empêcher de me
reprocher une poltronnerie... ils devinrent insolents, ils
nous firent serrer toutes nos voiles et nous courûmes,
sur le foc seul, vers une mer moins tempétueuse.
Se courber lorsqu'on veut rester debout, incliner son front
lorsqu'on veut cheminer en toute liberté ! le coeur
s'indigne de cette servitude, et, je vous jure, chère,
qu'il m'en coûte énormément de me
soumettre, moi qui me suis cru toujours fort et plein
d'énergie surtout en présence d'une
colère, de quelque ennemi qu'elle me vînt.
Qu'est-ce que l'homme ? Oh ! qu'il est petit en son orgueil !
oh ! que les femmes et les mères le rendent
chétif et lilliputien !...
Les Célèbes, que nous côtoyons en ce
moment, sont un groupe d'îles d'une richesse
merveilleuse ! on ne s'y promène que sous des touffes
splendides de cocotiers où des milliers de perroquets
bleus, verts, gris, couronnés, se disent jour et nuit
leurs tendresses et leurs coquetteries.
Un nombre prodigieux de Chinois sont venus ici pour
commercer, je veux dire pour chercher des dupes… Je
vous défie d'y trouver deux honnêtes gens ; un
seul c'est possible, surtout s'il est isolé, s'il ne
voit, s'il ne fréquente personne.
Ces rusés fumeurs d'opium me sont si connus ! Je vous
les livre tels quels, vous n'en ferez rien de bon ; on ne se
modifie point en un jour, et, depuis trois mille printemps,
les Chinois sont Chinois !
Quel bonheur si nous pouvions visiter les Philippines, si
pittoresques, si opulentes, si inconnues encore ! ... Les
vents les plus discourtois nous font une rude guerre et nous
piquons vers le Sud où nous trouverons peut-être
une mer moins irritée, un ciel moins rigoureux.
Ce que le philosophe récolte de richesses
intellectuelles sur les mers sérieusement
étudiées est immense. Les sublimes
légions d'étoiles dont le ciel se couronne
lorsque le soleil couché sous l'horizon leur rend
toute leur splendeur, les flots qui courent ou se reposent
selon les volontés imprévues des vents, les
moeurs si diverses des peuples que les pieux sermons des
hommes d'un Dieu de clémence ne peuvent point conduire
vers le bien, les guerres intestines, les scènes de
deuil, les vols, les impiétés, les religions de
meurtre qui trônent encore indomptées en
dépit de notre logique et de nos efforts... toutes ces
erreurs, toutes ces tristesses, toutes ces choses, qui
doivent être puisqu'elles sont, remplissent vos heures,
vous font rêver les nuits, et ne vous permettent, le
jour, ni trêve ni repos.
Pour moi, le souvenir de Timor, celui des Fitgi, des Pleew et
de leurs ténébreuses forêts,
séjour du crocodile, celui encore de l'île de
bitume où l'on voulut un soir me rôtir, ne
peuvent éteindre mon goût inné pour les
courses périlleuses, et il me semble qu'on cloue mon
cercueil, dès qu'on me présente un siège
bien moelleux, dès qu'une douce mélodie tente
de m'emprisonner, en un mot, dès qu'on m'ordonne
l'immobilité.
Encore une fois courons le monde !
Nous sommes en
présence d'un groupe d'îles sombres, rocheuses,
sillonnées de criques profondes, où le flot se
promène en courroux, victime d'une force
indomptée. Puisque les titres de noblesse sont
biffés de nos lois et de notre République, si
jeune (écrit en 1849), je ne comprends guère
pourquoi ces îles ne reçoivent point un
prénom qui les distingue ; j'y songe en vue de
l'intérêt de ce groupe pour lequel je professe
une sincère prédilection, surtout depuis qu'on
nous écrit qu'il doit recevoir nos
déportés politiques, dont le sort excite en moi
un si vif intérêt (9). Je m'en éloigne,
toutefois, et je glisse, heureux, tout près de ces
splendides Po-Mouttous, où pèse une opulence
dont l'oeil ne peut mesurer l'étendue. On incline son
front en présence de ces richesses éternelles,
de ces fruits délicieux, de ces fleurs si diverses
dont le sol se couvre comme d'un vêtement de fête
; et, le coeur en mouvement, on voit bientôt poindre
cette île fortunée, que Cook découvrit,
qu'on nomme encore nouvelle Cythère, et d'où,
peut être , doit s'éloigner cette
épître que j'escorte de mes voeux les plus
fervents pour votre bonheur (10).
De jolies filles toujours en joie, de superbes jeunes gens
presque toujours en goguette, des évis, des citrons,
des cocos, des fruits de toute sorte, des crêtes
élevées, des torrents, des forêts
immenses, silencieuses, éternelles, des fêtes de
tous côtés, des cris, des courses, des culbutes,
des nuits pour le som-meil, des jours pour les jeux, une
ville, des prêtres, un évêque, une reine,
des ministres, une église, une seule , des prisons,
des impiétés, des soeurs religieuses, qui
prient pour tous et quêtent pour nous tous les
indulgences du ciel... c'est l'île. Que puis-je vous
dire encore du domicile que j'occupe en ce moment ? Povero !
c'est l'Hôtel-Dieu de ces contrées ; donc, un
lieu de misère, de douleur et d'espoir.
M. Bellebon trône ici, et le sourire me visite comme si
vous et moi ne nous étions point quittés.
Près de lui prient et consolent des soeurs pieuses,
indulgentes, dont les lèvres bénissent, dont
les soins opèrent plus d'une guérison, et qui
projettent en tous lieux une essence de pureté qui
enivre.
Leur mère, soeur Régis, les nomme ses filles.
Une mère de trente printemps, c'est bien jeune ; qu'en
dites-vous ? N'importe, on se courbe respectueusement
près d'elle, comme en présence d'un objet
vénéré.
C'est une musique délicieuse que celles des jeunes
filles de ce coin de terre privilégiée de Dieu,
une musique toute de poésie qui vous berce et vous
endort, une mélodie imprégnée de
tendresse, presque toujours trois notes seulement
modulées, brèves ou lentes, souvent rieuses
comme une joie, comme un doux souvenir.
Je vous défie bien, vous et vous, quelque
tiède, quelque froid que soit votre coeur, de ne point
le sentir s'émouvoir, lorsque sous votre prunelle,
sous vos doigts, vous voyez, vous touchez ces mille vierges
folles, heureuses de leur vie, pour qui le mot vice est un
mot privé de sens, et qui ne veulent point de bonheur
pour elles seules.
O mes filles rondelettes, bien rusées seront les
sveltes, blondes ou brunes européennes qui vous
détrôneront en moi ! Une religion est une chose
sérieuse.
Le Pérou, le Chili, cette dernière île
est Rio, où le coeur est si souvent en péril,
me berceront de longs souvenirs ; toutefois, bénissez
votre sort, puisque, de près comme de loin, vous
occupez mes pensées les plus intimes et me dominez
toujours.
Le brick sur lequel je poursuis mes courses se nomme le
Nessus, il est supérieurement
gréé, solidement chevillé, doublé
en cuivre ; il ne redoute point les contre-moussons et je ris
des typhons qui ont si souvent enrichi les mers... Nous
ferons donc bonne route en peu de temps... Tout est bien sur
les flots comme sur les continents.
Si les jours éteints colorent le présent,
inclinez-vous en vue de ces rochers noirs et pelés qui
se dressent non loin comme une colère céleste
et vous disent le deuil, le désespoir, mille hontes et
mille félonies qui ne peuvent être
inspirées que de l'Enfer !... C'est
Ste-Hélène.
L'île est dépoétisée, on
l'évite, on s'en éloigne comme d'une tombe
qu'on peut impunément heurter du pied. Vous prononcez
dévotement des mots et des noms
imprégnés de poudre ; vous cherchez sur ces
mornes silencieux l'ombre immense dont les siècles ne
pourront point oublier le souvenir.
Six pieds de terre seulement pour le colosse qui fit trembler
le Monde !... Quel enseignement, quelle terrible leçon
!
Un pilori, un fer rouge pour Sir Hudson Lowe, ce cousin de
Belzébuth, ce suppôt de Lucifer ! dont le nom
seul est un opprobre !
De Ste Hélène chez les Hottentots le chemin
n'est point long, j'en conviens... cinq ou six cents lieues.
Eh bien ! je vous défie d'en trouver un plus rude, un
plus périlleux, je vous défie de me montrer une
mer plus tempétueuse, des côtes plus
déchiquetées que celles que vous longez, une
zône plus turbulente, un sol plus
déshérité de verdure.
Et ce peuple, quel est-il ? sont-ce des hommes, des brutes?
ont-ils de l'intelligence ou seulement de l'instinct ?
vivent-ils comme le porc-épic, hors de leurs demeures,
ou comme le zèbre qui visite ces solitudes ?
Voyez ces huttes enfumées que le vent ne purifie
point, étudiez ces têtes privées de front
; ces yeux imperceptibles, ces prunelles
hébétées, ces lèvres
monstrueuses, ces torses informes, cet idiôme lugubre
que vous prendriez pour le hideux glouglou d'une source
boueuse, et vous verserez des pleurs de
généreuse pitié sur ces
infortunés dont les bontés de l'Etre
suprême semblent s'être exclusivement
éloignées.
Eh bien ! le Hottentot ne veut point quitter ses
misères pour les douceurs d'une colonie voisine qui
lui offre des nuits exemptes de périls, des jours
exempts de tempêtes, des vêtements protecteurs et
des sources limpides, le commerce, l'industrie, ces deux
fermes leviers du monde.
Merci, ô mon Dieu ! je ne suis point Hottentot, merci !
...
L'intérieur de cet immense continent est un
problème irrésolu ; presque tous ceux qui ont
voulu l'étudier y sont morts de misère, sous
les étreintes des fièvres les plus
pernicieuses, ou sous les flèches d'un soleil de
feu... Les Belzonni, les Boutin, les Linders, ne sont point
revenus de leur course scientifique, et personne encore ne
peut nous donner un récit fidèle de ces
solitudes profondes, de ces forêts éternelles,
où les bêtes féroces les plus cruelles,
le rhinocéros, le tigre, le lion, les serpents les
plus venimeux trônent seuls sur les bords des
rivières, sur les cimes des monts et sur les
déserts que le siroco visite périodiquement de
son souffle mortel.
Les hommes très sérieux de chez nous s'occupent
infiniment des querelles des voisins, des disputes de
cochers, des petites colères féminines qui
picotent leur vie indolente ; et, riches d'or, de jeunesse et
de virilité, ils ne veulent point de ces joies
intimes, de ces souvenirs pleins de douceur, qui colorent
toute vieillesse et consolent des douleurs et des
inquiétudes des derniers jours.
Oh ! ces hommes, voyez-vous, je les désigne sous le
nom de polypes, de choux, de légumes quelconques, ou
plutôt je ne leur donne point de nom, de peur de les
ennoblir... Tout est mouvement sur ce globe ; eux seuls sont
immobiles... pitié sur eux !...
Les fleurs, les fruits, les rivières, les fleuves, les
torrents, les mystères des solitudes, le lugubre
roulement du tonnerre, le silence plus instructif encore ;
tout devient solennel, tout vous dit les splendeurs infinies
de l'Etre Suprême ; tout vous dit que vous êtes
né pour un monde meilleur, et que votre devoir est de
récolter en celui-ci.
Lorsque sous vos pieds ne germent point les moissons, vous
êtes stupides, en vérité, de les voir
inutilement mourir loin de vous sur leurs fécondes
tiges.
Je voulus un jour d'été, comme les plus
intrépides de mes prédécesseurs, tenter
une course jusques sur les bords du Zeto, petite
rivière boueuse et peu profonde, que les
porc-épics fréquentent en troupes
écervelées...
Je dus bientôt me contenter d'une douloureuse excursion
de quelques heures ; les pluies torrentielles qui
tombèrent d'un ciel lourd et plein de colères,
imprégnèrent le sol de telle sorte qu'une boue
noire et fétide, et des monticules en forme de
cônes très pointus semblèrent me dire :
Nul ne peut cheminer plus loin... Et, presque honteux de mon
infructueuse témérité, je rejoignis mon
bord...
Voici Bourbon... Ce sont, sur les côtes, de profondes
criques où le flot court en fougueux tourbillon ; plus
loin, le sucre, le poivre, des nègres
énervés, des cônes de bitume, des cimes
neigeuses, et, plus loin encore, un sol qu'on nomme
brûlé , où ne pousse nulle
bruyère, où ne grignotte, où ne se
promène, où ne crie nul insecte.
St-Denis est privé
de port ; donc, point de sécurité pour les
quilles de cuivre les plus solidement
chevillées.
Le créole de Bourbon ou celui d'une île voisine
plus riche encore que celle-ci (11) est le type le plus
complet d'un coeur excellent : son bonheur, il le jette en
dehors pour ne point être heureux tout seul, il sourit
du sourire du voisin, il s'enivre de poésie et de
mollesse ; il ferme les yeux pour que l'existence ne glisse
point trop vite sur ses membres un peu
efféminés, et, dès que vous le voyez,
dès que vous l'entendez, vous courez vers lui pour
vous dire son frère.
Le créole d'ici dort-il ou seulement sommeille-t-il
?... Cette question est résolue. Bourbon est
l'île du repos et non du sommeil ; on se couche, on
sent courir toutes les brises sur le front, on pense, on
pense toujours, et rien ne vous énerve comme cette
perpétuelle visite de gnômes et de sylphes,
hôtes joyeux de vos demeures, et fidèle escorte
de tout promeneur sur les collines silencieuses ou
près des mornes dont le flot polit le pied
bitumineux.
Les Séchelles sont voisines de Bourbon, elles ne
m'occupent que comme un stérile échelon de mes
courses ; on glisse près d'elles, heureux que les
vents vous en éloignent.
Le brick recommence ses bordées : encore des
périls, encore des inquiétudes et de l'ennui.
Si vous pouviez comprendre, chère, combien m'est
funeste votre omnipotence, vous cesseriez de me tenir
rigueur, puisqu'elle nous prive tous deux de croquis et de
descriptions dont nous tirerions un meilleur
bénéfice.
Voyez cette presqu'île qui se dresse sur tribord et
brise le coeur... une terre désolée, veuve de
mouvement et de verdure ; des insectes souffreteux, des
rochers d'huîtres, des coquilles en débris, des
requins, un soleil de bronze pour le jour, des nuits
gelées et brumeuses.
Douze ou quinze êtres chétifs, hideux,
crépus, inintelligents, tel est le sol meurtrier
où les vents viennent de nous porter, et, près
de lui, les îles de Dorre, de Bernier, d'Edels,
où l'existence n'est possible pour personne, où
rien ne se meut, rien ne vit, d'où le flot
s'éloigne comme le firent ceux qui, les premiers, les
découvrirent et les dotèrent de leur nom
glorieux.
Une brise joyeuse et soutenue glisse sur les voiles et nous
berce d'un délicieux concert.
Nous piquons vers le Nord... Dois-je vous dire quelque chose
de Pondichéry, notre stérile et triste colonie
presque déserte ? Non, elle dessine notre
misère ; on s'en éloigne bien vite, le coeur
serré, les yeux humides, une pensée de deuil
sur le front.
Près de Pondichéry vous trouvez, sur les routes
publiques et sous des bosquets de cocotiers, des derviches en
prières et des tourneuses déguenillées
que vous décorez pompeusement, en Europe, d'un nom
tout empreint de poésie. L'oubli souvent est un
bonheur.
Voici un rocher presque nu, entouré de récifs
dont le sommet seul présente quelque teinte de verdure
et sur lequel des perroquets et des perruches de diverses
couleurs promènent leur liberté.
Ce n'est presque rien ; nous le découvrons et nous lui
imposons un nom béni... On le désigne sous
celui de Rose Freyssinet, qui fit le tour du Monde
près de nous et mourut vénéré de
nous tous, estimé de tous ceux qui l'ont connu.
Enfin, me voici en route pour le retour, et je retrouve
bientôt sous mes yeux et sous mes plus douces
pensées le Brésil, couronné de toute son
opulence.
Lorsqu'on vieillit si promptement en Europe, lorsque les
jours se succèdent, chez nous, si vides
d'émotions et de joies, ils offrent ici une
quiétude dont il vous est impossible de perdre le
souvenir.
On ne quitte plus le Brésil, si l'on s'est
promené une fois sous les dômes de verdure qui
protègent le sol contre les flèches rigides
d'un soleil de plomb.
Des cimes chevelues du cocotier, dont les couronnes flexibles
se promènent onduleuses, descend, comme un sourire du
ciel, le souffle le plus joyeux et le plus pur ; de telle
sorte que, lorsque l'horizon est en feu, lorsque les flots
pétillent, votre front ne perd rien de ses
énergiques pensées, vos muscles ne perdent rien
de leur virilité.
L'homme est toujours jeune ici, Dieu ne lui donne
guère le temps de vieillir ; et le dernier jour se
lève pour tous, privé de douleurs, exempt de
regrets...
Oh ! que ne m'est-il
permis de vous citer ici un comédien d'élite
que l'Europe eût été fière de
posséder, qui ne s'est inspiré que de
lui-même et qui possède son Schiller, son
Corneille, les chefs-d'oeuvre de nos poètes, et les
interprète si dignement, si énergiquement, que
je vous porte le défi de rester froid s'il vous
ordonne de pleurer, de trembler, de frémir !
Cet homme est une des gloires brésiliennes (12).
Puis encore, un jeune empereur, Dom Pedro II, digne en tout
du culte de ses heureux sujets, fier entre tous, noble,
généreux, philosophe, studieux,
intrépide et glorieux des trésors immenses
d'une épouse dont toutes les pensées semblent
inspirées de Dieu.
Le souvenir de St-Christophe me berce de doux rêves ;
je bénis et je m'incline respectueusement ; je
n'oublie point mes jours de bonheur.
Vive le Brésil où je veux qu'on me creuse une
tombe !
Le lieu est choisi pour mon repos éternel, tout
près du couvent de Ste-Thérèse où
rossignolent de jeunes vierges dont le coeur vibre, moins
pour Dieu qu'elles ne voient point, que pour les hommes dont
elles étudient les silhouettes promeneuses sur les
murs du cloître béni !
Soyez hors d'inquiétude ; mon front est
découronné, mes pieds n'ont plus de vigueur, et
vous ne devez rien redouter de moi qui, pour vous
obéir, ne puis même signer mon nom que comme je
l'inscris ici.
J.CQUES .R.GO.
C'est fini, l'oeuvre est complète, vous venez de
tourner les dernières feuilles. Etes-vous contente,
êtes-vous fière, êtes-vous heureuse de
votre triomphe, et me suis-je montré humble et soumis
selon votre ridicule volonté ?
Eh bien ! quels seront vos bénéfices de cette
servitude ?... De montrer que les longs et rudes hivers qui
pèsent sur mon front m'ont privé de toute
énergie. Singulier privilège, convenez-en
!
Vous êtes jeune, belle et forte ; je suis vieux et
brisé, vous pouviez, vous deviez, ce me semble,
choisir un ennemi plus digne de votre colère. Ne
souriez donc point d'orgueil, je vous en prie, vous feriez
croire que les chutes vous sont communes et que vous
êtes étonnée de votre victoire.
Perfide, je ne publie votre conquête que pour vous
humilier : trop de clémence ne corrige personne, les
femmes surtout ont besoin de plus de
sévérité que nous ; elles sont si
humblement courtisées !.., elles nous voient si
souvent les yeux humides de pleurs !
Bonsoir donc, despote, je rentre en lice sous de meilleures
conditions, je rêve, j'écris en toute
liberté, et mes livres, je l'espère, ne se
ressentiront plus de mon ilotisme.
Encore une fois, bonsoir, et pour toujours.
FIN DU RECIT
(1) Edouard |
|
(2) Jacques
Arago |
|
(3) Madère |
|
(4) Baptême
de la Ligne |
|
(5) Juan
Fernandez |
|
(6) M.
Blanchard |
|
(7) M.
Grisar |
|
(8) M.
Cazotte |
|
(9) Les
Marquises |
|
(10) Taïti |
|
(11) Ile
de France |
|
(12) Joab
Gaetano dos Santos |