1. L'édifice
    1. Le théâtre grec
    2. Le théâtre d'Asie mineure
    3. Le théâtre romain
    4. La question du logeion

  2. Les représentations
    1. Grèce
    2. Rome

Le théâtre romain

1. Origines et déreloppement du théâtre romain

Le premier genre dramatique qu'aient connu les Romains fut l'atellane, laquelle, comme l'a prouvé E. Bethe, n'est autre chose, en dernière analyse, que la farce péloponésienne, importée d'abord en Campanie et de là à Rome [Phlyakes]. Or ce fait est fort important pour l'histoire de l'édifice théâtral. Il est naturel, en effet, de croire que les phlyaques, partout où ils immigraient, apportaient avec eux l'installation sommaire qui a été décrite plus haut. C'est donc sous cet aspect tout primitif que nous devons nous figurer le plus ancien théâtre romain. D'après Tacite, il faut distinguer, dans l'histoire de l'édifice théâtral à Rome, trois périodes. A l'origine, c'est une simple estrade en bois, qu'on démolit immédiatement après la fête (scaena in tempus structa) ; quant au public, il se tient debout (stantem populum spectavisse). Dans la seconde période on ajouta à la scène des gradins, également temporaires et construits en bois (subitarii gradus). Enfin, en 55 av. J.-C., Pompée fit bâtir le premier théâtre permanent en pierre (mansuram theatri sedem). En résumé donc, à Rome comme antérieurement à Athènes, le drame était en décadence, quand l'édifice atteignit sa forme définitive. Mais quel était, à la belle époque de la tragédie et de la comédie (c'est-à-dire au cours du IIe siècle av. J.-C.), l'état matériel du théâtre latin, voilà ce qu'il importerait avant tout de savoir. Depuis Ritschl, on a fait généralement commencer la seconde des trois périodes établies par Tacite en 145 seulement, avec les jeux triomphaux donnés par Mummius, le conquérant de la Grèce. Et il fallait, en conséquence, se représenter le théâtre latin, jusqu'au delà du temps de Térence (mort en 159), comme une installation des plus rudimentaires. Pas d'autre construction qu'une estrade en bois pour les acteurs (proscaenium), fermée en arrière par une cloison sans peintures (scaena). Aucune disposition spéciale en vue de la commodité des spectateurs : ni bancs, ni gradins, mais un espace nu, simplement délimité par une barrière. Tout au plus était-il permis de supposer que la scène, pour que le spectacle fût visible à tous, était généralement établie au pied d'une colline, sur la pente de laquelle s'étageaient les curieux, debout ou assis par terre, à leur gré. Mais il semble aujourd'hui démontré que la date adoptée par Ritschl est trop basse d'au moins un demi-siècle. Le savant allemand fondait, en effet, son opinion sur le fait suivant : en l'an 155 av. J.-C., les censeurs ayant adjugé la construction d'un théâtre en pierre sur la pente du mont Palatin, un sénatus-consulte, rendu sur la proposition du consul Scipion Nasica, ordonna, pour cause de moralité publique, la démolition des travaux commencés et la vente aux enchères des matériaux. Le même décret portait, en outre, interdiction aux magistrats d'élever des gradins «dans la ville et en deçà de mille pas hors de la ville», ainsi qu'au public de s'y asseoir. A la suite de celle interdiction, le public, dit Tite-Live, dut «pendant un certain temps» (aliquamdiu) se tenir debout aux représentations dramatiques. Or de ce texte M. Fabia conclut, contrairement à Ritschl, mais, selon nous, avec raison : 1° qu'antérieurement à 155 av. J.-C., la coutume existait déjà d'établir, sinon légalement, du moins par tolérance, des gradins en bois au théâtre ; 2° que la prohibition formulée dans le sénatus-consulte constituait, par conséquent, une réaction contre l'état de choses antérieur ; 3° que cette réaction fut de courte durée. De là ressort déjà un premier résultat : c'est que le théâtre du temps de Térence (sa carrière dramatique s'étend de 166 à 160) comprenait une cavea en bois. Mais on peut légitimement, à ce qu'il semble, reporter plus haut encore cette innovation. Les comédies de Plaute, en effet, renferment maintes allusions aux gradins du théâtre (subsellia). Tant que l'opinion de Ritschl a fait loi, il fallait bien considérer tous ces passages comme des remaniements postérieurs. Mais cette prévention une fois écartée, les témoignages contenus dans l'oeuvre de Plaute reprennent toute leur valeur. Et, par suite, on peut fixer aux environs de l'an 200 av. J.-C. l'installalion de la première cavea en bois. Quoi qu'il en soit, c'est l'hostilité systématique du Sénat à l'égard de toutes les importations grecques qui explique la lenteur des progrès matériels du théâtre latin. Bien avant Pompée nombre de tentatives avaient été faites pour établir à Rogne un théâtre aménagé à la grecque. C'est ainsi qu'en 179 le censeur M. Aemilius Lepidus édifia, au Cirque Flaminius, pour les jeux Apollinaires, un theatrum et un proscaenium ; mais cette construction fut bientôt démolie. Cinq ans après, les censeurs firent bâtir une scène de pierre, destinée aux jeux que donneraient les édiles et les préteurs ; peut-être cette scène subsista-t-elle, auquel cas elle eût constitué pour les magistrats, donateurs de jeux, un allégement de dépenses très sensible. En 155 se place la tentative réprimée par Scipion Nasica. En 145 le vainqueur de la Grèce, Mummius, érigea pour la première fois à Rome un théâtre complet en bois, construit à la grecque, mais qui fut démoli après les jeux. Bien d'autres essais du même genre ont dû se produire, dont le souvenir ne s'est pas perpétué. Enfin, en l'an 53 av. J.-C., Pompée dota Rome de son premier théâtre permanent en pierre. Deux autres théâtres en pierre furent édifiés en l'an 13 av. J.-C., l'un par Cornélius Balbus, l'autre par Auguste : du second, connu sous le nom de théâtre de Marcellus, les ruines subsistent encore.

Rome n'a jamais connu d'autres théâtres permanents. Jusque sous l'Empire on continua, d'ailleurs, à construire des édifices temporaires en bois pour les fêtes publiques en divers quartiers de la ville.

Le plus ancien théâtre romain en pierre, celui de Pompée, était, nous apprend Plutarque, une copie, mais sur une plus grande échelle et avec plus de luxe, du théâtre de Mitylène dont Pompée, qui l'avait beaucoup admiré, avait fait tout exprès lever le plan. Mais auquel des deux types, hellénistique ou asiatique, se rattachait le théâtre de Mitylène ? Nous l'ignorons. Du reste, il est peu vraisemblable que le théâtre de Pompée fût la reproduction servile de l'original. Nous avons vu en effet, d'une part, que la première installation scénique qu'aient connue les Romains était le théâtre osque des phlyaques. Or ce théâtre, comme le prouvent les peintures de vases, avait un logéion bas (1 mètre environ), accessible en avant par un escalier. Comme ce double caractère, logeion bas et escalier, se retrouve dans le théâtre romain, il est à croire qu'il y avait là une tradition établie que l'architecte du théâtre de Pompée dut respecter. Mais il est une autre habitude romaine, dont il lui fallut également tenir compte. La loi avait attribué aux sénateurs des sièges d'honneur dans l'orchestra. Devenant dès lors le lieu unique du spectacle, le logéion devait être considérablement élargi. Et nous voyons en effet, dans le diagramme de Vitruve, que le bord antérieur du logeion coïncide avec le diamètre de l'orchestra. En résumé donc, le théâtre latin est, essentiellement, une combinaison, à proportions très inégales toutefois, du théâtre osque et du théâtre grec d'Asie Mineure. Quant aux autres caractères qui ne dérivent pas de cette double origine, ils s'expliquent, soit par des besoins nouveaux, soit par le goût, naturel aux Romains, du fastueux et de l'énorme.

2. Le théâtre de Pompéi

Entre les théâtres de type asiatique et ceux de type romain la transition est établie par un certain nombre d'édifices qui, participant des deux à la fois, né sauraient être rangés avec sûreté dans l'un plutôt que dans l'autre. Tel est, par exemple, le théâtre d'Aspendos, bâti, semble-t-il, vers le milieu du IIe siècle ap.J.-C. Si sa cavea et son orchestra n'excédaient un demi-cercle, s'il n'était appuyé au flanc d'une colline, si son premier gradin n'était exhaussé sensiblement au-dessus de l'orchestra, il apparaîtrait par tous ses autres caractères, en particulier par sa richesse décorative et sculpturale, comme un magnifique exemplaire du théâtre romain.

Entre beaucoup d'édifices plus vastes et plus imposants (exemple : Orange), nous décrirons ici le théâtre de Pompéi, parce que ses dispositions principales se lisent encore très clairement. Il offre, en outre, cette particularité intéressante d'avoir été bâti au temps de l'indépendance osque et romanisé ensuite sous Auguste. Le théâtre de Pompéi est adossé, du moins en partie, à la pente de l'acropole.

Pour supporter les gradins supérieurs, qui dépassent la hauteur de la plate-forme formée par le sommet de la colline, on a dû bâtir une galerie voûtée (crypta). Contrairement aux habitudes romaines, la cavea constitue plus d'un demi-cercle : sa courbe, régulière à l'ouest, se continue à l'est par une tangente. Elle est divisée en trois étages. L'étage inférieur, qui n'a pas d'escaliers rayonnants, ne comprend que quatre gradins continus, très différents des autres : beaucoup plus larges et moitié plus bas, ils portaient sans doute les sièges d'honneur (bisellia) des grands personnages, principalement des décurions. Autour de cet étage courait la praecinctio, simple gradin plus élevé et plus spacieux que les autres, bordé en avant par un petit parapet de marbre qu'interrompaient trois escaliers de trois marches chacun. Divisé en sept cunei par 6 escaliers, le deuxième étage comprend 20 gradins de marbre, larges de 11 m. 39, dont les plus bas étaient sans doute, selon l'usage romain, réservés aux chevaliers. Au milieu du premier degré se dressait la statue, dédiée par les décurions à M. Holconius Rufus, l'un des restaurateurs du théâtre. Au-dessus de ce second étage s'élève le mur vertical de la galerie voûtée, percé de 6 portes, correspondant chacune à l'un des 6 escaliers. L'étage supérieur, établi sur cette crypte, ne comptait, à ce qu'il semble, que 4 gradins ; il était entouré, à son sommet, d'une galerie, probablement à deux étages, reposant sur des arcs, à laquelle on accédait du dehors par 3 escaliers. Les voies d'accès à la cavea étaient multiples. On arrivait au premier étage par l'orchestra et ses parodoi. Les spectateurs de l'étage intermédiaire avaient le choix entre deux entrées : ou bien, après avoir pénétré de l'extérieur dans la crypte par 3 portes, ils débouchaient intérieurement par les 6 vomitoria dont nous avons parlé ; ou bien ils entraient par les parodoi, où s'offrait à eux un escalier menant à la praecinctio. Quant au dernier étage, on ne peut douter qu'il ne fût mis en communication avec la galerie supérieure par des vomitoria. Sous les ailes de la cavea, à leur point de jonction avec la scène, s'ouvrent des passages voûtés servant d'entrées à l'orchestra : ils supportent deux loges d'avant-scène (tribunalia).

L'orchestra, qui était probablement occupée, au moins en partie, par des sièges d'honneur, forme un demi-cercle, prolongé par deux tangentes. Elle est accessible par les deux parodoi voûtées, dont il vient d'être question. Son aire est pavée de plaques de marbre. Deux petits escaliers de 5 marches chacun, à droite et à gauche, la relient à la scène ou logeion. La scène n'a qu'un mètre environ de hauteur, 6 m. 6O de profondeur et 33 mètres de longueur. Le plancher en bois qui la recouvrait a disparu, mais les trous destinés à recevoir les poutres qui le supportaient se voyaient naguère encore dans la frons scaenae. Dans le mur antérieur du proscaenium se creusent des niches, qui étaient probablement occupées par des statues. Entre ledit mur et un autre mur parallèle, situé en arrière, s'allonge un espace vide, creusé un peu au-dessous du niveau de l'orchestra : c'est dans cette cavité que venait, à ce qu'on suppose, se dissimuler le rideau. Des couloirs latéraux mettent la scène en communication avec l'extérieur. - La frons scaenae, construite en briques primitivement revêtues de marbre, était décorée de piédestaux, de colonnes et de niches. Elle a 3 portes, précédées chacune de deux marches ; celle du milieu occupe comme à Orange, Arles, Herculanum, Aizani, Sagonte, le fond d'un renfoncement semi-circulaire.

Quant à la facade extérieure du bâtiment de la scène, elle offre également trois portes ; mais les deux latérales avaient été déjà murées dans l'antiquité. A quelque distance du théâtre, derrière la scène, s'élevait un vaste portique carré (qui fut, à une certaine époque, utilisé comme caserne pour les gladiateurs). A l'ouest du théâtre s'étendait l'une des places de la ville, le forum triangulare, bordé de portiques. A l'est était un second théâtre couvert, ou odéon, de dimensions plus petites. Toutes ces constructions pouvaient fournir un abri au public, en cas de mauvais temps. D'autres dispositions avaient été prises en vue du bien-être et de la commodité des spectateurs. En haut du mur qui domine la summa cavea, on voit une série de pierres en saillie, percées d'une ouverture : dans ces anneaux de pierre s'engageaient les hauts mâts auxquels on fixait les cordages du voile destiné à tempérer l'ardeur du soleil. A l'angle nord-ouest du théâtre, là où le niveau du sol est le plus élevé, se remarque une tour, haute de 4 mètres et large de 6 m. 70 ; elle servait, semble-t-il, de réservoir et fournissait l'eau que, pendant les grandes chaleurs, on répandait sur l'assistance en vapeurs parfumées. Sparsiones, vela erunt, disent les affiches annonçant les jeux. Enfin, sous l'un des escaliers qui, du dehors, montent à la galerie supérieure, se dissimulent des latrinae ; deux autres locaux du même genre se trouvent aussi dans le voisinage.

3. Caractères propres du théâtre romain

L'ensemble des caractères qui constituent le théâtre de type romain peut se résumer ainsi :

  1. La figure de la cavea, de même que celle de l'orchestra, y forme exactement un demi-cercle.

  2. La scène ne dépasse pas en moyenne 1 m. 50 de hauteur ; mais elle est, en revanche très large (13 m. 20 à Orange)

  3. Un escalier (parfois deux), disposé sur le devant, de la scène, la met en communication avec l'orchestra (Athènes, Magnésie du Méandre, Herculanum, Pompéi, Tusculum, Faleria).

  4. La scène élargie obstruait, nous l'avons vu, les anciennes parodoi. Les Romains furent ainsi amenés à y substituer des passages voûtés, ou vomitoires, qui furent pratiqués de chaque côté sous le cuneus le plus rapproché de la scène. Pour cela on entailla les gradins du bas jusqu'à la hauteur nécessaire ; quant à ceux du haut, ou bien ils subsistèrent, ou bien à leur place on établit, au-dessus de chaque vomitoire, des loges d'avant-scène (tribunalia), destinées aux autorités.

  5. Du même coup il devint possible de relier à la cavea les ailes de la scène : et ainsi l'édifice, qui chez les Grecs se composait de deux parties indépendantes, acquit une véritable unité architectonique.

  6. De plus en plus s'étendit l'usage de construire les théâtres non sur le versant d'une colline, mais en terrain plat. Il fallait dès lors, pour supporter la masse des gradins, de puissantes substructions voûtées. Sous celles-ci on établit des escaliers qui, de l'extérieur, aboutissaient aux portes pratiquées dans les murs verticaux de clôture des precinctions, et conduisaient aux divers étages de la cavea.

  7. Au même goût de la grandeur et du faste répond le luxe croissant de l'ornementation architecturale. Non seulement on décore plus richement encore la frons scaenae, qui a parfois trois ordres superposés (Orange), et la facade externe de la scène mais même le mur externe de la cavea. Des rangées de colonnes et de pilastres d'ordres différents, interrompues par des fenêtres et des portes aveugles, et surmontées de riches entablements, y forment plusieurs étages : tout au haut règne intérieurement une galerie circulaire (Orange, théâtre de Marcellus).

Article d'Octave Navarre