1. L'édifice
    1. Le théâtre grec
    2. Le théâtre d'Asie mineure
    3. Le théâtre romain
    4. La question du logeion

  2. Les représentations
    1. Grèce
    2. Rome

Les représentations à Rome

A Rome même, les jeux scéniques, bien qu'ils eussent perdu tout lien avec le culte de Bacchus, ne se laïcisèrent point complètement. Ils ne se produisaient guère, en effet, que dans les fêtes en l'honneur des dieux. Celles-ci peuvent se diviser en fêtes annuelles et fêtes extraordinaires.

Les premières étaient au nombre de sept : 1° Les ludi Romani, magni, maximi (septembre). Les spectacles scéniques y avaient été importés d'Etrurie, en 364, sous forme de pantomimes. En 240 la tragédie et la comédie grecques y firent leur apparition, avec Livius Andronicus. C'est là qu'en 161 fut représenté le Phormion de Térence. 2° Les ludi plebeii (novembre). Presque dès leur création (vers 220) on y donna des pièces de théâtre ; c'est ce qui résulte de la didascalie du Stichus de Plaute, joué en 200. 3° Les ludi Ceriales (avril). Nous n'y trouvons aucune mention de jeux scéniques avant la période impériale. 4° Les ludi Apollinares (juillet). Dès son origine (212) cette fête fut tout entière scénique. 5° Les ludi Megalenses (avril). Les jeux scéniques y prirent place régulièrement à partir de 194. 6° Les ludi florales (avril). Les spectacles scéniques y consistaient, à ce qu'il semble, exclusivement en mimes. 7° Les ludi Palatini (janvier). C'était une fête privée de la maison impériale en l'honneur du numen Augusti, à laquelle n'étaient conviés que des personnages de très haut rang.

Parmi les fêtes extraordinaires on peut citer principalement les suivantes : 1° Les jeux votifs, voués aux dieux, par exemple avant, ou pendant une guerre. Il n'est pas prouvé que les spectacles scéniques y aient été admis avant l'empire. 2° Les jeux dédicatoires, par exemple à l'occasion de la consécration d'un théâtre. 3° Les jeux triomphaux ; c'est aux jeux triomphaux d'Actium que fut représenté le Thyeste de Marius. 4° Les jeux séculaires, dont les représentations théâtrales faisaient le principal ornement. 5° Les jeux funèbres, qui consistaient uniquement en ces représentations. C'est aux jeux funèbres de Paul-Emile, célébrés en 160 avant J.-C., que furent joués les Adelphes de Térence.

Il est très malaisé de déterminer la durée des spectacles scéniques dans l'ensemble de chacune de ces fêtes. A l'origine, les jeux du cirque, courses de chars et de chevaux, avaient constitué exclusivement le programme de toutes les fêtes romaines. Lorsque les jeux dramatiques vinrent s'y adjoindre, le programme fut généralement scindé en deux parties, la première attribuée à ces spectacles nouveaux, la seconde aux jeux du cirque. La durée totale de toutes ces fêtes a, du reste, énormément varié selon les temps. Après n'avoir, à l'origine, occupé qu'un jour, la plupart atteignirent ensuite progressivement une, ou même deux semaines. Sous l'empire les spectacles scéniques prenaient, aux jeux palatins trois journées, aux jeux séculaires une journée sur trois.

Dans les spectacles privés, c'était naturellement le donateur qui exerçait la présidence. Aux magistrats revenait celle des spectacles officiels. Les fêtes extraordinaires étaient présidées par les consuls ; les fêtes annuelles (à l'exception toutefois des jeux Apollinaires qui regardaient le préteur urbain) par les édiles curules ou plébéiens. Telle fut, du moins, l'organisation en vigueur jusqu'en l'an 22 av. J.-C. Mais, à cette date, Auguste transporta aux préteurs la direction de tous les jeux annuels. La présidence des jeux était généralement une fonction des plus onéreuses. Il fallait non seulement acheter la pièce, rétribuer la troupe d'acteurs, fournir les décors et peut-être les costumes, faire les frais des prix et des récompenses, mais encore, avant la construction des théâtres en pierre, élever pour la circonstance un édifice temporaire en bois. En ce qui concerne cette dernière obligation, rappelons, comme il a été dit plus haut, qu'elle subsista dans bien des cas, même après l'érection des théâtres en pierre. Pour subvenir à tant de charges l'allocation octroyée par l'Etat était très insuffisante, et cela d'autant plus que les donateurs de jeux, dans un but de popularité, luttaient de prodigalité intéressée. Souvent on s'endettait, parfois même on se ruinait, quitte à se dédommager largement ensuite par des extorsions dans les provinces. Le mal sévit surtout durant les deux derniers siècles de la république. Il continua, bien qu'en de moindres proportions, sous l'empire. Ce qui le modéra, ce furent bien moins les prescriptions restrictives des empereurs que la défaveur progressive des jeux scéniques au profit des combats de gladiateurs.

Aux chefs de troupes (dominus gregis) revenait, à Rome, le principal rôle dans l'organisation des spectacles scéniques. Ils étaient, en fait, de véritables entrepreneurs de spectacles. C'est à l'un deux que s'adressait le donateur de jeux, pour le choix et l'achat de la pièce. Le chef de troupe surveillait en outre les répétitions, cumulant ainsi les fonctions de directeur, d'acteur principal, de régisseur. Pour plus de détails voyez Histrio. Bien moindre était l'importance du poète (scriba). Il ne fournissait que le texte. Quant à la musique et à la danse, elles n'étaient pas son oeuvre, mais celle d'un compositeur spécial (modos facere, modulari). C'est, ainsi que, d'après les didascalies, Plaute eut recours, pour la partie musicale de ses oeuvres, aux talents de Marcipor, esclave d'Oppius, Térence à ceux de Flaccus, esclave de Claudius. Le poète n'était pas davantage, nous venons de le voir, régisseur. Tout au plus peut-on croire, d'après une allusion du prologue de l'Héautontimorouménos, qu'il intervenait dans la distribution des rôles. Soucieux avant tout du succès, la plupart des directeurs se préoccupaient beaucoup plus, dans le choix des pièces, des goûts du public que de la valeur littéraire des oeuvres. Ils avaient également un faible, nous dit Cicéron, pour celles qui étaient de de nature à mettre en relief leur talent d'acteur. Quelquefois cependant des personnes compétentes étaient consultées. Au temps de Cicéron, Sp. Maecius Tarpa exerçait, plus ou moins officiellement, la fonction de censeur ou critique des ouvrages dramatiques. Déjà Térence, lorsqu'il avait voulu faire jouer son Andrienne, avait été renvoyé pour examen à un connaisseur, le vieux poète Caecilius Nous n'avons aucune indication précise sur les honoraires touchés par les poètes. C'était, du reste, ce salaire qui nuisait à leur considération, toute profession mercenaire passant, aux yeux des Romains, pour déshonorante. Ainsi s'explique que, pendant la période la plus florissante du théâtre latin, les auteurs aient été presque exclusivement des étrangers ou des affranchis : Livius Andronicus, Ennius, Plaute, Térence. Sur les concours entre acteurs (et peut-être entre poètes), ainsi que sur les prix et les récompenses qui leur étaient attribués, voir Histrio. Les représentations dramatiques à Rome n'étaient, dans leur ensemble, qu'une copie des représentations grecques. Nous renverrons donc, sur ce point, le lecteur aux articles spéciaux déjà signalés plus haut (Canticum, Comoedia, Cothurnus, Histrio, Machina, Musica, Persona, Saltatio]. Dans la plupart de ces articles une section est consacrée au théâtre latin et spécifie les points par où il diffère du théâtre grec. En ce qui concerne spécialement la décoration théâtrale, nous ajouterons cependant qu'elle fut longtemps, à Rome, d'une simplicité toute rudimentaire. Dans les anciens théâtres de bois, il semble que le fond de la scène ait été formé à l'origine par une cloison unie et sans aucune peinture (vacuae pictura tabulae). C'est en 99 av. J.-C. qu'on vit pour la première fois un décor peint, dans le théâtre construit par Claudius Pulcher, édile. Le premier rideau avait été fourni une trentaine d'années auparavant par la succession du roi Attale (133 av. J.-C.) A partir de cette époque, le théâtre latin non seulement imite le théâtre grec, mais le dépasse infiniment en luxe et en magnificence.

C'est ainsi que nous trouvons mentionnées, au premier siècle avantJ.-C., des scènes toutes d'argent, ou d'ivoire, ou d'or. Enfin, en 58, l'édile Scaurus fit bâtir un théâtre composé de trois étages, ornés de revêtements de marbre, de verre et d'or, et qui ne contenait pas moins de 360 colonnes et de 3000 statues. Sur les changements à vue et les prestiges mécaniques qui complétaient la décoration théâtrale, voir Machina.

A l'époque de Plaute et de Térence les représentations se donnaient de grand matin. Un certain temps avant la fête, une proclamation générale de tous les spectacles dont elle se composerait avait été faite à travers la ville par la voix du héraut. Sous l'empire, cette annonce avait lieu même par voie d'affiches. Mais, de plus, une annonce particulière (pronuntiatio tituli) précédait, au théâtre, la représentation de chaque pièce. Elle était faite par le praeco, ou par le directeur de la troupe, ou par le prologus. Le public y apprenait le titre de la pièce, le nom de l'auteur, ou, quand la pièce était une adaptation du grec, les noms des deux auteurs grec et latin. Quand le drame était inédit, on ne manquait pas de le dire et de s'en faire un mérite.

Les jeux scéniques, à Rome, étaient accessibles gratuitement à l'ensemble des citoyens, y compris les femmes et les enfants. Les esclaves même, bien que légalement exclus, y étaient tolérés. En revanche, les étrangers n'y avaient point droit d'entrée, à l'exception naturellement des ambassadeurs et des hôtes de marque invités aux jeux par l'Etat. Au théâtre, comme au cirque, le peuple était réparti par tribus. A partir de 194 av. J.-C., sur la proposition de Scipion l'Africain, les premières rangées de la cavea furent spécialement affectées aux sénateurs : privilège qui excita parmi le peuple une vive irritation. Plus tard, dans les théâtres à la grecque, les places des sénateurs furent transportées dans l'orchestra. Les chevaliers, à leur tour, c'est-à-dire les personnes possédant une fortune supérieure à 400000 sesterces, recurent des places d'honneur : les 14 premiers gradins leur furent assignés (peut-être par Caius Gracchus, vers 123 av. J.-C.). A une époque indéterminée, probablement sous Sylla, cette faveur avait dit leur être enlevée : car la lex Roscia (67 av. J.-C.) leur rendit (restituit) ces sièges. Enfin Auguste, par la lex Julia theatralis, modifia la lex Roscia, en s'inspirant peut-ètre des règlements du théâtre attique, mais plus sûrement de préoccupations somptuaires et morales. Cette nouvelle loi confirmait les privilèges des sénateurs et des chevaliers. Elle attribuait le milieu de la cavea aux citoyens et rejetait au haut le bas peuple (pullati). Elle reléguait dans une section spéciale, également au haut de la cavea, les femmes qui jusque-là avaient siégé mêlées aux hommes.

Elle séparait de la foule les militaires. Elle accordait des places distinctes aux hommes mariés (scamna maritorum). Elle assignait un cuneus spécial aux enfants nobles (praetextati) et un autre, tout voisin, à leurs pédagogues. Il y avait aussi des sièges d'honneur pour les magistrats et les prêtres, siégeant soit individuellement, soit en corps. Enfin plus honorifiques encore étaient les deux loges d'avant-scène (tribunalia), situées au-dessus des entrées de l'orchestra, dans celle de droite prenaient place le donateur des jeux et l'empereur ; dans celle de gauche, l'impératrice au milieu des Vestales. Sous Domitien ces règlements furent confirmés et appliqués avec une rigueur nouvelle. La figure ci-jointe représente, d'après une monnaie frappée à Héraclée (Bithynie) au IIIe siècle de notre ère, un théâtre rempli de spectateurs.

Nous avons parlé, à propos du théâtre de Pompéi, des précautions prises par les Romains pour la commodité des spectateurs : édifices couverts à proximité du théâtre, pouvant offrir un abri en cas de pluie (odéons, gymnases, portiques, etc.) ; voiles, au-dessus de la cavea, arrêtant les rayons du soleil ; aspersions d'eau fraîche et parfumée. Il nous reste à dire un mot de l'acoustique dans les théâtres romains et des moyens employés pour la développer. Dans la plupart des théâtres antiques, l'acoustique, ainsi que l'ont prouvé les expériences faites par les modernes, est naturellement excellente. C'est que plusieurs conditions, favorables à la propagation comme à la concentration des sons, s'y trouvent réunies : l'adossement de la cavea à une colline, la disposition concentrique des gradins, le peu de profondeur de la scène, etc. Mais l'art de l'architecte pouvait ajouter encore à ces avantages naturels. Vitruve prescrit, à cet effet, deux mesures. Il veut premièrement que la ligne idéale passant par l'arête supérieure des gradins forme une droite, et, d'autre part, que la scaena et la cavea soient de hauteur égales. Enfin, à l'époque hellénistique ou romaine, s'introduisit un autre perfectionnement, signalé également par Vitruve. On disposait autour de la cavea un à trois rangs de niches, selon la grandeur du théâtre ; dans ces niches étaient placés des vases d'airain ou, à la rigueur, de terre cuite, tous d'un timbre différent et soigneusement calculé, qui, recueillant la voix des acteurs, la renvoyaient au public amplifiée et embellie. En plusieurs théâtres, notamment à Gérasa, à Aizani et en Crète, on a trouvé des niches qui semblent avoir eu cette destination.

Tandis qu'à Athènes tout concours dramatique comportait une triple compétition entre les chorèges, les poètes et les protagonistes, à Rome le concours n'avait lieu qu'entre les chefs de troupes [Comoedia]. Il n'y avait, par suite, qu'un prix, qui consistait sans doute en une somme d'argent. Ce prix n'était pas décerné, comme en Grèce, par un jury spécial, mais par le donateur des jeux lui-même. Nul doute, cependant, que l'avis du public, généralement exprimé par de bruyantes manifestations, ne fût prépondérant. Bien avant la représentation, l'opinion avait été travaillée par les brigues des concurrents. Chaque troupe avait sa claque. Sur les procès-verbaux officiels dressés après les concours, et dont quelques spécimens nous ont été transmis en tête des pièces de Plaute et de Térence, voir Didaskalia.


Article d'Octave Navarre