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Le théâtre grec
- Origine et développement du théâtre grec
De même que la tragédie, le théâtre grec, si l'on veut, remonter jusqu'à sa plus lointaine origine, est né du dithyrambe. Le développement de l'édifice a suivi parallèlement celui du drame. D'abord très rudimentaire, il s'est peu à peu compliqué, chaque besoin dramatique nouveau ayant créé un organe nouveau. Le théâtre romain lui-même (et on en pourrait, d'ailleurs, dire autant du théâtre moderne) ne représente qu'une étape plus tardive dans cette longue évolution. Ramené à ses organes essentiels, le théâtre grec se compose de trois parties :
- La skênê, bâtiment comprenant à la fois les chambres d'habillement, le foyer des acteurs, les magasins. Devant elle, et, faisant face aux spectateurs, s'étendait une estrade exhaussée de 3 à 4 mètres, appelée proskênionou logeion, qu'on regardait unanimement avant ces vingt-cinq dernières années comme la scène, c'est-à-dire le lieu d'où parlaient les acteurs, mais dont la destination est à l'heure actuelle très vivement controversée.
- L'orchestra, place de danse circulaire au niveau du sol, dans laquelle le choeur évoluait.
- L'emplacement destiné aux spectateurs (theatron, en latin cavea) composé d'un amas de gradins étagés en hémicycle autour de l'orchestra. Des escaliers, rayonnant de bas en haut, le partageaient en un certain nombre de sections verticales (kerkides, cunei) ; il était divisé en étages par un ou plusieurs paliers horizontaux, concentriques aux gradins (diazômata, praecinctiones).
- La skênê, bâtiment comprenant à la fois les chambres d'habillement, le foyer des acteurs, les magasins. Devant elle, et, faisant face aux spectateurs, s'étendait une estrade exhaussée de 3 à 4 mètres, appelée proskênionou logeion, qu'on regardait unanimement avant ces vingt-cinq dernières années comme la scène, c'est-à-dire le lieu d'où parlaient les acteurs, mais dont la destination est à l'heure actuelle très vivement controversée.
- Sources pour l'étude du théâtre grec
Nous disposons pour l'étude du théâtre grec de plusieurs sources. La principale, ce sont naturellement les ruines qu'on rencontre sur tous les points du monde hellénique ou hellénisé, en Europe, en Asie, en Afrique. Souvent imposantes, elles ont de tout temps attiré l'attention des voyageurs et des archéologues. Mais c'est depuis une trentaine d'années seulement que des fouilles méthodiques ont été exécutées dans plusieurs de ces édifices, et qu'on en a levé des plans rigoureusement exacts où le type primitif est, autant que possible, dégagé des altérations postérieures. L'exploration des théâtres d'Athènes, du Pirée, d'Oropos, de Thorikos, d'Epidaure, d'Erétrie, de Sicyone, de Mégalopolis, de Délos, d'Assos, de Pergame, de Magnésie, du Méandre, de Priène, d'Ephèse, de Pleuron, etc., a renouvelé sur bien des points l'archéologie scénique.
Une seconde source d'informations, ce sont les textes anciens. En première ligne, il faut citer les chapitres 3-8 dans le livre V du De architectura de Vitruve, où cet architecte traite de la construction du théâtre. Après cet ouvrage on doit nommer l'Onomasticon de Pollux, dont plusieurs chapitres (livre IV, c. 13-19) décrivent le théâtre et ses diverses parties. Ajoutons encore les scolies, gloses et notices de grammairiens ; puis, les allusions accidentelles aux choses du théâtre qu'on rencontre chez les écrivains anciens (en particulier chez Aristote, Lucien, Plutarque) ; enfin les précieuses indications qui se peuvent tirer des drames conservés. Dans une classe à part, nous rangerons les textes épigraphiques : le plus important est, sans doute, les comptes des hiéropes de Délos, où l'on peut suivre pendant un siècle entier l'histoire matérielle du théâtre de cette île.
En dernier lieu, reste un certain nombre de monuments figurés (fresques, peintures de vases, bas-reliefs, etc.), qui représentent des vues du théâtre et, particulièrement, de la scène. - Plans comparés des théâtres grec et romain, d'après Vitruve
Avant de décrire, d'après les monuments subsistants, le théâtre des Grecs, nous résumerons d'abord les deux chapitres où l'architecte Vitruve a donné, en homme du métier, les règles géométriques pour la construction des théâtres grec et romain et coin-paré leurs plans respectifs.
Pour construire un théâtre romain on trace d'abord un cercle, dont le diamètre est proportionné à l'étendue qu'on veut donner à l'orchestra. On y inscrit quatre triangles équilatéraux, de façon que leurs sommets partagent la circonférence en douze arcs égaux. Prenant un côté quelconque de l'un de ces triangles AB, on obtient le mur de fond de la scène (scaenae frons). Parallèlement à ce côté, on tire une droite CD, passant par le centre ; on a ainsi la limite du proscaenium et de l'orchestra. Les sommets supérieurs CEFGHID marquent les points de départ de sept escaliers (scalaria), divisant la cavea en six sections (cunei) jusqu'à la hauteur du premier palier semi-circulaire (praecinctio). Au-dessus de ce palier le nombre des escaliers devra être doublé. Des cinq sommets inférieurs restants, les trois du milieu déterminent la disposition des portes du mur de fond ; au centre, en face de L, on placera la porte royale (valvae regiae) ; à gauche et à droite, en face de K et M, les portes des appartements des hôtes (hospitalia) . Dans le voisinage des deux sommets extrêmes A B se trouveront les couloirs latéraux de la scène (itinera versurarum). Aux points de jonction de la cavea et du proscaenium on pratiquera, sous les gradins, des corridors voûtés, servant d'entrées au public. Tout autour du gradin supérieur de la cavea s'élèvera un portique, dont la hauteur devra, pour des raisons d'acoustique, être égale à celle du mur de fond de la scène. La longueur de la scène romaine doit égaler deux fois le diamètre de l'orchestra. La hauteur du proscaenium ne dépassera pas cinq pieds romains (= 1 m. 48).
Le diagramme du théâtre grec s'écarte notablement du précédent. On inscrit dans un cercle trois carrés, de façon que les 12 angles ainsi formés se trouvent à égale distance sur la circonférence. On prend un côté quelconque de l'un de ces carrés cd ; on a ainsi le mur de face du proscaenium (finitio proscaenii). Parallèlement à ce côté, on tire une tangente au cercle ab, qui donne le mur de fond (scaenae frons). Puis, pour déterminer la figure de l'orchestra, on tire une seconde parallèle mn, passant par le centre de l'orchestra ; et, autour des points m et n pris successivement pour centres, on décrit, avec le diamètre entier comme rayon, deux arcs de cercle mo et np. Cette construction au moyen de trois centres a pour effet d'ouvrir plus largement la partie de l'orchestra voisine du proscaenium. Le nombre des escaliers desservant la cavea sera de 8 (efghijkl), formant 7 cunei, jusqu'à la première praecinctio ; à l'étage supérieur, ce nombre sera doublé ; et ainsi de suite, autant qu'il y aura d'étages. La hauteur du proscaenium grec ne doit être ni inférieure à 10 pieds (2 m. 96) ni supérieure à 12 (3 m. 55).
En résumé, les différences essentielles entre le théâtre de type romain et le théâtre de type grec sont les suivantes :
- La scène grecque est beaucoup plus reculée du centre de l'orchestra que la scène romaine.
- Par suite, l'orchestra grecque a plus d'étendue (elle se rapproche d'un cercle entier, tandis que l'orchestra romaine correspond exactement à un demi-cercle).
- Le proscaenium, grec est presque deux fois plus étroit que le proscaenium romain (la proportion est de 4 à 7).
- Par contre, il est à peu près deux fois plus haut (10-12 pieds chez les Grecs, 5 pieds au plus chez les Romains).
- Les corridors voûtés donnant accès dans la cavea appartiennent en propre aux édifices du type romain ; les théâtres grecs ont simplement entre le proscaenium et les ailes de la cavea de larges passages ouverts (parodoi).
Mais les règles de Vitruve s'appliquent, sinon exclusivement, du moins tout spécialement au théâtre de son temps. Il nous faut maintenant exposer, en remontant aux origines, l'histoire et l'évolution du théâtre grec jusqu'à l'époque romaine. Pour donner un corps à cette étude, nous décrirons préalablement un théâtre particulier, celui de Dionysos à Athènes. Nombre de raisons justifient ce choix. D'abord, c'est le plus illustre de tous les théâtres grecs,celui dont l'exacte connaissance importe le plus à l'histoire littéraire. Secondement, en raison même de son illustration, il a été le type sur lequel se sont, par la suite, modelés tous les édifices du même genre. Enfin on y peut suivre, avec plus de précision et de sûreté qu'ailleurs, toute la série des transformations dont le théâtre grec a été l'objet dans le cours des siècles. - La scène grecque est beaucoup plus reculée du centre de l'orchestra que la scène romaine.
- Le théâtre de Dionysos à Athènes
On avait perdu dès le moyen âge jusqu'au souvenir de l'emplacement du théâtre de Dionysos. C'est R. Chandler qui, le premier, en 1765, le retrouva. Des sondages à peu près infructueux furent tentés par la Société archéologique grecque en 1811, puis en 1858-59. En 1862, une exploration méthodique, entreprise par l'architecte allemand J.-H. Strack, et continuée par la Société archéologique, mit successivement au jour la cavea, l'orchestra, les bâtiments de la scène, et enfin tout le terrain sacré. Mais les constatations les plus instructives et les plus précises, surtout en ce qui concerne la scène, sont dues à M. Dörpfeld, chargé en 1886 de la direction des fouilles. Le théâtre de Dionysos s'élevait dans le temenos de Dionysos Eleuthéreus, sur le flanc sud-est de l'Acropole. Dans cette enceinte, dont on ne peut fixer qu'approximativement les limites, et qui paraît avoir été accessible par deux portes, situées, la principale à l'est, l'autre à l'ouest, il y avait, outre le théâtre, deux temples de Dionysos. Le plus petit avait été construit antérieurement aux guerres médiques : c'est là qu'on gardait l'image archaïque de Dionysos d'Eleuthères. A quelques mètres au sud avait été élevé plus récemment (entre 420 et 390 av. J.-C.) un temple plus vaste, dont les fondations subsistent : à l'intérieur du naos on reconnaît encore la large plate-forme sur laquelle a dû reposer la statue chryséléphantine de Dionysos par Alcamène.
- Le théâtre du VIe et du Ve siècles
Mais l'édifice principal construit sur le terrain sacré était le théâtre de Dionysos. C'est, à l'heure actuelle, un amas de ruines d'époques très diverses. Du plus ancien théâtre, celui du VIe siècle, il subsiste bien peu de chose. En 1886 fut exhumé un troncon de mur, en blocs polygonaux de pierre calcaire de l'Acropole, lequel, malgré son peu d'étendue, dessine très distinctement un arc de cercle. On constata, en outre, une entaille pratiquée dans le roc vif, en forme aussi d'arc de cercle. Par ces deux arcs faisons passer une circonférence, nous restituerons l'enceinte d'une ancienne orchestra, de vingt-quatre mètres environ de diamètre, qui avait été construite (la nature des matériaux ainsi que l'appareil le démontrent) avant les guerres médiques. Encadrée d'un mur de soutènement, qui domine de 5 à 6 pieds le sol extérieur, elle était située obliquement devant le vieux temple de Dionysos, à une quinzaine de mètres au sud de l'orchestra actuelle. Quant à la cavea, qu'il faut restituer par la pensée autour de cette orchestra, nous pouvons, bien qu'il n'en reste aucun vestige, imaginer assez exactement son aspect général. Les bancs de cette cavea n'ont pu être qu'en bois ; car dans aucun théâtre grec on n'a découvert de traces de sièges en pierre, antérieurs au IVe siècle. Et, du reste, la comédie du Ve siècle désigne encore couramment les sièges du théâtre (de même que ceux de l'ecclesia) du nom de xula. Sauf du côté de la pente naturelle de l'Acropole, ces bancs exigeaient des substructions, remblai en terre ou échafaudage en bois. Le second procédé, étant le plus simple, est le plus vraisemblable : il est attesté, d'ailleurs, par les lexicographes (s. v. ikria) Joignez que, seul, il peut expliquer la catastrophe qui, selon Suidas, se produisit dans la première moitié du Ve siècle : au cours d'une représentation tragique, les sièges se seraient écroulés sous les spectateurs. C'est à la suite de cet accident, ajoute Suidas, que fut construit le premier theatron permanent. Pas plus que le précédent, du reste, celui-ci n'avait de sièges en pierre. Les fouilles opérées en 1889 par M. Dörpfeld ont fourni, en effet, sur sa construction, un renseignement intéressant. Elles ont prouvé que le remblai sur lequel sont appuyés les gradins actuels, se composait de deux couches superposées, d'époque différente. La couche inférieure, ainsi qu'en témoigne la présence de nombreux tessons de vases, ne saurait être postérieure au milieu du Ve siècle. C'est vraisemblablement le remblai, sur lequel fut posée la cavea permanente, dont parle Suidas. Il faut donc se représenter cette cavea sous l'aspect d'un remblai de terre, affermi par des murs de soutènement, et garni de gradins en bois. Pour prévenir le retour d'une catastrophe il n'était pas besoin d'autre chose.
Des constructions de la scène des VIe et Ve siècles, rien n'a subsisté. Si l'on songe, d'une part, que les diverses scènes de l'époque suivante ont, au contraire, laissé d'importants vestiges, et, d'autre part, qu'étant donnée la position de l'orchestra primitive par rapport au vieux temple de Dionysos, une scène permanente eût masqué et presque obstrué l'entrée de ce temple, on sera amené à conclure, avec M. Dörpfeld, que le théâtre du Ve siècle, celui de Sophocle et d'Aristophane, n'avait pas encore de scène en pierre, et qu'une installation en bois, renouvelée ou remise en état chaque année, en tenait lieu. Ce fait s'explique, du reste, assez simplement : quelle nécessité d'édifier une construction permanente pour une fête qui ne revenait qu'une fois l'an et ne durait que quelques jours ?
Avant les fouilles de M. Dörpfeld, on se représentait communément le théâtre du Ve siècle comme un édifice imposant, tout de pierre et de marbre. La réalité, on vient de le voir, est tout autre. Une orchestra en terre battue, une cavea composée de simples gradins en bois, un grand baraquement en planches en guise de scène, tel était encore, au temps de Sophocle et d'Euripide, le théâtre athénien. Il ne faudrait cependant pas croire pour cela que l'aspect de ce théâtre fût misérable. Aux jours de représentation, quand la cavea était remplie par une foule aux vêtements bariolés, quand le choeur paré de somptueux costumes occupait l'orchestra, l'austère simplicité de ces deux parties du théâtre n'était plus sensible aux yeux. Quant à la scène, bien que construite en bois, ce n'en était pas moins une installation très solide et très vaste : nous en avons la preuve dans le fréquent emploi que font les tragiques de l'eccycléma et de la mêchanê. De l'emploi de la méchanè, il est permis également d'induire que cette scène comportait au moins deux étages. En ce qui concerne enfin son aspect extérieur pendant les représentations, nul doute que toutes les ressources de l'art contemporain ne fussent mises en oeuvre pour la parer et l'embellir. Nous savons par Aristote que, dès le temps de Sophocle (peut-être même d'Eschyle), s'introduisit au théâtre l'usage des décors peints. Et les drames conservés attestent en effet que, dans la tragédie, le décor figurait généralement des palais et des temples, précédés d'un haut portique à colonnes avec stylobate et fronton, dans la comédie des habitations à deux étages flanquées à droite et à gauche d'annexes. En résumé, un tel théâtre, s'il n'avait rien de fastueux, ne déparait point cependant les drames auxquels il servait de cadre. Son caractère original est sa subordination aux oeuvres qui s'y jouaient. - Le théâtre du IVe siècle, ou théâtre de Lycurgue
Tout le reste des ruines du théâtre de Dionysos appartient à un vaste édifice en pierre, qui, à l'exception de quelques remaniements postérieurs, avait été bâti, ou du moins achevé, sous l'administration financière de l'orateur Lycurgue (330 environ av. J.-C.).
CaveaLa cavea de ce théâtre était loin d'être géométriquement régulière. Dans son aspect général, c'est un grand segment de cercle, prolongé à ses extrémités par deux droites. A l'ouest, et surtout au nord, la courbe, heurtant le rocher de l'Acropole, s'aplatit sensiblement ; à l'est, elle se renfle en proportion. D'où il résulte que les murs d'appui qui ferment la cavea au sud sont de longueur inégale : l'un a 7 mètres de moins que l'autre. Pour résister à la poussée de la masse énorme de terres et de pierres, il fallait une enceinte très solide. Celle-ci n'a laissé de traces qu'à l'ouest et au sud.
A l'ouest elle est double et comprend, à l'intérieur, un mur robuste en conglomérat (1m 60 d'épaisseur), renforcé à intervalles réguliers par des murs transversaux ; à l'extérieur, un mur également en conglomérat, recouvert d'un parement en pierre du Pirée (1m 35 d'épaisseur). La partie est correspondante, qui n'est plus visible, était, selon toute apparence, exécutée sur le même plan. Les deux murs du sud sont aussi en conglomérat, revêtu de pierre calcaire.
A la partie supérieure de la cavea courait un diazôma très large (il servait, en temps ordinaire, de passage aux piétons pour monter de l'est vers l'Asclépiéion). Dans la partie inférieure il faut également, bien que tout vestige en ait disparu, admettre un second diazôma. Beaucoup trop considérable, en effet, pour n'avoir formé qu'un étage, est la masse des gradins étagés au-dessous du palier supérieur. D'après l'analogie de la plupart des autres théâtres grecs, ce second palier devait se trouver à peu près à mi-hauteur entre celui du haut et l'orchestra. Dans sa reconstitution M. Dörpfeld attribue avec vraisemblance 32 gradins à chacun des deux premiers étages et 14 seulement au dernier. Intérieurement, la cavea était divisée, à l'étage inférieur, en 13 cunei par 14 escaliers, mesurant chacun 0 m. 70 de largeur. Dans les deux autres étages, le nombre des escaliers devait être au moins doublé, de manière à diminuer la largeur excessive des cunei. Les gradins, en pierre calcaire (il n'en reste guère qu'une trentaine), montaient du sud au nord jusqu'au monument de Thrasyllos ; au nord-ouest ils franchissaient même le mur d'enceinte. Au nord-est, un peu au-dessous du monument de Thrasyllos, la cavea avait dû être taillée dans le roc vif : c'est cette partie qu'on appelait katatomê, la Brèche ; on y exposait les ex-voto et les inscriptions de victoire.
La rangée inférieure était occupée par 67 fauteuils proédriques en marbre pentélique, réservés à des prêtres, prêtresses et magistrats. Au milieu, on remarque surtout le trône, magnifiquement sculpté, du prêtre de Dionysos Eleuthéreus. Il n'est pas douteux que tous ces fauteuils de marbre, d'un travail excellent, ne datent du IVe siècle. Quant aux inscriptions, qui désignent les titulaires elles paraissent, à la vérité, n'avoir été gravées qu'à l'époque hellénistique ou romaine ; mais il est, probable qu'elles ont remplacé, au moins sur certains fauteuils, des inscriptions plus anciennes. Les gradins ordinaires, sans dossiers ni accoudoirs, n'ont que 0 m. 33 de hauteur. Cette mesure anormale (car la hauteur moyenne d'un siège pour adulte est de Om. 15) ne peut s'expliquer que par le désir d'économiser, autant que possible, l'espace. Il y a lieu, du reste, de signaler dans la conformation des gradins deux dispositions ingénieuses qui avaient, évidemment pour but de remédier à ce défaut. Premièrement, la surface horizontale de chaque gradin présente, en arrière, une dépression de 0 m. 01, ménagée pour recevoir les pieds du spectateur assis au gradin supérieur. En outre, la paroi verticale antérieure est creusée d'une cavité en retrait, où le spectateur pouvait ramener ses jambes. Ajoutons enfin que la plupart des assistants apportaient avec eux un coussin, dont on peut évaluer l'épaisseur à O in. 08, et qui les exhaussait d'autant. Par là l'élévation totale de chaque siège se trouvait portée à 0 m. 45 environ. M. Dörpfeld évalue à 78 le nombre total des gradins. En attribuant à chaque spectateur un espace de 0 m.50, il arrive à un total de 14 000 spectateurs (5 500 au premier étage, 6 000 au second, 2 500 au troisième). S'il était prouvé que certaines raies verticales, distantes de 0 m. 40 à 0 m. 43, qui se voient encore sur plusieurs gradins, marquaient l'espace assigné à chaque spectateur, il faudrait même porter ce chiffre à 17 000.
Orchestra
L'orchestra était un demi-cercle prolongé d'un demi-rayon par deux tangentes. Son diamètre (pris à l'intérieur du canal) est de 19 m. 61 ; sa circonférence, idéalement complétée au sud, n'atteindrait pas le proskénion en pierre, construit à l'époque hellénistique. Autour de l'orchestra court un canal concentrique, en pierre calcaire (large de 0 m. 91 à 0 m. 96, profond de 0 m. 87 à l m. 10), servant à l'évacuation des eaux de pluie qui descendaient de la cavea, lequel se continuait au-dessous de la scène dans la direction du sud-est. A l'époque grecque, ce canal était à découvert, sauf sur les prolongements des escaliers, où la communication entre la cavea et l'orchestra était établie par des plaques de poros, formant passerelles. Contrairement à la disposition adoptée dans d'autres théâtres, par exemple à Epidaure et à Erétrie, où c'est le canal peu profond, qui, en même temps, sert de passage au public, celui du théâtre d'Athènes est extérieurement enveloppé par un couloir, spécialement réservé à cet usage, et qui va s'élargissant du milieu vers les extrémités (1 m. 25 - 2 m. 50). L'orchestra du temps de Lycurgue n'a laissé aucun vestige de pavage ; le rocher naturel y était simplement, à ce qu'il semble, recouvert d'une couche d'argile et cerclé d'une bordure en pierre calcaire (comme à Epidaure, à Mégalopolis, à Erétrie).
Scène
La scène, dans l'état où les fouilles nous l'ont rendue, présente un dédale de ruines presque inextricable. Par une détermination rigoureuse des matériaux et des styles, M. Dörpfeld est arrivé cependant à assigner à chacun de ces débris sa date approximative. Il discerne, en résumé, dans ce chaos quatre scènes successives, dont la plus ancienne appartient, comme la cavea et l'orchestra que nous venons de décrire, au temps de Lycurgue. La scène de Lycurgue se composait essentiellement d'une longue salle rectangulaire, profonde de 6 m. 40, longue de 33 mètres ou même (car les murs transversaux marqués en pointillé sont purement hypothétiques) de 46 m. 50, qui, à ses deux extrémités, projette des ailes carrées (ou paraskénia) larges de 7 mètres et saillantes de 5. Le mur de face, limité par ces deux ailes, mesure 20 m. 50 de longueur. L'unité de ces constructions, ainsi que leur date, se reconnaissent d'après la nature des matériaux employés. Ce sont ceux-là mêmes qui ont servi pour la cavea : blocs de conglomérat pour les substructions, au-dessus une assise en pierre du Pirée, marbre bleu de l'Hymette et marbre blanc du Pentélique pour les parties hors du sol. A l'intérieur de la grande salle, une rangée de colonnes (au nombre de 10, probablement 2) supportait le plancher de l'étage supérieur. Les deux paraskénia étaient ornés chacun, extérieurement, de 9 colonnes doriques, hautes de 4 mètres à 4 m 10 (le seuil inférieur et l'entablement compris) : 5 colonnes de facade, 1 colonne d'angle et 3 colonnes pour le côté intérieur. Entre ces paraskénia et le mur antérieur de la scène s'étendait un grand espace libre, de 21 mètres de long sur 5 mètres de profondeur environ, clos de trois côtés et ouvert du côté de l'orchestra. C'est là qu'à l'époque hellénistique s'élèvera le proskénion en pierre, décoré d'une colonnade. Mais, comme il n'a subsisté à cet endroit aucune trace quelconque de murs ou de fondations datant du IVe siècle, force est d'admettre, avec M. Dörpfeld, qu'on se contenta, jusqu'à l'époque hellénistique, d'ériger chaque année un proskenion temporaire en bois. Entre les paraskénia et la cavea s'ouvraient latéralement les deux entrées principales du théâtre, ou parodoi, dont la largeur minima (au point le plus étroit) était de 2m 60. A l'extrémité ouest (qui, seule, est bien conservée) du mur antérieur de la skênê, une porte mettait en communication celle-ci avec la parodos. Enfin, de la scène de Lycurgue on ne peut guère séparer le portique adossé à sa face postérieure. Il constituait une sorte de décoration architecturale de celte muraille nue, en même temps qu'il offrait un abri aux spectateurs, en cas de pluie soudaine. C'était un rectangle long et étroit, clos de trois côtés par des murs, et orné sur le devant d'une colonnade, probablement dorique, portée par trois degrés en marbre de l'Hymette. Etait-il, comme les stoai d'Attale et d'Eumène, surmonté d'un étage, c'est ce qu'on ne saurait déterminer. Mais ce qui est sûr, c'est que l'érection de ce portique date du IVe siècle. - Remaniements postérieurs apportés au théâtre de Lycurgue
Le théâtre édifié sous Lycurgue est resté à peu près sans changements pendant des siècles. La cavea n'a jamais été modifiée. L'orchestra n'a subi d'altération grave qu'au temps de Néron. Seule la skênê a été remaniée à plusieurs reprises, et cela dès l'époque hellénistique. Vers le IIe ou le Ier siècle avant J.-C. elle subit, en effet, une première modification, qui porta principalement sur deux points :
l° On érigea un proskénion permanent, en pierre, orné d'une colonnade dont il reste le stylobate. Les colonnes, hautes d'environ 4 mètres, étaient distantes, d'axe en axe, de 1 m. 36 à 1 m. 37, sauf toutefois l'intervalle médian qui était presque double (2 m. 48): là se trouvait une porte à deux battants, large de 1 m. 70. Dans l'entre-colonnement le plus rapproché à l'ouest existait une autre porte, mais beaucoup plus petite (0 m. 80 de largeur). Comme dans les autres proskénia en pierre, de même style (exemples : Oropos, Assos), le reste des entre-colonnernents devait être clos par des panneaux de bois peint, pinakes, hauts d'environ 3 mètres, larges de 0 m. 85 ; à leur partie inférieure et de 1 mètre à leur partie supérieure.
2° On recula de 1 m. 70 environ les ailes latérales, ce qui eut pour effet de réduire à 1 m. 10 seulement leur saillie par rapport au proskénion et, inversement, de porter à 4m 30 la largeur des parodoi. La facade de ces nouveaux paraskénia fut ornée de colonnes pareilles à celles du proskénion.
Un nouveau remaniement de la scène, beaucoup plus important, eut lieu sous Néron (vers 60 ap. J.-C.), ainsi qu'il résulte de la dédicace conservée Dionusô Eleutheriei kai [Nerôni] Klaudiô Kaisari. Ce qui distingue essentiellement des scènes précédentes celle de Néron, c'est l'existence d'un logeion, de type romain, en pierre. Haut de 1 m. 50 environ et profond de 8 m. 50, il empiétait sensiblement sur l'orchestra qui, jusqu'alors complètement circulaire, se trouva par suite ramenée à la forme d'un grand segment de cercle. Le mur antérieur de ce logeion était orné de hauts-reliefs en marbre, encore subsistants, qui représentaient la naissance et le culte de Dionysos. En même temps que la scène, l'orchestra fut également transformée à la romaine. Son aire en terre battue fit place à un dallage en marbre, au milieu duquel se détache un grand losange (longueur, 13 m. 70) en pierres multicolores, blanches, bleuâtres et rouges. Le centre du losange présente une cavité circulaire de 0 m. 50 environ de diamètre, qui marque sans doute la place d'un autel. A la même époque appartient encore la construction d'une barrière en marbre, haute de 1 m. 08, conservée en grande partie, qui enveloppait extérieurement le canal : cette clôture permettait de convertir, à l'occasion, l'orchestra en une arène pour les combats de gladiateurs et autres spectacles de ce genre. Quant à la cavea, elle ne paraît pas avoir subi sous Néron d'altération essentielle. On se contenta d'augmenter considérablement, le nombre des sièges proédriques. C'est ainsi que derrière la rangée de fauteuils en marbre fut établie une rangée de fauteuils en bois. Quelques sièges proédriques furent même transportés dans les gradins supérieurs. Le dernier remaniement du théâtre est signalé par une inscription métrique, gravée sur la plus haute des cinq marches de l'escalier central qui relie le logeion avec la conistra. Cette inscription nous apprend que l'escalier en question a été dédié à Dionysos par un certain Phaedros, archonte (IIIe ou IVe siècle ap. J.-C.). C'est aussi à la même époque, à ce qu'il semble, que les reliefs dionysiaques, dont était décoré le mur antérieur du logeion de Néron, furent séparés les uns des autres par des niches, aujourd'hui vides, à l'exception de celle du milieu, où se voit encore la statue d'un satyre accroupi. Enfin on ceignit extérieurement, la barrière de marbre, construite précédemment autour de la conistra, d'un mur épais et imperméable, grâce auquel celle-ci put être transformée, quand besoin était, en une pièce d'eau pour les naumachies. Du système de canalisation qui amenait, pour cet usage, les eaux dans l'ancienne orchestra il subsiste encore quelques vestiges. - Le second théâtre d'Athènes, ou théâtre Lénaïque
Outre le théâtre de Dionysos, Athènes, à l'époque classique, avait un second théâtre, qui n'a, à la vérité, laissé aucun vestige, mais dont les textes nous révèlent l'existence. Il s'appelait théâtre Lénaïque (theatron Lênaikon) ; et c'est là qu'avaient lieu les représentations dramatiques des Lénéennes. Cet édifice, qu'il faut, à l'exemple du théâtre Dionysiaque du même temps, se représenter comme un simple baraquement en bois, ne disparut qu'après le milieu du IVe siècle, époque où le théâtre en pierre de Lycurgue devint le lieu unique des représentations. Où était situé le théâtre Lénaïque ?
Au quartier de Limnai (les Marais), dans le Lénaion, ou enceinte sacrée de Dionysos Lénaios, dieu des pressoirs. Malheureusement ni la situation de cette enceinte ni celle du quartier des Marais lui-même ne sont encore sûrement déterminées. Longtemps on a voulu identifier le Lénaion avec l'un des deux temples situés dans le péribole de Dionysos Eleuthéreus sur le flanc sud-est de l'Acropole, en sorte que Grandes Dionysies et Lénéennes auraient été célébrées sur le même emplacement, et que le même théâtre aurait, alternativement et selon la fête, porté les noms de Dionysiaque et de Lénaïque. Inutile d'insister sur l'invraisemblance énorme d'une telle identification. Il est aujourd'hui avéré que le Lénaion n'avait rien de commun avec l'enceinte de Dionysos Eleuthéreus, et que par suite les deux théâtres étaient distincts. En faveur de cette solution on peut invoquer, outre le témoignage de Pollux, plusieurs indices convergents :
1° Les lexicographes mentionnent un ancien théâtre situé sur l'agora, ou, du moins, dans le voisinage. Or cette désignation topographique (bien que l'emplacement de l'agora ne soit pas nettement déterminé) ne saurait convenir au théâtre Dionysiaque.
2° En haut de ce théâtre, la tradition nous apprend qu'avait poussé un peuplier noir, sur lequel grimpaient, pour mieux voir, les spectateurs : ce qui semble exclure l'hypothèse d'un terrain incliné, comme l'était la pente de l'Acropole.
3° Un groupe de gloses définit le Lénaion un lieu où se célébraient les concours avant la construction du théâtre en pierre. N'est-ce pas dire clairement que l'emplacement du théâtre Lénaïque était autre que celui du théâtre de Lycurgue ? M. Foucart pense avoir découvert, dans une inscription du Ve siècle, la mention de ce théâtre primitif ou plutôt de ses ikria, c'est-à-dire des échafaudages en bois qui constituaient sa cure. Il s'ensuivrait que dès le Ve siècle ces échafaudages étaient devenus une construction durable, qui survivait à la fête. Le même texte permettrait de situer le Lénaion et son théâtre dans l'intérieur des murs, aux environs de l'Hôpital militaire moderne.
Dans l'histoire du théâtre athénien de Dionysos, telle que nous l'avons esquissée plus haut, est contenue en raccourci celle du théâtre grec en général depuis le VIe siècle jusqu'à l'époque romaine. Cette histoire peut se résumer brièvement ainsi. Pendant deux siècles (jusqu'à 330 environ), le seul élément permanent du théâtre grec a été l'orchestra : theatron et skênê n'étaient alors que des installations temporaires en bois. En ce qui concerne le theatron, un premier progrès consista à appuyer les gradins de bois sur le versant d'une colline, préalablement aménagée à cet effet (débuts du Ve siècle). Mais, nulle part en Grèce, il n'a existé de theatron avec gradins en pierre avant le milieu du IVe siècle. Nulle part non plus, avant cette date, on n'y érigea de skênê en pierre. Et, même dans les théâtres en pierre élevés aux IVe et IIIe siècles, le proskènion resta une simple construction en bois. De ces faits il résulte qu'en Grèce, comme presque partout ailleurs, l'édifice théâtral n'a atteint sa perfection qu'à une époque où l'art dramatique lui-même était depuis longtemps en décadence. Toutefois le théâtre hellénistique n'en reste pas moins très important à étudier : l° en lui-même, parce que c'est un spécimen remarquable de l'architecture pratique des Grecs ; 2° comme copie, au moins dans ses lignes principales, des théâtres en bois de l'époque classique, que nous connaissons si peu. - Le théâtre du VIe et du Ve siècles
- Description générale du théâtre hellénistiqne
L'orientation des théâtres grecs est aussi diverse que possible. Ce qui prouve qu'elle était, quoi qu'on en ait dit, déterminée bien moins par des principes théoriques que par les conditions variables du terrain. Vitruve, il est vrai, prescrit de ne pas exposer la cavea au midi. Mais cette exposition, très fâcheuse en effet, puisqu'elle obligeait les spectateurs à endurer pendant de longues heures l'ardeur du soleil, se rencontre néanmoins en maints édifices (par exemple à Athènes et à Syracuse).
Orchestra
L'orchestra, dans tous les théâtres de type grec, forme un cercle complet (Athènes, Pirée, Oropos, Erétrie, Epidaure, Mégalopolis, Assos). Son diamètre est naturellement très variable (11 à 12 mètres dans les petits théâtres d'Oropos et de Pleuron, 16 m. 34 au Pirée, 22 m. 50 à Athènes, 24 m. 32 à Epidaure, une trentaine de mètres à Mégalopolis). En général, l'aire n'était point pavée.
Celle d'Epidaure est en terre battue ; ailleurs le roc nu affleure (Pirée, Délos) ; mais il semble, d'après une inscription de Délos, que le sol naturel fût habituellement recouvert d'un enduit, sans doute d'une couche de chaux ou d'argile. Au milieu s'élevait l'autel de Dionysos ou thumelê : on voit en cet endroit à Athènes une excavation circulaire, à Epidaure une pierre cylindrique, qui marquent, à ce qu'on croit, l'emplacement de cet autel. Toutefois ce n'est pas là, mais en dehors de l'orchestra, au milieu de l'arc de cercle décrit par le gradin proédrique, que se trouve la seule thymélè encore en place, celle du théâtre de Priène. Elle consiste en un autel de marbre, élevé sur une marche, couronné d'une corniche à denticules, et orné de deux frontons latéraux. Le canal concentrique, servant à l'évacuation des eaux pluviales, avec dégagement par-dessous la skènè, se retrouve à peu près partout. D'ordinaire il sert en même temps de couloir au public pour gagner la cavea (Epidaure, Erétrie, Délos, Sicyone, Magnésie du Méandre). A Athènes et au Pirée, toutefois, il est entouré extérieurement par un couloir distinct, affecté spécialement à cet usage. L'un des résultats les plus intéressants des fouilles récentes a été la découverte, dams plusieurs théâtres, d'un corridor souterrain, partant du milieu de l'orchestra et aboutissant sous le proskènion ou sous la skènè. Ce couloir existe à Erétrie (2 mètres de haut, 0 m. 88 de large), à Argos, à Magnésie du Méandre, à Tralles. Il convient aussi de signaler à Sicyone un grand canal, partant du milieu de la cavea, lequel prend, dans la partie qui va du centre de l'orchestra sous le proskènion, des dimensions plus amples, et a pu, par conséquent, servir entre ces deux points de passage souterrain. Enfin, sous le sol de l'orchestra d'Athènes, M. Dörpfeld a découvert également un réseau de galeries, mais dont aucune, en raison de leur étroitesse, n'a pu être utilisée par les acteurs. Certains théâtres, du reste, n'ont jamais eu, et même n'ont jamais pu avoir de souterrains, parce que le rocher y affleure partout (ex. Délos).
Cavea
En Grèce la cavea était presque toujours adossée à une pente naturelle, disposition qui offrait le double avantage de l'économie et de la solidité. Les exceptions sont fort rares. A Mantinée, cependant, une frotte artificielle en terre, appuyée par un mur en blocs polygonaux, supporte la masse des gradins. A Erétrie, où le théâtre a été édifié également en terrain à peu près plat, l'architecte s'est avisé d'un autre expédient : il a creusé l'orchestra jusqu'à une profondeur de 3 m.20 environ, de manièree à diminuer d'autant la hauteur du remblai nécessaire pour la cavea et à se procurer la masse de terres que ce remblai exigeait. La courbe extérieure de la cavea forme généralement un peu plus d'un demi-cercle. Il est rare qu'elle soit tout à fait régulière (ce qui est le cas cependant à Sicyone, par exemple). A Epidaure et à Délos elle emprunte son tracé à trois centres différents ; à Athènes, au Pirée, à Erétrie, l'hémicycle est prolongé vers la scène par deux tangentes. Dans les deux cas on a visé, par des moyens ditférents, au même résultat, qui était d'écarter les deux pointes extrêmes (cornua) de la cavea. Par là on améliorait en une certaine mesure les conditions optiques, très défavorables, des places situées à ces deux extrémités ; et en même temps on élargissait les entrées du couloir qui enveloppe l'orchestra, ce qui facilitait les dégagements. La cavea est toujours appuyée extérieurement par un puissant mur de soutènement (analêmma). En deçà de cette enceinte, au-dessus du gradin supérieur, Vitruve prescrit un portique ; mais cela paraît un usage assez récent. A Délos et à Epidaure le mur d'enceinte est couronné d'une balustrade de pierres posées de champ et surmontées de chaperons à arêtes vives. Tous les théâtres grecs ont au moins un ou deux diazômata situés l'un aux deux tiers, l'autre tout au haut de la cavea. Quelquefois même le nombre des paliers est de trois (Argos, Mégalopolis, Ephèse). Le nombre ainsi que la disposition des escaliers ne concordent pas, communément, avec le plan de Vitruve : il y en a 6 à Magnésie, 7 à Assos, 8 à Délos, 10 à Mégalopolis, 12 à Erétrie, 13 à Epidaure, 14 à Athènes et au Pirée, 16 à Sicyone. Parfois ils se prolongent en ligne droite du bas jusqu'au haut de la cavea, sans intercalation au second étage (ex. : Mégalopolis et Magnésie). Mais le plus souvent le nombre des escaliers est doublé au-dessus du premier diazôma (Epidaure, Pirée et, sans doute, Athènes). Parallèlement à la scène, la cavea est close par deux murs qui montent, en ligne droite ou brisée, du niveau de l'orchestra jusqu'au gradin supérieur. Entre ces murs et le proskènion s'ouvrent, à droite et à gauche, les parodoi (5 m. 70 de largeur à Aliènes, 5 m. 30 à Epidaure, 3 m. 50 au Pirée). Le théâtre grec se trouve ainsi séparé en deux moitiés, sans liaison architectonique. Toutefois ces couloirs étaient fermés, à Epidaure et à Pergame, par des portes monumentales. Celles d'Epidaure peuvent être exactement reconstruites. De chaque côté du théâtre s'élevaient trois pilastres corinthiens, surmontés d'un entablement, qui encadraient deux portes accouplées, d'inégale largeur. La plus large (2 m. 30) donnait accès dans la parodos ; l'autre (1 m. 90) s'ouvrait sur une rampe, montant à la plate-forme du proskènion. A en juger d'après la petitesse des scellements, ces portes n'étaient pas en bois ; il y a lieu de songer plutôt à des grilles à deux ballants en fer ou en bronze. C'est par les parodoi que le choeur se rendait dans l'orchestra ; elles servaient également d'entrées principales au public. Dans tous les théâtres explorés, à l'exception du petit théâtre d'Oropos, où paraît avoir toujours persisté l'usage des gradins en bois, les gradins de la cavea sont en pierre ou en marbre. Sur la forme de ces sièges, voyez ce qui est dit ailleurs de ceux d'Athènes.Mais, outre les places communes, tous les théâtres grecs ont un certain nombre de sièges proédriques ou d'honneur, réservés aux personnages de distinction. Ces sieges affectent la forme, tantôt de fauteuils séparés, tantôt de bancs à plusieurs places, pourvus d'un dossier et, à leurs deux extrémités, d'accoudoirs. L'emplacement ordinaire de la proédrie est au premier rang, près de l'orchestra. Mais on trouve ailleurs encore de ces sièges privilégiés. A Epidaure, ils occupent, en outre, les deux gradins au-dessous et au-dessus du diazôma. A Priène existe également un banc proédrique supplémentaire, à la hauteur du quatrième gradin ; mais c'est là une addition postérieure. Un remaniement du même genre eut lieu à Athènes, probablement à l'époque romaine : tout le second gradin fut affecté à la proédrie, et on établit même un certain nombre de ces sièges honorifiques dans les gradins supérieurs.
Le nombre des places, dans les divers théâtres grecs, est naturellement très variable ; on estime à 5 500, à 14 000, à 14 ou 17 000 le chiffre des spectateurs que pouvaient contenir respectivement les théâtres de Délos, d'Epidaure et d'Athènes. Bien plus vaste encore était la cavea de Mégalopolis. Pour livrer facilement accès à de telles foules il fallait, outre les parodoi, des portes disposées sur le pourtour de la cavea. A Délos il en existait trois, une tout au haut de l'enceinte, les deux autres aux extrémités du diazôma. A Athènes le diazôma était utilisé aussi comme entrée. A Epidaure on en reconnaît encore quatre : deux aux extrémités du diazôma, deux autres vers les extrémités du petit mur qui limitait l'étage supérieur de la cavea ; et il est probable que, dans ce même petit mur, s'ouvraient jadis un certain nombre d'autres entrées, dont il ne reste plus aujourd'hui de traces.
Skènè
La skènè a partout la forme d'un rectangle très allongé, dont la largeur moyenne varie entre 4 et 7 mètres, tandis que sa longueur maxima atteint 35 à 40 mètres. Au rez-de-chaussée, tantôt elle forme une vaste salle unique (théâtre de Lycurgue à Athènes, Pirée, Oropos, Délos), tantôt elle se divise en un certain nombre de pièces à à Erétrie, Assos, Priène ; 5 à Magnésie). Dans certains théâtres, en particulier à Epidaure, il semble que la division en plusieurs chambres soit due à un remaniement postérieur. En règle générale, ces chambres communiquent entre elles. Le nombre des portes, percées dans la facade antérieure, est variable : 3 à Epidaure, Erétrie, Délos, Assos, Priène ; 1 seule au centre à Oropos, à Pleuron et au Pirée (?). Le plafond de la skènè, haut en moyenne de 3 à 4 mètres, était généralement supporté, à l'intérieur, par des colonnes ou des piliers (Athènes, Epidaure, Erétrie). La limite latérale de la skènè paraît avoir été formée dans les théâtres du IVe siècle par deux ailes rectangulaires (paraskênia), faisant saillie à chaque extrémité, et encadrant par conséquent le proskènion (Athènes, Pirée, Epidaure, Erétrie, Magnésie). Ces ailes, tant sur leurs façades que sur leurs petits côtés, étaient ornées de colonnes. Les inscriptions déliaques prouvent que, comme la skènè, elles comportaient deux étages (ta paraskênia ta epanô kai ta upokatô), dont les entrecolonnements, comme ceux du proskènion, étaient remplis par des panneaux peints (pinakes). La destination propre de ces deux avant-corps latéraux reste douteuse. La seule chose certaine, c'est que, avec le temps, cet organe alla s'atrophiant et finit par disparaître. A Athènes la saillie primitive des paraskènia fut, à l'époque hellénistique, réduite d'un tiers ; à Magnésie du Méandre, ils furent complètement supprimés, et les théâtres construits à partir de cette époque n'en ont plus (Oropos, Délos, Assos, Priène). Autour de la skènè se groupent ordinairement des annexes, dont il nous reste à dire maintenant quelques mots. A Epidaure, à Sicyone, et peut-être à Athènes, deux rampes latérales, parallèles à chacune des parodoi, menaient à la plate-forme du proskènion. A Sicyone, et probablement aussi à Epidaure, existait en outre une seconde rampe, située derrière la précédente, qui aboutissait à l'étage supérieur de la skènè. En arrière de ces rampes, de chaque côté de la skènè, on trouve encore, à Sicyone, une grande pièce carrée, munie de bancs le long des murs, dans laquelle il est permis peut-être de reconnaître la salle ou foyer du choeur. Une salle analogue, mais du côté droit seulement, existe aussi à Epidaure. Du même côté, mais plus en avant, et obstruant la parodos, se trouve à Mégalopolis la skênothêkê, ou magasin des décors. Cette skènothèque parait avoir eu son pendant, à Thorikos, dans une grande pièce irrégulière, située devant la parodos est. A Magnésie du Méandre une salle spacieuse est adossée au mur postérieur de la skènè. Enfin il reste à signaler le portique à colonnes qui parfois décore la facade postérieure de la skènè (Athènes, peut-être Sicyone). Celui de Délos offre un aspect tout particulier : composé de piliers rectangulaires, il enveloppe de trois côtés la skènè et va se raccorder avec la colonnade du proskènion.
Dans la plupart des théâtres hellénistiques il n'a rien subsisté, au-dessus du proskènion, des constructions de la scène. Mais les inscriptions de Délos mentionnent un étage supérieur de la skènè (tas epanô skênas) ; et on a même retrouvé à Oropos l'entablement qui le couronnait. Toutefois, ce n'est que depuis la récente découverte, à Ephèse, d'une scaenae frons encore debout qu'on peut se faire une idée de cette partie du théâtre. Celle d'Ephèse est en marbre, percée de sept grandes ouvertures (largeur, 3 m. 70 à 14 m. 50) qu'encadrent des piliers.
A Oropos on peut, sur ce modèle, restituer avec vraisemblance un mur, avec entablement et triglyphes, percé de cinq ouvertures larges de 1 m 50 à 2 m 50. Des triglyphes du même genre ont été trouvés dans plusieurs autres théâtres, par exemple à Erétrie et à Délos. Au-dessus de cet étage supérieur existait-il, comme l'admet M. Puchstein, un troisième étage ? En raison du peu d'épaisseur des murs du rez-de-chaussée, M. Dörpfeld se prononce résolument contre cette hypothèse.
Proskènion
Les fouilles nous ont fait connaître deux types successifs de proskènion. Le plus ancien (IVe-IIIe siècles av.JC) était une simple construction en bois. Il va de soi qu'il n'en a été découvert aucun exemplaire. Mais le seuil en pierre sur lequel il reposait a été exhumé sous le stylobate du proskènion en pierre plus récent, à Mégalopolis et à Sicyone ; et il montre encore sur toute sa longueur, non seulement les excavations carrées où s'engageaient les piliers de bois, mais aussi les rainures et les trous destinés à fixer les panneaux qui remplissaient, les intervalles. Ces intervalles ont, à Sicyone 1 m 46, à Mégalopolis 1 m 62. Un proskènion en bois est attesté également à Délos par les comptes des années 290 et 282. A Sicyone, la hauteur de cet ancien proskènion peut, grâce à l'existence d'une rampe conduisant à l'étage supérieur de la scène, être évaluée à 3 mètres ou 3 m. 50 ; et des déductions certaines permettent d'assigner à peu près la même élévation (3 m. 50) à celui d'Erétrie. Mais le proskènion en bois fut généralement converti en pierre vers le début de l'époque romaine (IIe siècle environ av. JC). C'est ce type qui dominait encore du temps de Vitruve et qu'il a décrit. Nous en connaissons de nombreux spécimens (Athènes, Pirée, Oropos, Thespies, Pleuron, Erétrie, Epidaure, Mégalopolis, Sicyone, Mantinée, Délos, Assos, Priène). La caractéristique commune de ces proskenia, c'est la décoration du tour de face, invariablement formée d'une colonnade dorique ou ionique. Ces colonnes, qui ont succédé aux anciens piliers de bois, présentent deux formes différentes. Tantôt ce sont des colonnes entières (Athènes, Pirée, Sicyone, Mégalopolis, et peut-être Mantinée et Magnésie du Méandre), tantôt des demi-colonnes adossées à des piliers (Oropos, Erétrie, Thespies, Pleuron, Epidaure, Délos, Assos, Priène). De ces deux types, le dernier, qui réalise un incontestable progrès technique, est évidemment, le plus récent. Ils comportent, du reste, l'un et l'autre, un certain nombre de variétés : la colonne pleine, mais pourvue, de chaque côté, d'un listel, qui forme transition d'un type à l'autre (Mégalopolis) ; la demi-colonne sans feuillures (Epidaure) ; la demi-colonne avec feuillures, qui est un perfectionnement de la précédente (Oropos, Délos). Les entre-colonnements étaient clos du haut jusqu'en bas par des panneaux de bois rectangulaires (pinakes), qui non seulement sont mentionnés, dès 282, dans les inscriptions de Délos, mais de plus ont laissé, à Oropos, Erétrie, Pleuron, Syracuse, Assos, Priène, des traces matérielles : on voit encore, dans ces théâtres, soit sur le stylobate, soit à la partie inférieure de l'épistyle, soit sur les piliers postérieurs, les trous de verrous ou les rainures destinés à fixer les panneaux. Ce mode de fixage permettait de les enlever et de les remettre à volonté. Le stylobate d'Epidaure porte, du reste, des marques d'usure, dues au va-et-vient des passants, qui semblent prouver que, dans l'intervalle des représentations, les entre-colonnements restaient libres. Dans presque tous les théâtres, on constate l'existence d'une porte unique et centrale. Parfois cette porte n'est attestée que par la largeur plus grande de l'intervalle médian (Athènes, Pirée, Mantinée). Mais ailleurs on remarque en outre, sur le stylobate ou sous l'épistyle, les trous de gonds (Oropos, Erétrie, Délos, Assos).
Le proskènion de Priène est le seul qui, en plus de cette porte centrale, possède encore deux portes latérales. Conformément au précepte de Vitruve, l'élévation du proskènion est, dans la majorité des cas, de 10 à 12 pieds (4 mètres à Athènes et au Pirée ; 3 m. 50 environ à Erétrie, Epidaure, Sicyone, Mégalopolis ; 3 mètres à Assos) ; parfois cependant elle est notablement inférieure (2 m. 81 ou 2 m. 53 à Délos, 2 m. 70 à Priène, 2 m. 65 à Pleuron, 2 m. 51 à Oropos). Sa largeur est, en général, sensiblement moindre que dans le diagramme de Vitruve (3 m. 20 à Epidaure, y compris la saillie de la corniche ; 2 m. 85 à Mantinée, 2 m. 74 à Priène, 2 m. 35 à Athènes et à Pleuron, 2 m. 14 à Erétrie, 1 m. 93 à Oropos). Pour la longueur, l'écart est beaucoup plus considérable encore : à Epidaure, par exemple, elle n'est que de 24 mètres au lieu de 42. La plate-forme horizontale surmontant le proskènion était un plancher. A Epidaure et à Oropos, on voit encore dans l'entablement les entailles où s'engageaient les solives transversales qui le supportaient. Plus tard on remplaça les solives de bois par des solives en pierre, mais on continua à employer le bois pour la construction du tablier (Priène, Pleuron). La chambre située sons le proskènion est toujours en communication avec l'intérieur de la skènè. Dans aucun théâtre grec il n'a été découvert d'escalier reliant la plate-forme du proskènion avec l'orchestra.
Article d'Octave Navarre