Chapitre 3 - La conjuration
I
Ces débats avaient pris beaucoup de temps. On
touchait à la seconde moitié de l'année,
et Cicéron pouvait dire, dans son langage
imagé, qu'après une navigation orageuse, il
apercevait enfin la terre (1), lorsque éclata
une tempête bien plus grave que celles auxquelles il
venait d'échapper.
C'est en effet dans les derniers mois de son consulat que la
conjuration de Catilina a été découverte
et punie. En réalité, elle devait couver depuis
quelque temps, mais on ne la voyait pas, ou plutôt on
ne voulait pas la voir ; car il y avait, au milieu de ces
agitations perpétuelles, comme un parti pris de vivre
au jour le jour et de ne pas s'inquiéter d'avance.
Cette sorte d'obstination à n'en pas parler a pu faire
penser qu'elle n'existait pas, et quelques historiens ont
prétendu qu'elle n'a réellement commencé
que vers le moment où on l'a découverte
(2). Il est bien
difficile de le croire quand on sait combien l'organisation
en était étendue et compliquée, qu'elle
comprenait non seulement Rome, mais presque toute l'Italie,
et qu'en étrurie on était parvenu à
former des rassemblements de troupes assez
considérables. Même en supposant que ces
mouvements n'étaient qu'ébauchés quand
la conjuration fut étouffée, il n'en reste pas
moins que pour en concevoir l'idée, pour en commencer
l'exécution, pour mettre en train cette lourde
machine, il semble que quelques semaines ou même
quelques mois n'étaient pas suffisants.
Nous ne saurons jamais d'une manière précise
à quel moment Catilina conçut l'idée de
sa conjuration et quand il a commencé à la
réaliser. Contentons-nous de chercher de quelle
manière elle est arrivée à la
connaissance du public. Nous pouvons nous appuyer ici sur des
textes précis. A l'époque où fut
plaidé le procès en concussion intenté
par les Africains à Catilina, on n'en avait aucun
soupçon : Cicéron le dit formellement (3). On ne s'en doutait
pas davantage dans les premiers mois de l'année 690,
pendant la lutte que se livraient les candidats aux
élections consulaires. Il n'en est question ni dans la
lettre de Quintus, ni dans le discours de Cicéron
(In toga candida) où il traite si mal Catilina.
S'il avait su ce qui se tramait, il n'aurait certainement pas
manqué de le dire. On voyait sans doute que Catilina
se donnait beaucoup de mal pour attirera lui toute une
jeunesse sans ressource et sans scrupule. La peine qu'il
prenait, les sacrifices qu'il s'imposait pour se les attacher
auraient dû, à ce qu'il semble, inspirer
quelques inquiétudes et ouvrir les yeux sur ses
desseins secrets. Mais il était candidat, et l'on
pouvait toujours prétendre qu'il ne se donnait tant de
mal et ne cherchait à réunir tant de partisans
autour de lui que pour le succès de son
élection. La même raison pouvait expliquer
jusqu'à un certain point qu'il essayât de gagner
à sa cause des villes de l'Etrurie, du Picenum, de la
Gaule, Faesula, Arretium, Capoue. Nous venons de voir que
l'Italie aussi envoyait des électeurs au Champ de
Mars, et que les candidats avaient intérêt
à s'y faire des partisans.
On était donc
arrivé jusqu'au milieu de l'année 690 sans que
l'existence de la conjuration fût
soupçonnée, et on effet, à ce moment,
elle existait à peine. Catilina avait peut-être
confié ses projets à quelques-uns de ses amis
les plus sûrs, mais nous savons qu'au plus grand nombre
il ne faisait que des demi-confidences ; «il les
prenait à part, sondant les uns, encourageant les
autres, leur montrant les ressources dont il disposait, la
république sans défense, et combien le
succès serait facile et profitable» (4). C'est alors
qu'après les avoir endoctrinés
séparément, il réunit chez lui ceux sur
lesquels il comptait le plus, c'est-à-dire les plus
audacieux et les plus misérables, et leur dit
ouvertement ce qu'il était résolu à
faire. Salluste nous a donné la date de cette
réunion : c'était aux environs du 1er juin 690,
à peu près un mois avant l'élection qui
allait mettre aux prises avec Cicéron (5). Il est bien probable
que s'il sortit alors de sa réserve, c'est qu'il
voulait enflammer le zèle de ceux qui allaient voter
pour lui, et nous voyons en effet qu'en finissant son
discours, il leur recommanda «de s'occuper activement
de sa candidature». On raconta, au premier moment,
qu'il s'était passé dans cette assemblée
des scènes effrayantes. Catilina, disait-on, avait
fait circuler parmi les assistants des coupes où le
sang humain se mêlait au vin, et chacun d'eux y porta
les lèvres en proférant d'horribles
imprécations. Salluste doute beaucoup de la
vérité du récit ; mais, comme il ajoute
qu'il se faisait quelque chose de semblable dans les
sacrifices ordinaires, il est possible que les complices,
pour se lier entre eux d'une façon plus
étroite, aient cru devoir emprunter à la
religion des rites qui étaient en usage quand on
faisait un traité d'alliance ; l'imagination et
l'épouvante publiques ajoutèrent le reste. On
alla bien plus loin dans la suite, et Plutarque
prétendit sérieusement qu'ils avaient
égorgé un homme, un esclave sans doute ou un
enfant, et mangé sa chair. Une fois sur le chemin de
l'horrible, la crédulité populaire ne
s'arrête pas.
Il n'était
guère prudent de tenir au centre de Rome, dans le
quartier du grand monde, à quelques pas du Forum, une
assemblée nombreuse, où l'on allait agiter le
moyen de détruire la république. Catilina
s'était contenté, pour prévenir les
indiscrétions, de rassembler ses amis «dans la
partie la plus secrète de sa maison» (6). La précaution
était insuffisante. Dans ce grand nombre de gens
tarés qu'il attirait autour de lui, il pouvait se
trouver des traîtres ; il devait nécessairement
y avoir des bavards. Quelque chose de ce qui s'était
dit dans la réunion se répandit dans le public.
Suivant l'usage, on exagéra ces bruits en les
répétant. Il arriva que les honnêtes gens
s'indignèrent, que les riches prirent peur, et que
tous ensemble se décidèrent à voter pour
Cicéron, même ceux qui ne l'aimaient pas. Ce
fut, dit Salluste, la principale raison qui le fit nommer
consul.
Il est naturel que l'échec de Catilina ait d'abord
déconcerté ses partisans ; mais lui ne perdit
pas courage. Il conserva cette indomptable assurance qui
faisait sa force et parvint très vite à la
faire partager par les siens. D'ailleurs il ne se tenait pas
tout à fait pour vaincu, puisque Antoine, son
associé, avait réussi, et qu'il croyait pouvoir
compter sur lui pour tenir Cicéron en échec
pendant tout le temps qu'ils gouverneraient ensemble. Il se
remit donc à l'oeuvre avec plus d'ardeur
qu'auparavant. Nous ne pouvons guère douter cette
fois, même quand Salluste ne nous le dirait pas, que ce
soit de la conjuration qu'il s'est occupé surtout. Il
en avait livré le secret à ses affiliés,
il était définitivement compromis, il ne
pouvait plus se tirer d'affaire que s'il
réussissait.
Le temps ne lui manqua pas
pour travailler au succès de son entreprise. Entre sa
première tentative électorale sérieuse,
où il fut vaincu par Cicéron, et celle de 691,
dont nous parlerons plus tard, un an s'est
écoulé, et pendant tout ce temps il nous
échappe. Dans les cinq mois qui suivirent
l'élection, quand Cicéron était consul
désigné, il n'est pas question de Catilina. On
vient de voir que, dès le jour des calendes de
janvier, où les consuls entrent en charge, la lutte
entre Cicéron et César commence. Catilina n'y
prit aucune part, et l'on comprend bien qu'il n'ait pas pu
s'en mêler. César se proposait de faire abolir
ce qui restait des lois de Sylla ; pouvait-il associer
à ce dessein un ancien syllanien aussi
décrié que Catilina ? Cependant, il n'est
guère admissible qu'un homme aussi entreprenant, dont
on nous dit que son esprit ne se reposait jamais (7), soit resté si
longtemps sans rien faire. C'est sans aucun doute
l'époque où il a dû organiser
définitivement sa conjuration.
Ce qu'elle était en réalité et de quels
éléments elle se composait, Salluste et
Cicéron nous en donnent quelque idée quand ils
nous disent que Catilina prétendait soulever à
la fois Rome et l'Italie. C'étaient, dans une seule
conjuration, deux complots, qui n'avaient pas tout à
fait le même caractère, quoique conçus
dans la même pensée et conspirant au même
résultat ; l'un devait grouper quelques grands
seigneurs de la ville, l'autre rappelait aux armes les vieux
soldats de Sylla disséminés dans les campagnes
italiennes. Ils avaient chacun d'eux leur organisation
distincte et leur rôle particulier, jusqu'au jour
où ils devaient se réunir sous les murs de Rome
pour tomber ensemble sur les aristocrates et les financiers
et les brûler dans leurs palais.
étudions à
part ces deux catégories de conjurés. Il serait
plus régulier sans doute de commencer par ceux de la
ville. Ils étaient les plus près de Catilina,
compagnons de ses plaisirs, confidents de ses projets, et ce
sont certainement les premiers auxquels il a dû
s'adresser quand la pensée lui est venue de tenter une
aventure. Mais, d'un autre côté, nous verrons
qu'au moment décisif, c'est dans les conjurés
d'Italie qu'il a eu le plus de confiance ; ils ont
été en somme son dernier espoir et son meilleur
appui. Si l'on se fie au récit de Salluste, c'est
à eux qu'il songea d'abord après l'échec
de sa candidature ; «son premier soin fut de leur
envoyer des armes et de l'argent qu'il emprunta sous son nom
ou par le crédit de ses amis» (8). Je vais donc
m'occuper d'eux d'abord ; il sera temps de revenir aux autres
plus tard.
II
Un des faits les plus importants de l'histoire de Rome
à la fin du VIIe siècle, c'est l'intervention
de l'armée dans les luttes civiles. Il n'est pas sans
intérêt de chercher à savoir comment elle
s'est produite.
Quelque réputation de
sagesse qu'on ait faite à Rome, elle n'a jamais eu
tout à fait la paix intérieure. La lutte est la
vie des pays libres ; il faut qu'ils s'y résignent.
«Pour règle générale, dit
Montesquieu, toutes les fois qu'on verra tout le monde
tranquille dans un état qui se donne le nom de
république, on peut être assuré que la
liberté n'y est pas.» A Rome, le combat entre
les plébéiens et l'aristocratie a
commencé le lendemain de l'expulsion des rois et il a
duré jusqu'à l'établissement de l'empire
; mais il a eu des phases très différentes. Au
début, les contestations étaient moins vives ;
elles prenaient volontiers une forme que nous connaissons
bien, celle de la grève. Le petit peuple quittait la
ville, il se retirait, avec l'armée, sur l'Aventin ou
le Mont Sacré, et l'on y attendait que la noblesse,
qui ne pouvait pas vivre dans son isolement, fît des
concessions, ce qui ne manquait pas d'arriver. Peu à
peu les choses se gâtèrent et l'on en vint
à l'émeute. Il faut pourtant remarquer que,
jusque dans les scènes les plus tumultueuses des
dernières années de la république, on
retrouve le caractère du peuple chez qui elles se
produisent. Elles affectent un certain respect de la loi, le
souci visible de se rattacher de quelque manière
à la constitution, même quand on la viole. C'est
toujours à la même occasion que la lutte
s'engage, et sur le même champ de bataille qu'on en
vient aux mains. Il s'agit d'enlever une élection ou
de faire approuver une loi. Le moyen qu'on prend pour y
réussir est toujours le même : on chasse
à coups de pierre ou de bâton, du Champ de Mars
ou du Forum, tous les gens du parti contraire, et l'on vote
quand on est sûr d'avoir l'unanimité. Le
procédé est violent, mais au moins on a
voté, et les apparences sont sauves : la plupart n'en
demandaient pas davantage. La grande difficulté
consistait à prendre possession de la tribune et
à s'y maintenir. On s'y installait dès le
milieu de la nuit, avec une bonne troupe, et l'on
empêchait les adversaires d'en approcher. Un
récit fort curieux de Cicéron qu'il a plusieurs
fois reproduit (9)
peut nous donner quelque idée de ce qui se passait
dans ces grandes émeutes. Il y a quelque
intérêt à comparer ce qu'il nous raconte
à ce que nous avons vu chez nous. D'abord, celui qui
voulait soulever la foule, un tribun d'ordinaire, ordonnait
de fermer les boutiques (10). C'était sans
doute pour enlever à ceux qui commençaient
à déserter les assemblées politiques
tout prétexte à rester chez eux. Jetés
ainsi dans la rue, on pensait qu'ils ne trouveraient rien de
mieux à faire que de se rendre au Forum. De leur
côté, les membres des clubs - il y en avait
alors dans tous les quartiers (collegia compitalicia)
- se rendaient aux lieux ordinaires de leurs réunions
; on les enrégimentait, on en formait des compagnies,
on leur indiquait un lieu de rendez-vous (11). Tout cela se
passait au grand jour ; sans souci de la police, qui
n'existait pas, au milieu d'un carrefour, auprès d'un
tribunal où le préteur rendait la justice. Des
armes étaient préparées dans le temple
de Castor, dont on obstruait les degrés, pour qu'on ne
pût pas les venir prendre ; puis, quand on les avait
distribuées aux complices, on les lançait sur
la foule désarmée, et ceux qui faisaient mine
de résister, on les frappait sans pitié. Le
lendemain, on était obligé d'éponger le
Forum ; on jetait les morts par la bouche de l'égout
de Tarquin, qu'on voit encore grande ouverte du
côté de la basilique Julia, et le Tibre roulait
des cadavres dans ses eaux ensanglantées.
On comprend que ces
violences, qui épouvantaient les honnêtes gens,
aient souvent réussi ; elles ont fait les
succès de Clodius et amené l'exil de
Cicéron. Mais on dut s'apercevoir assez vite qu'elles
ne procuraient que des victoires passagères. A son
tour le parti vaincu, s'il était riche,
répandait de l'argent dans les tribus, gagnait, en les
payant, les habitués des clubs, enrôlait des
gladiateurs ou des esclaves ; il n'avait qu'à user des
mêmes moyens que ses adversaires pour provoquer une
émeute en sens inverse qui produisait des effets
contraires, et c'était toujours à recommencer.
On ne pouvait espérer obtenir une
supériorité durable que si l'on
possédait une force disciplinée,
obéissante, qu'on fût sûr d'avoir toujours
sous la main. Puisque la violence et la corruption
disposaient des votes au Forum, et que la foi politique, qui
liait les citoyens à un parti, n'existait plus, il
était naturel qu'on songeât à la
remplacer par le respect et l'affection qui attachent le
soldat à son chef et qu'on employât
désormais l'armée pour arriver à la
conquête du premier rang. Marius d'abord, puis Sylla,
le firent avec succès, et ils en donnèrent
l'exemple aux autres. Les grands ambitieux, qui, vers
l'époque du consulat de Cicéron, se disputaient
le pouvoir, étaient bien décidés
à faire comme eux, et nous voyons que tous cherchent
le moyen d'avoir une armée à leur service.
Pompée est pourvu ; il commande aux légions
d'Orient, qui lui sont entièrement
dévouées. S'il veut les amener en Italie, elles
le suivront, et c'est ce qui épouvante ses rivaux.
Crassus comprend bien que sa fortune ne suffira pas seule
à lui donner la situation qu'il ambitionne. Il se
souvient qu'il a fait la guerre avec honneur, et veut s'y
remettre. Il dépense de grosses sommes pour susciter
une affaire en Egypte, qui pourra lui fournir une occasion
d'être mis à la tête d'une armée
(12) et, comme il
n'y réussit pas, il se jette dans cette folle
expédition contre les Parthes, où il trouvera
la mort. Il semble que César ait eu d'abord la
pensée de ne conquérir le pouvoir que dans les
luttes intérieures, et il s'obstine, pendant plusieurs
années, à ne pas s'éloigner du Forum.
Mais probablement la situation que Pompée s'est faite
lui donne à réfléchir ; il voit bien
qu'il n'aura pas raison des légions d'Orient avec des
émeutes ou des bulletins de vote. Il songe un moment,
comme Crassus, à tirer parti de l'affaire d'Egypte ;
puis, arrivé au consulat, il machine la conquête
des Gaules.
Catilina devait penser
comme eux. Il voyait bien de quel intérêt il
était pour lui de disposer d'une armée ; mais,
comme il était pressé d'agir, il lui fallait
l'avoir tout de suite, et les circonstances n'y
étaient pas favorables. Rome se trouvait en paix avec
le monde entier, ce qui lui était rarement
arrivé, de sorte que, même s'il
réussissait dans sa candidature, il n'avait
guère de prétexte pour obtenir un commandement
militaire important. D'ailleurs, était-ce bien
à des légions qu'il devait s'adresser pour le
genre de révolution qu'il préparait ? Quoique
fort peu scrupuleuses, elles pouvaient y répugner. Il
lui fallait des troupes d'un caractère particulier,
prêtes à toutes les besognes. Ces troupes, il
savait où les trouver ; il y avait partout, dans les
provinces italiennes, et spécialement en
étrurie, d'anciens soldats de Sylla, auxquels le
dictateur, on vient de le voir, avait libéralement
distribué cent vingt mille lots de terre. Mais ces
pillards de l'Asie avaient eu grand'peine à devenir
d'honnêtes fermiers. Ils s'ennuyaient dans ces domaines
qu'on leur avait donnés ; comme ils ne s'entendaient
guère à les faire valoir, ils étaient
criblés de dettes et tracassés par les
créanciers. Ils regrettaient leur ancien
métier, qui leur avait été si
profitable, et au premier signe qu'on leur ferait, ils
étaient prêts à reprendre les armes. On
savait bien qu'il ne manquerait pas de gens pour se joindre
à eux. Partout ils allaient trouver des
mécontents, des révoltés, qui
s'associeraient à leur fortune. C'étaient
surtout les anciens propriétaires des biens
qu'après chaque victoire le vainqueur s'était
appropriés, qui, se trouvant sans ressources,
s'étaient fait brigands. Depuis la guerre sociale et
les guerres civiles, toutes les routes en étaient
infestées (13). Il y avait aussi
les gladiateurs qu'on exerçait pour les jeux publics
dans de grandes écoles, et qui étaient toujours
disposés à s'échapper dès qu'on
entr'ouvrait la porte. Milon et beaucoup d'autres s'en
formèrent comme une garde, qu'ils amenaient avec eux
sur la place publique les jours de vote et d'élection.
Il y avait enfin les pâtres qui gardaient les grands
troupeaux dans les gorges sauvages de l'Apennin. Ils
étaient pour les conspirateurs une très
précieuse ressource. On racontait que le consul
Antoine, qui passait son temps à s'enrichir par ses
pillages et à se ruiner par ses débauches,
ayant été réduit à vendre ses
domaines et ses troupeaux, avait conserve les pâtres,
pour s'en servir quand il voudrait faire quelque mauvais coup
(14).
Voilà de quels éléments la petite
armée de Catilina se composait. Le centre de ce
mouvement militaire devait être Faesulae (aujourd'hui
Fiesole), au coeur de l'étrurie. C'est là que
Catilina réunit le gros de ses troupes, sous la
conduite d'un ancien centurion de Sylla, Manlius ou Mallius,
dans lequel il avait une pleine confiance. Tout ce qu'on nous
dit de ce Manlius, c'est que c'était un brave soldat,
et qu'il sut mourir avec courage (15).
III
Nous venons de voir ce qu'on peut savoir - ou
soupçonner - de ces troupes que Catilina avait
réunies à Faesulae. Les conjurés de Rome
étant plus en lumière et portant de grands
noms, nous avons plus de renseignements sur eux. Quand on
connaît Catilina, on n'a pas de peine à imaginer
comment tant de personnages importants s'attachèrent
à lui. Pour ne pas remonter plus haut que ce qu'on
appelle la première conjuration, nous avons vu que ce
complot, qui n'était qu'un coup de main peu
préparé et mal exécuté,
échoua par l'impéritie de quelques-uns et la
lâcheté du plus grand nombre. Catilina n'avait
rien perdu à cet échec ; au contraire, il y
gagna de s'être fait mieux connaître. Parmi tous
ces gens faibles, hésitants, il s'était
montré vigilant, énergique, prêt à
tout : c'étaient les qualités d'un chef de
parti. Aussi est-il probable que tous ceux qui cherchaient
fortune prirent dès lors l'habitude de se grouper
autour de lui. Pendant les deux années qui suivirent,
il ne quitta pas Rome ; il dut en profiter pour
accroître le nombre de ses partisans. Salluste en
désigne quelques-uns à propos de cette
réunion du mois de juin 690, où il nous dit que
Catilina dévoila ses projets à ses amis. Il n'a
pas sans doute la prétention de les nommer tous ; il
prend les plus connus, les plus importants, ceux qui ont
rempli les fonctions les plus élevées. Il s'y
trouve deux anciens consuls, des préteurs, des
questeurs et d'autres membres du Sénat. Ce qu'il y a
de plus remarquable, c'est qu'ils appartiennent tous aux
rangs les plus élevés de la
société romaine. Ce sont des Cornelii, des
Calpurnii, des Statilii, de proches parents de Sylla, un
Cassius, un Gabinius, un Fulvius Nobilior, les gens les plus
connus de Rome. On n'est pas habitué à voir
tant de personnages de ce rang figurer ensemble dans un
complot révolutionnaire. C'est le caractère
particulier de la conjuration de Catilina ; elle est
véritablement, comme l'appelle un poète de ce
temps, un attentat de patriciens, patricium nefas
(16).
A ces grands noms, Catilina en ajouta d'autres après
son échec aux élections de 690. On nous dit
qu'il chercha alors à se faire des adhérents
nouveaux, et ce qui prouve qu'il n'avait rien perdu de son
prestige, c'est qu'il y réussit. Nous savons par
Cicéron que, parmi ceux qui grossirent en ce moment
son parti, se trouvait Cselius. La conquête
était d'importance : il n'y avait pas, dans la
jeunesse de ce temps, de nom plus connu que le sien. Au
Forum, on avait peur de sa parole mordante, et il
était déjà regardé comme un
orateur redoutable. Cicéron, qui l'avait formé,
lui reprochait de ne pas savoir se contenir. "Il est plus
violent que je ne voudrais", disait-il ; mais
précisément ces violences faisaient sa
popularité. En même temps, c'était un
héros de la mode. On remarquait
l'élégance de sa mise, l'éclat
particulier de sa tunique de pourpre, et il ne paraissait en
public qu'entouré d'un cortège d'admirateurs et
d'amis.
Salluste ajoute que c'est
alors aussi que Catilina s'affilia des femmes qui
appartenaient au plus grand monde. Les détails qu'il
nous donne à ce propos, avec une certaine
complaisance, sont de nature à piquer notre
curiosité ; mais surtout ils provoquent notre
surprise, car nous avons toujours devant les yeux le type de
la matrone romaine, tel qu'il se trouve chez les historiens
et les moralistes. Je ne sais si ce type a jamais
été bien exact, ceux qui nous le
présentent étant fort suspects de trop vanter
l'antiquité ; mais assurément, à
l'époque où nous sommes, il avait tout à
fait cessé de l'être. Le relâchement des
moeurs publiques, l'habitude du divorce, la loi qui remettait
à la femme la libre disposition de sa fortune
personnelle pour qu'elle pût l'emporter quand elle
quittait son mari, avaient entièrement corrompu la
famille. Aussi Catilina n'avait-il pas eu de peine à
trouver, dans la haute société, de grandes
dames «qui, après avoir longtemps satisfait tous
leurs caprices en puisant dans la bourse de leurs amants,
quand l'âge avait rendu leurs profits plus
légers, s'étaient vues réduites à
contracter des dettes immenses» (17). Elles avaient donc,
pour entrer dans la conjuration, le même motif que tant
de gens sans ressources, qui cherchaient à liquider
une situation embarrassée par un bouleversement
général. Mais il est vraisemblable qu'elles y
étaient attirées aussi par la séduction
qu'exerçait sur leur sexe celui qui en était le
chef, et dans la vie duquel les femmes avaient tenu tant de
place. C'est ce qui est arrivé plus tard, dans le
complot formé contre Néron, et qui fut si
près de réussir. Tacite nous dit qu'il
comprenait non seulement des sénateurs et des
chevaliers, mais encore des femmes qui s'y étaient
engagées moins en haine du prince que par leur
inclination pour Pison, un mauvais sujet du grand monde
(18).
La plus importante de ces
femmes que Catilina entraîna dans sa conjuration
paraît bien avoir été Sempronia, de la
famille des Gracques, la mère de ce Decimus Brutus,
qui fut l'ami, puis l'un des meurtriers de César.
Salluste nous a fait d'elle un portrait composé,
à sa manière, de petites phrases
détachées, que je veux reproduire, quoiqu'il
soit bien connu, à cause du jour qu'il jette sur la
société de ce temps (19). «Sempronia,
dit-il, a souvent commis des actions qui demandaient l'audace
d'un homme. Elle avait reçu du sort la naissance et la
beauté ; elle était heureuse en mari et en
enfants. Instruite des lettres grecques et latines, elle
savait la musique et la danse, plus qu'il n'est
nécessaire à une femme honnête, et
possédait encore d'autres talents, qui ne servent
qu'à enflammer la passion. Mais il n'y avait rien qui
lui fût plus indifférent que la décence
et l'honneur, et l'on aurait grand'peine à dire ce
qu'elle tenait le moins à ménager, de sa
réputation ou de sa fortune. Elle cédait
à ses désirs avec si peu de retenue qu'il lui
étail arrivé de s'offrir aux hommes plus
souvent que d'être sollicitée par eux. Depuis
longtemps déjà elle s'était
habituée à manquer à sa parole, à
nier avec serment une dette contractée, à se
faire complice de quelque meurtre : la débauche et la
gêne l'avaient précipitée jusqu'au fond
de l'abîme. Et pourtant son esprit ne manquait pas
d'agrément ; elle faisait des vers, sa conversation
était piquante, elle savait se servir à
l'occasion d'un langage modeste, tendre ou provocant : en un
mot, c'était une femme pleine d'enjouement et de
grâce».
Dans ce portrait où
les contraires se heurtent, on retrouve à la fois les
deux Salluste que nous connaissons : celui des
premières années, quand il combattait sur le
Forum les partisans des institutions anciennes, et
qu'étant l'amant de la femme de Milon, qui, sans
doute, ne valait guère mieux que Sempronia, il devait
être disposé à plus d'indulgence pour
elle ; et le Salluste vieilli, qui s'était fait le
prôneur des vertus antiques, ou, comme le disait un de
ses ennemis, «le censeur impitoyable des vices des
autres» (20). Sans
prétendre que la sévérité du
moraliste repentant soit imméritée, il me
semble qu'il y a autre chose dans ce qu'il reproche à
Sempronia et à celles qui lui ressemblaient que les
emportements d'une nature passionnée. Peut-être
faut-il y voir aussi la révolte de femmes
éprises d'émancipation, et qui cherchaient
à opposer un idéal nouveau à celui de la
matrone d'autrefois. Leur dessein est de conquérir
toutes les attributions que d'injustes préjugés
réservent ordinairement aux hommes. C'est un programme
qui ne nous est pas inconnu. Elles veulent recevoir la
même éducation, participer aux mêmes
connaissances, jouir des mêmes libertés. Quand
elles ont de l'esprit, elles croient avoir le droit de le
montrer; elles ne pensent pas que la modestie de leur sexe
leur fasse un devoir de se taire en société et
de retenir le bon mot qui leur vient sur les lèvres.
Elles ont des amants, comme leurs maris ont des
maîtresses, et ne se croient pas tenues d'en faire un
mystère. On a vu du reste que le ménage de
Sempronia n'en paraît pas fort troublé, et
peut-être faut-il attribuer à la facilité
du divorce cette tolérance réciproque : on
s'accommode plus aisément d'une situation quand on
sait qu'on pourra la faire cesser dès qu'on le voudra.
Chacun des époux vit de son côté et
dispose de sa fortune comme il l'entend. La femme, qui n'est
guère gênée par les tuteurs que la loi
lui donne, et qui ne sont le plus souvent que des
complaisants ou des complices (21), administre ses
biens à sa fantaisie. Elle vend, elle achète,
elle prête, elle emprunte, et elle ne rend pas.
Pourquoi hésiteraient-elles à imiter ce qu'on
fait si souvent autour d'elles ? Soyons sûrs que
Sempronia dut s'applaudir comme d'une conquête, quand
elle s'attribua le droit, qui semblait plutôt
réservé aux hommes, de faire banqueroute. Je
crois bien qu'en s'engageant dans la conjuration,
c'était encore un privilège des hommes qu'elle
prétendait usurper. Elle entrait dans la politique,
non pas en conseillère discrète, et comme
derrière un voile, ce qui était souvent
arrivé, mais ouvertement, au grand jour. Prendre part
à une oeuvre de viohence qui allait révolter
les honnêtes gens, n'était-ce pas une
façon éclatante de rompre avec l'ancienne
société et d'affirmer son indépendance
?
On voit bien les raisons
que pouvaient avoir Sempronia et les autres pour
écouter les propositions de Catilina ; mais Catilina,
quels motifs avait-il de les leur faire ? Il est difficile de
croire Appien, qui nous dit qu'elles devaient lui apporter
l'argent dont il avait si grand besoin, quand on sait que la
plupart d'entre elles n'étaient pas plus riches que
lui. L'opinion de Salluste est plus vraisemblable (22). Il prétend
que, comme elles avaient conservé, malgré leur
détresse, un grand train de maison, il voulait
profiter de cette multitude d'esclaves, qui remplissaient
leurs demeures, pour mettre le feu à Rome, quand le
moment serait venu. Salluste ajoute que Catilina comptait
aussi sur elles pour gagner leurs maris à sa cause,
ou, s'ils refusaient, pour les assassiner. Ce ton de parfaite
indifférence avec lequel, à la fin d'une
phrase, sans ajouter un mot, il nous donne ce détail
atroce, montre bien qu'il n'en éprouvait aucune
surprise. La femme romaine, en général, n'est
pas tendre et douce de sa nature. Dans celle que le paysan du
Latium ou de la Sabine choisit «pour lui donner des
enfants» (23), les qualités
qu'il préfère sont le sérieux et
l'énergie. Sur le théâtre de Rome, la
grâce, la tendresse, la passion sont
réservées aux courtisanes : la femme de
naissance libre est d'ordinaire raisonneuse et revêche.
Quoiqu'elle dise quelque part qu'elle s'incline «devant
la majesté de l'homme», elle lui tient
tête résolument, elle s'insurge contre lui, et
l'histoire nous prouve qu'elle est allée quelquefois
bien plus loin que de le chicaner. Est-il possible de
comprendre que, pendant la guerre des Samnites, à la
grande époque des vertus romaines, on ait
découvert tout un vaste complot formé par les
femmes pour empoisonner leurs maris ? Tite-Live ne l'a pas
inventé, puisqu'il n'en parle qu'à regret, et
qu'il affirme que cent soixante-dix d'entre elles furent
convaincues et condamnées à mourir par les
tribunaux de famille (24). Plus tard, dans
l'affaire des Bacchanales, beaucoup de femmes furent
compromises, et on les accusa de joindre aux folies du
mysticisme oriental des crimes de toute sorte (25). On comprend, quand
on se souvient de ces précédents, qu'elles
aient eu encore moins de scrupule à commettre des
assassinats, à une époque où
l'assassinat était si fréquent parmi les
hommes. C'était encore une manière de se mettre
à leur niveau.
IV
Nous voudrions bien qu'il nous fût possible de
pousser plus loin cette étude un peu sommaire ; il
nous importerait surtout de pouvoir apprécier, au
moins d'une manière approximative, la force
réelle des différents groupes dont la
conjuration se composait. Par malheur, les renseignements
nous manquent ou sont incomplets et contradictoires.
Même sur le chiffre exact du rassemblement qui
s'était formé en étrurie, quoiqu'il
agît au grand jour et que, par conséquent, il
fût plus facile de l'évaluer, les
écrivains ne sont pas d'accord. Salluste
prétend qu'au début, il ne comprenait que 2 000
hommes (26) ; il
ajoute, il est vrai, que ce nombre s'est vite
augmenté. Cependant, il ne paraît pas croire
qu'il ait jamais dépassé 10 à 12000
hommes, puisqu'il dit que Catilina n'en forma que deux
légions. Plutarque et Appien parlent de 20000 hommes
(27), et ce
chiffre paraît assez vraisemblable quand on songe aux
troupes que le gouvernement crut devoir leur opposer.
C'était déjà une petite armée et
destinée à s'accroître rapidement. A la
vérité, le quart à peine
possédait des armes véritables ; les autres se
servaient de méchantes javelines, de faux ou
même de bâtons durcis au feu. Mais
c'étaient des soldats braves, résolus, le reste
des vieilles bandes de Sylla.
Nous savons que Calilina
ne s'était pas contenté d'appeler aux armes
l'étrurie ; il semble qu'il avait le dessein de mettre
le feu à l'Italie entière. Il entretenait des
émissaires un peu partout, à Capoue, où
l'on dressait des gladiateurs destinés aux jeux
publics, à Ostie, pour soulever les équipages
de la flotte, dans le Picenum, dans le Brutium, dans
l'Apulie, dans la Gaule cisalpine. Parmi ces
émissaires, il y en avait un dont le nom mérite
d'être retenu ; il s'appelait P. Sittius de Nocera.
C'était un personnage fort curieux, qui, dans sa vie
d'aventure, eut quelques belles journées. Il avait
débuté par être un grand faiseur
d'affaires financières, et il était, à
ce qu'il semble, fort habile dans ce métier ; mais,
à côté de son commerce de banque, il en
avait un autre qui lui rapporta bien davantage. Il
réunit autour de lui, en Afrique, où il
opérait, des mécontents, des proscrits, des
gens que les guerres civiles avaient ruinés et en
forma un corps de troupes qui lui était
entièrement dévoué ; il l'engageait,
suivant les occasions, au service de ces petits princes
africains que Rome laissait vivre, et qui en profitaient pour
se déchirer entre eux. Il se mettait aux
enchères et passait sans scrupule d'un parti à
l'autre. A ces pratiques de condottiere il avait gagné
un certain nom et de bons revenus. Le jour où
César aborda en Afrique pour y combattre les vaincus
de Pharsale, Sittius l'alla trouver avec ses bandes, et, sous
cette grande direction, l'aventurier, devenu un
général habile et heureux, acheva la
défaite des armées républicaines.
Catilina ne s'était donc pas trompé lorsque,
avant César, il avait pris Sittius pour un de ses
lieutenants, mais il fut moins heureux avec les autres.
C'étaient des gens sans expérience,
tourmentés du besoin d'agir plutôt que d'agir
à propos, et qui échouèrent partout.
«Ils s'agitaient sans réflexion, dit Salluste,
et comme pris de vertige; ils voulaient tout faire à
la fois, tenant des conciliabules nocturnes, faisant
transporter des armes au hasard, se hâtant sans motif,
semant le trouble partout; en un mot, plus alarmants que
dangereux» (28). Là, comme
ailleurs, Catilina fut mal servi par les agents qu'il
employait. Ce n'est pas une raison de
méconnaître qu'il eut en général
plus de succès dans ce qu'il fit directement par
lui-même. Au temps des Philippiques, Cicéron le
comparait à son nouvel ennemi, Antoine, et il disait
que, s'ils étaient aussi scélérats l'un
que l'autre, il y avait chez Catilina plus d'intelligence et
d'activité, et il vantait la rapidité avec
laquelle il avait su faire de rien une armée (29). Il faut remarquer
que cette armée était surtout composée
de vétérans. C'est leur première
apparition dans l'histoire de cette époque ; ils vont
y tenir une plus grande place encore avec Antoine et Octave.
Il n'en est pas moins vrai que c'est Catilina qui a compris
le premier le genre de services qu'on pouvait leur
demander.
Quant aux conjurés
de Rome, comme il n'est guère question que des plus
importants, et qu'ils appartiennent tous à la haute
aristocratie, nous sommes tentés de croire que la
conspiration y resta sur ces hauteurs, que les gens du peuple
n'y prirent aucune part et que c'était proprement un
état-major sans soldats. N'oublions pas pourtant que
tous ces grands personnages possédaient des clients,
des affranchis, des serviteurs, qui se groupaient autour
d'eux et dont ils pouvaient faire profiter Catilina. Loin de
dédaigner leur appui, nous avons vu qu'il travaillait
à les rendre plus nombreux en cherchant à
attacher à son parti quelques dames de haut parage,
qui tenaient un grand état de maison et disposaient
d'un nombreux domestique. Comme ses projets n'ont pas
été exécutés, qu'il n'a pas eu
l'occasion de faire appel à leur
dévoûment, nous ignorons s'il pouvait compter
sur eux et quels services il en aurait tiré. Au
dernier moment il s'éleva une contestation entre ses
partisans et lui. Comme il était avant tout un soldat
et qu'il avait le respect de l'armée, il
résistait à ceux qui lui demandaient
d'enrôler les esclaves dans ses légions ; il
consentait à les appeler aux armes, mais à
condition qu'ils feraient bande à part ; il les
trouvait bons pour mettre le feu à Rome et c'est pour
cette besogne surtout qu'il acceptait leur aide. Quoi qu'il
en soit, ni sur le nombre des grands seigneurs qui
dirigeaient l'entreprise, ni sur celui des gens qui
s'étaient mis à leur service, nous n'avons de
renseignements précis. Les historiens, qui nous citent
des noms, ne nous donnent aucun chiffre. Mais peut-être
après tout est-il assez inutile de chercher à
savoir si ceux qui s'étaient formellement
engagés à Catilina étaient nombreux ou
non, puisqu'on nous dit que ce qui faisait la force
réelle du complot était moins la participation
directe de quelques-uns que la connivence secrète de
presque tout le monde. Cicéron le fait bien comprendre
dans un passage très significatif de la seconde
Catilinaire (30).
Il veut y faire une énumération aussi
complète que possible de ceux qu'il regarde de quelque
manière comme des partisans de Catilina; il les divise
en six classes qu'il énumère et décrit
l'une après l'autre. Mais, quand on regarde de
près, on voit bien que de ces six classes il n'y en a
que deux ou trois tout au plus qui soient composées de
gens véritablement affiliés à la
conjuration. Les autres ne la favorisent qu'en cachette; ils
sont prêts à s'y associer ouvertement le jour
où elle éclatera, et si elle a quelques chances
de réussir. A la rigueur, Cicéron a le droit de
les dénoncer comme des complices, car Catilina ne
tenterait pas son entreprise, s'il ne comptait sur eux ;
pourtant ce ne sont pas des conjurés véritables
: ils n'ont fait aucune promesse, ils ne sont liés par
aucun serment; ils attendent que les événements
se dessinent. Cette disposition, que Cicéron attribue
surtout aux grands seigneurs endettés et aux
politiques déçus, Salluste l'étend
à tout le peuple. Il affirme «que non seulement
les conjurés, mais le peuple entier approuvait les
desseins de Calilina, et que, pour peu qu'à la
première rencontre, le résultat parût
incertain, la république était perdue»
(31). Catilina le
savait bien ; au delà de ses adhérents
décidés, des amis qu'il réunissait, la
nuit, «dans un endroit retiré de sa
maison», il apercevait la foule des autres qu'il savait
prêts à le suivre, et c'est ce qui lui donnait
tant de confiance. Qu'importait le nombre de ceux qui
jetteraient les premières torches, si la multitude,
dès qu'elle verrait luire l'incendie, devait accourir
à leur aide ? C'est un signal qu'on attendait, et il
suffisait de quelques gens résolus pour le
donner.
C'est là
précisément ce qui fait pour Cicéron et
le Sénat le danger de la situation. Ils savent que les
conspirateurs sont prêts, qu'ils comptent sur la
sympathie du plus grand nombre, et qu'une émeute, en
quelques heures, peut devenir une révolution : ils ont
bien raison d'être effrayés. Leur peur
s'accroît de la difficulté où ils sont de
se défendre. Contre tous les périls qui les
menacent, ils sont désarmés. La loi, qui leur
ordonne de veiller à la sécurité de la
ville, ne leur en fournit pas les moyens. Rome ne
possède pas de garnison ; les légions qui
reviennent de la guerre sont obligées de rester en
dehors de l'enceinte sacrée du pomaerium. C'est
à peine si l'on trouve auprès des portes
quelques esclaves publics pour les fermer le soir et les
garder, pour faire pendant la nuit quelques patrouilles qui
n'empêchent pas les bourgeois d'être
assassinés, quand ils rentrent trop tard chez eux
(32), pour
essayer d'éteindre les incendies, tâche dont ils
s'acquittent si mal qu'il s'est formé des corps de
pompiers volontaires qui se font payer leurs services. Il y a
sans doute un assez grand nombre d'employés
subalternes. Dans un pays où l'on aime la
représentation, comme à Rome, les magistrats ne
sortent jamais sans être entourés d'un
cortège; ils ont des licteurs qui les
précèdent, des appariteurs, des huissiers, des
viatores, des accensi. Mais toute cette escorte
est plus destinée à leur faire honneur
qu'à les protéger. Elle se compose de bons
bourgeois, peu redoutables, qui ont acheté leurs
charges, comme chez nous les avoués et les notaires,
et sur lesquels on ne doit pas trop compter, les jours
d'émeutes (33). Quant à la
police politique, elle n'existe pas. Pour découvrir
les complots contre la république, le consul ne peut
compter que sur la trahison des complices. Heureusement pour
Cicéron, les traîtres ne peuvent manquer dans un
parti qui compte tant de gens malhonnêtes. Il eut la
chance surtout d'en trouver un, dont Salluste nous parle, et
qui lui fut très utile. «Parmi les
conjurés, il y avait Q. Curius, appartenant à
une famille distinguée, mais qui s'était
déshonoré par toute sorte de crimes et que les
censeurs avaient chassé du Sénat pour sa vie
scandaleuse. Cet homme n'avait pas moins de
légèreté que d'audace ; il était
incapable de taire ce qu'il avait appris, ou même de
dissimuler ses méchantes actions ; il ne prenait pas
plus de souci de ses paroles que de ses actes. Depuis
longtemps il était l'amant de Fulvia, une femme de
grande naissance. Mais, comme la gêne où il se
trouvait le forçait d'être moins
généreux, il en était moins bien
reçu. Tout d'un coup elle vit qu'il changeait de ton ;
il prenait des airs superbes, tantôt lui promettant
monts et merveilles, tantôt menaçant de la tuer
si elle lui résistait, et se montrant plus arrogant
qu'il ne l'avait jamais été. Fulvia chercha la
cause de ce changement extraordinaire, et, quand elle eut
découvert que c'était la conjuration, elle
comprit le danger que courait la république et ne crut
pas devoir garder le silence. Elle raconta ce qu'elle savait
et comment elle l'avait appris, sans dire de qui elle le
tenait.» Cicéron dut être un des premiers
avertis. Il fit de grandes promesses à Fulvia, qui,
quoique dise Salluste, avait bien d'autres soucis que le
salut de la république ; il obtint d'elle qu'il serait
prévenu de tous les desseins de Catilina, et c'est
ainsi qu'il parvint à les déjouer. Il s'est
félicité à plusieurs reprises de cette
heureuse chance et de l'adresse avec laquelle il en a su
profiter. Salluste aussi lui en a fait un compliment, le seul
peut-être qu'il lui adresse, et qui ressemble un peu
à une ironie : «Pour se tirer des dangers,
dit-il, il ne manquait ni d'habileté ni de ruse»
(34).
V
Pendant que Catilina s'occupait d'organiser sa
conspiration à Rome et dans l'Italie, il avait pris
une résolution dont nous sommes d'abord un peu
étonnés : il s'était
décidé, avant de prendre les armes, à
essayer encore une fois la fortune d'une élection.
Peut-être avait-il tort de mêler ensemble un
complot et une candidature, mais on a vu quel était le
prestige de la dignité consulaire et que les plus
audacieux conspirateurs hésitaient à tenter
leur entreprise tant qu'ils n'en avaient pas
été revêtus. Catilina d'ailleurs avait
toujours les yeux sur Sylla, qui était son
maître et son modèle, et il espérait
arriver comme lui par le consulat au pouvoir suprême.
Il se mit donc de nouveau sur les rangs aux comices
électoraux pour 692.
La lutte était sérieuse et les concurrents
redoutables. Nous connaissons parmi eux Servius Sulpicius, le
plus grand jurisconsulte de ce temps, D. Junius Silanus, un
honnête homme, sans grand éclat, mais riche et
généreux qui, pendant qu'il était
édile, avait donné des jeux dont on se
souvenait, enfin Licinius Murcna, lieutenant de
Pompée, dont le père avait servi avec honneur
sous Sylla en Asie, et triomphé de Mithridate. Le
succès de Silanus paraissait certain : c'était
un de ces hommes de second ordre qui n'inquiètent
personne. Sulpicius l'emportait par son illustration sur tous
ses rivaux, mais il était surtout
apprécié des gens instruits et des
lettrés, qui lui savaient gré d'avoir
essayé d'introduire un peu de philosophie dans le
droit romain. Malheureusement c'est un genre de mérite
auquel le suffrage universel devait être peu sensible.
De plus, on lui reprochait quelques-uns des défauts de
sa profession, un respect peut-être trop scrupuleux de
la légalité et un esprit de chicane. Il voyait
des délits partout et menaçait sans cesse les
gens de leur faire des procès. Il obtint que
Cicéron, son ami, fît voter une loi nouvelle et
plus rigoureuse contre la brigue, quoiqu'il y en eût
déjà un très grand nombre qui ne
passaient pas pour très douces. Cette loi, qui prit le
nom de son auteur (lex Tullia, de ambitu), aggravait
les peines prononcées contre les candidats qui se
permettaient de donner des jeux et des festins au peuple, ou
payaient les pauvres gens pour leur faire cortège, et,
s'ils en étaient convaincus, les condamnait à
l'exil. Malgré ces menaces, la loi Tullia ne
fut pas plus efficace que les autres, - on n'a pas encore
trouvé le moyen de supprimer les fraudes
électorales ; - elle n'eut d'autre résultat que
de montrer les inquiétudes de Sulpicius et
d'éloigner de lui ceux qui ne votent volontiers que
pour les candidats qui ont des chances. Murena, an contraire,
qui était un soldat, menait la campagne
électorale avec plus de rondeur et d'adresse ; il
devait plaire à la populace par l'ascendant qu'exerce
toujours sur elle la décision et la belle humeur. Il
est bien probable aussi qu'il avait moins de
répugnance à répandre sur ceux qui en
avaient besoin quelques libéralités opportunes.
Habile à se tenir sur les confins de la loi, il fit
donner des jeux et offrir des repas au peuple par ses amis et
ses parents ; enfin il sut se servir à propos du nom
de Pompée, son général, qui était
alors très populaire, et du prestige de la guerre
d'Orient, qui venait de s'achever d'une manière si
glorieuse.
La lutte
électorale, dont nous ne connaissons pas tous les
incidents, dut être très vive. Catilina payait
d'audace. Soit par une sorte de forfanterie qui lui
était naturelle, soit qu'il entrât dans ses vues
d'effrayer de plus en plus les peureux, il ne prenait pas la
peine de dissimuler ses projets. Dans une séance du
Sénat, Caton l'ayant menacé de le traduire
devant les tribunaux, il répondit fièrement :
«Si l'on essaye de mettre le feu à
l'édifice de ma fortune, j'éteindrai l'incendie
sous les ruines» (35). Vers le même
temps circulèrent des propos violents, pleins de
menaces, qu'il aurait tenus dans une réunion des gens
de son parti, et qui répandirent l'alarme dans Rome.
Cicéron, qui était parfaitement informé
de tout, résolut d'en profiter. C'était
justement la veille de l'élection ; il demanda qu'elle
fût retardée, alléguant sans doute qu'il
pourrait être dangereux d'y procéder le
lendemain. Le Sénat y consentit avec empressement. Il
paraissait plein de bonne volonté,
décidé à prendre des mesures
énergiques; mais quand, deux jours après, il se
réunit de nouveau, ses dispositions n'étaient
plus les mêmes : la nuit avait porté conseil.
Cicéron ayant demandé à Catilina de
s'expliquer sur les paroles qu'on l'accusait d'avoir dites,
il ne prit pas la peine de les démentir ou de nier les
desseins qu'on lui prêtait, et répondit avec
arrogance : «Il y a deux corps, dans la
république, l'un qui est faible, avec une tête
qui ne vaut pas mieux que lui ; l'autre est plein de force,
mais il n'a point de tête. En reconnaissance de ce
qu'il a fait pour moi, c'est mon devoir de lui en servir,
tant que je vivrai.» Ces provocations furent
accueillies par des murmures unanimes, mais personne n'osa
proposer de le mettre en jugement, et il sortit avec un air
de triomphe (36).
On ignore l'époque
où se fit l'élection, mais du moment que
Catilina n'était pas poursuivi, il n'y avait pas de
raison de la reculer indéfiniment ; elle dut avoir
lieu au mois d'août ou de septembre (37). Catilina conserva
jusqu'à la fin son assurance. Il marchait la
tête haute, la figure joyeuse, au milieu de cette
brillante jeunesse qui le suivait partout, escorté de
délateurs et d'assassins, fier de traîner
après lui toute une armée de gens qui lui
étaient arrivés d'Arretium et de Faesulae ; car
il avait fait venir d'étrurie pour la circonstance
Manlius avec une partie des siens. Il espérait bien
que l'élection ne se passerait pas sans quelque
bataille, et surtout, il avait donné l'ordre que le
consul n'en sortît pas vivant. Mais Cicéron
était prévenu et il avait pris ses
précautions ; tous les jeunes chevaliers formaient
comme une garde autour de lui. Pour montrer aux
conjurés qu'il n'ignorait pas leurs projets et faire
connaître aux bons citoyens que sa vie était
menacée, il s'était couvert d'une cuirasse
brillante qu'on entrevoyait sous sa toge. Est-ce, comme il se
plaît à le supposer, la sympathie qu'on
éprouvait pour lui et le sentiment du danger qu'il
venait de courir qui décida les électeurs ?
toujours est-il qu'avec l'inévitable Silanus ils
nommèrent Murena, et que Catilina fut encore une fois
battu.
La lutte eut un épilogue. Sulpicius, qui avait
naturellement une très bonne opinion de lui-même
et regardait la science où il excellait comme fort
au-dessus de tout le reste, ne pouvait pas comprendre comment
on avait préféré un soldat à un
jurisconsulte, et il se persuada très vite que Murena
ne pouvait devoir son succès qu'à des
manoeuvres coupables. Avec l'aide de Caton, un grand homme de
bien, mais un assez petit esprit, il s'empressa de le
déférer aux tribunaux. Cicéron, qui
avait jusque-là soutenu Sulpicius, une fois que Murena
fut nommé, n'hésita pas à prendre sa
défense. Il avait raison : on ne devait pas faire
courir de nouveau la chance à la république de
tomber dans les mains de Catilina ; il fallait qu'aux
calendes de janvier elle.eût ses deux consuls pour la
protéger. Ce plaidoyer était donc une bonne
action, ce fut en même temps un fort beau discours ; il
n'en a guère prononcé de meilleur. On ne
revient pas de la surprise qu'on éprouve en le voyant
dans des circonstances si graves (c'était fort
probablement entre la seconde et la troisième
Catilinaire), au milieu des inquiétudes mortelles que
lui causait la conjuration, quand sa vie était
à chaque instant menacée, se charger d'une
affaire criminelle et la plaider avec tant de verve et de
bonne humeur. Mais ce n'était pas une charge pour lui,
c'était un divertissement et une distraction qu'il se
donnait. Il était heureux de s'évader un moment
de la politique pour retourner à ces débats
judiciaires qui étaient son domaine naturel ; du
premier coup, dès qu'il y mettait le pied, il
retrouvait sa liberté d'esprit, sa gaîté,
sa malice, et oubliait tout le reste. Sans doute Sulpicius et
Caton étaient ses amis ; mais n'est-ce pas de ses
meilleurs amis qu'on connaît le mieux les
défauts ? Il savait, par une expérience de tous
les jours, qu'il y avait chez le bon Sulpicius un fonds de
légiste vétilleux et de doctrinaire
gourmé, que l'honnête Caton était le plus
têtu et le plus maladroit des hommes, et il ne
résista pas au plaisir de le dire. On dut rire de bon
coeur au Forum, en entendant ces portraits du jurisconsulte
qui débite solennellement ses petites formules, et du
stoïcien rigoureux qui proclame «que, toutes les
fautes étant égales, on n'est pas plus coupable
d'étrangler son père que de saigner un poulet
sans nécessité». On oubliait que, dans ce
charmant discours, il semblait que l'orateur prît
plaisir à se démentir à chaque instant ;
qu'il y plaidait pour un homme qu'on accusait - non sans
quelque apparence - d'avoir violé la loi
Tullia, c'est-à-dire une loi qu'il venait
lui-même de faire et qui portait son nom ; qu'il y
soutenait fort spirituellement qu'un soldat est plus
important pour la république qu'un homme qui ne
s'occupe que des arts de la paix, à la veille du jour
où il allait écrire le fameux vers : cedant
arma togae. Mais les contradictions ne lui
coûtaient guère, et on ne lui en tenait pas
rigueur ; Murena fut acquitté.
La lutte était donc finie ; Catilina n'avait plus
aucun moyen de rester dans la légalité, et il
se trouvait définitivement enfermé dans sa
conjuration.
VI
Puisqu'elle va devenir désormais sa seule
occupation et sa dernière ressource, c'est le moment,
à ce qu'il me semble, de l'étudier de plus
près, et d'en préciser, s'il se peut, le
véritable caractère. Le programme de Catilina
n'a pas été probablement conçu d'un seul
coup et il a dû se modifier selon les circonstances. On
peut soupçonner, par exemple, qu'il n'était pas
tout à fait le même pendant ses candidatures
qu'après son échec. Cependant Salluste laisse
entendre qu'au fond ses intentions n'ont guère
changé et que, candidat ou non, il se proposait
d'aller reprendre à cette poignée de
privilégiés qui s'était installée
dans les hautes charges de l'état la fortune qu'elle y
avait gagnée, pour la donner à ses amis :
«Voilà, lui fait-il dire, quand il les
réunit pour la première fois, ce que je ferai
avec votre aide, quand je serai consul» (38) ; ce qui signifie
clairement que le consulat n'était pour lui qu'un
moyen de réaliser plus aisément ses projets
antérieurs. Mais si au fond les projets restaient les
mêmes, il est évident qu'étant au
pouvoir, tout lui eût été plus facile, et
qu'il n'aurait pas eu besoin de recourir aux mêmes
violences. Dans tous les cas, s'il a changé, il ne
nous est pas possible de tenir compte de ces variations que
nous ignorons entièrement. Bornons-nous à
connaître ses derniers desseins, ceux qu'il a
formés et qu'il exposait à ses amis dans les
derniers temps, quand il n'avait plus aucun ménagement
à garder.
Les contemporains, quand ils nous parlent de la conjuration,
se contentent de lui prodiguer les qualifications les plus
dures ; ils l'appellent atrox, nefaria, tetra,
horribilis, ce qui ne nous apprend guère que la
frayeur qu'elle leur causait. Salluste pourtant nous donne un
renseignement plus précis, et dont nous pouvons
profiter, quand il nous dit, au début de son livre,
qu'il a été décidé à
choisir le sujet qu'il va traiter par la nouveauté du
crime qui fut alors tenté, et, du péril que
courut la république, sceleris et periculi
novitate (39). Il lui semblait
donc que la conjuration de Catilina avait ce caractère
particulier de différer des précédentes,
et, pour la connaître, il nous faut avant tout chercher
à savoir ce qu'elle avait de nouveau.
On est d'abord
frappé de voir que, contrairement à ce qui
était arrivé jusque-là, la politique
proprement dite y tienne si peu de place. Cicéron
soutient, dans un de ses moments d'optimisme, qu'après
toutes les concessions que le peuple a obtenues, il n'y a
rien qui puisse le séparer des hautes classes de
l'état, qu'il ne lui reste plus rien à
désirer, et qu'il n'a pas de motif de faire des
révolutions nouvelles (40). C'est aller bien
loin, d'autant mieux qu'on fait souvent des
révolutions sans motif. Il est pourtant certain qu'en
ce moment les graves questions de politique
intérieure, pour lesquelles on avait livré tant
de batailles, étaient résolues ou près
de l'être. Depuis longtemps la plèbe avait
conquis l'accès à toutes les fonctions
publiques, et si l'aristocratie, grâce au prestige dont
elle jouissait encore, continuait d'accaparer les plus hautes
dignités, le succès de Marius et de
Cicéron aux comices consulaires prouve qu'il
n'était pas impossible de les lui arracher. A la suite
de la guerre sociale, qui venait de finir, les Italiens
avaient obtenu le droit de cité romaine, et les
quelques pays, comme la Gaule cisalpine, qui ne le
possédaient pas encore dans sa plénitude, ne
devaient pas tarder à le recevoir. Le peuple
était donc à demi satisfait, et il était
naturel qu'il commençât à se
désintéresser des questions qui passionnaient
ses pères. Aussi n'en trouve-t-on aucune trace dans
les programmes qu'on prête à Catilina. Il n'y
est fait aucune allusion ni aux lois agraires, ni à la
puissance tribunitienne, ni aux privilèges des
classes, ni à des réformes dans la constitution
(41). On ne voit
pas non plus qu'il se soit abrité sous quelque grand
nom populaire, comme ses prédécesseurs le
faisaient volontiers. Ils y trouvaient ce double avantage
d'hériter des partisans que le personnage avait
laissés et de résumer tout leur programme en un
seul mot. Il avait suffi à César de dire qu'il
venait venger Marius pour se trouver tout de suite à
la tête d'un parti. Catilina ne semble pas s'être
mis derrière personne. Qui donc en effet aurait-il
choisi pour patron ? Il ne pouvait songer à Marius
dont il avait si cruellement traité les derniers amis
; quant à Sylla, son ancien maître, quoique
évidemment il procède de lui et s'inspire de
son souvenir, il ne pouvait pas s'autoriser ouvertement de
son nom, au moment même où il venait combattre
cette faction aristocratique qui prétendait sauver ce
qui restait de son oeuvre et continuer sa politique.
Que voulait-il donc faire ? Pour en être parfaitement
informé, il aurait fallu se glisser, avec ceux de ses
partisans dont il était le plus sûr, dans cette
partie retirée de sa maison où il les
réunissait, assister à cette assemblée
de famille (contio domestica), comme l'appelle
Cicéron, l'entendre exposer ses plans avec cette
fermeté et cette franchise auxquelles ses adversaires
mêmes rendent hommage. Par malheur, nous sommes
réduits à recueillir et à reproduire, en
essayant de l'interpréter, ce que les écrivains
de ce temps en ont pu savoir et ce qu'ils veulent bien nous
en dire.
Dans deux passages
très importants de son petit livre, Salluste nous
renseigne sur les projets de Catilina. L'un est la lettre de
Manlius, le chef des conjurés d'étrurie,
à Q. Marcius Rex, ancien consul. Le ton en est
respectueux et modéré : c'est un centurion qui
s'adresse à un général. Il n'y faut
chercher que la plainte un peu affaiblie de petites gens que
la misère a poussés à la révolte
et qui s'en excusent. Ils prennent les dieux et les hommes
à témoin de leurs bonnes intentions ; leur
requête est modeste ; il ne s'agit plus, comme du temps
où les plébéiens se retiraient sur le
Mont Sacré, de demander une part dans le gouvernement
de la cité ; il leur suffit qu'on ne les mette plus en
prison, quand ils ne peuvent pas payer leurs dettes. La loi
le défend, mais ni les usuriers, ni le préteur,
ne respectent la loi. Ce sont, au moins en apparence, des
révoltés timides et qui paraissent
décidés autant que possible à ne pas
sortir de la légalité (42).
Catilina parle d'une autre
façon dans le discours que Salluste lui fait tenir aux
conjurés de Rome, à l'époque de sa
candidature consulaire. Il n'a autour de lui que des amis
sûrs ; il peut leur dire ce qu'il pense et leur
annoncer ce qu'il veut faire. Pourquoi la lecture de ce
discours, dont la réputation a été si
grande autrefois parmi les lettrés, nous produit-elle
aujourd'hui moins d'effet ? C'est qu'en
réalité, ce n'est pas Catilina lui-même
que nous entendons, mais Salluste, et qu'il s'exprime en
orateur d'école plus qu'en conspirateur. Il n'y a plus
rien à dire sur cette habitude des historiens anciens
de prêter à leurs personnages des discours de
leur invention. Nous la condamnons aujourd'hui, mais les gens
de leur époque leur en faisaient de grands
compliments, et il est bien probable que les histoires de
Salluste étaient surtout lues à cause des
discours qu'elles contenaient. Celui de Catilina, qui est
l'un des plus renommés, peut nous faire comprendre de
quelle façon ils étaient ordinairement
composés. Les écrivains, qui n'étaient
que de purs rhéteurs, se contentaient de fabriquer des
pièces d'éloquence pour faire admirer leur
talent ; les autres, comme Salluste et Tacite, cherchent
à les accommoder à la situation
véritable ; ils font dire à celui qui parle,
sinon ce qu'il a dit réellement, au moins ce qu'il a
dû dire, en sorte que ces discours ne sont pas sans
utilité pour les historiens de nos jours et qu'ils
peuvent être consultés avec profit, pourvu
qu'ils le soient avec précaution. C'est ce que nous
montre fort bien celui de Catilina. Il s'y trouve
certainement de la rhétorique, c'est-à-dire une
certaine façon de remplacer le détail exact par
des généralités brillantes. Il arrive,
par exemple, qu'à un moment l'orateur paraît
oublier le genre particulier de griefs dont se plaignent ceux
qui l'écoulent, et, comme d'ordinaire on ne se
révolte que pour échapper à une
oppression, il les excite, en phrases retentissantes,
à reconquérir leur liberté : En illa,
illa, quam saepe optastis libertas ! mais il ne
s'agissait pas pour eux de briser leurs fers : ni Lentulus,
ni Autronius, qui avaient été consuls, ni les
autres n'étaient esclaves. Dans l'état de
désorganisation sociale où l'on se trouvait, la
liberté était ce qui leur manquait le moins;
ils avaient besoin d'autre chose. On le voit bien, du reste,
dans le discours lui-même, tel qu'il est, si l'on
néglige les formes oratoires, qui sont une
nécessité du genre, et qu'on aille droit au
fond des choses. Que reproche en réalité
Catilina à cette faction d'aristocrates qui
détiennent le pouvoir, sinon d'accaparer la fortune
publique et de ne pas lui en laisser une part ? S'il leur en
veut d'occuper les plus hautes dignités, c'est qu'ils
y trouvent l'occasion de s'approprier tout l'argent que les
rois, les tétrarques, les nations vaincues paient
à la république. «Qui peut souffrir
qu'ils regorgent de richesses et qu'ils les dépensent
sans compter à couvrir la mer de constructions,
à aplanir des montagnes, tandis que nous manquons des
choses les plus nécessaires à la vie ? Ils
bâtissent plusieurs palais à la suite les uns
des autres, pendant que nous n'avons pas même quelque
part un foyer de famille. Ils ont beau faire toutes les
folies, acheter des tableaux, des statues, des vases
ciselés, démolir les maisons qu'ils viennent de
construire pour en élever de nouvelles, ces bourreaux
d'argent, malgré leurs efforts, ne réussissent
pas à venir à bout de leur fortune. Et nous,
quel est notre lot ? La misère chez nous, des dettes
au dehors, un triste présent, un avenir plus triste
encore ; c'est à peine s'il nous reste ce
misérable souffle qui nous fait vivre» (43). Il me semble donc
que ce discours, quand on sait le lire, contient la
pensée de Catilina. Elle est plus visible encore dans
les quelques lignes dont Salluste le fait suivre. Il suppose
que quelques-uns des conjurés, à qui sans doute
la rhétorique était un peu suspecte, et qui
tenaient à bien savoir à quoi ils s'engageaient
et sur quels profits ils pouvaient compter,
demandèrent au chef de parler plus nettement et sans
phrase. «Il leur promit alors, dit Salluste, la
diminution ou l'abolition des dettes (44), la proscription des
riches, la possession des sacerdoces, des magistratures, le
pillage, et tout ce que peut se permettre, dans des luttes
pareilles, le caprice du vainqueur». Voilà en
quelques mots et sans artifice, le programme de
Catilina.
Nous souhaiterions sans
doute que ce programme nous fût parvenu dans la forme
qu'il lui avait donnée ; nous saisirions mieux la
portée de ce qu'il préparait, nous entrerions
plus avant dans sa pensée, si nous l'entendions
lui-même dans ces entretiens avec ses amis, dont parle
Salluste, quand il déblatérait contre les
honnêtes gens, et qu'ensuite, prenant chacun des siens
à partie, il adressait des compliments aux uns,
rappelait aux autres leurs misères, ou leur passion
favorite, ou les dangers et l'infamie auxquels les exposaient
leurs affaires embarrassées, qu'enfin il faisait des
tableaux séduisants de la victoire de Sylla, dont les
plus anciens d'entre eux avaient profité ; et comme,
en même temps, il annonçait que ce qui
s'était passé alors pourrait revenir et que la
république leur serait de nouveau livrée comme
une proie, on comprend la joie de cette bande
d'affamés qui écoutait ces promesses
réconfortantes (45). Par malheur, nous
n'avons de Catilina qu'une lettre de quelques lignes, qu'il
adresse à Catulus en quittant Rome. On y lit ces mots
très significatifs : «Rebuté par les
injustices et les affronts, privé du fruit de mes
travaux, je me suis fait, selon mon habitude, le
défenseur public des misérables» (46). Voilà une
véritable profession de foi. Elle est expliquée
et commentée par quelques propos qu'il avait tenus
dans une réunion de ses partisans, et que
Cicéron a rapportés. «Les malheureux,
disait-il, ne peuvent être fidèlement
défendus que par quelqu'un qui soit misérable
comme eux. Les promesses des gens riches et puissants ne
doivent pas inspirer de confiance aux citoyens pauvres et
ruinés. Que ceux qui veulent réparer leurs
pertes et rentrer dans leurs biens tiennent surtout compte,
dans celui qui doit les conduire, de ce qu'il a perdu
lui-même, de ce qui lui reste, de ce qu'il est capable
d'oser. A des misérables, il faut un chef
misérable et audacieux, qui marche à leur
tête» (47). Cicéron nous
dit que ce langage frappa Rome de terreur. Ce n'était
pas celui des agitateurs ordinaires, et même ceux qui
avaient dit à peu près les mêmes choses
les disaient d'un autre ton. En parlant ainsi, Catilina
répudie la tradition des Gracques, ces
démagogues du grand monde ; il se sépare avec
éclat de César et de Crassus, qu'il
déclare impropres à soutenir la cause populaire
; il tient à marquer l'originalité de son
oeuvre. Il ne s'adresse plus, comme ses
prédécesseurs, aux passions politiques : c'est
un mouvement social qu'il veut soulever.
Mais qui sont les
«misérables», sur lesquels il insiste avec
tant de complaisance, et dont il tient à se
déclarer le chef ? Aujourd'hui, nous ne serions pas en
peine pour le dire. L'idée nous viendrait tout de
suite qu'il veut parler de ces gens si nombreux dans notre
société, qui vivent péniblement de leur
salaire quotidien, ouvriers des ateliers, des fabriques, des
manufactures, employés du petit commerce, travailleurs
des champs, qui, après avoir été
longtemps les opprimés, sont en train de devenir les
maîtres, et seront demain peut-être les
oppresseurs. Mais n'oublions pas que nous sommes à
Rome, où il y a peu de commerce et presque pas
d'industrie, que, dans ces pays d'esclavage, où le
travail manuel est déconsidéré, parmi
ces aristocrates dédaigneux, on se moque volontiers de
ces pauvres gens qui restent tout le jour sur leur chaise
(sellularii) (48), en face de leur
travail, et font de mauvais soldats. Ce n'est pas pour eux
que Catilina risquerait sa vie. Ceux qu'il appelle des
«misérables» sont les gens ruinés,
sans ressources, qui ont fait des dettes et ne peuvent pas
les payer. Cicéron nous dit qu'il n'y en a jamais eu
autant à Rome qu'à cette époque (49) ; il s'en trouve
à tous les rangs de la société. En bas,
sont les victimes de la petite usure, ces paysans qu'on a peu
à peu chassés de leur champ, ces colons,
à qui l'on a distribué des terres, mais qui
n'ont pas su les cultiver, et sont vite devenus la proie des
usuriers de village, les plus malhonnêtes et les plus
cruels de tous. Manlius s'est fait leur interprète
dans cette lettre à Q. Marcius Rex, dont il vient
d'être question. Quant à Catilina, on comprend
qu'il s'intéresse surtout aux
«misérables» du grand monde, ces
blessés de la vie comme Cicéron les appelle,
qui ont connu l'opulence, ce qui leur rend la détresse
plus pénible. Comme ils ont mené grandement
l'existence, qu'ils étaient joueurs, prodigues,
débauchés, ils ont eu bientôt fait de
dissiper leur patrimoine et de perdre leur
crédit.
C'est à ceux-là que songe Catilina dans ses
discours, et ils l'écoutent avec transport parce qu'il
leur apporte le moyen de refaire d'un seul coup leur
fortune.
Comment espère-t-il
y arriver ? Il n'a jamais varié dans les moyens qu'il
indique. Comme il sait que ceux qui possèdent le
pouvoir et la fortune ne se laisseront pas dépouiller
sans résister, il ne peut espérer
réussir que par la violence. Ses moyens de
succès sont l'assassinat et l'incendie. Voici, dans
ses détails, le dernier plan qu'il ait imaginé,
tel qu'il l'envoyait à ses complices de Rome, par un
de ses émissaires, T. Volturcius, qui se fit prendre
au pont Mulvius (50). Catilina devait
amener ses troupes de Faesulae jusque sous les murs de la
ville (51) ; il
en occuperait les portes au moment même où les
conjurés mettraient le feu à Rome. Tout
était préparé et réglé
d'avance. L'incendie devait être allumé dans
douze quartiers différents, de façon que tout
flambât à la fois. Plutarque ajoute qu'on devait
tuer tous ceux qui essayeraient de l'éteindre, et,
pour leur en ôter le moyen, boucher les prises d'eau.
Il était facile de profiter du tumulte et de
l'épouvante générale pour frapper les
gens dont on voulait se défaire. Chacun avait ses
victimes désignées ; Céthégus
s'était chargé de Cicéron. Pendant ce
temps, les soldats de Catilina arrêteraient ceux qui
tenteraient de fuir, en sorte que personne ne pourrait
échapper. La besogne ainsi mise en train, les
conjurés de l'intérieur se réuniraient
à ceux qui entouraient la ville, et tous
s'avançant ensemble, la curée
commencerait.
Je sais bien que
l'atrocité du projet a fait naître des doutes
sur sa réalité ; on a cru y voir ou bien une
invention de l'imagination populaire affolée par la
peur, ou quelque manoeuvre des ennemis de Catilina qui ont
exagéré la faute pour faire excuser la rigueur
de la répression. Mais je ne crois pas qu'ici ces
hypothèses puissent être acceptées. Non
seulement tous les écrivains de l'antiquité
rapportent ces projets sinistres et donnent sur eux des
détails précis, mais Cicéron les a
reprochés à Catilina lui-même en plein
Sénal, dans une séance solennelle (52), et nous ne voyons
pas que Catilina s'en soit défendu. Le lendemain,
quand il venait de partir, Cicéron a repris les
mêmes accusations, en présence de ses complices,
qu'il semblait désigner de son geste vengeur :
«Je les vois, disait-il, ceux qui ont
réclamé pour eux cet horrible office comme un
honneur» (53). Aurait-il
parlé avec tant d'assurance s'il avait craint
d'être démenti ? Quelques jours plus tard, dans
le sénatusconsulte où l'on
décrétait des supplications aux dieux à
propos de l'affaire des Allobroges, Cicéron
était remercié solennellement " d'avoir
préservé la ville et ses citoyens du massacre
et de l'incendie (54)". Il semble bien
qu'à ce moment personne ne doutât des crimes
dont le consul accusait Catilina, et même ce qu'ils
avaient d'excessif et presque de grandiose, et qui a fait
naître de nos jours quelques défiances,
paraissait convenir tout à fait à celui dont
Salluste nous dit «que son âme vaste nourrissait
sans cesse des projets démesurés, incroyables,
gigantesques» (55). A la
vérité, ceux qui se refusent à l'en
croire capable répondent qu'il n'était pas
homme à commettre des crimes inutiles et qu'ils ont
peine à comprendre de quelle utilité
ceux-là étaient pour lui. «Catilina,
disait Napoléon III en 1865, ne pouvait méditer
une chose aussi insensée : c'eût
été vouloir régner sur des ruines et des
tombeaux» (56). Il est probable que
six ans plus tard, après la Commune et les
événements qui ont suivi, l'auteur de la Vie de
César n'aurait pas parlé tout à fait
ainsi. Il aurait vu toute une école
révolutionnaire employer des moyens terribles,
incendier et tuer sans scrupule et au hasard, pour
épouvanter la société, et, grâce
à ces sinistres avertissements, lui arracher le
triomphe de leurs doctrines. On peut croire que
c'était aussi le dessein de Catilina. Même quand
on prouverait qu'en soi la destruction de quelques maisons et
la mort de quelques personnes n'étaient pas pour lui
d'un grand profit, il est sûr qu'il y gagnait de faire
peur à tout le monde, de paralyser les
résistances, de rendre facile le grand bouleversement
qu'il préparait. Nous avons trouvé tout
à l'heure dans certains de ses propos l'accent des
socialistes de nos jours. Ne peut-on pas dire que ces
incendies et ces massacres ressemblent de quelque
façon aux procédés ordinaires de nos
anarchistes ? Ces rapprochements, qui viennent naturellement
à l'esprit, font comprendre comment l'histoire
d'aujourd'hui explique celle d'autrefois.
VII
Si l'on en croit Salluste, Catilina redoubla
d'activité après son second échec.
«A Rome, il se multiplie ; il tend des pièges au
consul, il prépare l'incendie de la ville, il fait
occuper les postes avantageux. Lui-même ne sort plus
qu'armé (57), et il invite ses
amis à faire comme lui. Il les exhorte à
être toujours attentifs et préparés. Nuit
et jour, il se démène, sans que l'insomnie et
le travail puissent un seul instant l'abattre» (58). II semble bien
cependant que, cette fois, son insuccès lui ait
ôté quelque chose de sa confiance. Comme il
apprend qu'un jeune homme, L. Aemilius Paulus, va le traduire
devant le tribunal qui est chargé de punir les
séditieux (lege Plautia, de vi), lui, qui a si
fièrement bravé deux fois ses accusateurs,
paraît se troubler. Pour faire croire qu'il n'a rien
à se reprocher et qu'il défie les
soupçons, il offre de devancer l'accusation et de se
constituer prisonnier. On sait qu'à Rome, certaines
personnes avaient le privilège de n'être pas
enfermées dans la prison commune. On les donnait
à garder à des magistrats, ou même
à des particuliers, qui en répondaient.
Catilina demanda à être interné chez M.
Lepidus, puis chez le préteur Marcellus, et, comme ils
refusaient de le recevoir, il alla bravement trouver
Cicéron et lui fit la même demande. On comprend
l'épouvante de Cicéron à cette
proposition. Comment lui, qui ne se croyait pas en
sûreté dans la même ville que Catilina,
aurait-il accepté de vivre dans la même maison
?
Repoussé de tous
les honnêtes gens qui ne voulaient pas se charger d'un
prisonnier aussi dangereux, il fut réduit à
s'installer chez un compère, M. Marcellus, où
tout le monde savait bien qu'il serait libre de faire ce
qu'il voudrait, en sorte que cette manifestation, sur
laquelle il comptait pour persuader les gens crédules
de son innocence, ne lui servit qu'à diminuer le
prestige que lui donnait son audace. Rien en ce moment ne
semblait lui réussir. Les pièges qu'il tendait
au consul étaient déjoués ; il ne
pouvait former quelque projet qui ne fût aussitôt
découvert et prévenu. Ces contre-temps devaient
lui être très sensibles et le faisaient douter
pour la première fois du succès de son
entreprise. Est-ce dans un de ces moments d'irritation et de
découragement que Salluste a voulu le peindre quand il
nous dit «que ses nuits et ses journées
étaient troublées par le souvenir des crimes
qu'il avait commis, que ses remords se lisaient sur son teint
pâle, dans ses yeux injectés de sang, dans sa
démarche tantôt lente, tantôt
précipitée, qui trahissait le désordre
de son âme ?» (59). En même temps
nous apercevons à certains signes qu'il avait perdu de
la confiance qu'il témoignait jusque-là
à ces grands seigneurs de Rome, qui s'étaient
faits ses complices. Il ne leur parle plus du même ton.
Il leur disait, au début, «qu'il connaissait
leur courage et leur fidélité, et qu'il les
tenait pour des gens de coeur» ; la dernière
fois qu'il les réunit, il n'hésita pas à
leur reprocher leur lâcheté (60). Au contraire, les
vieux soldats qui lui arrivaient de tous les
côtés de l'étrurie lui paraissaient
braves, résolus. Il ne comptait plus que sur eux pour
tenter la fortune ; il s'apprêtait à les aller
trouver au plus tôt et à se mettre à leur
tête. Surtout il avait une hâte fébrile
d'en finir. Il semble bien que son parti était pris
avant même qu'il ne connût le résultat
définitif de la dernière élection, et
qu'il avait décidé que l'insurrection, quoi
qu'il arrivât, éclaterait dans les derniers mois
de l'année (61).
Cicéron
était au courant de tout ce qui se préparait.
Le 21 octobre, il annonça au Sénat que tout
était prêt pour une prise d'armes : six jours
plus tard, Manlius devait commencer les hostilités en
étrurie; le lendemain, à Rome, on
procéderait aux massacres ; le 1er novembre, pendant
la nuit, on tenterait de surprendre Préneste, une
ville fortifiée, facile à défendre, qui
avait déjà servi de place d'armes du temps du
jeune Marius, et qui le redevint pendant la guerre d'Antoine
et d'Octave (62).
Ces nouvelles, dont il attestait la certitude, remplirent les
sénateurs d'indignation et de terreur. Il en profita
pour leur faire voter le fameux sénatus-consulte dont
César dit que c'est celui auquel on a recours, dans
les cas extrêmes et désespérés,
quand tout est en feu et qu'on ne peut plus sauver
l'état que par des moyens extraordinaires (extremum
atque ultimum senatusconsultum). C'était la
célèbre formule qui ordonnait aux consuls de
veiller au salut de la République et leur
conférait l'autorité nécessaire pour la
sauver.
Il semble que
Cicéron, aussitôt qu'il fut armé de ces
pouvoirs, aurait dû s'en servir. Il n'avait pas de
temps à perdre ; en frappant sans retard le chef du
complot et ses partisans, il pouvait prévenir la
guerre civile. Quelques-uns de ses amis trouvaient qu'il n'en
avait pas seulement le droit, mais que c'était son
devoir. Lui-même, quand il se rappelait les exemples
qu'avaient donnés les aïeux, se faisait d'amers
reproches. «Je m'accuse d'inertie ; je rougis de ma
lâcheté». Il s'en voulait de laisser ce
précieux sénatus-consulte enfermé dans
sa gaine «comme une épée dans son
fourreau». Pourquoi donc n'a-t-il pas pris à ce
moment une initiative plus vigoureuse ? D'abord, il faut bien
l'avouer, les résolutions énergiques
n'étaient pas dans son caractère ; mais, de
plus, il avait ici des raisons d'hésiter qui se
seraient imposées à de plus fermes que lui.
Dans les circonstances graves où il se trouvait, quand
il savait que tant de gens étaient prêts
à se mettre du côté de Catilina, il ne
pouvait tenter un coup d'autorité qu'à la
condition d'être sûr qu'il serait approuve et
suivi de tout son parti. Or ce parti était celui des
modérés, des conservateurs, et la pratique des
affaires lui avait appris que l'énergie, la
persistance, la décision, ne sont pas leurs
qualités ordinaires, et que, comme il le dit, le
gouvernement est en général mieux
attaqué qu'il n'est défendu (63). Il connaissait ses
amis à merveille, et les divisait en deux
catégories, très différentes entre
elles, mais également dangereuses pour la
république. «Il y a, disait-il, ceux qui ont
peur de tout, et ceux qui n'ont peur de rien» (64). Quel fonds
pouvait-on faire sur les premiers, qui restent chez eux dans
les moments décisifs ou quittent Rome quand il
faudrait aller voter au Sénat ? Mais peut-être
fallait-il se méfier encore plus des autres. Ce sont
ceux qui, sous le prétexte qu'ils n'ont pas peur, ne
veulent pas croire aux dangers qu'on leur signale, et
empêchent de prendre des précautions pour les
éviter. Ils étaient fort nombreux dans
l'entourage de Cicéron, parmi ces hommes d'esprit et
ces gens du monde auxquels convient un air de scepticisme
élégant, et qui craignent avant tout de
paraître crédules et dupés. Ils avaient
cette tactique ordinaire de fermer les yeux aux complots
qu'on leur signalait, soit pour n'avoir pas l'air de les
craindre, soit pour échapper à l'ennui d'en
être d'avance préoccupés. Cicéron
s'irritait de cette obstination d'incrédulité.
Mais il comprenait bien qu'en présence de tant
d'ennemis déclarés ou secrets, de tant de gens
faibles et complaisants, disposés d'avance à
tout excuser, il ne pouvait entrer en campagne qu'avec un
parti uni et convaincu. «Tu ne mourras, disait-il
à Catilina, que quand il ne se trouvera plus un seul
homme qui puisse croire que ta mort est injuste»
(65). C'est ce
qui explique les efforts désespérés
qu'il a faits pour qu'il ne restât aucun doute dans
l'esprit de personne. Il lui fut très difficile d'y
réussir ; peut-être a-t-il eu moins de peine
à vaincre la conjuration qu'à en
démontrer l'existence.
Il était pourtant inévitable qu'elle fût
un jour ou l'autre découverte de façon à
convaincre les plus incrédules. En supposant
même que Catilina pût dissimuler les
réunions qu'il tenait à Rome, le rassemblement
de troupes qui se formait à Fsesuloe ne pouvait passer
inaperçu. De sinistres avertissements arrivaient de
tous les côtés. Une nuit, Cicéron fut
réveillé par une visite fort inattendue.
C'était Crassus, qui semblait jusque-là
soutenir Catilina, mais qui avait pris peur depuis qu'il
voyait clairement que les conjurés en voulaient
à la propriété et à la fortune.
Crassus venait apporter à Cicéron des lettres
qu'il avait reçues. Il y en avait une pour lui qu'il
avait lue, d'autres pour des sénateurs, qu'il n'avait
pas voulu ouvrir, de peur de se compromettre. Celle qui lui
était adressée, et qui ne portait pas de
signature, annonçait qu'il se préparait un
grand massacre et lui conseillait de s'éloigner de
Rome. En même temps on reçut de graves nouvelles
de l'étrurie. «Un sénateur, L. Suenius,
apporta dans le Sénat des lettres qu'il disait arriver
de Faesulae, dans lesquelles on lui mandait que Manlius avait
pris les armes le 27 octobre et qu'il avait avec lui une
troupe nombreuse». Aucun doute n'était plus
possible ; il ne restait à Catilina qu'à
rejoindre ses soldats au plus vite.
Avant de partir, il
réunit une dernière fois ses partisans, non pas
chez lui, où la réunion pouvait être
surprise et dispersée, mais chez Porcius Laeca, un de
ses amis, qui demeurait dans la rue des Taillandiers,
située probablement dans quelque faubourg solitaire.
C'était pendant la nuit du 6 novembre. Après
avoir arrêté les dernières dispositions
et distribué les rôles à chacun pour la
grande prise d'armes, il ajouta qu'il ne partirait content
que si on le débarrassait d'abord de Cicéron,
«qui était un grand obstacle à tous ses
desseins». La proposition fut assez froidement
accueillie ; on savait que Cicéron était sur
ses gardes. Mais enfin, après quelque
hésitation, deux des conjurés, C.
Cornélius, un chevalier romain, et le sénateur
Vargunteius s'offrirent à tenter l'entreprise. Ils
promirent d'aller cette nuit même, au petit jour, avec
des hommes armés, comme pour saluer le consul, et de
le frapper dans son atrium, tandis que, selon l'habitude, il
recevrait ses clients. Le danger était pressant, mais
Curius, l'espion de Cicéron, l'avait fait
prévenir, et il avait pris ses précautions.
Quand les assassins se présentèrent,
malgré leur insistance pour entrer, on leur ferma la
porte (66), et
ils s'en retournèrent chez eux.
En même temps qu'il échappait à ce
péril, le consul était informé des
résolutions qu'avaient arrêtées les
conjurés pendant la nuit. Il fallait, avant tout,
prendre des mesures pour les déjouer et convoquer
immédiatement le Sénat. C'est ce qu'on fit sans
retard. Le Sénat se réunit donc dans
l'après-midi du 7 novembre (67) et Cicéron y
prononça la première Catilinaire.
(1) Pro
Murena, 2. |
|
(2) C'est
l'opinion de M. John, dans son ouvrage intitulé :
Die Entstehungsgeschichte der Catilinarische
Verchschwörung. Il y dit en propres termes (p.
755) que ce fut l'échec de Catilina aux
élections de 691 qui lui donna l'idée de la
conjuration. Mais je crois qu'en étudiant de
près les textes de Cicéron, on y trouvera
la preuve que la conjuration, soit à Rome, soit
dans l'Italie, est antérieure aux
élections. A Rome les menaces significatives de
Catilina, qui avaient forcé de retarder
l'élection, montraient bien ses desseins secrets.
En Etrurie, le rassemblement des rebelles existait,
puisque Catilina en fit venir un certain nombre à
Rome le jour des comices (circumfluente colonorum
Arretinorum et Faesulanorum exercitu. Pro Murena,
24). Cette armée était bien celle que
Manlius avait organisée. Tout ce qu'on peut
croire, c'est qu'à partir de l'échec de
Catilina la conjuration dut prendre un caractère
particulier de violence. |
|
(3) Pro
Sulla, 29 : nulla tum patebat, nulla erat cognita
conjuratio. |
|
(4) Sall.,
17 : singulos appellare, hortari alios, alios
temptare ; opes suas, imparatam rempublicam, magna
praemia conjurationis docere. |
|
(5) Sall.,
19. |
|
(6) Sall.,
19 : in abditam partem aedium. |
|
(7) Sall.,
5. |
|
(8) Sall.,
24. |
|
(9) Surtout
dans le Pro domo sua, dans les discours pour
Sextius et contre Pison. Cette émeute est celle
qui força Cicéron à partir pour
l'exil. |
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(10) In
Pis., 21 : edictis tuis tabernas claudi
jubebas. |
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(11) Pro
Sextio, 15 : quum vicatim homines conscriberentur,
decuriarentur. |
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(12) Cette
affaire d'Egypte, que nous connaissons très mal,
paraît avoir eu une certaine importance dans la
politique de ce temps. M. Ferrero a montré que
Rullus, c'est-à-dire probablement César,
dans la loi agraire, préparait un moyen de la
renouveler. |
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(13) Voir
Cicéron, Pro Tullio, 2. Les fragments de ce
discours, trop courts malheureusement, font bien
connaître en quel misérable état se
trouvait alors l'Italie. |
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(14) Cicéron,
In toga cand.,
dans Asconius, p. 88. |
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(15) Il
est remarquable que Cicéron (Catil.,
II, 9) ménage singulièrement les
gens qui forment le rassemblement de Faesulae et les
appelle des gens de coeur et de bons citoyens. |
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(16) Sénèque
le Père, Suas., VI, 26. |
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(17) Sall.,
24 |
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(18) Tacite,
Ann., XV. 48. |
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(19) Sall.,
25. |
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(20) Macrobe,
Saturn., III, 13, 9 : gravissimus alienae
luxuriae objurgator. |
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(21) Cicéron,
Pro Mur., 12. |
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(22) Sall.,
24. |
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(23) Liberum
quaerendorum gratia : c'est la formule même du
mariage romain, dans le serment que les citoyens
prêtent devant le censeur. (A. Gelle, IV, 3.) |
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(24) Tite-Live,
VIII, 18. |
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(25) Tite-Live,
XXXIX, 8 et sq. |
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(26) Sall.,
56. |
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(27) Plutarque,
Cic, 16. - Appien, II, 7. |
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(28) Sall.,
42. |
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(29) Cicéron,
Philipp., IV, 6. |
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(30) Cic,
Catil., II, 8 et sq. |
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(31) Sall.,
39. |
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(32) Cicéron,
Pro Roscio Amer., 29. |
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(33) On
peut y joindre, pour être complet, quelques
fonctionnaires inférieurs, comme les
employés du trésor public (tribuni
aerarii) et les commis aux écritures
(scribae), qui, intéressés au
maintien de l'ordre, pouvaient à l'occasion
prêter main-forte au consul. On verra
Cicéron les employer dans la journée du 5
décembre. Il restait enfin une dernière
ressource qui consistait à faire prêter le
serment militaire à ceux qui avaient l'âge
d'être soldats (Dion, XXXVII, 45), c'était
l'ébauche d'une garde nationale. |
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(34) Sall.,
26. Drumann (Gesch. Roms, V, 480) lui est
encore moins favorable. Après avoir
énuméré tous les espions qu'il eut
à son service, il l'appelle sans façon : un
mouchard, Kundschafter. Son collègue
Antoine, quand ils furent brouillés ensemble,
s'était contenté de se moquer un peu de lui
parce qu'il rappelait trop souvent qu'il avait
découvert la conjuration, si bien que
Cicéron n'osait plus employer le mot
comperi (j'ai trouvé) en lui
écrivant. (Lettres fam., V, 5.) |
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(35) Cicéron,
Pro Mur., 25. - Salluste a placé cette
réponse de Catilina à la fin de la
séance du 7 novembre, après la
première Catilinaire. C'est un artifice de
lettré : il a voulu terminer une scène
importante par un mot à effet. |
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(36) Cic,
Pro Mur., 25. |
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(37) Drumann
et Mommsen reculent l'élection jusqu'au mois
d'octobre ; mais je ne vois rien dans les textes qui nous
force à la placer si tard. |
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(38) Haec
ipsa, ut spero, vobiscum una consul agam. (Sall., 20
) |
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(39) Sall.,
4. |
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(40) Pro
Sext., 49. |
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(41) Il
n'y est pas question non plus des lois qu'à la
même époque proposa Clodius, et qui le
rendirent si populaire, notamment des distributions de
blé pour le peuple ou du rétablissement des
anciennes corporations qu'on avait supprimées.
(Cicéron, Pro Sext., 25.) |
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(42) J'ai
déjà fait remarquer que Cicéron,
dans sa seconde Catilinaire, traite bien mieux les
conjurés d'Etrurie que ceux de Rome et les appelle
des citoyens honnêtes et courageux. |
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(43) Sall.,
20. |
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(44) Salluste
emploie le mot de tabulae novae, réfection
des registres. Par ce mot, il faut entendre une sorte de
banqueroute légale. On détruisait les
registres anciens sur lesquels les dettes étaient
inscrites, et, sur les nouveaux, elles étaient
diminuées ou entièrement supprimées.
L'état était intervenu déjà
plusieurs fois pour régler de cette manière
les différends entre les créanciers et les
débiteurs. On se souvenait qu'en 668, le consul
Valerius Flaccus avait réduit les dettes des trois
quarts. C'est ce qu'on appelait argentum aere
solvere, ce qui veut dire qu'on ne payait plus qu'un
as, qui était de cuivre, pour un sesterce, qui
était en argent, et valait quatre as. |
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(45) Sall.,
21. |
|
(46) Sall.,
35. |
|
(47) Cicéron,
Pro Mur., 25. |
|
(48) Tite-Live,
VIII, 20. |
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(49) De
offic., II, 24. Voyez aussi Salluste,
16. |
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(50) On
verra plus loin comment Volturcius ayant obtenu la
promesse de n'être pas poursuivi
révéla tout au Sénat. |
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(51) Il y
a, à ce propos, une phrase de Salluste qui n'est
pas claire ; il y est dit que les conjurés de Rome
doivent se mettre en mouvement quand Catilina sera
arrivé à Faesulae avec son armée,
cum in agrum Faesulanum cum exercitu venisset
(43), mais
on savait très bien qu'il y était
déjà depuis quelques jours. Dietsch, dans
son édition de Salluste, propose de lire : in
agrum Carsulanum, du nom d'une ville plus
rapprochée de Rome, c'est-à-dire quand on
saura que Catilina s'est mis en route. Peut-être
serait-il plus simple, pour arriver au même sens,
de lire cum ex agro Faesulano venisset,
c'est-à-dire quand il aura quitté Faesulae,
qu'il sera en train de se diriger sur Rome et qu'il en
approchera. |
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(52) Cicéron,
Catil., I, 3. |
|
(53) Id,
ibid., II,
3. |
|
(54) Id.,
ibid.,II,
6. |
|
(55) Sall.,
5 : vastus animus immoderata, incredibilia,
nimis alta semper cupiebat. |
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(56) Histoire
de Jules César, I, 273. |
|
(57) «C'était
une chose hors d'usage à Rome, dit le
président de Brosses, où les officiers
militaires mêmes ne portaient jamais
d'armes.» |
|
(58) Sall.,
24. |
|
(59) Sall.,
5. |
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(60) Sall.,
20 : vos cognovi fortes fidosque mihi. -
27
: de ignavia eorum questus. |
|
(61) On
peut, je crois, le conclure du passage où Salluste
nous dit que Catilina espérait bien, quand il se
présenta aux élections pour l'année
692, que «s'il était désigné
consul, il ferait ce qu'il voudrait d'Antoine»
(26). Il
n'avait donc pas l'intention d'attendre les calendes de
janvier, où il entrerait en fonction. Il comptait
se débarrasser de Cicéron, et faire sa
révolution, lui, consul désigné,
avec Antoine, consul en exercice. |
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(62) En
réalité Manlius prit les armes le 27
octobre, comme Cicéron l'annonçait. Si les
massacres n'eurent pas lieu le lendemain, c'est qu'on
prit des mesures pour l'empêcher (Cic, Cat., I,
3) ; peut-être aussi les conjurés
ont-ils hésité au dernier moment. Nous
savons qu'ils ont beaucoup tergiversé et
qu'à cette occasion Catilina leur a
reproché d'être des lâches (Sall.,
27). Je ne trouve aucune raison d'affirmer, comme
le fait M. Ferrero, que Cicéron, quand il prit la
parole, ne pouvait pas avoir des nouvelles sûres
des faits qu'il annonçait. |
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(63) Cicéron,
Pro Sext., 47 : majoribus praesidiis et copiis
oppugnatur respublica quam defenditur.... boni nescio
quomodo tardiores sunt. |
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(64) Pro
Mur., 25. |
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(65) Cicéron,
Catil.,
I, 2. |
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(66) Exclusi
sunt, dit simplement Cicéron, et Salluste :
janua prohibiti. Ces expressions étranges
me font souvenir d'un mot piquant de Sieyès.
Pendant le Directoire, époque de
désorganisation sociale qui rappelle les derniers
temps de la république romaine, un certain Poulie
avait pénétré dans la maison de
Sieyès et lui avait tiré sans
résultat un coup de pistolet. Quand l'affaire vint
en jugement, comme Sieyès voyait que le tribunal
ne paraissait pas disposé à condamner son
assassin, il rentra tranquillement chez lui et dit
à son concierge : «Si Poulie revient, vous
lui direz que je n'y suis pas.» - Cicéron
attribue la tentative d'assassinat à deux
chevaliers, mais comme Salluste cite les noms, il est
probable qu'il a été mieux
renseigné. |
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(67) Quelques
historiens placent cette séance du Sénat le
8 novembre. Je suis la date donnée par
Drumann. |