Livre X - Lettres 69 et 70


PLINE A L'EMPEREUR TRAJAN

C'est avec beaucoup de prudence, seigneur, que vous avez appréhendé que le lac, une fois entré dans le fleuve, et par une suite nécessaire dans la mer, ne s'écoulât tout entier. Mais moi qui suis sur le lieu, je crois avoir trouvé un remède à ce mal. On peut conduire, par un canal, le lac jusqu'au fleuve, mais sans l'y faire entrer. Au contraire, on l'en séparera par une rive qui en même temps en contiendra tes eaux. Par là, sans le mêler au fleuve, nous jouirons du même avantage que s'il y était mêlé ; car il sera très aisé de transporter dans le fleuve, par cette petite langue de terre, tout ce qui aura été chargé sur le canal. C'est à quoi il s'en faudra tenir si la nécessité nous y contraint ; mais je ne crois pas qu'elle le fasse. Le lac de lui-même est assez profond, et, de l'extrémité opposée à celle dont nous voulons nous servir, sort un fleuve. Si l'on en arrête le cours de ce côté-là, pour le détourner où nous avons besoin, le lac nous fournira toute l'eau qui nous est nécessaire, sans rien perdre de celle qu'il renferme aujourd'hui. D'ailleurs, dans les endroits par où il faut faire passer le canal, tombent beaucoup de petits ruisseaux, qui, ramassés avec soin, augmenteront encore ce que l'on tirera du lac. Que si vous aimez mieux faire le canal plus long et plus étroit, et le mettre au niveau de la mer, dans laquelle il se viendra rendre directement, sans passer par le fleuve, le reflux de la mer fera rebrousser les eaux du lac, et les lui conservera. Mais si la situation du lieu ne nous permettait pas d'user d'aucun de tous ces expédients, il nous en resterait un dernier infaillible : ce serait de nous rendre maître du cours des eaux par des écluses. Toutes ces choses seront infiniment mieux entendues et digérées par le niveleur que vous me devez envoyer, seigneur, comme vous me l'avez promis ; car c'est une entreprise digne de votre magnificence et de votre application. J'ai cependant écrit, suivant votre ordre, à l'illustre Calpurnius Mater de m'envoyer un niveleur le plus tôt qu'il le pourrait trouver.

TRAJAN A PLINE.

Il paraît bien, mon cher Pline, que vous n'avez manqué ni de prudence ni d'application pour le succès de l'entreprise du lac, puisque vous avez tant rassemblé d'expédients pour éviter qu'il ne s'épuise, et pour nous le rendre d'un usage plus commode. Choisissez donc ce qu'à l'inspection de la chose vous jugerez le plus convenable. Je compte que Calpurnius Mater vous fournira un niveleur ; car ces provinces ne manquent pas de ces sortes d'ouvriers.

© Agnès Vinas

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