IX - Lucrèce (an de Rome 245) | | | |
Pendant le siège d'Ardée, Tarquin Collatin, fils d'une soeur (1) de Tarquin le Superbe, logeait sous la même tente que les fils de ce prince. Un jour que, dans un repas où ils se donnaient beaucoup de licence, et où chacun d'eux vantait les bonnes qualités de sa femme, ils formèrent le dessein d'aller aussitôt s'en convaincre les uns et les autres. Ils montèrent donc à cheval et prirent le chemin de Rome. Arrivés dans cette ville, ils trouvèrent les princesses, belles-filles du roi (2), à table, et se livrant à tous les plaisirs qui accompagnent les festins. De Rome ils se rendirent à Collatie (3). Lucrèce était occupée avec ses femmes à filer de la laine (4). Aucun d'eux n'hésita à lui décerner le prix de la pudicité. Après leur départ, Sextus retourna pendant la nuit à Collatie. En vertu de la parenté, il entra dans la maison de Collatin, se précipita vers la chambre de Lucrèce, et subjugua la vertu (5) de cette chaste épouse. Le lendemain, Lucrèce manda auprès d'elle son père et son mari, leur fit l'aveu de l'outrage qu'elle avait reçu de Tarquin, et tirant un poignard de dessous ses vêtements, elle se l'enfonça dans le sein. A l'instant même, les témoins de cette mort jurèrent la perte du roi et de ses fils. Leur conjuration fut bientôt couronnée du succès. Ils vengèrent Lucrèce en faisant bannir les Tarquins pour toujours.
| (1) Ici Victor contredit Tite-Live. Suivant celui-ci, Tarquin Collatin était fils d'Egerius, et petit-neveu de Tarquin l'Ancien, par le frère de ce prince.
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| (2) Ovide parle ainsi d'une des belles-filles du roi (Fast. II) : Ecce nurum regis, fusis per colla coronis, / Inveniunt posito pervigilare mero.
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| (3) Petite ville du Latium, située sur la voie Tiburtine.
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| (4) Ennius décrit ainsi, 1. 3, cette occupation de Lucrèce et de ses femmes : Deducunt habiles radios filo gracilento. Quel contraste offre ce vers avec ceux d'Ovide !
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| (5) Lorsque Tarquin vit que ni par prières ni par menaces il ne pouvait engager Lucrèce à consentir à son infâme désir : «Je vous tuerai, lui dit-il, et j'en ferai autant à un de vos esclaves. Après avoir placé vos deux corps dans le même lit, je dirai que je vous ai trouvés tous deux dans cette situation, et que, pour venger l'affront de mon parent, je vous ai donné la mort. Ainsi, vous passerez pour une infâme, et votre corps ne sera pas même jugé digne de recevoir la sépulture». Ovide nous représente cette scène dans les deux vers suivants : Interimam famulum cum quo deprensa fereris./ Succubuit famae victa puella metu.
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