XI - Domitien (an de Rome 836)

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Domitien
Musée du Louvre

Après la mort de Titus, cet excellent empereur, Domitien, son frère, se livra avec plus de frénésie qu'auparavant à toutes sortes de crimes publics et privés. Aux infamies de sa jeunesse il ajouta les rapines, les meurtres, les supplices, et aux débauches par lesquelles il surpassait tous les citoyens il joignit une fierté extraordinaire à l'égard des sénateurs, les forçant de lui donner les noms de seigneur et de dieu (1), titres que ses successeurs immédiats s'empressèrent de rejeter, mais qui, dans la suite, furent adoptés par d'autres empereurs (2). Domitien commença néanmoins par affecter la clémence. Il montra d'abord une certaine activité pendant la paix, et parut supporter avec beaucoup de constance les travaux de la guerre. Après avoir dompté en personne les Daces (3) et les Cattes (4), il donna au mois de septembre le nom de Germanicus, et le sien à celui d'octobre. Il mit la dernière main aux ouvrages commencés par son père et par son frère, et acheva le Capitole (5) : mais bientôt après il ne pensa plus qu'à exercer sa cruauté envers les citoyens les plus vertueux ; ses débauches, qui avaient affaibli ses forces, le jetèrent dans une indolence ridicule ; et, retiré seul au fond de son palais, il ne s'occupa plus que de donner la chasse aux mouches ; honteux exercice que les Grecs nomment dans leur langue klinopalè, et qui donna lieu à un grand nombre de plaisanteries. Quelqu'un à qui l'on demandait s'il n'y avait personne dans le palais : «Personne, répondit-il, pas même une mouche, si ce n'est peut-être dans l'endroit où l'empereur lutte avec elles».

Comme la cruauté de Domitien augmentait de jour en jour, et que ceux qui approchaient de sa personne s'en méfiaient de plus en plus, ses affranchis conspirèrent contre sa vie. Sa femme, qui avait conçu de l'amour pour un histrion (6), n'ignora point de quel genre de mort il périt. Il était âgé de quarante-cinq ans, et en avait régné près de quinze. Après sa mort le sénat ordonna que son cadavre fût traité comme celui d'un gladiateur (7), et son nom effacé de tous les monuments sur lesquels il était inscrit : mais les soldats, dont la fortune particulière s'accroissait aux dépens de celle des citoyens, furent vivement affligés de sa mort ; bientôt se portant, selon leur coutume, à des mouvements séditieux, ils demandèrent hautement le supplice de ceux qui s'en étaient rendus coupables, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que des hommes sages parvinrent à les contenir et à les réconcilier avec le sénat. Néanmoins, ils ne cessèrent pas de penser à la guerre civile, tant ils étaient affligés d'avoir un nouveau gouvernement qui mettrait fin aux magnifiques largesses que leur faisait Domitien en pillant la république !

Jusqu'à présent les princes qui ont gouverné la république étaient nés ou à Rome ou en d'autres endroits de l'Italie. Nous allons voir maintenant des empereurs étrangers. Je ne sais si, comme Tarquin l'Ancien, ils ne furent pas infiniment meilleurs que les premiers ; du moins, par tout ce que j'ai appris ou lu, j'ai été convaincu que la ville de Rome a été surtout redevable de son accroissement à leurs vertus et aux arts qu'ils y ont transplantés.


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(1)  Suétone rapporte que, lorsqu'il dictait une lettre ou un ordre au nom de ses ministres, il commençait par cette formule : Domitius et Deus noster sic fieri jubet, notre Seigneur et notre Dieu l'ordonne ainsi.

(2)  Tel que Dioclétien et Maximien.

(3)  Ces peuples sortaient de la Scythie. Ils avaient le Danube au midi, une partie de la Sarmatie au nord, et occupaient les pays que nous appelons aujourd'hui la Transylvanie, le Bannat de Témeswar, la Valachie et la Moldavie.

(4)  Ces nations habitaient cette partie de la Germanie que nous nommons la Hesse, et une partie de la Westphalie.

(5)  On lit dans le texte le mot absolvit, comme si Domitien n'avait fait qu'achever le Capitole, commencé par Vespasien ; ce qui n'est pas exact. Cet édifice, rétabli par son père, avait été brûlé. Il le rebâtit de nouveau et le dédia.

(6)  Elle se nommait Domitia Longina. L'histrion se nommait Pâris.

(7)  C'est-à-dire qu'il fût traîné au Spoliarium avec un croc. Le Spoliarium était un endroit attenant au Cirque, où les gladiateurs s'habillaient et se déshabillaient, et où ceux dont les blessures paraissaient incurables étaient mis à mort. Nous remarquerons, de plus, qu'Aurelius Victor est en contradiction dans cet endroit avec Suétone, qui rapporte que le cadavre de Domitien fut remis à Phyllis, sa nourrice, qui l'enterra dans sa maison de campagne, située pris de la voie Latine. Les acclamations du sénat rapportées par Lampride, «que celui qui a tué le sénat soit déposé dans le Spoliaire ! Que celui qui a tué le sénat soit traîné avec un croc !» ces acclamations, disons-nous, ont été vraisemblablement la cause de sa méprise. On entend aussi par le mot Spoliarium un endroit, situé dans le deuxième quartier de la ville, où les voleurs étaient exécutés et ensevelis.

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