VIII - Vitellius (an de Rome 822)

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Après la mort d'Othon, l'empire fut déféré à Aulus Vitellius. Funeste dans ses commencements (1), sa domination le serait devenue bien davantage dans la suite, si Vespasien avait été retenu plus longtemps par la guerre de Judée qu'il avait entreprise par l'ordre de Néron (2). Dès que celui-ci eut appris en même temps l'élévation et la mort de Galba, il s'empara de la dignité impériale, à la sollicitation des légions de Moesie et de Pannonie. Ces troupes, informées que les prétoriens avaient élevé Othon à l'empire, et que Vitellius avait été proclamé empereur par les légions de Germanie, cédèrent à l'esprit de rivalité, si commun parmi les soldats, et, pour ne pas paraître leur céder, les engagèrent à déclarer empereur Vespasien, à qui les cohortes de Syrie avaient déjà décerné ce titre, en considération de ses exploits et de ses grandes qualités. En effet, si Vespasien n'était qu'un sénateur d'une famille nouvelle (3), et dont les ancêtres avaient habité la petite ville de Réate (4), il s'était acquis beaucoup de gloire par son habileté et par ses actions en temps de paix, comme pendant la guerre. Lorsque ses lieutenants furent arrivés en Italie et eurent mis en déroute auprès de Crémone (5) les troupes de Vitellius, celui-ci convint avec Sabinus, préfet de la ville et frère de Vespasien, d'abdiquer la dignité impériale, moyennant la somme de cent millions de sesterces, et en prenant les soldats pour arbitres ; mais s'étant persuadé que la nouvelle qu'on lui avait donnée de la défaite de ses troupes était fausse, transporté de fureur, il fit brûler ce même Sabinus avec tous ceux du parti de Vespasien, en ordonnant qu'on mit le feu au Capitole, où ils s'étaient retirés pour échapper à la mort. Bientôt convaincu de la vérité de tout ce qu'on lui avait dit, et ne pouvant plus douter que l'armée ennemie approchait de Rome, il alla se cacher dans la loge du portier de son palais. On l'arracha de cet asile ; on lui mit une corde au cou, comme à un parricide ; on le traîna aux échelles des gémonies (6), où chacun s'empressa de le percer de coups. Lorsqu'il fut achevé, on jeta son cadavre dans le Tibre. Il était âgé de plus de soixante-quinze ans, et sa tyrannie avait duré près de huit mois. Tous les princes dont je viens d'esquisser la vie, principalement ceux de la maison des Césars, avaient l'esprit tellement orné par la culture des belles-lettres et de l'éloquence, que, s'ils ne s'étaient pas livrés à tous les excès des vices, l'étendue de leurs connaissances aurait aisément caché les fautes légères qu'ils auraient pu commettre. Nous ne parlons point ici d'Auguste.On en doit donc conclure que, tout certain qu'il soit que les bonnes moeurs l'emportent de beaucoup sur les belles connaissances, les princes doivent néanmoins faire leurs efforts pour les réunir dans leur personne ; et que, si des occupations multipliées les empêchent d'acquérir une instruction très étendue, ils doivent tâcher au moins de s'en procurer une qui leur suffise pour régler leur conduite, et pour affermir leur autorité.

Vitellius
Musée Campana


Chapitre 7Haut de la pageChapitre 9

(1)  En parvenant à l'empire, Vitellius répandit le sang des citoyens.

(2)  Après la défaite de Cestius.

(3)  Une famille nouvelle était celle qui n'avait aucune illustration, aucun aïeul dont elle conservât l'image. Selon Suétone, la famille Flavia n'était pas encore sortie de l'obscurité.

(4)  Cette ville, qu'on nomme aujourd'hui Rietti, était située dans le pays des Sabins, au centre de l'Italie.

(5)  Cette ville fut alors consumée par le feu, deux cent six ans après sa fondation.

(6)  Les gémonies étaient les fourches patibulaires de Rome. On y accrochait les cadavres des criminels. Elles étaient situées sur le mont Aventin, et près du temple de Junon. On ignore si ce nom vient d'un Gemonius qui les fit élever, ou de gemendo.

(7)  Auguste, passionné pour les lettres, n'avait aucun vice grossier, si ce n'est un peu trop d'amour pour la bonne chère.