Ledit roi En Pierre alla examiner son royaume et fut très charmé de ce qu'avait fait le noble En Corral Llança, qui avait, d'après ses ordres, établi un roi à Tunis, comme vous l'avez vu. Il fit arranger ses arsenaux aussi bien à Valence qu'à Tortose et à Barcelone, de manière que les galères fussent à couvert, et il en fit autant dans tous les lieux propres à recevoir des galères. Je désirerais beaucoup que le seigneur roi d'Aragon prît à coeur ce que je lui dirai, qui serait : de former quatre arsenaux pour sa marine, et établis à permanence ; deux seraient destinés au service régulier, et les deux autres pour les cas d'urgence. Les deux premiers et plus importants seraient à Barcelone et à Valence, où se trouve un plus grand nombre de marins qu'en toute autre cité ; et les deux arsenaux d'urgence, l'un à Tortose, bonne et noble cité, sur la frontière de Catalogne et d'Aragon, où l'on pourrait armer vingt-cinq galères sans que personne s'en aperçût avant qu'elles fussent hors du fleuve ; l'autre à Cullera, où on pourrait faire venir tous les hommes que l'on voudrait avoir de Murcie, d'Aragon, et beaucoup de la Castille, sans que personne s'en doutât. Ces galères, ainsi armées et équipées, pourraient mettre en mer. Je ne connais, en vérité, pas de prince ni de roi au monde qui possède deux arsenaux aussi beaux et aussi abrités que seraient ceux de Tortose et de Cullera. Pourquoi, seigneur roi d'Aragon, ne demandez-vous pas à vos marins ce que leur semble de mon projet ? je suis bien certain que tous ceux qui ont du bon sens diront que j'ai raison. A l'arsenal de Tortose se rendraient les gens de Catalogne et d'Aragon ; à l'arsenal de Cullera tous ceux de Valence, de Murcie et des frontières, et des lieux voisins de la Castille. En chacun de ces endroits vous formeriez un arsenal avec 5.000 livres de dépense, et chaque arsenal pourrait contenir vingt-cinq galères ; Valence, dans l'arsenal maritime, aussi vingt-cinq, et Barcelone vingt-cinq ; de sorte que vous pourriez avoir cent galères prêtes à vous servir contre vos ennemis. Ajoutez à cela que les vingt-cinq de Tortose et les vingt-cinq de Cullera peuvent être armées sans que l'ennemi les aperçoive avant qu'elles soient hors du fleuve. Faites, seigneur, ce qu'un bon administrateur doit faire, et dans votre pays plein de riches-hommes et de chevaliers, vous exécuterez avec de petits moyens ce que d'autres ne pourront exécuter avec des moyens beaucoup plus considérables. Et tout cela comment ? par de bons soins et une bonne administration. Or, seigneur roi, ayez de bons soins et une bonne administration, et vous viendrez à bout de tout ce que vous vous mettrez en tête de faire. Souvenez-vous seulement toujours de Dieu et de sa puissance, et puis quand il sera besoin, il vous aidera à accomplir votre volonté et à former l'arsenal de Barcelone et celui de Valence. Si vous prenez ces mesures, croyez qu'avec l'aide de Dieu vous soumettrez les Sarrazins, et même les chrétiens qui voudraient s'opposer à vos royales volontés et à celles des vôtres. S'ils osent le faire, vous saurez promptement les punir, car votre pouvoir est bien plus grand que le monde ne le pense. Vous pouvez vous en convaincre en jetant les yeux sur le livre qui fait mention des conquêtes faites par votre père, sans croisade et sans secours pécuniaire de l'Eglise ; car plus de vingt mille messes se chantent aujourd'hui et tous les jours dans un pays que le roi a conquis sans secours et sans croisade de l'Eglise ; car c'est sans croisades ni aide de l'église qu'il a conquis les royaumes de Majorque, Valence et Murcie ; et cependant l'Eglise tire de ces trois royaumes plus de dîmes et de prémices qu'elle ne pourrait en retirer de cinq autres royaumes. La sainte Eglise romaine, ou ceux qui la gouvernent, devraient donc songer combien elle est redevable de sa grandeur à la maison d'Aragon, et avoir quelque reconnaissance pour ses descendants. Mais ce qui me console, c'est que si le pape et les cardinaux ne sont point reconnaissants envers eux, notre seigneur Dieu, roi des rois, a bonne mémoire, et les aide dans leurs besoins et les fait prospérer de plus en plus.