Chapitre 46

Comment, après le départ de l'infant don Sanche, le roi En Pierre commença à reconnaître les côtes de la mer, à faire préparer des biscuits autres objets, et à envoyer ses ordres écrits à tous ceux de ses sujets qui devaient le suivre.

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Aussitôt après le départ de l'infant don Sanche, le roi d'Aragon alla parcourir toutes ses côtes pour inspecter les travaux. Il ordonna à Saragosse, Tortose, Barcelone et Valence, de faire du biscuit ; et il fit venir à Tortose une grande quantité d'avoine et de froment, et il en fit tellement venir que Tortose ne pouvait le contenir, et qu'on fut obligé de construire des barraques en bois pour l'y déposer. En même temps il écrivit à tous les riches-hommes de son royaume qu'il voulait qu'ils vinssent avec lui dans cette expédition, et qu'ils eussent à se préparer à le suivre avec tant de cavaliers, tant d'arbalétriers et tant de piétons ; et à chacun il faisait parvenir, soit dans leurs terres, soit là où ils voulaient, tout l'argent dont ils avaient besoin. Il ordonna que personne n'eût à s'occuper de s'approvisionner de viande, de vin, ni d'orge, parce qu'il aurait soin d'avoir tout ce qui était nécessaire pour le voyage. Le roi faisait cela, afin qu'ils n'eussent à s'occuper chacun que du harnois de leur personne et qu'ils arrivassent bien armés et équipés.

La chose alla ainsi, car on ne vit jamais jusqu'ici aucun voyage de mer aussi bien approvisionné de harnois de corps, de chevaux, d'arbalétriers, et de gens de pied, et de marins, que le fut celui-ci. Les ordres furent si bien donnés qu'il s'y trouva vingt mille almogavares, tous de la frontière, et huit mille arbalétriers des pays d'en haut. Le roi voulut avoir auprès de lui mille chevaliers, tous de haut parage, un grand nombre d'arbalétriers de Tortose, d'Aragon et de Catalogne, et de varlets de menées (1). Que vous dirai-je ? L'armement était si considérable que tous les rois et seigneurs du monde, soit chrétiens, soit sarrazins, qui avaient des possessions maritimes, se tenaient sur leurs gardes et craignaient beaucoup pour leur pays ; car nul homme ne ni vivant au monde n'était instruit de ses projets.


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(1) Maynada, en français mesnie, menée, suite d'un seigneur et aussi du roi.