Le pape lui envoya dire qu'il le priait de lui découvrir
ce qu'il voulait faire, ajoutant que, s'il se découvrait
à lui, il pourrait bien aller en tel lieu où il
serait lui-même disposé à lui offrir et de
l'argent et des indulgences. Le roi lui répondit : qu'il
lui était infiniment obligé de ses offres, mais
qu'il le priait de ne pas s'offenser s'il ne pouvait en ce
moment lui communiquer ses projets ; que sous peu il le
pourrait, et qu'alors il réclamerait ses secours en
argent et en indulgences, mais qu'il voulût bien l'excuser
pour le présent. Les messagers du pape lui
rapportèrent cette réponse ; sur quoi il dit :
«Sur ma foi ! voici que nous aurons un second
Alexandre.»
Il vint au roi d'Aragon d'autres messagers de la part du roi de
France, son beau-frère, avec une demande pareille
à celle faite par le pape, et ils s'en
retournèrent avec une pareille réponse.
Il en vint aussi du roi d'Angleterre et de bien d'autres
princes, et tous reçurent une même réponse ;
il en fut du pape et des rois comme des comtes. Je ne dis rien
des princes sarrazins, mais chacun d'eux était
épouvanté, craignant que l'orage ne tombât
sur lui. C'était la chose la plus merveilleuse du monde
que la grande quantité de phares, de signaux et de gardes
qui étaient disséminés sur toute la terre
de Barbarie. Les gens du roi de Grenade disaient à leur
seigneur : «Seigneur, comment ne fortifiez-vous pas Bera,
Alméria, Servenia, Monecha et Malaga, car certainement
c'est sur vous que tombera le roi d'Aragon. - Folles gens que
vous êtes, leur disait le roi, que me dites-vous ?
Ignorez-vous que le roi d'Aragon a conclu une trêve de
cinq ans avec moi, et pensez-vous qu'il veuille enfreindre sa
promesse ? Non, ne le croyez point, c'est un homme si fier et de
si haut coeur, que pour rien au monde il ne voudrait manquer
à sa parole. Plût à Dieu qu'il voulût
me permettre d'aller avec lui avec toutes mes forces, soit qu'il
marchât contre les chrétiens, soit qu'il
attaquât les Sarrazins ! car en vérité je
vous le dis, je le suivrais à mes frais et à mon
péril. Ainsi, croyez-moi, abandonnez ces soupçons
; je ne veux pas que dans tout mon pays il soit placé une
seule garde de plus pour cela. La maison d'Aragon est la maison
de Dieu, la maison de la bonne foi et de la
vérité.»
Que vous dirai-je ? tout l'univers avait les yeux fixés
sur les ailes déployées de ce seigneur pour savoir
où il abattrait son vol. Mais qui que ce soit qui
pût en avoir peur, Bugron en ressentait une vive joie. Je
laisse de côté toutes ces diverses conjectures, et
vais parler du roi d'Aragon et de ses mesures pour l'inspection
et la dépêche du tout.