Chapitre 47

Comment le pape, le roi de France et autres princes chrétiens envoyèrent leurs messagers devers le roi d'Aragon, le priant de leur dire quelles étaient ses intentions ; et comment chacun d'eux reçut la même réponse.

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Le pape lui envoya dire qu'il le priait de lui découvrir ce qu'il voulait faire, ajoutant que, s'il se découvrait à lui, il pourrait bien aller en tel lieu où il serait lui-même disposé à lui offrir et de l'argent et des indulgences. Le roi lui répondit : qu'il lui était infiniment obligé de ses offres, mais qu'il le priait de ne pas s'offenser s'il ne pouvait en ce moment lui communiquer ses projets ; que sous peu il le pourrait, et qu'alors il réclamerait ses secours en argent et en indulgences, mais qu'il voulût bien l'excuser pour le présent. Les messagers du pape lui rapportèrent cette réponse ; sur quoi il dit : «Sur ma foi ! voici que nous aurons un second Alexandre.»

Il vint au roi d'Aragon d'autres messagers de la part du roi de France, son beau-frère, avec une demande pareille à celle faite par le pape, et ils s'en retournèrent avec une pareille réponse.

Il en vint aussi du roi d'Angleterre et de bien d'autres princes, et tous reçurent une même réponse ; il en fut du pape et des rois comme des comtes. Je ne dis rien des princes sarrazins, mais chacun d'eux était épouvanté, craignant que l'orage ne tombât sur lui. C'était la chose la plus merveilleuse du monde que la grande quantité de phares, de signaux et de gardes qui étaient disséminés sur toute la terre de Barbarie. Les gens du roi de Grenade disaient à leur seigneur : «Seigneur, comment ne fortifiez-vous pas Bera, Alméria, Servenia, Monecha et Malaga, car certainement c'est sur vous que tombera le roi d'Aragon. - Folles gens que vous êtes, leur disait le roi, que me dites-vous ? Ignorez-vous que le roi d'Aragon a conclu une trêve de cinq ans avec moi, et pensez-vous qu'il veuille enfreindre sa promesse ? Non, ne le croyez point, c'est un homme si fier et de si haut coeur, que pour rien au monde il ne voudrait manquer à sa parole. Plût à Dieu qu'il voulût me permettre d'aller avec lui avec toutes mes forces, soit qu'il marchât contre les chrétiens, soit qu'il attaquât les Sarrazins ! car en vérité je vous le dis, je le suivrais à mes frais et à mon péril. Ainsi, croyez-moi, abandonnez ces soupçons ; je ne veux pas que dans tout mon pays il soit placé une seule garde de plus pour cela. La maison d'Aragon est la maison de Dieu, la maison de la bonne foi et de la vérité.»

Que vous dirai-je ? tout l'univers avait les yeux fixés sur les ailes déployées de ce seigneur pour savoir où il abattrait son vol. Mais qui que ce soit qui pût en avoir peur, Bugron en ressentait une vive joie. Je laisse de côté toutes ces diverses conjectures, et vais parler du roi d'Aragon et de ses mesures pour l'inspection et la dépêche du tout.


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