Un jour les Sarrazins décidèrent de venir en corps
de bataille attaquer la bastide
(1) du comte de Pallars, et de l'emporter ou de
périr tous. Comme ils avaient pris cette
résolution, un Sarrazin qui était du royaume de
Valence vint, pendant la nuit, le dire au roi. «Quel est
le jour où l'on doit faire cette attaque ? demanda le
roi. - Nous sommes au jeudi, répliqua le Sarrazin, eh
bien ! c'est dimanche matin qu'ils ont choisi pour leur
expédition, parce qu'ils savent que c'est pour vous un
jour de fête, et qu'ils pensent qu'alors vous et vos
barons vous serez tous à la messe ; et pendant ce temps
ils feront leur pointe.»
Le roi lui dit : «Va à la bonne aventure ; je te
sais bon gré de ce que tu m'as dit, et tu peux croire
qu'aux lieux où tu es né tu seras enrichi par nous
au-dessus de tes amis. Nous désirons que tu restes parmi
ces gens-là et que tu nous fasses part de tout ce qu'ils
feront samedi au soir sois auprès de nous pour nous dire
ce qui aura été résolu. - Seigneur, dit-il,
je serai auprès de vous.»
Le roi lui fit donner vingt doubles d'or et il partit. Il
ordonna ensuite aux gardes et vedettes qui veillaient la nuit,
de laisser passer cet homme toutes les fois qu'il viendrait
à eux et leur dirait : Alfandech ! car il
était natif de la ville d'Alfandech. Là-dessus il
s'éloigna.
Le roi rassembla son conseil et lui fit part de ce qu'avait dit
le Sarrazin, et ordonna à ses vassaux et sujets de se
tenir prêts, parce qu'il voulait attaquer les ennemis. Si
jamais l'armée fut joyeuse, c'est celle-là, et les
jours leur paraissaient une année.
(1) J'emploie de
préférence ce vieux mot français, non
dans l'acception nouvelle de maison de plaisance
que lui donnent les modernes provençaux, mais dans
le sens que lui donne Froissart, dans cette phrase qui
s'applique tout-à-fait à la construction
faite ici par le comte de Pallars : «Ils avaient
fait charpenter une bastide de gros merrieu, à la
manière d'une recueillette.» |