A quatre jours de là, il arriva deux autres barques
armées, venant de Sicile, avec semblable message que les
premières, mais d'une manière bien plus triste
encore. Dans l'une d'elles étaient deux chevaliers et
deux citoyens de Messine qui était assiégée
par le roi Charles, ainsi que vous l'avez vu, et ils
étaient tous sur le point d'être pris et
tués ; l'autre barque, venant de Palerme, portait
également deux chevaliers et deux citoyens qui venaient
aussi avec des pouvoirs de toute la Sicile. Ils avaient comme
les autres des vêtements noirs, ainsi que des voiles et
des pavillons noirs. Pour une lamentation qu'avaient faite les
autres, ceux-ci en firent quatre fois autant, de sorte que tous
les assistants en eurent une telle pitié, qu'ils
s'écrièrent tous à la fois :
«Seigneur, en Sicile ! seigneur, en Sicile ! Pour l'amour
de Dieu, ne laissez pas périr ce pauvre peuple qui doit
appartenir à vos enfants.»
Les riches-hommes, voyant quel était le désir de
toute l'armée, allèrent trouver le roi, tout
contrits, et lui dirent : «Seigneur, que faites-vous ? Au
nom de Dieu, ayez pitié d'un peuple infortuné qui
vient vous crier merci ; il n'y a pas de coeur si dur au monde,
chrétien ou Sarrazin, qui n'en eût pitié.
Nous vous en prions chèrement ; et vous devez encore plus
vous y sentir porté par les raisons que ces gens vous ont
déjà données, qui sont de toute
vérité, et aussi à cause de la dure
réponse que vous avez reçue du pape. Croyez que
tout ceci vient de Dieu, car si Dieu voulait que votre dessein
de rester en ce lieu s'accomplît, il aurait inspiré
au pape l'idée de vous seconder ; mais il a voulu que
votre demande vous fût refusée, afin que vous
allassiez secourir un peuple misérable. Ce qui vous
démontre encore que telle est la volonté de Dieu,
c'est que la voix du peuple est la voix de Dieu et que voici
tout votre peuple de cette armée qui crie qu'on le
mène en Sicile. Qu'attendez-vous donc, seigneur ? Nous
vous affirmons, en notre nom et au nom de toute l'armée,
que nous vous suivrons et périrons pour la gloire de Dieu
et pour votre honneur, et pour la restauration du peuple de
Sicile ; nous sommes tous prêts à vous suivre sans
solde.»»