Boulangerie

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Intérieur de Pistrinum

Nous avons déjà trouvé une boulangerie dans la maison de Pansa ; en voici une plus considérable découverte en 1809, qui occupe à elle seule un bâtiment spécial d'une assez grande étendue. Un mur mitoyen la sépare de l'Académie de musique, et son entrée 1 est également sur la rue Domitienne. A droite et à gauche de cette entrée sont deux boutiques 2 avec leurs dépendances 3, et des escaliers ayant conduit à un logement qui existait au-dessus. Ces boutiques n'ont point dû servir au débit du pain, qui se confectionnait dans la boulangerie avec laquelle elle n'ont aucune communication. Une peinture trouvée à Pompéi nous a appris que souvent le pain se débitait sur des tables dans les places publiques ; souvent aussi les particuliers, ainsi que cela se pratique encore à Naples, apportaient leurs grains à la boulangerie pour y être convertis en pain. On ne doit donc pas être étonné de ne rencontrer ici aucune boutique destinée à la vente des produits de l'usine.

Après avoir franchi le prothyrum, on trouve un atrium tétrastyle A présentant quatre piliers carrés, échancrés seulement dans l'angle regardant l'impluvium, et ayant porté, au lieu de toit, une terrasse à laquelle on montait par l'escalier placé immédiatement à droite de l'entrée et dont les deux premières marches seules étaient en pierre.

Au pied de l'un des piliers est une petite citerne près de laquelle est déposée la pierre ronde qui servait à la boucher. Au centre de l'atrium est le compluvium et autour sont les quatre chambres 4, 5, 6 et 7. Dans la dernière on voit encore les restes des jambages de maçonnerie qui portaient une table, sans doute de bois, car elle a disparu.

Au fond de l'atrium et à sa place ordinaire est le petit tablinum 8 qui donnait accès, non à un péristyle, mais au pistrinum 9, salle de 10m 70 de profondeur sur 7m 80 de largeur, ayant une sortie, un posticum, sur la rue de Fortunata, et contenant quatre moulins plus ou moins complets, semblables à ceux que nous avons vus dans la boulangerie de la maison de Pansa.

Le fragment de bas-relief que nous reproduisons ici, et que nous empruntons à un grand sarcophage du musée du Vatican, fait connaître la disposition de l'armature en bois qui servait à mettre ces moulins en mouvement (1). Autour des moulins régnait une chaussée pavée comme la rue pour résister aux pieds des bêtes de trait qui les faisaient tourner, tandis que le sol du reste du pistrinum était en opus signinunt, disposition nécessaire qui se repro-duit dans toutes les boulangeries de Pompéi.

En entrant dans le pistrinum, on trouve à droite entre deux massifs carrés qui portaient les jarres de terre pour recevoir l'eau, l'embouchure d'une citerne jadis protégée contre les impuretés par une petite voûte qui la recouvrait. Au-dessus, sur la muraille, était une peinture offrant dans sa partie inférieure deux serpents, emblèmes des génies domestiques, rampant vers un autel chargé de fruits, et au-dessus le sacrifice à la divinité protectrice des fourneaux ; elle a entièrement disparu. Entre la citerne et le four, dont la voûte est de la plus parfaite construction, est l'entrée d'une assez grande pièce sans fenêtres 11, pavée en mosaïque, communiquant également avec le tablinum.

Sous le four 10 qui avait un ventilateur large de 0m 57, dans le genre de celui que nous avons signalé à la maison de Pansa, est ménagé un réduit pour la braise ; en avant une cavité recouverte d'une dalle recevait les cendres ; enfin à gauche était un vase dans lequel on mettait la farine dont on saupoudre la pelle pour que le pain ne s'y attache pas. Une grande table adossée à la muraille était séparée du four par l'entrée d'une pièce 12 où étaient les pieds en pierre d'une autre grande table sur laquelle on déposait sans doute les pains avant ou après la cuisson, et une petite auge de pierre. Le vase à la farine et les pieds des deux tables, que nous avions encore vus en place en 1854, n'existent plus aujourd'hui.

Dans l'angle du pistrinum est une autre pièce 13 où l'on trouve encore deux bassins de maçonnerie, qui durent servir à la manipulation de la pâte, et un escalier conduisant à des chambres d'esclaves qui existaient au-dessus de l'écurie 14. Celle-ci, dont la principale entrée est sur la rue de Fortunata, avait une petite porte donnant sur le pistrinum, afin qu'on pût y amener les ânes ou plutôt les chevaux qui tournaient les moulins (2) ; il est en effet probable qu'ici on dut employer à ce service des chevaux et non des ânes, à en juger par la hauteur de la mangeoire en maçonnerie qui règne le long de la muraille, à une élévation de 0m 90. L'abreuvoir était placé dans l'épaisseur de la cloison séparant l'écurie de la salle 13, ce qui permettait de le remplir sans entrer dans l'écurie.

On a trouvé dans cette boulangerie de grandes amphores pleines de grains et de farine, et plusieurs pains. Sur l'un de ceux-ci, d'environ 0m 20 de diamètre, on avait écrit à l'aide de caractères mobiles les mots siligo granii, farine de froment, et sur les autres, e cicera, farine de pois chiches. Ces marques étaient ordonnées par la police, afin que les acheteurs ne pussent être trompés sur la qualité de la farine employée.


(1)  L'âne ou le cheval y étaient attelés avec des liens de sparterie, taeniae sparteae totus innixus, et, par leur marche circulaire et continue, faisaient tourner les meules, multivii circuitus intorquebant molas ; la machine n'arrêtait ni jour, ni nuit, nec die tantum, verum perpeti etiam nocte prorsus instabili machinarum vertigine lucubrabant pervigiliem farinam.(Apulée, Metam. IX).

(2)  Souvent c'étaient des esclaves qui remplissaient ces pénibles fonctions, et il est assez digne de remarque que tel fut l'emploi des deux grands comiques latins, Plaute et Térence, pendant leurs années de captivité. Plaute n'avait garde de l'oublier ; aussi fait-il souvent allusion à l'usage d'envoyer les esclaves au moulin lorsqu'on voulait les punir de quelques méfaits. C'est ainsi que dans la comédie d'Epidicus, Stratippoclès dit à son esclave : «Procure-toi comme tu pourras les 40 mines que je te demande ; mais si tu ne reviens pas avec la somme avant le coucher du soleil, n'entre pas à la maison, va droit au moulin».
Unde lubet : nam ni ante solem obcasum elo,
Meam domum ne imbetas ; tu te in pistrinum.
(I, 3)

Dans Pseudolus :
«Je savais qu'il y avait pour moi dans le monde un moulin, si je parlais».
Pistrinum in mundo scibam, si id faxem, mihi.
Et plus loin :
«Si tu ne fais pas ce que tu promets, n'aurais-je pas raison de t'envoyer au moulin ?»
Sed si non faxis, numquid causa est, inlico
Quin e in pistrinum condam ?
(I, 5)

Dans le Persan du même auteur, nous trouvons ce plaisant dialogue entre deux esclaves :
TOXILE : «En vérité, je te croyais mort depuis le temps que je ne t'ai vu.
SAGARISTION : Oh! j'étais surchargé...
TOXILE : De fers, sans doute ?
SAGARISTION : Je les ai portés plus d'un an au moulin».
Plusculum annum
Fui praeferratus ad molas.
(I, 1)

Cette coutume n'est pas moins souvent rappelée dans Térence :
«Prends garde, Dave, je te ferai d'abord étriller d'importance et je t'enverrai ensuite au moulin pour la reste de ta vie, avec un bon serment que si jamais je t'en fais sortir, j'irai tourner la meule à ta place».
Verberibus caesum te in pistrinum, Dave, dedam usque ad necem
Ea lege atque omine, ut, si te inde exemerim, ego pro te molam.
(Andria, I, 3).

Apulée trace un tableau effrayant de l'état des malheureux esclaves condamnés à ces pénibles travaux. Après avoir peint leur hideuse maigreur, leurs corps meurtris par la fouet et à peine couverts de sales haillons : «Tous, dit-il, étaient marqués d'une lettre au front, avaient les cheveux rasés d'un côté et portaient au pied un anneau».
Frontem lifte) ail, et capi/1anm semirasi, et pedes annulait. (Métam. I, X)