La maison de Salluste ou d'Actéon

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Triclinium de la maison de Salluste

Cette maison doit le premier de ces noms à une inscription qu'on lisait sur son mur extérieur :

C. SALLVST. M. F.

et le second à une des fresques qui la décorent. Elle fut découverte de 1805 à 1809. Quoique moins vaste que celle de Pansa et que plusieurs autres qui nous restent à visiter, elle n'est pas moins intéressante par ses peintures, par son atrium, l'un des mieux conservés, par son triclinium d'été et surtout par la présence d'un venereum, ou appartement secret. L'espace qu'elle occupe est un quadrilatère irrégulier, mais l'architecte a su à l'intérieur dissimuler cette irrégularité avec une rare adresse.

La façade présente plusieurs boutiques. A gauche est une boulangerie composée de trois pièces, 1, 2 et 3. La première est un fournil où se trouvent trois moulins semblables à ceux que nous avons déjà vus. Un escalier dont les quatre premières marches sont en pierre, et dont les autres étaient en bois, conduisait aux logements situés au-dessus de la boulangerie, et nommés hibernacula. Au fond est le four de forme ovale avec ventilateur et du reste absolument semblable aux nôtres. A côté une pièce 2, éclairée par deux petites fenêtres donnant sur le xyste dut servir de magasin soit pour la farine, soit pour les pains cuits. Dans la salle 3 on pétrissait la pâte et on faisait la cuisine. Les vases pour l'eau et les amphores contenant la farine étaient encore en place. Dans l'un des angles était une pierre d'évier et dans l'autre sont des latrines, aujourd'hui peu reconnaissables, dont la présence en pareil lieu ne doit point étonner, puisque cet usage s'est conservé encore dans beaucoup de maisons de Naples et de Rome.

La boutique 4 communiquait avec l'atrium par une porte, mais elle ouvrait sur le prothyrum par une large baie ménagée au-dessus d'un grand comptoir de maçonnerie dans lequel étaient scellés six vases de terre cuite destinés à contenir l'huile et les olives que le propriétaire de la maison faisait vendre par son dispensator. Au fond de la boutique est un petit cabinet. Afin que les acheteurs arrêtés devant le comptoir gênassent moins le passage, on avait donné au prothyrum la largeur exceptionnelle de 3m 25.

La boutique 5 entièrement isolée paraît, d'après les objets qu'on y a trouvés, avoir été occupée par un marbrier ; elle avait un puits mitoyen avec la boutique G, qui, ayant un comptoir semblable à celui de la boutique 4 et le fourneau ordinaire, dut avoir une destination analogue ; il est même assez singulier que le propriétaire de la maison ait loué une des boutiques qui en dépendaient à un marchand qui pouvait lui faire une fâcheuse concurrence. Cette boutique est accompagnée de deux arrière-boutiques 7 et 8, qui durent ne servir que de magasins ; la première a une sortie sur la ruelle de Mercure.

Au centre de la façade est la porte d'entrée que flanquaient suivant l'usage deux pilastres surmontés de chapiteaux de fantaisie sculptés dans une pierre de lave tendre et grise. Nous avions vu encore en place un de ces chapiteaux où était représenté un Satyre enseignant à un jeune Faune à jouer de la syrinx ; aujourd'hui tout a disparu. A droite du prothyrum 9 est le vestibule 10, salle d'attente pour les clients ; ce vestibule a quatre ouvertures : la première, sur la rue, était fermée autrefois par des portes quadrivalves ou pliantes ; la seconde donnait sur le prothyrum et sans doute demeurait toujours ouverte ; la troisième conduisait à l'atrium les clients qui y étaient admis ; la dernière enfin ouvrait sur la petite chambre 11, qui fut la demeure du portier ou celle de l'intendant.

L'atrium A est toscan, avec un compluvium de pierre ; au milieu était une base sur laquelle posait un superbe groupe de bronze, Hercule atteignant à la course la biche aux pieds d'airain, qui jetait l'eau par les naseaux dans une conque de marbre grec. Ce morceau, l'un des plus précieux qui soient sortis des fouilles de Pompéi, est aujourd'hui au musée de Palerme. Derrière cette base était une table de cipollino, dont les pieds de rouge antique avaient la forme des serres d'un aigle.

Les pièces 12 , 13 et l4 étaient des chambres à coucher pour les esclaves, ou plutôt pour les hôtes, à en juger par l'élégance de leur décoration. La première surtout était remarquable par sa frise ornée de refends avec de petites colonnes ioniques portant un entablement à triglyphes et denticules, le tout en relief et de stuc.

La pièce 15 était un procaeton, ou antichambre servant en même temps à la chambre 14 et à la grande pièce 16 qui fut probablement éclairée par le haut, et dans laquelle Mazois croit voir un triclinium d'hiver, supposition que le voisinage du four du boulanger pourrait rendre assez probable. Cette pièce n'a conservé aucun de ses ornements. 17 et 18 sont deux ailes, alae, décorées de refends de diverses couleurs avec des moulures et une corniche en stuc ; derrière la première est une pièce 20 surélevée de deux marches, qui par un degré donnait accès à des latrines. Sous l'aile 17 et près du tablinum était une espèce de niche qui servait de laraire, comme l'indiquaient les peintures dont elle était décorée. A l'autre aile est attenant un cabinet contenant une banquette de maçonnerie et éclairé par une petite fenêtre ouverte sur le péristyle du venereum ; c'est dans ce réduit que se tenait sans doute l'atriensis, esclave préposé à l'entretien et à la surveillance de l'atrium (1) ; peut-être aussi cependant pouvait-il servir aux audiences particulières que le patron donnait aux étrangers admis dans l'atrium et qui attendaient assis dans les ailes ; nous pensons toutefois que la chambre 20 avait plutôt cette destination. Entre l'aile 18 et la chambre 12 est un corridor 19 qui donne accès au venereum et à gauche duquel se trouve la loge où se tenait l'esclave chargé de la garde de cette enceinte interdite au public.

Au fond de l'atrium est le tablinum B, à droite duquel est le corridor C. A gauche est une salle D, communiquant avec le tablinum et avec le portique ; on a cru y voir un triclinium d'été, mais je pense que ce fut plutôt une bibliothèque ou une pinacothèque, pièces qui ordinairement étaient voisines du tablinum, ainsi que nous l'avons vu chez Pansa. Sa décoration est semblable à celle des alae, mais un peu plus riche. On y reconnaît aussi sur la muraille une porte peinte comme celle que nous avons vue à l'édifice d'Eumachia. Derrière le tablinum ouvert au fond presque dans toute sa largeur au-dessus d'un mur d'appui, ou podium haut de 0m 95, régnait, au lieu de péristyle, une simple galerie E E soutenue par quatre colonnes et un pilier et ouverte sur le xyste ou parterre. Les chapiteaux des colonnes sont de fantaisie et conservent encore des traces de peinture ; on y voit des guirlandes peintes en rouge se détachant sur un fond bleu.

A gauche du portique se trouve en retour un nymphée ou bain domestique singulièrement placé en un tel endroit, et à côté sont un petit fourneau pour l'eau destinée à réchauffer le bain, et une petite pièce 21 qui fut sans doute un cabinet de toilette.

A l'autre extrémité du portique est un passage conduisant à la cuisine 22, où était un fourneau dont on ne voit plus que les restes d'un jambage. Près de l'entrée du passage existent à droite un escalier et une petite chambre 23. Cette partie de la maison est la plus ruinée.

A gauche est un vestibule 24, où se trouvent une sortie dérobée, posticum, et un cabinet d'aisances. En avant du portique E E et en retour s'étend le xyste ou parterre F G II I élevé de quelques marches et dont la forme irrégulière a permis de dessiner d'équerre les autres parties de l'habitation. A l'une des extrémités du xyste se trouve une citerne, puteal, I, et à l'extrémité opposée est l'élégant triclinium d'été H. Celui-ci était recouvert d'une treille dont la muraille présente encore les traces ; les murs étaient décorés de riches peintures où l'on retrouvait tous les attributs d'une salle de festin, mais qui aujourd'hui ont presque entièrement disparu. Les trois lits en maçonnerie qui entouraient le monopodium ou table à un pied existent encore.

La muraille du xyste faisant face au portique est ornée dans toute sa longueur d'une caisse de pierre qui recevait des arbustes, et, au-dessus, de paysages avec des treillages, des fontaines, des guirlandes et des oiseaux, le tout partagé par des pilastres, genre de peinture que Vitruve nomme topia, et que Pline nous apprend avoir été inventé sous Auguste par le peintre Ludius (2). Dans le panneau le plus voisin du triclinium est une fontaine dont la partie inférieure, composée d'une vasque de marbre posée sur un piédouche de maçonnerie, était seule en relief, le reste étant simplement peint sur la muraille, et représentant une colonne surmontée d'un cerf. L'eau était jetée dans le bassin par une tête de lion en bronze qui a disparu ; mais on voit encore le tuyau qu'elle renfermait.

De toutes les pièces que nous avons visitées, il n'en est aucune qui paraisse avoir pu être la chambre à coucher du maître d'une habitation aussi élégante ; il est probable que cette chambre faisait partie du premier étage, qui n'existe plus.

Revenons maintenant dans l'atrium, et pénétrons dans cet appartement secret, ce venereum ou aphrodisium consacré aux orgies, que nous trouvons si souvent mentionné dans Horace, dans Pétrone, dans Suétone, dans Juvénal et dans tant d'autres écrivains de l'antiquité. Après avoir franchi le corridor 19, qu'une porte fermait à chaque extrémité, on se trouvait dans un péristyle K L M formé de huit colonnes octogones peintes en rouge, entourant de trois côtés un parterre N. Les murailles de ce péristyle étaient décorées d'élégantes peintures sur fond noir avec des architectures, des oiseaux, des Faunes, etc. Sur la muraille qui forme le quatrième côté est la peinture qui a fait donner à cette habitation le nom de maison d'Actéon. Cette composition, très bien conservée et l'une des plus grandes trouvées à Pompéi (4m sur 3m), offre, à la manière des peintres du moyen âge, une double scène dans un seul tableau. A gauche on voit Actéon surprenant Diane au bain, et à droite l'infortuné chasseur déchiré par ses chiens. Il semble que ce sujet ait été choisi comme un avertissement à l'indiscret qui chercherait à pénétrer les secrets de la mystérieuse enceinte. Sur les murailles sont encore quatre grandes figures, un Faune et trois bacchantes, l'Enlèrement d'Europe, et Phryxus et Hellé traversant l'Hellespont. Ces deux dernières peintures se voient au-dessus des fenêtres éclairant deux cabinets 33 et 34 placés aux côtés de la peinture d'Actéon et ouvrant sous le portique. Dans le dernier de ces cabinets, qui est pavé en marbre, une charmante peinture offre Mars et Vénus et des Amours jouant avec les armes du dieu ; on y voit aussi un laraire, petite niche de marbre surmontée d'un frontispice, et dans laquelle on trouva une petite idole de bronze, un vase d'or du poids de quatre-vingt-quinze grammes, et quelques monnaies de Vespasien.

Dans l'autre cabinet, qui est pavé en mosaïque, étaient deux peintures aujourd'hui au musée et huit petites colonnes de bronze qui paraissent avoir fait partie d'un lit et auxquelles adhéraient encore quelques fragments de bois doré.

Dans un des angles du péristyle est une petite pièce 0 contenant un fourneau pour tenir les plats chauds, un escalier conduisant à la terrasse qui régnait sur le portique et sur le triclinium, et enfin dans un réduit, sous l'escalier, l'inévitable cabinet d'aisances.

A l'angle opposé du péristyle est le triclinium P, entièrement ouvert du côté du portique. La place de la table est indiquée par un carré en marbre, le reste de la salle étant pavé en mosaïque ; en avant était un espace assez large réservé aux mimes et aux danseuses qui venaient égayer le festin. Un renfoncement qui se trouve dans la muraille à droite contenait le buffet chargé de coupes, de vases et de flacons.

Tout porte à croire que cette habitation si riche, si élégamment décorée, avait été fouillée par les anciens eux-mêmes ; car on n'y a découvert qu'un très petit nombre d'objets, parmi lesquels une très curieuse lampe de bronze à douze becs en forme de barque et quelques Pénates.

Dans la ruelle voisine on a trouvé le squelette d'une femme que l'on suppose avoir été la maîtresse de la maison, ceux de trois hommes, probablement ses esclaves, un petit miroir d'argent, trois anneaux d'or, des boucles d'oreilles, un collier composé de chaînes d'or, cinq bracelets de même métal, trente-deux pièces de monnaie et un sceau portant le nom d'EVTICHIA.


(1)  L'atriensis occupait dans la famille un rang supérieur à celui des autres esclaves, témoin ce passage de Cicéron : «Dans une grande famille il y a des esclaves plus élevés, tels que les atrienses, et d'inférieurs, tels que les mediastini». In magna familia sunt alii lautiores servi ut atrienses ; alii inferiore loco ut mediastini. (Parad. V, 2).
On nommait mediastini les esclaves employés aux plus bas offices, tel que les marmitons, etc.

(2)  PLINE, LXXXV, 37.