L'étranger
Les personnalités étrangères, c'est-à-dire qui résident d'ordinaire hors du royaume et qui n'ont pas reçu de lettres de naturalité, représentent 10,6 % de l'effectif. Elles viennent de toute l'Europe, avec une forte prédominance des pays du nord et de l'est (74 %) par rapport au monde méditerranéen (26 %) : Angleterre, Portugal, Espagne, Suède, Danemark, Provinces-Unies, Lorraine, Empire (Bavière, Saxe, Hesse, Cologne, Autriche), Suisse, Italie (Savoie, Monaco, Gênes, Florence, Rome, Mantoue), Pologne, Russie, Lituanie et Livonie. Les princes allemands (24 %) sont les plus nombreux à fréquenter l'atelier de Rigaud, suivis de près par les ressortissants des différents états italiens (22,7 %) et les plénipotentiaires anglais (13,5 %). |  Hyacinthe Rigaud |
Comme avec l'Angleterre (il y eut l'avant et l'après Ryswick), mais de façon plus accusée encore, les conditions politiques ont donc eu leur part dans l'évolution de la clientèle étrangère, même si elles n'expliquent pas tout. Car le faste déployé par Rigaud dans ses portraits - à cet égard très « français » ou du moins, plus marqué par les Flandres que par la sobriété cossue des Provinces-Unies - ne devait guère convenir à une clientèle plus habituée à une stricte monochromie de bruns et de noirs, qu'illuminait la blancheur d'un col, sur fond de décor réduit à l'essentiel, lorsqu'il n'était pas absent.
L'activité de Rigaud est aussi le reflet des bouleversements politiques et territoriaux que connaît l'échiquier européen durant un siècle (seconde moitié du XVIIe siècle - 1ère moitié du XVIIIe siècle). Bombardée en 1684 par Louis XIV, la république de Gênes quitte le giron des Habsbourg pour entrer dans l'orbite des Bourbons ; à ce changement de sujétion politique en répond un autre dans le domaine du goût : les poncifs de la peinture française se substituent, sans les effacer, à ceux des Flandres espagnoles. Aspirant à partager la culture du vainqueur, les élites génoises courent à Paris commander leur portrait : faite d'emphase et d'auto-célébration, la manière de Rigaud les séduit d'autant mieux qu'elle tend à masquer leur perte d'autorité et qu'elle leur offre une image acceptable d'elles-mêmes en les parant des oripeaux de leur prestige déchu.
Objet de tous les appétits européens, la Pologne suscite maintes intrigues de ses puissants voisins : candidats au trône, heureux (l'électeur saxon Frédéric-Auguste I) ou malheureux (le prince de Conti), partisans exilés du parti déchu (les Morstin) et ambassadeurs (le comte de Hoym) de la nouvelle dynastie posent indifféremment devant Rigaud. La Suède, alliée traditionnelle de la France et de Louis XIV, s'efface peu à peu devant la progression de la Russie : à la mort de Charles XII en 1718, Pierre le Grand domine l'Europe centrale, voire orientale. Or en 1717, Erik Axelsson comte de Sparre est la dernière personnalité suédoise à se faire peindre. La « Moscovie » fait son apparition dès 1706 avec les portraits du représentant du tsar à Paris, Andrej Artamonovic Matveef et de sa femme, née princesse Bariatinsky, suivis par ceux en 1713 de Michel Martien Oginski, voievoda de Vitebsk et en 1722 de Vassilij Lukic Dolgorukov, ambassadeur extraordinaire.
REPARTITION GEOGRAPHIQUE DES CLIENTS ETRANGERS DE HYACINTHE RIGAUD
D'APRES SES LIVRES DE COMPTES
| Pays ou ère géographique | Nombre de clients | % |
| Angleterre | 19 | 13,5 |
| Danemark | 9 | 6,4 |
| Espagne | 1 | 0,7 |
| Etats allemands | 33 | 24 |
| Etats italiens | 32 | 22,7 |
| Hollande | 2 | 1,4 |
| Lithuanie | 1 | 0,7 |
| Livonie | 1 | 0,7 |
| Lorraine | 1 | 0,7 |
| Pologne | 6 | 4,2 |
| Portugal | 4 | 2,8 |
| Russie | 4 | 2,8 |
| Suède | 7 | 4,9 |
| Suisse | 16 | 11,3 |
| Non identifiés | 4 | 2,8 |
| 140 | 100 |
En grisé, l'Europe méditerranéenne : 26%
© Ariane James-Sarazin pour tous les textes et les images de ce module.