Scène 1
Cicéron, Crassus, Caton, et le reste des
sénateurs
CICERON
Arbitres souverains de Rome et de ses lois,
Qui parmi vos sujets comptez les plus grands
rois,
Je ne viens point ici, jaloux de votre gloire,
Briguer avec éclat le prix d'une victoire
;
Le sort, à mes pareils prodiguant ses
faveurs,
Me réservait le soin d'annoncer des malheurs
:
De mon amour pour vous tel est le premier gage,
Et de mon consulat le funeste partage.
Tandis qu'enorgueillis par tant d'heureux travaux
Vous pouviez méditer des triomphes
nouveaux,
De la terre et des mers vous promettre l'empire,
Un seul homme à vos yeux travaille à vous
proscrire :
Pourrai-je sans frémir nommer Catilina,
L'héritier des fureurs du barbare Sylla ;
Lui que la cruauté, l'orgueil, et
l'insolence,
N'ont que trop parmi nous signalé dès
l'enfance ;
Lui qui, toujours coupable et toujours impuni,
Veut, ce que n'eût osé l'univers
réuni,
Subjuguer les Romains ? O vous, que Rome adore,
Et qui par vos vertus la soutenez encore,
Vous, l'appui du sénat et l'exemple à la
fois,
Incorruptible ami de l'état et des lois,
Parlez, divin Caton.
CATON
Et que pourrais-je dire
En des lieux où l'honneur ne tient plus son
empire.
Où l'intérêt, l'orgueil, commandent
tour à tour,
Où la vertu n'a plus qu'un timide
séjour,
Où de tant de héros je vois
flétrir la gloire ?
Et comment l'univers pourra-t-il jamais croire
Que Rome eut un sénat et des
législateurs,
Quand les Romains n'ont plus ni lois ni
sénateurs ?
Où retrouver enfin les traces de nos
pères
Dans des coeurs corrompus par des moeurs
étrangères ?
Moi-même, qui l'ai vu briller de tant
d'éclat,
Puis-je me croire encore au milieu du sénat
?
Ah ! de vos premiers temps rappelez la mémoire
:
Mais ce n'est plus pour vous qu'une frivole
histoire
Vous imitez si mal vos illustres aïeux,
Que leurs noms sont pour vous des noms injurieux.
Mais de quoi se plaint-on ? Catilina conspire ;
Est-il si criminel d'aspirer à l'empire
Dès que vous renoncez vous-mêmes à
régner ?
Un trône quel qu'il soit n'est point à
dédaigner.
Non, non, Catilina n'est pas le plus coupable :
Voyez de votre état la chute
épouvantable,
Ce que fut le sénat, ce qu'il est
aujourd'hui,
Et le profond mépris qu'il inspire pour
lui.
Scipion, qui des dieux fut le plus digne ouvrage,
Scipion, ce vainqueur du héros de
Carthage,
Scipion, des mortels qui fut le plus
chéri,
Par un vil délateur se vit presque flétri
:
Alors la liberté ne savait pas dans Rome
Du simple citoyen distinguer le grand homme ;
Malgré tous ses exploits, le vainqueur
d'Annibal
Se soumit en tremblant à votre tribunal.
Sylla vient, qui remplit Rome de
funérailles,
Du sang des sénateurs inonde nos murailles
:
Il fait plus ; ce tyran, las de régner
enfin,
Abdique insolemment le pouvoir souverain,
Comme un bon citoyen meurt heureux et tranquille,
En bravant le courroux, d'un sénat
imbécille,
Qui, charmé d'hériter de son
autorité,
Eleva jusqu'au ciel sa
générosité,
Et nomma sans rougir père de la patrie
Celui qui l'égorgeait chaque jour de sa
vie.
Si vous eussiez puni le barbare Sylla,
Vous ne trembleriez point devant Catilina ;
Par là vous étouffiez ce monstre en sa
naissance,
Ce monstre qui n'est né que de votre
indolence.
CRASSUS
N'est-ce qu'en affectant de blâmer le
sénat
Que Caton de son nom croit rehausser l'éclat
?
Mais il devrait savoir que l'homme vraiment sage
Ne se pare jamais de vertus hors d'usage.
Qu'aurions-nous à rougir des temps de nos
aïeux ?
Si ces temps sont changés, il faut changer comme
eux,
Et conformer nos moeurs à l'esprit de notre
âge.
Eh ! qu'a donc perdu Rome à n'être plus
sauvage ?
Rome est ce qu'elle fut : ses changements divers
Ont-ils de notre empire affranchi l'univers ?
Non ; car ce fier Sylla d'odieuse mémoire,
Même en l'asservissant, combla Rome de
gloire.
Mais c'est trop s'occuper de reproches honteux,
Importunes leçons d'un censeur
orgueilleux,
Qui se trompe toujours au zèle qui
l'enflamme.
Que Caton à son gré nous méprise
et nous blâme ;
N'aurions-nous désormais d'oracle que
Caton,
Et les saintes frayeurs qui troublent Cicéron
?
Où sont vos ennemis ? quel péril vous
menace ?
Un simple citoyen vous alarme et vous glace !
A percer ses complots j'applique en vain mes
soins,
Je vois plus de soupçons ici que de
témoins.
On dirait, à vous voir assemblés en
tumulte,
Que Rome des Gaulois craigne encore une insulte ;
Et qu'un autre Annibal va marcher sur leurs pas,
Où sont des conjurés les chefs et les
soldats ?
Les fureurs de Caton et son impatience
Dans le sein du sénat semant la
défiance,
On accuse à la fois Cépion,
Lentulus,
Dolabella, César, et moi-même Crassus
:
Voyez de vos conseils jusqu'où va l'imprudence
;
On craint Catilina, cependant on l'offense :
Mais plus vous le craignez, plus il faut
ménager
Un homme et des amis qui pourraient le venger.
Et quel est, dites-moi, le témoin qui l'accuse
?
Une femme jalouse et que l'amour abuse,
Qui, sur les vains soupçons d'une
infidélité,
Veut surprendre à son tour votre
crédulité ;
Qui, sans pudeur livrée à l'ardeur qui
l'entraîne,
Invente des complots pour flatter votre haine.
Si je plains l'accusé, c'est parce qu'on le hait
:
Voilà le seul témoin qui prouve son
forfait ;
Car la haine a souvent fait plus de faux
coupables
Qu'un penchant malheureux n'en fait de
véritables
Je dis plus ; et quand même il seroit
criminel,
Faut-il comme Caton être toujours cruel ?
Dans son sang le plus pur voulez-vous noyer Rome
?
Songez qu'un seul remords peut vous rendre un grand
homme :
La rigueur n'a jamais produit le repentir ;
Ce n'est qu'en pardonnant qu'on nous le fait
sentir.
Rome n'est plus au temps qu'elle pouvait sans
craindre
Immoler à la loi quiconque osait 1'enfreindre
:
D'ailleurs il est toujours imprudent de
sévir,
A moins qu'en sûreté l'on ne puisse
punir.
De quatre légions qui campaient vers
Préneste
Celle de Manlius est la seule qui reste :
Quand le sénat devrait punir Catilina,
Etes-vous assurés que quelqu'un l'osera ?
S'il échappe à vos coups, redoutez sa
vengeance,
Et des amis tout près d'embrasser sa
défense :
A des projets nouveaux n'allez pas l'inviter
Par d'impuissants décrets qu'il saurait
éviter.
Pour l'intérêt public il faut qu'on lui
pardonne,
Et qu'à son repentir le sénat
l'abandonne.
CATON
Si l'intérêt public décide de son
sort,
Consul, qu'à l'instant même on lui donne
la mort.
Scène 2
Catilina et les acteurs
précédents
(Catilina entre brusquement par le milieu du
sénat,
qui se lève à son aspect.
Un moment après, chacun reprend sa
place.)
CATILINA
La mort ! A ce décret je crois me
reconnaître.
CATON
Tu le devrais du moins, puisqu'il regarde un
traître.
CATILINA
Je ne sais qui des deux, dans ce commun effroi,
Rome doit, le plus craindre ou de vous ou de moi
:
Je la sauve, et Caton la perd par un faux
zèle.
CICERON
Téméraire ! au sénat quel ordre
vous appelle ?
CATILINA
Et qui m'empêcherait, seigneur, de m'y montrer
?
Sont-ce les ennemis que j'y puis rencontrer ?
Je n'en redoute aucun, ni Caton, ni
vous-même.
CICERON
Quoi ! vous joignez encore à cette audace
extrême
Celle d'oser paraître en armes dans ces lieux
!
CATILINA
Que mes armes, consul, ne blessent point vos yeux
;
Mais sur ce nouveau crime avant que de
répondre
Souffrez sur d'autres points que j'ose vous confondre
:
Auriez-vous oublié que je vous l'ai promis
?
Quoiqu'à votre pouvoir vous ayez tout
soumis,
J'espère cependant qu'on daignera
m'entendre,
Et c'est en citoyen que je vais me défendre
;
J'abdique pour jamais le rang de sénateur.
Pardonnez, Cépion, Crassus, et vous,
préteur ;
Antoine, à votre tour souffrez que je vous
nomme
Parmi les ennemis du sénat et de Rome :
César ne paraît point, mais je vois
Céthégus :
Il ne nous manque plus ici qu'un Spartacus ;
Car entre nous et lui, grâce à son
imprudence,
Le vertueux Caton met peu de différence.
Hé bien ! pères conscripts,
êtes-vous rassurés ?
Vous voyez d'un coup d'oeil l'état des
conjurés,
Leurs chefs et leurs soldats, cette nombreuse
armée
Dont Rome en ce moment est si fort alarmée
;
Ces périls enfantés par les folles
erreurs
D'un témoin dont Tullie adopte les fureurs
:
C'est sur ce seul témoin qu'une beauté si
chère
Me croit dans le dessein d'assassiner son
père,
D'égorger le sénat ; et vous le croyez
tous !
Malheureux que je suis d'être né parmi
vous !
Sylla vous méprisait ; et moi, je vous
déteste :
De nos premiers tyrans vous n'êtes qu'un vil
reste ;
Juges sans équité, magistrats sans
pudeur,
Qui de vous commander voudrait se faire honneur ?
Et vous me soupçonnez d'aspirer à
l'empire,
Inhumains, acharnés sur tout ce qui respire
;
Qui, depuis si longtemps, tourmentez l'univers !
Je hais trop les tyrans pour vous donner des
fers.
CATON
A quoi te servirait cette troupe cruelle
Que ton palais impur et vomit et recème,
Qui le jour et la nuit semant partout l'effroi,
Ministres odieux de tes fureurs...
CATILINA
Tais-toi.
Il est vrai qu'autrefois, plus jeune et plus
sensible,
(Vous l'avez ignoré ce projet si terrible,
Vous l'ignorez encor) je formai le dessein
De vous plonger à tous un poignard dans le sein
:
L'objet qui vous dérobe à ma juste
colère
Ne parlait point alors en faveur de son père
;
Mais un autre penchant plus digne d'un Romain
M'arracha tout-à-coup le glaive de la main
:
Je sentis malgré moi l'amour de la patrie
S'armer pour des cruels indignes de la vie.
Aujourd'hui, que tout doit rassurer les esprits,
Une femme en fureur les trouble par ses cris ;
A ses transports jaloux tout s'alarme, tout
tremble,
Et c'est pour les servir que le sénat s'assemble
!
C'est sur ses vains rapports qu'un homme
impétueux
Veut perdre ce que Rome eut de plus vertueux ;
Orgueilleux citoyen, dont l'austère
sagesse
Est moins principe en lui qu'un fruit de sa rudesse
;
Tyran républicain, qui malgré sa
vertu
Est le plus dangereux que Rome ait jamais eu :
Par lui seul d'entre nous la concorde est bannie
;
C'est lui qui, du sénat détruisant
l'harmonie,
Fomente la chaleur de nos divisions,
Et nous force d'avoir recours aux factions.
Mais il veut gouverner ; hé bien ! qu'il vous
gouverne,
Qu'il triomphe à son gré d'un
sénat subalterne,
Qui, lâche déserteur de son
autorité,
N'en a plus que l'orgueil pour toute
dignité.
Et quel est aujourd'hui l'ordre de vos comices ?
Le tumulte et l'effroi n'en sont que les
prémices :
De chaque élection le meurtre est le signal
;
Vos préteurs égorgés au pied du
tribunal,
Un consul tout sanglant, mais trop juste victime
D'un peuple malheureux qu'à son tour il opprime
:
Tous vos choix sont souillés par des assassinats
;
Ainsi furent nommés vos derniers magistrats
;
C'est ainsi qu'on élit ou que l'on sait
exclure.
Et qu'on osa me faire une mortelle injure :
Le plébéien s'élève, et le
patricien
Se donne sans rougir un père
plébéien ;
Et pour l'adoption où l'intérêt
l'entraîne
Vous laissez profaner la majesté romaine.
Le voilà ce sénat, ce protecteur des
lois,
Dont l'exemple aurait dû diriger tous les rois
;
Le voilà ce sénat qui fait trembler la
terre,
Et qui dispute aux dieux le dépôt du
tonnerre.
La justice, autrefois votre divinité,
Ne règne plus ici que pour l'impunité
;
La décence, les lois, la liberté
publique,
Tout est mort sous le joug d'un pouvoir tyrannique
:
Caton est devenu notre législateur,
L'idole des Romains...
CICERON
Et vous le destructeur,
Traître ! Si le sénat vous eût rendu
justice,
Vos jours n'auraient été qu'un
éternel supplice ;
Mais si je puis encor faire entendre ma voix,
Vous ne braverez plus la faiblesse des lois.
CATILINA
Hé bien ! pour achever de confondre un
coupable,
Qu'on offre à mes regards ce témoin
redoutable,
De vos soins pénétrants monument
précieux,
Cet esclave qui peut me convaincre à vos
yeux.
D'où vient qu'en ce moment vous me cachez Fulvie
?
Manlius aurait-il disposé de sa vie ?
Car elle fut toujours l'âme de ses secrets.
CICERON
Laissons là Manlius ; parlons de vos projets
:
On ne connaît que trop vos lâches
artifices.
Tremblez, séditieux, pour vous, pour vos
complices ;
Vous êtes convaincu, le crime est
avéré :
Déjà sur votre sort on a
délibéré ;
Vos forfaits n'ont que trop lassé notre
indulgence.
CATILINA
Je vais de ce discours réprimer
l'insolence.
Vous pensez, je le vois, que, tremblant pour mes
jours,
A des subtilités je veuille avoir recours
:
Et qu'ai-je à redouter de votre jalousie ?
Ainsi ne croyez pas que je me justifie.
Imprudents ! savez-vous, si j'élevais la
voix,
Que je vous ferais tous égorger à la fois
?
Instruit de votre haine et de mon innocence,
Tout le peuple à grands cris m'excite à
la vengeance ;
Mais je n'imite pas les fureurs de Caton,
Et je laisse la peur au sein de Cicéron.
Je n'aurais pour punir votre coupable audace
Qu'à vous abandonner au coup qui vous menace
;
Sans m'armer contre vous d'un secours
étranger,
Me taire encore un jour suffit pour me venger.
Et vous me condamnez, insensés que vous
êtes,
Moi qui retiens le fer suspendu sur vos têtes
;
Moi qui, sans me charger d'un projet odieux,
N'ai qu'à laisser agir Manlius et les dieux
;
Moi qui, pouvant me mettre à couvert de
l'orage,
M'expose pour sauver un consul qui m'outrage !
(montrant Cicéron)
J'ai causé par malheur votre premier
effroi,
Et dans tous les complots vous ne voyez que moi ;
Il en est cependant dont vous devez tout
craindre.
Que vous êtes aveugle, et que Rome est à
plaindre !
Laissons là Manlius, consul peu vigilant,
Tandis que Rome touche à son dernier
instant,
Qu'au plus affreux danger le sénat est en
proie,
Qu'on va faire de Rome un seconde Troie !
Lorsque vous ne songez qu'à me faire
périr,
Ingrats, sur vos malheurs je me sens attendrir :
Je sens en ce moment l'amour de la patrie
Répandre dans mon coeur une nouvelle vie ;
Et votre aveuglement me fait trop de pitié
Pour vous sacrifier à mon inimitié.
CICERON
Hé bien ! rompez, seigneur, un si cruel silence
;
Punissez, en Romain l'ingrat qui vous offense ;
En faveur de vous-même osez tout oublier,
Et sauvez le sénat pour nous humilier.
CATILINA
Je n'ai point attendu l'instant du sacrifice
Pour servir ce sénat qui m'envoie au supplice
;
Depuis huit jours entiers j'assemble mes amis.
Les voilà ces complots que je me suis
permis.
Mais, malgré tous les soins d'une âme
généreuse,
Ils m'ont fait soupçonner d'une trame
honteuse.
Armez sans différer, prévenez
l'attentat,
Si vous voulez sauver la ville et le
sénat.
Celui qui hors des murs commande vos cohortes,
Manlius, dès ce soir doit attaquer vos
portes.
CICERON
Manlius !
CATILINA
Oui, consul : craignez qu'avant la nuit
Aux dépens de vos jours on n'en soit trop
instruit.
Je vous ai déclaré le chef de
l'entreprise ;
Veillez, ou de sa part craignez quelque surprise.
Je n'ai pu découvrir le reste du parti :
C'est à vous d'y penser ; vous êtes
averti.
Manlius vous trahit : c'était pour vous
défendre
Qu'en armes dans ces lieux j'étais venu me
rendre,
Et non pour vous punir de m'avoir outragé
:
En combattant pour vous je suis assez
vengé.
Vous pouvez désormais ou douter ou me croire
;
J'ai rempli mon devoir et satisfait ma gloire.
Mes amis sont tout prêts, vous pouvez les armer
;
Leur qualité n'a rien qui vous doive alarmer
;
Vous les connaissez tous : songez au Capitole,
Garnissez l'Aventin, les portes de Pouzole ;
I1 faut garder surtout le pont Sublicien,
Le quartier de Caton, et veiller sur le mien ;
Car le plus grand effort de ce complot funeste
Eclatera sans doute aux portes de
Préneste,
Et mon palais y touche ; on peut s'y soutenir,
Du moins un long combat pourra s'y maintenir.
Vous paraissez émus, et rougissez
peut-être
D'avoir pu si longtemps me voir sans me
connaître.
Après tant de mépris, après tant
de refus,
Tant d'affronts si sanglants, dont vous êtes
confus,
Aurais-je triomphé de votre défiance
?
Non : j'en ai fait souvent la triste
expérience,
On ne guérit jamais d'un violent soupçon
;
L'erreur qui le fit naître en nourrit le
poison,
Et dans tout intérêt la vertu la plus
pure
Peut être quelquefois suspecte d'imposture
:
Mais pour calmer les coeurs je sais un sûr
moyen,
Qui vous convaincra taus que je suis citoyen.
On connaît Cicéron, et sa vertu
sublime
A su dans tous les temps lui gagner votre estime
:
I1 en est digne aussi par sa
fidélité.
Caton vous est connu par sa
sévérité.
Cicéron ou Caton ; l'un des deux, ne
m'importe,
Je vais dès ce moment sans amis, sans
escorte,
Me mettre en leur pouvoir : choisissez l'un des
deux,
Ou le plus défiant, ou le plus rigoureux ;
Je veux que de mon sort on le laisse le
maître,
Qu'il me traite en héros, ou me punisse en
traître :
Souffrez que sans tarder je remette en ses mains
Un homme, la terreur ou l'espoir des Romains.
CATON
Catilina, je crois que tu n'es point coupable ;
Mais, si tu l'es, tu n'es qu'un homme détestable
;
Car je ne vois en toi que l'esprit et
l'éclat
Du plus grand des mortels, ou du plus
scélérat.
CICERON
Catilina, daignez reprendre votre place ;
De vos soins par ma voix le sénat vous rend
grâce :
Vous êtes généreux ; devenez
aujourd'hui,
Ainsi que notre espoir, notre plus ferme appui ;
Nos injustes soupçons n'ont plus besoin d'otage
:
D'un homme tel que vous la gloire est le seul
gage.
Vous, sénateurs, veillez à notre
sûreté :
Il s'agit du sénat et de la liberté
;
Courons sans différer où l'honneur nous
appelle.
Adieu, Catilina : j'attends de votre zèle
Tous les secours qu'on doit attendre d'un grand
coeur.
Rome a besoin de vous et de votre valeur :
Combattez seulement, ma crainte est
dissipée.
CATILINA,à part, regardant sortir
Cicéron
Va ; ma valeur bientôt sera mieux occupée
:
Elle n'aspire plus qu'à te percer le
sein.
Scène 3
Catilina, Céthégus
CETHEGUS
Catilina, dis-moi, quel est donc ton dessein ?
D'où naît ce désespoir ?
éclaircis ma surprise.
Après avoir formé la plus haute
entreprise,
Toi-même tu détruis de si nobles projets
!
Tu trahis Manlius, tes amis, tes secrets !
CATILINA
Arrête, Céthégus ; tu me prends
pour Tullie :
Tes doutes ont blessé l'amitié qui nous
lie ;
Qu'entre nous désormais ils soient plus
mesurés.
Mais avant tout dis-moi l'état des
conjurés,
Et s'il en est quelqu'un qui tremble ou qui
balance.
CETHEGUS
Aucun d'eux : nous pouvons agir en assurance.
Autour du vase affreux par moi-même rempli
Du sang de Nonius avec soin recueilli,
Au fond de ton palais j'ai rassemblé leur troupe
:
Tous se sont abreuvés de cette horrible coupe
;
Et, se liant à toi par des serments divers
Semblaient dans leurs transports défier les
enfers.
De joie et de frayeur mon âme s'est
émue.
César, le seul César s'est soustrait
à leur vue.
CATILINA
César n'a pas besoin de serments avec moi,
Et son ambition me répond de sa foi.
Pour toi, que de ma part rien ne devrait
surprendre,
Qui sur un seul regard aurais dû mieux
m'entendre,
Apprends que Manlius voulait nous perdre tous,
Et qu'un moment plus tard c'en était fait de
nous.
Manlius autrefois soupira pour Fulvie ;
Corrompu par ses pleurs, ou par sa jalousie,
Le perfide courait nous vendre à Cicéron
;
Mais d'un dessein si lâche informé par
Céson,
Un instant m'a suffi pour prévenir le crime
:
Ma main fumait encor du sang de la victime
Quand tu m'as vu paraître au milieu du
sénat,
Qui pourra, s'il apprend ce nouvel attentat,
Croire qu'en sa faveur je l'ai commis
peut-être,
Et que pour le gagner je l'ai défait d'un
traître.
Au reste ne crains rien des frivoles
récits
Dont je viens d'effrayer de timides esprits,
Qu'il fallait exciter par de feintes alarmes
Si je veux les forcer de recourir aux armes,
Ne pouvant sans nous perdre armer un seul
guerrier
Si le sénat tremblant n'eût armé le
premier.
Quel triomphe pour moi dans ce péril
extrême
De le voir pour ma gloire armé contre
lui-même
Des postes différents faussement
indiqués,
Qui, selon mon rapport, pourraient être
attaqués,
Aucun ne me convient ; mais il faut par la ruse
Disperser les soldats d'un sénat qu'elle
abuse.
Prends garde cependant qu'à des signes
certains
On puisse distinguer nos soldats des Romains.
Le palais de Sylla, notre plus fort asile,
Pourra seul plus d'un jour tenir contre la ville.
Céson, de Manlius devenu successeur,
Avec sa légion doit servir ma fureur.
Je ne crains que Rufus, préfet de six
cohortes
Pleines de vétérans qui défendent
les portes :
Rufus n'a de soutien ni d'ami que Caton ;
Et je n'ai convaincu ni lui ni Cicéron.
Si Rufus, dont je crains le courage et l'adresse,
Pénètre les complots où
Céson s'intéresse,
Rufus tentera tout, la force ou les bienfaits,
Pour regagner Céson, ou rompre ses projets
;
C'est l'unique moyen de tromper notre attente :
Mais ce péril nouveau n'a rien qui
m'épouvante.
Les dangers que pour moi j'ai laissés
entrevoir,
Malgré tant d'ennemis, me flattent de
l'espoir
Qu'en des pièges nouveaux je pourrai les
surprendre.
Soit pour s'en emparer, ou soit pour le
défendre,
Autour de mon palais ils vont tous accourir ;
Que ce soit pour ma perte ou pour me secourir,
Nos premiers sénateurs viendront le
reconnaître ;
Cicéron et Caton s'y trouveront
peut-être.
Que ce moment me tarde, et qu'il me serait doux
De pouvoir d'un seul coup les sacrifier tous !
Adieu, cher Céthégus : je vais revoir
Tullie.
CETHEGUS
C'est elle qui nous perd.
CATILINA
Crois-tu que je l'oublie ?
Je veux, pour l'en punir, employer à mon
tour
Aux plus noirs attentats ses soins et son amour.
Va, ce n'est point à moi, dès qu'il
s'agit d'offense,
Que l'on doive donnerdes leçons de vengeance
;
De ce soin sur mon coeur tu peux te reposer :
C'est aujourd'hui qu'il faut tout perdre et tout
oser.
Je vais solliciter la défense des portes,
Et l'ordre d'y placer de nouvelles cohortes,
Sur le prétexte vain de quelque affreux
projet
Dont je puis avoir seul pénétré le
secret.
Ce n'est pas tout ; je veux par Tullie
elle-même
M'assurer cet emploi, s'il est vrai qu'elle m'aime
:
Sur ce fatal décret je vais la prévenir
;
C'est de son amour seul que je veux l'obtenir.
Dans trois heures au plus le jour va disparaître
:
Des postes d'alentour il faut te rendre
maître.
Probus ne m'a fait voir qu'un esprit chancelant ;
Prévenons les retours d'un conjuré
tremblant,
Et de la même main songe à punir
Fulvie
De ses forfaits nouveaux et de sa perfidie.
Plus de ménagements, de pitié, ni
d'égards :
Le feu, le fer, le sang, voilà mes
étendards.
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