Nouvelles littéraires de Grimm, année 1748

Le Catilina de Crébillon, attendu depuis vngt-cinq ans, fut enfin joué pour la première fois le 10 de ce mois. Toute la France s'était rendue à ce spectacle, et toute la France fut désolée de ne pouvoir applaudir un ouvrage si fort annoncé. Il serait inutile de faire l'extrait d'une pièce qui sera imprimée dans quatre ou cinq jours. Vous y verrez un premier acte et la première moitié du second admirables, la fin du second, le troisième et le quatrième médiocres ou même mauvais, et le cinquième détestable. Il n'y a ni intrigue, ni action, ni coups de théâtre dans cette pièce. Ce n'est qu'un dialogue, et vous savez sans doute que Crébillon n'a jamais su dialoguer. Tous les caractères sont manqués. Catilina, qui est le plus supportable, est ou furieux, ou sophiste, ou mauvais railleur ; Cicéron, poltron et peu discret ; Caton, inconséquent et crédule ; Fulvie, folle, Tullie, incertaine ; Probus, hypocrite et maladroit ; le sénat, imbécile : la catastrophe est sentie un quart d'heure avant qu'elle arrive. On la devine en voyant Catilina son poignard à la main, et qui ne lui sert que de contenance jusqu'au moment où il se tue.

Cependant n'allez pas croire que la tragédie de Crébillon soit entièrement sans mérite. il y règne une force de raisonnement, une élévation de pensées et, le plus souvent, une hardiesse de versification qui font estimer l'auteur dans le temps même qu'on ne goûte point son ouvrage. Le peu de succès de Catilina n'a pas empêché M. Roy, le premier de nos poètes lyriques, de faire à la louage de Crébillon les mauvais vers que vous allez lire :

Si Quinault vivait encor,
Loin d'oser toucher la lyre,
Je ne me ferais pas dire
De prendre ailleurs mon essor.
Usurpateurs de la scène,
Petits bâtards d'Apollon,
Attendez que Melpomène
Soit veuve de Crébillon.