Scène 1
BRUTUS, CASSIUS
CRIS, au dehors
César ! Vive César !
CASSIUS
Toujours,
toujours ce nom !
— Ne suis-tu pas César aux Lupercales
?
BRUTUS
Non.
CASSIUS
Tu l'aimes cependant ?
BRUTUS
César
m'a laissé vivre :
C'est un ami ; pourtant je ne veux pas le suivre.
Mais puisque vous deviez accompagner ses pas,
Suivez-le, Cassius ; je ne vous retiens pas.
CASSIUS
Brutus ! J'étais aussi de vos amis,
naguères ?...
BRUTUS
Vous en êtes toujours, certe, et des moins
vulgaires.
CASSIUS
Pardonne si j'en ai douté, pardonne, ami,
Si je n'ose le croire encore qu'à demi...
Je me trompais, tant mieux !
(Acclamations lointaines.)
BRUTUS
Qu'est
cela ?
CASSIUS
Tu
l'ignores ?
BRUTUS
Non.
CASSIUS
César
a pour lui des poitrines sonores !
BRUTUS
J'ai peur qu'il cède au peuple, ou le peuple
à César !
CASSIUS
Il ne faut qu'un moment, il ne faut qu'un
hasard...
S'ils le proclamaient roi, Brutus ?
BRUTUS
Je
le redoute.
CASSIUS
Tu ne voudrais donc pas qu'il le fût ?
BRUTUS
Non,
sans doute.
CASSIUS
Oh ! si tu pouvais lire en mon âme !
BRUTUS
Pourquoi
?
Veux-tu me confier quelque secret, dis-moi ?
CASSIUS
Oui.
BRUTUS
S'il
est question d'une chose qui tende
Au bien de la patrie, — avant que je
t'entende,
Mets Rome d'un côté, mets de l'autre un
cercueil,
Je les regarderai tous les deux du même oeil
!...
Car, dans ce triste siècle où tout
chancelle et tombe,
J'aime Rome encor plus que je ne crains la tombe
!
CASSIUS
En douter, moi ! te faire un si cruel affront,
Quand l'àme des Brutus rayonne sur ton front
!
Oh ! je vais te parler de choses bien
amères,
De Rome vénérable entre toutes les
mères,
De Rome qui se meurt sous un joug
étouffant,
De Rome, dont Brutus est le plus noble enfant !
BRUTUS
Le plus noble ? C'est vrai, ma famille est
ancienne.
Mais Cassius, mon frère, oublierait-il la
sienne,
Et les champs de bataille où son courage a lui
?
Brutus est dans les camps moins illustre que lui.
CASSIUS
Non ; dis que ma poitrine au seul mot d'honneur vibre
;
Que je suis, comme toi, né citoyen et libre
;
Que je hais les tyrans, comme toi, - plus que
toi,
Car je ne veux pas voir d'homme au-dessus de moi
;
Car je ne saurais vivre esclave, et
reconnaître,
Moi, vieux patricien, dans mon égal, un
maître !
BRUTUS
[Tu parles de César ?
CASSIUS
Est-il
donc plus que nous,
Cet homme, pour vouloir qu'on le serve à genoux
?
Non ! ce n'est qu'un mortel ! — Dans un jour de
tourmente,
Où du Tibre le vent fouettait l'onde
écumante,
Après avoir lancé disques et
javelots,
Poudreux, César et moi, nous regardions les
flots.
César me dit : « Du champ de Mars à
l'autre rive,
Veux-tu voir de nous deux qui le premier arrive
?»
Dans le Tibre aussitôt m'élançant
tout vêtu,
Je crie : « Et toi, César, suis-moi donc.
Oses-tu ?»
Fatigué, haletant, sans même qu'il
balance,
Derrière moi César dans le gouffre
s'élance...
Peut-être on t'a conté ce défi
hasardeux,
Où nous devions cent fois trouver la mort tous
deux ?
Le fleuve, qui battait ses ponts, — de leurs
arcades
S'échappait, bondissant, en bruyantes cascades
;
Mais, nageant côte à côte au plus
fort du torrent,
Nous, d'un courage égal, nous fendions le
courant ;
Lorsque, près d'un écueil où le
sable bouillonne,
César, entraîné, cède au
flot qui tourbillonne,
Et je l'entends crier, sous la vague éperdu
:
« Cassius ! Cassius ! à moi !... je suis
perdu ! »
Mais comment le sauver ? j'allais périr
moi-même !
Enfin, dans un effort désespéré,
suprême,
Je regagnai la rive... Alors je vis César
Emporté, chose inerte, et roulant au
hasard
Comme un saule arraché qu'avec sa jaune
arène
Le Tibre pousse et jette à la mer de
Tyrrhène !
Par bonheur, se risquant dans un frêle
bateau,
Un pêcheur court à lui, le prend par son
manteau,
Et le ramène au bord. — Brutus, celui
qu'on nomme
Le dieu, le Jupiter !... il était moins qu'un
homme :
Livide comme un front que la tombe a
touché,
Un peu plus, il mourait sur la terre
couché,
Ainsi qu'un marinier du port, couvert de bure,
Ainsi qu'un mendiant du quartier de Suburre !
Et tandis qu'il gisait, immobile, râlant,
J'étais resté debout, respirant et
parlant !
Eh bien ! c'est moi qui suis la vile
créature,
Et César est l'auguste et sublime nature !
On dirait que, formé d'un plus noble
métal,
César est la statue, et moi le piédestal
!..
Cet orgueilleux César peut être un dieu
pour Rome ;
Mais pour moi, Cassius, ce n'est plus même un
homme !]
(Cris du peuple au dehors.)
Vive César !
BRUTUS
Encore
une acclamation !
CASSIUS
Rome est devant César en adoration !
Il me semble pourtant qu'en des jours plus
prospères
Nous avons entendu souvent dire à nos
pères
Que Rome, dans ses murs, vit jadis un Brutus
Qui n'aurait pas souffert un César...
BRUTUS
Cassius,
Que pour moi vous ayez une amitié de
frère,
Je n'en veux point douter ; j'en suis sûr, au
contraire.
Qu'en ce triste moment vous me parliez au nom
De votre conscience, en douterai-je ? Non.
Si nos aïeux, ouvrant leur pesante
paupière,
Pouvaient se réveiller dans leurs couches de
pierre
Ces hommes du passé que la tombe engourdit
Me diraient, je le crois, ce que vous m'avez dit.
Mais par cette amitié, compagne
fraternelle,
Qui nous a vus grandir à l'ombre de son
aile,
Par nos aïeux, dormant dans leur sacré
linceul,
N'insiste plus, ami : je veux réfléchir
seul.
Tes paroles, au fond de mon coeur je les grave ;
Dans un recueillement silencieux et grave,
J'en développerai chaque mot, pour savoir
Si leur sens véritable est conforme au
devoir.
Avec ma conscience il faut que je discute ;
Puis, l'arrêt une fois prononcé,
j'exécute !
Mais, pris dans mon devoir comme dans un
réseau,
Va, j'aimerais mieux être un berger
d'Arezzo,
Un simple villageois d'Arpinum, peu m'importe,
Que d'avoir ce grand nom, lourd fardeau que je porte
!
— Avant de renouer un si grave entretien,
Je vais creuser mon coeur... Ami, creuse le tien
;
Vois si toute vengeance impure en est bannie,
Si véritablement tu hais la tyrannie ;
Et demande-toi bien, en homme de ton rang,
Si tu n'abhorres pas encor plus le tyran.
La haine et le devoir ne peuvent se confondre...
Adieu : mon premier mot sera pour te
répondre.
CASSIUS
Je l'attends. Que les dieux punissent les pervers
!
Songe à Rome, Brutus, et songe à
l'univers !
(Il sort.)
Scène 2
BRUTUS, seul
(Il s'assied, pensif, devant la table où
se trouvent le livre et
l'épée.)
D'une voix qu'aujourd'hui le reproche accentue,
Pour me déterminer tout parle, homme et statue
!
Et j'entends murmurer, comme font les remords,
La bouche des vivants et la bouche des morts !...
C'est le même langage, en tous lieux, à
toute heure,
La même obsession... oui, toujours : « Rome
pleure !
Dans Rome tout est mort, et courage et vertus !
« Ah ! si Brutus vivait ! — Non, tu n'es
pas Brutus ! »
Faut-il que sans repos cette voix retentisse ?
Encore ce matin, en rendant la justice,
Au Forum, sur mon siège auguste de
préteur,
J'ai trouvé ce billet... non, cet accusateur
!
— Platon... bouche divine, où la sagesse
abonde
Comme le miel aux flancs de la ruche profonde,
Écho religieux de l'antique vertu,
Grave et doux conseiller, parle aussi. Que dis-tu
?
(Il lit.)
« Souvent le droit chemin se courbe en route
oblique ;
Souvent le protecteur de la chose publique
Quand il est le plus fort veut être le plus
grand,
Et le sauveur d'un peuple en devient le tyran.
Sa marche, la voici : pendant l'ouragan sombre,
Il crie aux passagers que le navire sombre ;
Et, redoublant ainsi l'universel effroi,
Il prend le gouvernail, se fait pilote... et roi !
»
Oui, comme toi, César ! — Lorsqu'à
peine nos villes
Respiraient, au sortir des tempêtes civiles
;
Quand, sous la cendre tiède encore, un seul
charbon
Pouvait être Sylla, Marius ou Carbon,
De frayeur en frayeur, la folle multitude
A tes genoux sacrés tomba de lassitude ;
Et, seul maître aujourd'hui, nos lois tu les
enfreins,
A ton ambition tu lâches tous les freins ;
Car, usurpant des rois la couronne et la stole,
Tu veux, le sceptre en main, t'asseoir au Capitole
!
- Mais je t'écoute, parle, oracle aux
lèvres d'or !
(Il lit.)
« Ce qui fait le tyran plus dangereux
encor,
C'est que, pour affermir sa couronne
usurpée,
Dans son manteau de pourpre il cache son
épée,
Et pendant quelques jours, souriant et flatteur,
Marche seul et sans garde, en pacificateur ;
C'est que, facile à tous et fécond en
promesse,
Son langage est plus doux que les flots du Permesse
;
C'est qu'il a des accents mélodieux, des
mots
Qui vont au coeur du peuple et tempèrent ses
maux.»
Toujours César ! ainsi je le vois se
conduire.
Aujourd'hui n'a-t-il pas tenté de me
séduire,
Lorsque, prêt à jeter au monde ses
défis,
Il me disait : Brutus ! comme il eût dit : Mon
fils !
Lisons : « Fléau du riche, entre les
prolétaires,
Ainsi qu'un patrimoine, il partage les terres ;
Et quand par la victoire ou la transaction
Il a consolidé sa domination,
N'ayant plus d'ennemis ou ne les craignant
guère,
Il sait entretenir des semences de guerre,
Pour que les citoyens sentent dans leurs dangers
Qu'ils ont besoin d'un chef contre les
étrangers. »
Oh ! c'est bien là César !... Quand sa
main colossale
A vaincu la noblesse et Pompée à
Pharsale,
On le voit, remettant l'épée au
ceinturon,
Par sa clémence habile enchaîner
Cicéron !
Et l'oracle aujourd'hui, César, veut que tu
partes,
Le diadème au front, pour subjuguer les
Parthes.
Mais je lis dans ton coeur à ce divin flambeau
!...
Et, depuis trois cents ans couché dans le
tombeau,
Platon, ce dieu mortel, se lève pour te dire
:
« César, prends garde à toi, Rome
va te maudire !
César est un tyran ! » Les tyrans, ô
Platon,
Quand on les a maudits, comment les punit-on ?
En vain je te consulte, incliné sur ton
livre,
Platon ; tu ne dis point comment on s'en délivre
!
Mais il est un moyen sûr et terrible, un seul
!
Qui me fut enseigné par Brutus, mon aieul.
(A Straton.)
Va dire à Cassius que je l'attends.
STRATON
Oui,
maître.
Scène 3
BRUTUS, PORCIA
BRUTUS, apercevant Porcia
Porcia !
PORCIA
Porcia
vous dérange peut-être ?
Naguère, à ce flambeau qui pour nous deux
veillait,
J'aurais lu près de vous sur le même
feuillet.
Faut-il donc maintenant que je vous interrompe ?
Quoi ! j'entre, et vous cessez de lire !.. Ou je me
trompe,
Ou ce livre est celui que méditait Caton :
La République, songe immortel de Platon.
Mais je suis pour Brutus une femme ordinaire ;
Et ce livre inspiré que le sage
vénère,
Trésor qu'un faible esprit jamais
n'apprécia,
Semblerait trop sévère aux yeux de Porcia
!
BRUTUS
Je ne vous confonds point avec les autres femmes,
Non ; votre âme est sublime entre toutes les
âmes !
Et les dieux, Porcia, vous firent d'un
métal
Ferme comme l'acier, pur comme le cristal !..
Vous savez que ce livre est ma plus chère
étude
Je l'ai devant mes yeux, selon mon habitude.
PORCIA
Ce fer qui pèse nu sur le volume ouvert,
Depuis qu'il est rouillé de sang, restait
couvert...
Pourquoi l'avoir exprès détaché
des murailles,
Ce glaive que plongea dans ses nobles entrailles
Mon père, qu'un vainqueur menaçait du
pardon ?...
Ce livre et cette épée ensemble, pourquoi
donc ?
BRUTUS
C'est un hasard !
PORCIA
Je
veux savoir si Brutus m'aime.
Depuis deux ou trois jours Brutus n'est plus le
même ;
Celui que j'ai connu l'oeil doux, calme, serein,
Est maintenant rêveur, impatient, chagrin !
Hier, pendant le souper, inquiet et farouche,
Vous avez brusquement déserté votre
couche ;
Puis, murmurant des mots que je n'entendais pas,
Après avoir marché quelque temps à
grands pas,
Vous êtes descendu, pensif et taciturne,
Au jardin, tête nue; et la bise nocturne
Soufflait dans vos cheveux, sans pouvoir
rafraîchir
Votre front, qui, brûlant et lourd, semblait
fléchir !
BRUTUS
Je suis souffrant ; de là mon humeur qui
s'altère.
PORCIA
Est-ce donc un régime alors bien
salutaire,
Et cette promenade est-elle sans danger,
Pendant les froides nuits de mars, dans un
verger,
A l'heure où le malade, en sa couche de
flamme,
Implore le sommeil, ce bain sacré de l'âme
?
J'en appelle à Brutus, homme sincère et
franc :
C'est de l'âme et non pas du corps qu'il est
souffrant !
Eh bien ! par notre amour, par mon titre
d'épouse,
Ce mal dont vous souffrez, Brutus, j'en suis jalouse
;
J'en veux ma part ; ami, je l'implore à genoux
!...
Par le sang de mon père ici penché sur
nous,
Par la chaîne immortelle et sainte qui nous
lie,
Ne me refusez pas, oh ! je vous en supplie,
La moitié d'un secret, morne et pesant
linceul
Qui vous écrasera, si vous le portez seul
!
BRUTUS
Vous à mes pieds, grands dieux ! Suis-je donc
votre maître ?
PORCIA
Si vous étiez pour moi ce que vous devez
être,
Je n'aurais pas besoin de tomber à vos
pieds.
Lorsque l'encens fumait sur les divins
trépieds,
Lorsque, suivant le rite ancien, nous
divisàmes
Le gâteau de froment qui mélange deux
âmes,
Est-ce que le flamine, exprès pour notre
hymen,
Fit cette exception à l'usage romain,
Que le soleil toujours sur ma tête ravie
Luirait, multipliant les roses de la vie ;
Que, faite pour la joie et le rayonnement,
Chez toi, noble Brutus, je serais seulement
L'éclair de ton foyer, le parfum de ta
couche,
L'harmonieux écho des accents de ta bouche
?...
Ah ! s'il en est ainsi, depuis ce triste jour
J'ai vécu sans franchir le seuil de ton amour
!
Et moi, rigide enfant de la terre sabine,
Je ne suis plus ta femme, et suis ta concubine !
BRUTUS
Oh ! vous êtes encor la femme de Brutus,
L'épouse au cœur solide, aux antiques
vertus :
Celle qui tant de fois a versé le dictame
Sur les déchirements si profonds de cette
âme ;
Celle par qui toujours le fardeau s'allégea
!
PORCIA
S'il était vrai, Brutus, je saurais tout
déjà.
Je suis une femme, oui, mais d'origine
ancienne...
Cette femme, Brutus l'a prise pour la sienne ;
Cette femme, — dans Rome enfin l'ignore-t-on
?
— Se nomme Porcia, la fille de Caton !
Crois-tu qu'elle n'ait point de cœur, et
dégénère,
Femme d'un tel époux et fille d'un tel
père ?
- Ainsi donc, cher Brutus, livre-moi ton dessein,
Et je l'enfermerai dans l'ombre de mon sein ;
Et, j'en fais le serment, si jamais la torture,
Effrayante, plus forte en moi que la nature,
Voulait m'ouvrir la bouche avec ses doigts
ardents,
Brutus, je couperais ma langue entre mes dents !
BRUTUS
Viens, ma noble compagne, au coeur sûr et
fidèle !...
Vous l'entendez, ô dieux ! Rendez-moi digne
d'elle !
(On frappe en dehors.)
On frappe.
PORCIA
Cassius,
sans doute ?
BRUTUS
Oui.
PORCIA
Mais
pourquoi ?
BRUTUS
Nous avons à causer ensemble :
éloigne-toi.
PORCIA
Brutus de Porcia doute encore peut-être
?...
Tant mieux ! Ce que je suis, tu pourras le
connaître.
STRATON, à Cassius
Entrez, seigneur.
Scène 4
LES MÊMES, CASSIUS
CASSIUS
(A Brutus.)
Salut,
Porcia ! Me voici.
J'aurais pensé, Brutus, vous trouver seul
ici.
PORCIA
Je vous gêne, seigneur ?
CASSIUS
Pardonnez...
PORCIA
Je
vous laisse.
(Elle sort.)
Scène 5
CASSIUS, BRUTUS
CASSIUS
Tu m'as fait demander ?
BRUTUS
Oui,
selon ma promesse.
CASSIUS
Et tu vois que j'accours, fidèle à mon
serment.
BRUTUS
Bien !
CASSIUS
As-tu
réfléchi ?
BRUTUS
Longuement,
mûrement.
CASSIUS
Eh bien donc, maintenant que penses-tu de l'homme
Dont nous parlions tantôt ?
BRUTUS
C'est
l'ennemi de Rome !
CASSIUS
A quel moyen crois-tu qu'il faille recourir ?
Quel est ton sentiment ?
BRUTUS
Je
crois qu'il doit mourir.
CASSIUS
Quand cela ?
BRUTUS
Le
plus tôt sera le mieux sans doute ;
Car depuis que ta bouche, oracle que
j'écoute,
M'a parlé de César comme d'un
ennemi,
Depuis ce temps, sais-tu que je n'ai pas dormi
?...
Et bien certainement, avant que César
meure,
Je ne dormirai pas !
CASSIUS
Il
faut donc hâter l'heure.
(Il va à la porte.)
BRUTUS
Que fais-tu ?
CASSIUS
Venez
tous !
BRUTUS
Les
conjurés ?
Scène 6
LES MÊMES, CASCA, CIMBER, TRÉBONIUS,
CINNA,
RUGA, GURGÈS, ALBINUS, SPURIUS,
LIGARIUS
TOUS
Brutus,
Salut !
BRUTUS
Je
les connais sans doute, Cassius ?
CASSIUS
Oui, tous ; et dans leurs rangs pas un qui ne t'admire
;
De ces nobles Romains pas un qui ne
désire,
L'oeil tourné vers Brutus dans le péril
commun,
Que tu penses de toi ce qu'en pense chacun !
— Voici Casca.
BRUTUS
Salut
!
CASCA
Que
Jupiter vous garde !
CASSIUS
Ligarius.
BRUTUS
Il
est le bienvenu.
CASSIUS
Regarde
:
Trébonius, Cimber, Spurius, Albinus, Cinna,
Gurgès, Ruga.
BRUTUS
Tous sont les bienvenus.
(Bas, à Cassius.)
Et
pourtant j'en aurais, ami, préféré
d'autres.
Tu pouvais mieux choisir.
CASCA
Donc
vous êtes des nôtres ?
BRUTUS
Vous me le demandez, vous que le dictateur
Hier devant ses pas vit marcher en licteur ?
CASCA
Oui ; mais je veux bientôt, sans que ma voix se
lasse,
Crier : Mort à César ! comme je criais :
Place !
BRUTUS
Vous le condamnez tous après mûr examen
?
LES CONJURÉS
Tous !
BRUTUS
Mettez
donc alors une main dans ma main.
CIMBER
Oui, Brutus ! et jurons d'accomplir notre tâche
!
BRUTUS
Point de serments ! ils sont inutiles au
lâche
Comme à l'homme de coeur ! Si les plus saints
contrats,
Foulés aux pieds dans Rome avec nos magistrats
;
Si la chose publique, édifice qui tombe ;
Si nos libres aïeux s'indignant dans leur tombe
;
Si tous ces pleurs de rage et tous ces cris
plaintifs
Sont pour frapper César de si faibles
motifs
Qu'il faille encor chercher, ployant sous les
outrages,
De plus solides noeuds pour lier nos courages ;
Si, lorsque nous devons marcher
résolûment
Dans la route qui mène à
l'accomplissement,
De grands mots à la bouche et rien au coeur,
nous sommes
De fantasques enfants, au lieu d'être des
hommes,
— Cachons-nous, et, tremblants, mornes, le front
courbé,
Laissons Tarquin debout sur le peuple tombé
!
Au contraire, nous tous, débris de tant de
guerres,
Si nous sommes, non pas des conjurés
vulgaires,
Mais de bons citoyens indignement trahis,
Dont la vertu consiste à sauver leur pays
;
Des hommes vraiment forts, purs de toute rancune,
Qui n'eurent point de haine, ou n'en gardent
aucune,
Et qui, sacrifiant leurs intérêts
privés,
Brisent les fers de Rome avant qu'ils soient
rivés :
Alors, jusqu'à ce jour nous qui
temporisâmes,
Ne faisons retentir de serments qu'en nos
âmes,
Sûrs qu'à l'instant marqué Rome
pourra nous voir,
Exécuteurs pieux, remplir notre devoir !
Laissons jurer ceux-là qui, dans leur cause
injuste,
S'abritent du serment comme d'un voile auguste !
Qu'ils jurent sans tenir ! — Ne jurons pas, amis
;
Chacun de nous tiendra tout ce qu'il a promis !
CASCA
Frapperons-nous César sans frapper aucun autre
?
CASSIUS
Il faut, — c'est mon avis, disons chacun le
nôtre,
— Que Marc-Antoine, ami de César, son bras
droit,
Périsse avec César et tombe au même
endroit !
BRUTUS
Laissez-moi vous parler : faut-il que l'on nous
voie
Entrer profondément dans la sanglante voie
?
C'est assez d'un cadavre, amis, et d'un linceul :
César est condamné ; qu'il meure donc,
mais seul !
A l'esprit de César si nous pouvions
atteindre
Sans passer par ce coeur où nos fers vont se
teindre,
L'esprit seul est coupable, on le tuerait alors
!...
Mais pour tuer l'esprit, il faut tuer le corps !
Loi sévère et fatale, et pourtant c'en
est une !
Puisqu'il le faut, tuons César et sa
fortune...
Frappons, mais sans colère, avec
tranquillité,
Comme ferait la main de la Nécessité
!
— Alors devant le monde et l'avenir
immense,
Car l'immortalité pour nous déjà
commence,
Nous serons, remettant nos glaives aux fourreaux,
Des sacrificateurs, et non pas des bourreaux !
— Antoine, c'est le bras de César ; mais
qu'importe ?
Le bras ne peut plus rien lorsque la tête est
morte !
TBÉBONIUS
Eh bien ! il sera fait, Brutus, comme tu veux.
Qu'Antoine en pleurs s'arrache à deux mains les
cheveux
Sur le corps de César qu'il aime, — c'est
possible :
Les hommes de plaisir ont le coeur très sensible
!...
Mais la rose bientôt se mêle aux noirs
cyprès.
Antoine va gémir d'abord : huit jours
après,
Ivre, et se consolant comme un fils du Bosphore,
Antoine embrassera la gigantesque amphore.
CIMBER
Antoine vivra donc ?
BRUTUS
Qu'il
vive !
CASSIUS
Quel
péril !
CIMBER
César tombera seul ; mais quand tombera-t-il
?
CASCA
Les dieux même ont fixé le jour : pendant
la fête
Vous avez entendu cette voix de prophète,
Lorsque le dictateur descendait de son char :
" Crains les ides de mars !" cria-t-elle à
César.
BRUTUS
Dieu vengeur ! dans ce mois guerrier où tu
présides,
0 Mars, nous adoptons le jour sacré des
ides.
En ce jour-là, d'ailleurs, un sénat
déloyal,
Enveloppant César dans le manteau royal,
Veut lâchement baiser la main qui nous opprime
:
La peine au vol rapide, amis, suivra le crime !
CIMBER
Est-ce là votre avis, Brutus ?
BRUTUS
C'est
mon avis.
CIMBER
Tant mieux ! car c'est le mien : aussi vrai que je vis
!
(Deux coups frappés à la
porte.)
CASSIUS
On frappe !
BRUTUS
Oui.
RUGA, effrayé
Plus
un mot !
CIMBER
Tiens
! l'usurier frissonne !
CASSIUS
Attendez-vous quelqu'un, Brutus ?
BRUTUS
Moi,
non, personne.
RUGA
Qui peut venir ?
STRATON, entrant
Seigneur...
BRUTUS
Eh
bien ! que me veut-on ?
STRATON
Le noble Julius César.
TOUS
Lui
!
BRUTUS
Lui,
Straton ?
STRATON
Lui-même.
TOUS
Oh
!
CASSIUS
Seul
?
STRATON
Oui,
seul. Il est dans cette salle.
CASSIUS
Nous allons donc venger les hontes de Pharsale !
CIMBER
Némésis nous l'envoie !
TRÉBONIUS
II
ne peut échapper !
CIMBER
La fortune est pour nous !
CASCA
C'est
l'instant de frapper !
BRUTUS
Qui parle ainsi ? Qui donc ose dire à voix
haute
Qu'on frappera César au foyer de son hôte
?
Que César chez Brutus n'est pas en
sûreté ?
Que chez Brutus le meurtre est l'hospitalité
?...
Non ! tel qu'il est venu, libre de toute injure,
César au Palatin rentrera, je le jure !
Dussé-je, en l'escortant, voir moi-même
aujourd'hui
La porte du palais se refermer sur lui !
Descendez au jardin ; surtout faites en sorte
Que pas un glaive, amis, de son fourreau ne
sorte...
Oh ! n'allez rien tenter, car vous trouveriez
tous
Ce fer et ma poitrine entre César et vous
!
CASSIUS
A ton choix !
BRUTUS, à Straton
Fais
entrer.
CASSIUS
Tu
ne veux pas qu'il meure ?...
BRUTUS
Non.
(Les conjurés sortent par la porte du
fond.)
Scène 7
BRUTUS, CÉSAR
BRUTUS
Sois
le bienvenu, César, dans ma demeure.
CÉSAR
Tu m'as promis, Brutus, une réponse. Eh bien
?
BRUTUS
Je vais te la donner.
CÉSAR
Voilà
pourquoi je vien.
BRUTUS
Merci, César !
CÉSAR, voyant le livre de la
République
Mon
àme est pleine d'allégresse !
Brutus s'est inspiré du sage de la Grèce
;
Et ce livre, tracé par l'immortel crayon,
Est comme le soleil au sublime rayon.
Oh ! je le savais bien, quand tu lirais ces
pages,
Lumières des sénats et des
aréopages,
Je savais bien, ami, qu'à de certains
portraits,
Indigné, frissonnant, tu les
reconnaîtrais
Ces cruels échansons, ministres de
colère,
Qui, d'une main perfide, au banquet populaire
Versent la liberté toute pure... poison
Qui monte, furieux, du coeur à la raison !
BRUTUS
Oui, la foule orageuse au moindre éclair
s'allume !..
Mais vois à quelle page est ouvert ce
volume,
Et tu reconnaîtras aussi qu'il nous apprend
A quel signe l'on peut distinguer un tyran.
CÉSAR
Toujours des mots ! voilà le langage ordinaire
:
Tyran ! Est-ce un tyran bien dur, bien
sanguinaire,
Que celui, cher Brutus, qui, dans sa bonne foi,
Vient chez son ennemi comme je viens chez toi ;
Et qui te dit : « Voyons, que ta bouche
révèle
Les souhaits de ton coeur ? Quelle faveur
nouvelle
Exiges-tu ? »
BRUTUS
Jamais
Brutus n'en exigea.
Mais si pour moi César n'a que trop fait
déjà,
Rome lui dit qu'un joug n'est pas une tutelle !
...
CÉSAR
Quoi ! Rome est-elle à plaindre, ou Rome se
plaint-elle ?
Penché sur l'océan des populations,
Je prête en vain l'oreille aux lamentations
;
Et je n'entends monter vers moi que ces rafales,
Universel écho des clameurs triomphales !
BRUTUS
Oui, la foule sans coeur qui toujours vacilla
Du tyran Marius au despote Sylla, —
Tandis que sur les morts fond le corbeau rapace,
La foule bat des mains au triomphe qui passe !
Oui, Rome, en toi d'abord, crut voir un dieu sauveur
!
Mais depuis trois ans, moi, je t'observe... et,
rêveur,
Écoutant, près du temple où fume
l'hécatombe,
Du vieux chêne romain chaque feuille qui
tombe,
Je sais que tes projets, savamment
concertés,
Dans un piège sinistre ont pris nos
libertés !
Aussi depuis trois ans je n'ai pas vu dans Rome
Conduire à son bûcher le cercueil d'un
jeune homme,
Que je ne me sois dit, rendant grâces aux dieux
:
Celui-là, Jupiter miséricordieux,
Tu l'affranchis au moins, par une mort si
prompte,
D'un avenir chargé de misère et de honte
!
CÉSAR
Ainsi tu veux mourir ?
BRUTUS
Je
veux vivre, et je vis !
CÉSAR
Je n'ai donc point reçu, Brutus, un faux avis
?
BRUTUS
Quand ?
CÉSAR
Ce
soir. On m'a dit : Crains Brutus !
BRUTUS
Qui
?
CÉSAR, lui montrant une feuille de
laurier
Regarde.
BRUTUS
Ce laurier ! que veut-il dire ?
CÉSAR
César,
prends garde !
BRUTUS
A qui donc ?
CÉSAR
A
Gurgès, à Cimber, à Casca,
Au jaloux Cassius qui toujours se masqua,
Et dont la sourde haine, au fond d'une âme
obscure,
Se voile gauchement sous les fleurs d'Épicure
;
A Cinna le poète, à Ruga le
changeur,
Qui râclerait le casque en or de Mars vengeur
;
A tous ces chevaliers, flétris par ma censure
;
C'est-à-dire, Prends garde à l'envie,
à l'usure,
A la gloutonnerie, à la brutalité,
Ces reptiles fangeux de la société !
—
Où sont les gens de bien, et qu'est-ce que nous
sommes,
Puisque Brutus se ligue avec de pareils hommes ;
Puisque, pour voir enfin le tyran abattu,
Il faut qu'avec le mal conspire la vertu ?
Sous leur austérité je voudrais que tu
visses
Ces faux Cincinnatus, au coeur rongé de vices
!
Prends garde à toi, Brutus ! près d'eux
voile ton front...
Tu veux les rendre purs... c'est toi qu'ils souilleront
!
BRUTUS
Puisque de nos complots César a
connaissance,
Pourquoi n'use-t-il point de sa toute-puissance ?
Cicéron, que jamais Rome ne couronna,
Sut bien de nos remparts chassant Catilina,
Donner aux conjurés, pour tombes
clandestines,
Les mornes profondeurs des voûtes mamertines
!
CÉSAR
Pourquoi César consul, dictateur,
souverain,
Ne vous ouvre-t-il pas le cachot souterrain,
Ce noir Tullianum aux sourdes agonies,
D'où l'homme sort cadavre et roule aux
gémonies ?
Tu demandes pourquoi ?... Je te réponds !—
D'abord,
César a bu la vie et la gloire à plein
bord ;
Et jamais ce tyran, c'est ainsi qu'on le nomme,
Pour conserver ses jours ne prendra ceux d'un homme
;
Puis Brutus, égaré dans ses âpres
vertus,
Peut tout contre César, lui rien contre Brutus
!
BRUTUS
Que dis-tu ?
CÉSAR, tirant une lettre de son
sein
Cette
lettre...
BRUTUS
Eh
bien ?
CÉSAR
Qui
l'a tracée ?
BRUTUS, reconnaissant
l'écriture
Ma mère Servilie !
CÉSAR
Oui.
BRUTUS
Grands
dieux ! .... Adressée...
CÉSAR
A Brutus.
BRUTUS
Quand
ma mère a-t-elle écrit cela ?
Parle ?
CÉSAR
A
son lit de mort.
BRUTUS
Ma
mère ! .. .
CÉSAR, lui donnant la lettre
Écoute-la.
Réjouis au tombeau celle à qui tu dois
l'être !...
Je te laisse, Brutus, seul avec cette lettre.
BRUTUS
Un dernier mot, César... Tes gardes, n'est-ce
pas,
Ont jusqu'à l'atrium accompagné tes pas
?
CÉSAR
Non, je suis venu seul. Quand je frappe à ta
porte,
Quand je viens chez Brutus, ai-je besoin d'escorte
?
BRUTUS, appelant Straton qui
paraît
Straton, va, je remets cette épée en ta
main ;
Du noble Julius protège le chemin.
Tu me réponds de lui sur ta tête... Prends
garde !
— Adieu, César.
CÉSAR
(Au moment de sortir.)
Adieu.
- Ta mère te regarde !
Scène 8
BRUTUS, seul
Sa voix s'attendrissait, ma mère, en te
nommant.
Pourquoi ton nom sacré dans un pareil moment
?
Et pourquoi d'un secret, que tu voulus me taire,
Seul aujourd'hui César est-il dépositaire
?
César ! lui confident de la soeur de
Caton...
Ombres d'Harmodius et d'Aristogiton,
Affermissez mon coeur !... Cette page inconnue,
Venant de toi, ma mère, elle est la bienvenue
!
(Il baise la lettre.)
Qu'elle brille, clarté céleste ou noir
flambeau,
- Salut, ô messagère auguste du tombeau
!...
Salut, toi qui m'emplis d'une sainte épouvante
!..
Salut !
(Au moment d'ouvrir la lettre, il
hésite.)
Hélas
! tu sais si je t'aimais !... Vivante,
Tu m'as vu sur la terre, avec docilité,
M'incliner, fils pieux, devant ta volonté
;
Morte, couchée au fond du sépulcre
insensible,
Ne me demande pas une chose impossible !...
Car, désobéissant à l'ordre
maternel,
J'aurais dans mà poitrine un remords
éternel !
- Courage, allons, Brutus !
(Il déplie la lettre, et jette les yeux
dessus.)
Mon
père ! il est mon père !
(Il laisse tomber la lettre.)
Non, j'ai mal lu... Mensonge... illusion...
j'espère !
(Il ramasse la lettre, et se rapproche de la lampe.
Après avoir relu )
Ainsi donc ces rumeurs que m'apportait le vent,
Ces mots à mon approche interrompus
souvent,
Conversation vague, obscure et mal suivie,
Que si longtemps je crus étrangère
à ma vie,
Tout cela voulait dire alors, confusément
:
La mère de Brutus eut César pour amant
!
Il est mon père !... Oh ! tout devient
compréhensible :
Cet ineffable amour, cette force invincible
Qui vers lui, dans ses bras, m'a toujours
emporté ;
Ces luttes de mon coeur contre ma volonté,
0 César ! et devant ta splendeur
éternelle
Cet éblouissement de ma faible prunelle !
Oui, César est mon père, et j'allais...
Malheureux !...
Ces quatre mots : Il est mon père, — c'est
affreux !
La blessure qu'ils font dans mon âme est profonde
!
Mais en quoi changent-ils l'équilibre du monde
?
Certe, en les prononçant tout mon coeur est
brisé,
Mon bras qui se levait tombe paralysé :
Mais à Rome qui meurt, sous le joug
avilie,
Qu'importe que César ait aimé Servilie
?
Est-ce que l'univers s'informe, par hasard,
Si mon père est Marcus Brutus, ou bien
César ?
Ta famille, Brutus, c'est d'abord la patrie !
Que ta gloire égoïste à jamais soit
flétrie,
Si, condamnant César, destructeur du
sénat,
Tu crus pouvoir frapper sans que ton coeur
saignât !
Non, l'âme chez Brutus, forte, calme et
sereine,
L'âme soumet le corps ; elle est maîtresse
et reine !
- Ton fils t'a pardonné, ma mère ; tu
vois bien !
(Approchant la lettre de la flamme.)
Toi, pardonne à ton fils ! — Flamme et
cendre ! plus rien...
Ma mère fut toujours de son honneur jalouse
:
C'est de Marcus Brutus l'irréprochable
épouse !
Scène 9
BRUTUS, PORCIA
(Elle vient à Brutus : elle tient son bras
gauche comprimé avec sa main droite, et
caché sous les plis de sa tunique)
BRUTUS
Porcia, c'est vous ?
PORCIA
Oui,
Brutus ; j'ai réfléchi...
Qui parle de sa force a trop souvent fléchi
;
Et s'il n'est point d'assaut que la mienne
redoute,
Votre esprit néanmoins a conservé le
doute ?
BRUTUS
Brutus, douter de vous !...
PORCIA
Brutus
en a douté.
Alors j'ai reconnu, moi, cette
vérité...
BRUTUS
Laquelle ?
PORCIA
C'est
qu'il faut, sans promesses frivoles,
Des actions aux gens de coeur, non des paroles !
C'est que, pour vous convaincre, il faut plus qu'un
serment.
Je suis donc remontée en mon appartement ;
J'ai d'une main, Brutus, pris le miroir de
cuivre,
Et de l'autre un poignard...
BRUTUS
Dieux
!
PORCIA
Laissez-moi
poursuivre.
Puis, calme et souriant comme je vous souris...
BRUTUS
Qu'as-tu fait ?
PORCIA, soulevant sa main droite, et montrant
son bras couvert de sang
Vois,
Brutus.
BRUTUS
Noble
coeur ! j'ai compris...
PORCIA
Si par le doute encor ton âme est
combattue,
Dis-le-moi.
BRUTUS
Porcia,
c'est demain qu'on le tue !
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