Scène 1
Tullie
TULLIE
Où vais-je, infortunée ? et quel espoir
me luit ?
Que de cris ! que de pleurs ! et quelle affreuse nuit
!
Effroyable séjour des horreurs de la
guerre,
Lieux inondés du sang des maîtres de la
terre,
Lieux dont le seul aspect fit trembler tant de
rois,
Palais où Cicéron triompha tant de
fois,
Désormais trop heureux de cacher ce grand
homme,
Sauvez le seul Romain qui soit encor dans Rome.
(apercevant le tableau des proscrits)
Que vois-je à la lueur de ce cruel flambeau
!
Ah ! que de noms sacrés proscrits sur ce tableau
!
Rome, il ne manque plus, pour combler ta
misère,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux
père,
Qu'on peut sans t'offenscr nommer aussi le tien :
Hélas ! après les dieux il est ton seul
soutien.
(à la statue de César)
Toi qui fis en naissant honneur à la
nature,
Sans avoir des vertus que l'heureuse imposture,
Trop aimable tyran, illustre ambitieux,
Qui triomphas du sort, de Caton, et des dieux ;
Brutus, s'il est ton fils, a plus fait pour ta
gloire
(elle montre le nom d'Octave à la tête
des proscripteurs)
Que ce tigre adopté pour flétrir ta
mémoire :
César, vois à quel titre il
prétend t'égaler ;
Mais c'est en proscrivant, qu'il sait se
signaler.
Sacrifie à nos pleurs ce successeur profane
;
Si ton coeur l'a choisi, ta gloire le condamne :
Ce n'est pas sous son nom qu'un glorieux burin
Enchaînera jamais et la Seine et le Rhin.
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes
armes
Nous respirions du moins sans honte et sans alarmes
;
Loin de rougir des fers qu'illustrait ta valeur,
On se croyait paré des lauriers du vainqueur
:
Mais sous le joug honteux et d'Antoine et
d'Octave,
Rome, arbitre des rois, va gémir en
esclave.
Quel spectacle nouveau vient me remplir d'effroi
!
(à la statue de Pompée)
Ah, Pompée ! est-ce là ce qui reste de
toi ?
Misérables débris de la grandeur humaine
!
Douloureux monuments de vengeance et de haine !
Plus on dispersera vos restes immortels,
Et plus vous trouverez et d'encens et d'autels.
Et toi, digne héritier d'un nom que Rome
adore,
Héros qu'en ses malheurs chaque jour elle
implore,
Pour nous venger d'Octave accours, vaillant Sextus
:
A ce nouveau César sois un nouveau Brutus.
Octave est si cruel, qu'il rendrait
légitime
Ce qui même à ses yeux pourrait
paraître un crime..
Scène 2
Clodomir, Tullie
TULLIE
Mais dans l'obscurité qu'est-ce que j'entrevois
?
Hélas ! que je le plains ! c'est le chef des
Gaulois.
Tandis que pour mon père il expose sa vie,
Mon père pour jamais va lui ravir Tullie.
Que cherchez-vous ici, généreux Clodomir
?
CLODOMIR
Ce que les malheureux cherchent tous : à
mourir.
Madame, c'en est fait ; la colère
céleste
Va bientôt des Romains détruire ce qui
reste :
Le jour n'éclaire plus que des objets
affreux,
Et l'air ne retentit que de cris douloureux ;
Les autels ne sont plus qu'un refuge effroyable
Que souille impunément le glaive impitoyable
:
Un tribun massacré par ses propres soldats
Ne sert que de signal pour d'autres attentats ;
Un fils presque à mes yeux vient de livrer son
père ;
J'ai vu ce même fils égorgé par sa
mère :
On ne voit que des corps mutilés et
sanglants,
Des esclaves traîner leurs maîtres
expirants ;
Le carnage assouvi réchauffe le carnage.
J'ai vu des furieux dont la haine et la rage
Se disputaient des coeurs encor tout palpitants :
On dirait, à les voir, l'un l'autre
s'excitants,
Déployer à l'envi leur fureur
meurtrière,
Que c'est le dernier jour de la nature entière
;
Et, pour comble de maux, dans ces cruels instants
Rien ne m'annonce ici les secours que j'attends.
D'infortunés proscrits une troupe choisie
Va bientôt par mes soins se trouver dans Ostie
:
J'ai sauvé Messala, Métellus, et Pison
;
Mais ce n'est rien pour moi si je n'ai Cicéron
:
C'est à ce tendre soin que mon amour
s'applique
Pour sauver à la fois vous et la
république.
Fuyez, belle Tullie, et daignez un moment
Vous attendrir aux pleurs d'un malheureux amant ;
C'est pour vous, digne objet qui causez mes
alarmes,
Que le plus fier des coeurs a pu verser des
larmes.
TULLIE
Moi fuir ! ah, Clodomir ! c'est en moi, dans mon
sein,
Que Rome doit trouver son salut ou sa fin :
Les pleurs pour m'ébranler sont de trop faibles
armes ;
La vie a ses attraits, mais la mort a ses
charmes.
CLODOMIR
N'accablez point, Tullie, une âme au
désespoir :
Si ma douleur n'a rien qui vous puisse
émouvoir,
Ecoutez-moi du moins en ce moment funeste.
De ce père si cher, le seul bien qui vous
reste,
L'implacable Fulvie a juré le trépas
:
Vous la verrez bientôt l'arracher de vos
bras,
Et couvrir de son sang cette auguste retraite,
Qui n'est pour Cicéron ni sûre ni
secrète.
Octave a découvert qu'il était en ces
lieux :
Rien n'échappe aux regards de cet ambitieux
;
Dangereux et prudent, plus adroit que
sincère,
Il ne s'attachera qu'à tromper votre
père.
Mécène est avec lui : ce sage
courtisan,
Peu digne du malheur de servir un tyran,
Vient flatter Cicéron d'une faveur
ouverte,
Sans savoir que peut-être il travaille à
sa perte.
Octave vous adore, et prétend à son
tour
Que votre père et vous couronniez son amour
;
Et moi, qui vous aimais plus qu'on n'aime la vie,
Je vous perds avec elle, adorable Tullie.
Votre hymen mettra fin à leur division,
Et c'est mon sang qui va sceller leur union.
TULLIE
Votre sang ! ah ! croyez qu'il n'est point de
puissance
Que je n'ose braver ici pour sa défense.
Eh ! quel sang fut jamais si précieux pour nous
?
Est-il quelque Romain qui le soit plus que vous ?
Clodomir, il est temps de vous ouvrir mon
âme.
J'ai vu sans m'offenser éclater votre flamme
;
J'ai souffert sans courroux qu'un amour
malheureux,
Malgré ma dignité, m'entretînt de
ses feux ;
Et, cédant sans effort au penchant
invincible
Qui triomphait dun coeur si longtemps insensible,
Mon devoir contre vous n'a jamais combattu.
L'amour pour vos pareils devient une vertu ;
Et la vôtre, d'accord avec mon innocence,
Ne m'a point fait rougir de ma reconnaissance.
Je ne vous cache point que mes voeux les plus
doux
Se bornaient à l'espoir de vous voir mon
époux ;
Mais vous n'ignorez pas que la fierté
romaine
Jamais dans ses hymens n'admet ni roi ni reine ;
Qu'étranger, et surtout sorti du sang des
rois,
Notre union ne peut dépendre de mon choix.
Parmi tant de malheurs que nous avons à
craindre,
De celui-ci mon coeur n'aurait osé se
plaindre,
Si ce coeur, pénétré de vos soins
généreux,
N'avait cru vous devoir de si tendres aveux.
C'en est fait, Clodomir, la fortune inhumaine
Vient de briser les noeuds d'une innocente chaîne
:
Plaignez-moi, plaignez-vous ; mais respectez mon
coeur.
Ses regrets, son devoir, sa gloire, et sa
candeur.
Un rival... (à ces mots ne craignez rien
d'Octave,
Un tyran à mes yeux ne vaut pas un
esclave)
Un rival plus heureux va causer nos malheurs,
Et je n'oserai plus vous donner que des pleurs :
Pour la dernière fois écoutez leur
langage ;
Votre amour n'en doit pas exiger davantage.
Le fils du grand Pompée... hélas! que
n'est-ce vous !
Que j'eusse avec plaisir accepté mon
époux !
C'est vous en dire assez, et j'en dis trop
peut-être :
Adieu. Bientôt Sextus en ces lieux va
paraître :
Consultez mon devoir... Ah ! fuyez, Clodomir !
Quelqu'un vient, et je crois que c'est un
triumvir.
Mon père vous attend.
Scène 3
LEPIDE, Tullie
LEPIDE
Vertueuse Tullie,
Arrêtez un moment ; c'est moi qui vous en
prie.
Confondez-vous Lépide avec des furieux,
Opprobres à la fois des hommes et des dieux
?
Triumvir malgré moi, tyran sans barbarie,
Je venais avec vous pleurer sur la patrie,
Et dire à votre père un éternel
adieu.
Ma vertu souffre trop en ce funeste lieu,
Dont je ne puis chasser mes collègues
impies,
Monstres dans les enfers nourris par les Furies ;
Et le sénat, en proie à ces deux
inhumains,
Me charge des forfaits réservés à
leurs mains :
Tandis que nos malheurs sont leur unique ouvrage,
La haine et le mépris vont être mon
partage ;
Sur un honteux soupçon et si peu
mérité
Du coeur de Cicéron j'attends plus
d'équité.
Mais de ces lieux cruels il faut que je m'exile ;
Dans l'Espagne, où j'ai su me choisir un
asile,
Je vais chercher, madame, un ciel moins corrompu,
Pour sauver mon honneur, mon nom, et ma vertu.
TULLIE
Ah ! la vertu qui fuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui sait braver l'orage :
Que peut craindre un Romain des caprices du sort
Tant qu'il lui reste un bras pour se donner la mort
?
Avez-vous oublié que Rome est votre mère
?
Demeurez ; imitez l'exemple de mon père,
Et de votre vertu ne nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire, ou du moins un
combat.
On n'encensa jamais la vertu fugitive,
Et celle d'un Romain doit être plus active
:
On ne le reconnaît qu'à son dernier soupir
;
Son honneur est de vaincre, et vaincu, de mourir
:
De toute autre vertu rejetez le mensonge ;
La mort pour un Romain n'est que la fin d'un songe.
Scène 4
Cicéron, Tullie, LEPIDE
TULLIE
Mais Cicéron qui vient vous dira mieux que
moi
Qu'un grand homme n'est rien s'il ne l'est que pour
soi.
CICERON
Près de voir consommer mon destin
déplorable,
Et parer de mon nom cette odieuse table,
(montrant le tableau des proscrits)
Je ne m'attendais pas qu'un lâche triumvir
Vînt m'apporter lui-même un ordre de mourir
:
Hélas ! c'est aujourd'hui tout ce que je
désire ;
Vous n'aurez pas besoin, cruel, de me proscrire.
LEPIDE
Rendez plus de justice aux soins d'un tendre ami.
CICERON
Eh ! quel autre dessein peut vous conduire ici ?
Lépide, est-ce bien vous ? Quoi ! ce même
Lépide
Qui s'enorgueillissoit d'une vertu rigide,
De nos derniers malheurs sacrilège
artisan,
A mes yeux indignés n'offre plus qu'un tyran
!
LEPIDE
Cicéron, respectez l'amitié qui nous lie
;
La mienne vous révère, et la vôtre
s'oublie.
Quoi ! si savant dans l'art de lire au fond des
coeurs,
C'est vous qui des tyrans m'imputez les fureurs !
Ah ! de leur cruauté loin que je sois
complice,
Il n'est point de moments où mon coeur n'en
gémisse.
CICERON
Faites moins éclater une feinte douleur,
Qui ne sert qu'à prouver que vous manquez de
coeur :
Pourquoi donc vous unir à la
toute-puissance,
Dès que vous n'en pouvez réprimer la
licence,
Ni soutenir un rang qui doit régler vos pas
?
Si votre coeur est pur, vos mains ne le sont pas.
Le sang coule à vos yeux, vous n'osez le
défendre ;
C'est vous qui le versez en le laissant
répandre.
D'Antoine et de César collègue sans
honneur,
Lorsque vous en pourriez devenir la terreur,
A peine vous osez disputer votre tête,
Trop heureux en fuyant d'éviter la
tempête.
Inutile tyran d'un peuple malheureux,
Soyez du moins pour nous un tyran courageux ;
Et si c'est à régner que votre coeur
aspire,
Sauvez donc les sujets qui forment votre empire.
Unissons nos efforts et notre désespoir ;
Du sénat expirant ranimons le pouvoir.
Lorsque de Rome en feu les cris se font entendre,
Attendez-vous sa fin pour pleurer sur sa cendre ?
Ouvrez les yeux, Lépide, et revenez à
vous ;
Rome en pleurs avec moi vous implore à genoux
:
Devenons tour à tour pères de la
patrie,
Et rendons aux Romains une nouvelle vie :
Dussions-nous à la mort nous livrer sans
succès,
Nous revivrons tous deux pour ne mourir jamais.
LEPIDE
Pour le salut de Rome inutile espérance !
Abandonnez aux dieux le soin de sa
défense.
Il n'est plus de Romains, ni de lois, ni d'état
;
C'est votre nom lui seul qui fait tout le
sénat.
Romain trop vertueux, dans ce malheur
extrême
Ne songez qu'à sauver votre fille et
vous-même.
Tout l'univers en vain s'intéresse à vos
jours
Si la fureur d'Antoine en veut trancher le cours.
Echauffé par les cris d'une femme
inhumaine,
Que des fleuves de sang satisferaient à
peine,
Ce cruel veut vous mettre au nombre des proscrits
;
Et vous pouvez juger quel en sera le prix.
Je crains qu'à vos dépens Octave ne se
venge,
Et que de Lucius vous ne soyez l'échange.
Octave, qui poursuit l'oncle du triumvir,
Ne se rendra jamais qu'on ne l'ait fait mourir ;
Et l'on n'apaisera la haine de Fulvie
Que de tout votre sang on ne l'ait assouvie.
Il est vrai que contre eux Octave vous défend
;
Mais de ses intérêts son amitié
dépend :
La seule ambition gouverna sa jeunesse,
Et le gouvernera jusque dans sa vieillesse ;
Ainsi n'attendez rien de ce volage appui,
Que vous perdrez demain, si ce n'est aujourd'hui.
J'ai fixé mon séjour sur les rives du
Tage ;
C'est sur ces bords heureux devenus mon partage,
D'un pouvoir usurpé restes injurieux,
Que je veux transporter Cicéron et mes dieux
:
Venez y partager l'empire et ma fortune,
Qu'une tendre amitié doit nous rendre
commune.
CICERON
Qu'entends-je ?
LEPIDE
Et dans ces lieux quel est donc votre espoir ?
CICERON
J'y veux avec le mien remplir votre devoir ;
J'y veux faire moi seul ce qu'y doit faire un
homme
Qui veut mourir pour Rome, ou mourir avec Rome.
Vous croyez, je le vois, parler au Cicéron
De qui la fermeté n'illustra point le nom
;
Mais je vous ferai voir que ma seule sagesse
Me fit sur ma douceur soupçonner de
faiblesse.
Dans les temps orageux où mon
autorité
N'avoit sur le sénat qu'un pouvoir
limité,
Je laissai de Sylla triompher l'insolence :
Le respect sur César m'imposa le silence ;
Et ce même César prouve que la
douceur
Peut ainsi que la gloire habiter un grand coeur.
Quand par des soins prudents j'ai conjuré
l'orage,
Si l'on m'a reproché de manquer de
courage,
Les désordres présents, ma mort, et mes
revers,
Vont me justifier aux yeux de l'univers.
LEPIDE
Et sur quoi voulez-vous que l'on vous justifie ?
Vivez pour illustrer encor plus votre vie.
Je crains un désespoir. Ah ! mon cher
Cicéron,
Le ciel ne vous fit point pour imiter Caton.
CICERON
L'exemple de Caton serait honteux à suivre
:
Plus le malheur est grand, plus il est grand de
vivre.
LEPIDE
Voilà les sentiments qu'a dû vous
inspirer
Cette gloire où vous seul avez droit d'aspirer
:
Mais laissez-moi le soin d'une tête si
chère,
Daignez me confier et la fille et le père
;
Que je puisse, en sauvant des jours si
précieux,
Me flatter avec vous d'un retour en ces lieux.
Conservons au sénat un ami si
fidèle,
A Rome un magistrat qui fut si digne d'elle ;
Dans notre exil commun venez me consoler.
Voulez-vous qu'à mes yeux je vous voie immoler
?
D'Octave prévenant redoutez les finesses ;
Mais craignez encor moins son art que ses
promesses.
Je vais guider vos pas en des lieux
écartés
Où l'on ne peut jamais vous
découvrir.
CICERON
Partez :
J'aurai moins à rougir de me donner un
maître
Que de suivre un ami si peu digne de
l'être.
Que César me soutienne ou me manque de
foi,
Antoine, vous, et lui, tout est égal pour moi
;
Si le destin me garde une fin malheureuse,
La fuite ne pourrait que la rendre honteuse.
Je n'ai connu qu'un bien, c'étoit la
liberté ;
Je l'ai perdu : grands dieux, qui me l'avez
ôté,
Que ne m'arrachiez-vous une importune vie
Qu'en vain votre courroux réserve à
l'infamie ?
LEPIDE
Je ne vous presse plus ; mais avant mon
départ
D'un secret important je veux vous faire part.
Sextus, que l'on croyoit au rivage d'Ostie,
Est depuis quelque temps caché dans l'Italie
;
Je soupçonne de plus qu'il pourrait être
ici ;
Gardez-vous d'embrasser ce dangereux parti :
Celui des conjurés serait moins sûr encore
;
Ce sont des assassins que l'univers abhorre ;
Et si jamais César peut découvrir
Sextus,
Vous vous perdez tous deux ainsi que
Métellus.
CICERON
Que m'importe Sextus ? et que voulez-vous dire ?
LEPIDE
Ce que pour vous sauver mon amitié
m'inspire.
En vain vous prétendez sous le nom d'un
Gaulois
Nous cacher un guerrier connu par tant d'exploits
:
Cicéron, mon dessein n'est pas de vous
surprendre ;
Je sais tout, j'ai tout vu ; cessez de vous
défendre.
J'ai trop aimé Pompée, et trop connu ses
fils
Pour croire qu'à Sextus mes yeux se soient
mépris.
Je viens de l'entrevoir.
CICERON
Hé bien ! si de son père
La mémoire aujourd'hui peut vous être
encor chère,
Loin de rougir des biens qu'il répandit sur
vous,
Qu'un noble souvenir vous les rappelle tous ;
De ce nom si vanté ranimons la puissance,
Et d'un fils malheureux embrassez la défense
:
Détruisons les tyrans et le triumvirat,
Ou formons-en un autre appuyé du sénat
;
Qu'aux transports d'un ami votre vertu réponde
:
Devenons les soutiens et les maîtres du monde
;
Mais ne le soumettons à notre
autorité
Que pour donner aux lois toute leur
liberté.
LEPIDE
De ce rare projet j'admire la noblesse ;
J'en conçois la grandeur, encor mieux la
faiblesse :
Je vois des généraux qui n'auront pour
soldats
Que des proscrits errants de climats en climats.
Croyez-moi, Cicéron, votre unique
espérance
Est de pouvoir d'Antoine éviter la vengeance
:
Fuyez avec Sextus, ou fuyez avec moi ;
Choisissez l'un de nous, et comptez sur ma foi.
Mais pour jamais de Rome il faut que je m'exile :
Pour la dernière fois je vous offre un asile
;
Adieu.
Scène 5
Cicéron
CICERON
Faible tyran, garde pour tes pareils
Ton amitié, tes soins, ta honte, et tes conseils
;
Lâche, plus digne encor de mépris que de
haine.
Déjà le jour plus grand m'annonce que
Mécène,
Qui dans ce trouble affreux s'intéresse à
la paix,
Doit être dès longtemps rentré dans
ce palais :
Allons. Mais il est temps que j'instruise ma
fille
D'un secret qui peut perdre ou sauver ma famille.
Sur nos desseins communs craignons moins
d'alarmer
Un grand coeur qui sait plus que de savoir aimer.
De ses frayeurs pour moi Sextus qui se
défie
Ne connaît pas encor tout le coeur de
Tullie.
Non, ne lui laissons plus ignorer un secret
Que ma tendre amitié lui cachait à
regret.
Clodomir, devenu le fils du grand Pompée,
Ne pourra me blâmer de l'avoir
détrompée.
Unissons-les, donnons à César un
rival
Dont le nom seul pourra lui devenir fatal.
Essayons cependant de fléchir un barbare,
Pour suspendre les coups que sa main nous
prépare ;
Mais s'il veut s'emparer du pouvoir souverain,
A son ambition nous pourrons mettre un frein.
Dieu puissant des Romains, indomtable
génie,
Aujourd'hui dieu du meurtre et de la tyrannie,
Si je ne puis changer tes décrets
immortels,
Fais-moi du moins mourir au pied de tes autels.
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