Acte III

Acte II Acte IV

Scène 1
Cicéron, Tullie, Sextus

CICERON
Héritier des vertus du plus grand des Romains,
Si digne de mémoire et des honneurs divins,
Adoré dans la paix, redouté dans la guerre,
Qui vit parer son char du globe de la terre,
Fils de Pompée enfin, à cet auguste nom
Vous daignez allier celui de Cicéron.
Je ne vous ceindrai point le front d'un diadème ;
Je n'ai plus de trésor que cet autre moi-même :
O mon fils ! puisse-t-il faire votre bonheur,
Et vous être aussi cher qu'il le fut à mon coeur !
Et vous, unique bien que le destin me laisse,
Délices de ma vie, espoir de ma vieillesse,
Qui n'avez plus pour dot que mon âme et mes pleurs,
Puissiez-vous n'hériter jamais de mes malheurs !
Je veux avant ma mort que ma main vous unisse ;
J'ai promis à Sextus ce tendre sacrifice :
Mais, après cet hymen qui va combler nos voeux,
Fuyez, éloignez-vous d'un père malheureux ;
Je ne veux plus vous voir dans une triste ville
Où les morts même ont peine à trouver un asile.
Approchez, mes enfants ; venez, embrassez-moi ;
Jurez-vous dans mon sein une constante foi ;
De nos derniers adieux scellons une alliance
Que nous désirions tous avec impatience.
Que vois-je ? on se refuse à mes embrassements !

TULLIE
Qu'exigez-vous de nous dans ces cruels moments ?
Quoi ! lorsqu'avec bonté votre amour nous assemble,
Ne nous unissez-vous que pour mourir ensemble ?
Et comment sans frémir pouvez-vous ordonner
A Sextus comme à moi de vous abandonner ?
Quel nouveau désespoir contre nous vous anime ?
De nos soins mutuels nous feriez-vous un crime ?
C'est vous-même, seigneur, qui dans ce triste jour
Me faites malgré moi douter de votre amour.
Quoi ! ce père, l'objet de toute ma tendresse,
Qui me cherchait encor, quoiqu'il me vît sans cesse,
Ce père qui semblait ne vivre que pour moi,
Ne pourra désormais me voir qu'avec effroi !
Quel transport imprévu de votre âme s'empare ?
Apprenez-vous d'Octave à devenir barbare ?
La flotte de Sextus nous attend tous au port :
Faites-vous sur vous-même un généreux effort ;
C'est votre fille en pleurs, cette même Tullie
Du père le plus tendre autrefois si chérie,
Qui, la mort dans le sein, vous demande à genoux
De ne lui point ravir ce qu'elle tient de vous :
Ma vie est dans vos mains, et ne tient qu'à la vôtre ;
Daignez en ce moment nous suivre l'un et l'autre.
Ce lieu n'est point encore entouré de soldats
Qui puissent observer ou retenir vos pas ;
Nous pouvons en secret gagner les bords du Tibre :
Mon père, suivez-nous, puisque vous êtes libre,
Et que vous n'êtes pas au nombre des proscrits.

CICERON
Ah ! c'est moins par respect pour moi que par mépris.
Ne pouvant m'effrayer, Antoine m'humilie :
C'est pour flétrir mon nom que le cruel m'oublie.
Si sa main m'eût proscrit, l'univers aurait su
Que parmi ces héros du moins j'aurais vécu.
Pour braver mes tyrans je veux mourir dans Rome :
En implorant ses dieux c'est moi seul qu'elle nomme ;
Je ne priverai point de mes derniers soupirs
Ce lieu qui fut l'objet de mes premiers désirs.
J'ai tant vécu pour moi, si peu pour ma patrie,
Que je veux dans son sein du moins finir ma vie :
Si je fuyais, César, qui me redoute encor,
A ses projets bientôt donnerait plus d'essor.

SEXTUS
Cessez de vous flatter d'une espérance vaine ;
César aime Tullie, et craint peu votre haine.
Dans ses murs malheureux Rome va succomber ;
Croyez-vous qu'avec elle il soit beau de tomber,
Lorsqu'en lui conservant un ami si fidèle
Nous pouvons espérer de renaître avec elle ?
N'avons-nous pas ailleurs des secours assurés,
La Sicile, Brutus, Rhodes, les conjurés ?

CICERON
Qui ? moi, mon fils, que j'aille, errant dans la Sicile,
Allumer le flambeau d'une guerre civile ?

SEXTUS
Eh ! comment pouvez-vous désormais l'éviter ?
Ce n'est pas vous d'ailleurs qui l'allez susciter.
Il n'est point aujourd'hui de climat sur la terre
Qui puisse être à l'abri des fureurs de la guerre ;
Traversez l'univers de l'un à l'autre bout,
Vous trouverez la guerre et des Romains partout,
Enfants infortunés d'une ville déserte,
Qui ne peut plus sentir vos soins, ni votre perte.
Pourquoi vous obstiner à mourir dans ses murs ?
Donnons-lui des secours plus brillants et plus sûrs.
Croyez-vous qu'il sera pour vous plus honorable
D'être aux yeux de César traîné comme un coupable,
Pour servir de risée au soldat furieux,
Qui fera peu de cas d'un nom si glorieux ?
Rome n'est plus qu'un spectre, une ombre en Italie,
Dont le corps tout entier est passé dans l'Asie :
C'est là que notre honneur nous appelle aujourd'hui ;
Rendons-nous à sa voix, et marchons avec lui.
Ce n'est pas le climat qui lui donna la vie,
C'est le coeur du Romain qui forme sa patrie.
Qui doit s'intéresser à Rome plus que moi ?
(il montre la statue de Pompée renversée)
Voyez ces monuments de douleur et d'effroi,
Ces marbres mutilés, dont le morne silence
N'en demande pas moins de sang pour leur vengeance ;
Il ne leur reste plus que le nom précieux
D'un héros que l'on vit marcher égal aux dieux :
Votre sort est écrit sous ce nom redoutable,
A tout mortel fameux exemple formidable ;
Et pour le prévenir vous n'avez qu'à vouloir.
La honte suit toujours un lâche désespoir ;
Il vaut mieux se flatter d'un espoir téméraire,
Que de céder au sort dès qu'il nous est contraire ;
Il faut du moins mourir les armes à la main,
Le seul genre de mort digne d'un vrai Romain ;
Mais mourir pour mourir n'est qu'une folle ivresse,
Triste enfant de l'orgueil, nourri par la paresse.
Ranimez-vous, mon père, et soyez plus jaloux
De la haute vertu que j'admirois en vous.

CICERON
S'il est vrai que Sextus la respecte et l'admire,
Qu'il règle donc ses soins sur ceux qu'elle m'inspire.

SEXTUS
C'est-à-dire, seigneur, que pour vous imiter
II faut mourir ensemble, et ne nous point quitter.

CICERON
Ah, Sextus ! quoi ! c'est vous qui voulez que je fuie !
Non, ne vous flattez pas que je passe en Asie ;
Ni que, des conjurés empruntant le secours,
De mes jours malheureux j'aille flétrir le cours :
Rien ne peut m'engager à quitter l'Italie ;
Cependant je suis prêt, pour contenter Tullie,
A sortir avec vous de ce triste palais :
La nuit, à Tusculum nous nous joindrons après ;
Au bois le plus prochain ma fille ira m'attendre :
Dans deux heures, Sextus, ayez soin de vous rendre
Avec quelques soldats au pont Supplicien.
Le temps ne permet pas un plus long entretien ;
Adieu : mais avant tout je veux revoir Mécène.

Scène 2
Tullie, Sextus

TULLIE
Ah, Sextus ! notre fuite est encore incertaine ;
Mécène à Cicéron fera changer d'avis,
Et les plus généreux ne seront pas suivis.
On vient : éloignez-vous ; c'est César qui s'avance.

SEXTUS
Il serait dangereux d'éviter sa présence :
Le tyran nous a vus ; je me rendrais suspect
Si je disparaissais à son premier aspect :
Il croit que sur ses bords la Seine m'a vu naître ;
Et d'ailleurs je crains peu César, quel qu'il puisse être.

Scène 3
Octave, Sextus, Tullie

OCTAVE
Je cherchais Cicéron ; je veux encor le voir,
Quoique sa dureté me laisse peu d'espoir.
Mais que fait près de vous ce Gaulois, dont l'audace
Semble vouloir ici me disputer la place ?

TULLIE
Quel rang près de Tullie auriez-vous prétendu
Pour croire qu'à tout autre il serait défendu ?

OCTAVE
En des lieux où je crois pouvoir parler en maître,
Sans mes ordres exprès on ne doit point paraître,
Et surtout un Gaulois : qu'il retourne en son camp ;
C'est parmi ses soldats qu'il trouvera son rang.

SEXTUS
Depuis quand sommes-nous sous ton obéissance,
Pour oser me parler avec tant d'arrogance ?
Le sort de mes pareils ne dépend point de toi ;
Je ne relève ici que des dieux et de moi.
Aux lois du grand César nous rendîmes hommage,
Mais ce ne fut jamais à titre d'esclavage :
Comme de la valeur il connaissait le prix,
Il estimait en nous ce qui manque à son fils.
Sans le fer des Gaulois le César qui me brave
Eut vu borner sa gloire au simple nom d'Octave.

OCTAVE
Qu'entends-je ? holà, licteurs !

TULLIE
                     César, modère-toi ;
Apprends que ce guerrier est ici sur ma foi,
Sur celle des Romains, dont tu n'es pas le maître,
Malgré tous les projets que tu formes pour l'être.
Si tu te plains de lui, pourquoi l'outrageois-tu ?
Penses-tu n'outrager que des coeurs sans vertu ?
S'il te faut des garants, je réponds de la sienne ;
Commence à nous donner des preuves de la tienne.
Si de l'humanité tu méconnais la voix,
Des peuples alliés respecte au moins les droits ;
Sois humain, généreux, et cesse de proscrire,
Si tu veux sur les coeurs t'établir un empire.
L'art de se faire aimer, et celui de régner,
Sont deux arts que ton père aurait dû t'enseigner :
Mais en vain tu prétends livrer à ta vengeance
Un guerrier qui n'est point soumis à ta puissance ;
Jusqu'au dernier soupir je défendrai ses jours.

OCTAVE
Ingrate, qui des miens voulez trancher le cours,
Et de mes ennemis me rendre la victime,
Vous justifiez trop le courroux qui m'anime.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que cet audacieux,
Qui veut ne relever que de vous et des dieux,
Dans ses divers complots plus ardent que vous-même,
Brave des triumvirs l'autorité suprême :
Je sais qu'il a sauvé Messala, Métellus,
Lucilius, Pison, les fils de Lentulus ;
Mais, malgré son orgueil, je lui ferai connaître
Que je puis à mes lois l'immoler comme un traître.

SEXTUS
En sauvant tes proscrits j'ai fait ce que j'ai dû :
Ton père en pareil cas eût loué ma vertu ;
Toi-même, applaudissant à mes soins magnanimes,
Tu devrais me louer de t'épargner des crimes,
Et rougir, quand tu crois être au-dessus de moi,
Qu'un Gaulois à tes yeux soit plus Romain que toi.
Viole nos traités, punis-moi d'aimer Rome,
Et d'oser de nous deux être le plus grand homme.

OCTAVE
Téméraire étranger, tu m'apprends mon devoir ;
Et ta mort...

TULLIE
                     Si ma voix est sur toi sans pouvoir,
De ce rival des dieux interroge l'image ;
(elle lui montre la statue de César)
Que sa clémence au moins devienne ton partage :
Du grand nom de César si tu veux hériter,
Dans ses soins vertueux commence à l'imiter.
Epargne ce guerrier, je demande sa vie :
Ose me refuser.

OCTAVE
                     Imprudente Tullie,
Qui voulez de régner me donner des leçons,
Que ne me donnez-vous de plus nobles soupçons ?
De la vertu du moins empruntez le langage.
J'aurais trop à rougir d'en dire davantage ;
Mais je ne crois pouvoir mieux vous humilier
Qu'en vous abandonnant le soin de ce guerrier,
Que je crois en effet plus digne de clémence
Qu'il ne se croit encor digne de ma vengeance.
Adieu.
(aux licteurs) Vous, suivez-moi.

Scène 4
Sextus, Tullie

TULLIE
                     Sextus, qu'avez-vous fait ?

SEXTUS
Trop peu pour mon courroux, puisqu'il est sans effet.
Tout César n'est ici qu'un objet de colère.
Héritier de l'ingrat qui détruisit mon père,
Octave n'est pour moi qu'un rival odieux
Dont l'orgueilleux mépris m'a rendu furieux :
Tenté plus d'une fois d'en punir l'insolence...
Qu'il rende de ses jours grâce à votre présence.

TULLIE
Sextus, ce fier rival n'en est pas un pour vous ;
Un amant méprisé ne fait point de jaloux :
Mais un grand coeur doit-il céder sans espérance
Aux dangereux appas d'une aveugle vengeance ?
Ah ! quand même à César on donnerait la mort,
Son trépas seul peut-il relever votre sort ?
Tout vous promet ailleurs de hautes destinées,
Qui sans gloire en ces lieux se verraient terminées.
Fuyons, mon cher Sextus ; fuir n'est un déshonneur
Que pour ceux dont on peut soupçonner la valeur ;
Fuyons, loin de tenter des efforts inutiles.
Tandis qu'en ce palais on nous laisse tranquilles,
Allons, sans plus tarder, rejoindre Cicéron.
La vertu de Mécène, exempte de soupçon,
Ne nous en doit pas moins alarmer sur son zèle.
Je vois, sur son départ, que mon père chancèle.
Courons le raffermir : Octave est violent ;
Pour nous perdre tous trois il ne faut qu'un moment.

SEXTUS
Ah ! ne redoutez rien ; je connais la prudence
De ce nouveau tyran peu sûr de sa puissance.
Comme il me croit Gaulois, et qu'il a besoin d'eux,
Il craint trop d'irriter ces peuples dangereux.

Scène 5
Philippe, Sextus, Tullie

TULLIE
Jugez de ses frayeurs à l'objet qui s'avance ;
C'est l'affranchi chargé du soin de sa vengeance,
Qui vient vous immoler, ou s'assurer de vous.
Ah, Sextus ! laissez-moi m'offrir seule à ses coups.

SEXTUS
Vous exposer pour moi, c'est m'outrager, Tullie.
M'enviez-vous l'honneur de défendre ma vie ?
(à Philippe)
Approche, digne chef des infâmes humains
Que César entretient pour ses lâches desseins.

PHILIPPE, à part
Quel trouble dans mon coeur élève sa présence !
O mes yeux ! contemplez : voilà sa ressemblance,
Le port majestueux de cet homme divin,
Qui, tout percé de coups, vint mourir sur mon sein.
Hélas! si c'était lui... Mais puis-je méconnaître
Et les traits et la voix de mon auguste maître ?
Quelle horreur en ces lieux règne de toutes parts !
Dieux ! quel spectacle affreux vient frapper mes regards !
(il s'appuie sur les débris de la statue de Pompée)
Chers débris, monuments de la fureur d'Octave,
Arrosez-vous des pleurs d'un malheureux esclave ;
Ou plutôt revivez, triste objet de mes voeux,
Et venez recevoir l'âme d'un malheureux.
Je me meurs.

TULLIE
                     Que dit-il ? et qu'est-ce qui l'arrête ?

SEXTUS
Avance : à m'immoler ta main est-elle prête ?
Que vois-je ! quel mortel se présente à mes yeux !
Grands dieux, n'est-il donc plus de vertus sous les deux !
L'erreur qui me flattait malgré moi se dissipe.
Qui m'eût dit qu'à regret je reverrais Philippe ?
Ce fidèle affranchi du plus grand des mortels,
Qui semblait avec lui partager ses autels ;
Que ses derniers soupirs avaient couvert de gloire ;
Ce Philippe, autrefois si cher à ma mémoire,
Qui sut de la vertu m'aplanir les chemins,
Philippe est devenu chef de mes assassins.
Tu pleures, coeur ingrat ! que de torrents de larmes
Il faudrait pour laver tes parricides armes !
Va, comble tes forfaits : si tes barbares mains
N'ont point assez trempé dans le sang des Romains,
Viens, cruel, dans le mien ennoblir ton épée ;
Plonge-la dans le sein du malheureux Pompée.

PHILIPPE
Ah, Sextus !

SEXTUS
                     Serais-tu capable d'un remords ?

PHILIPPE
Ecoutez-moi, mon maître, ou me donnez la mort.
Daignez vous rappeler l'histoire de ma vie ;
D'aucun crime jamais elle ne fut flétrie.

SEXTUS
Lève-toi.

PHILIPPE
                     Non, seigneur, souffrez qu'à vos genoux,
Avant que de mourir, je m'explique avec vous.

SEXTUS
Lève-toi.

PHILIPPE
                     Se peut-il que mon illustre élève
Contre un infortuné s'indigne et se soulève ?
A-t-il pu soupçonner un coeur tel que le mien
De vouloir enfoncer un poignard dans le sien ?
(il montre la statue de Pompée)
Hélas ! depuis la mort de ce maître adorable
Je n'ai fait que gémir de son sort déplorable.
Octave, prévenu que j'avais mérité
Qu'un maître pût compter sur ma fidélité,
Me prévint, et bientôt m'accorda son estime.
On sait que ce tyran s'est fait une maxime
D'attacher à son sort les hommes généreux
Qui par quelques vertus se sont rendus fameux.
C'est ainsi que j'ai su gagner sa confiance :
Mais, dans l'art de tromper imitant sa science,
Philippe n'a jamais trempé dans ses forfaits,
Et Rome n'a de moi reçu que des bienfaits.
Mais c'est par d'autres soins qu'un esclave fidèle
Doit vous justifier son amour et son zèle.
Octave ne croit plus que vous soyez Gaulois :
Votre noble fierté, les accents de la voix,
Vos soins pour les proscrits échappés vers Ostie,
Et l'ardeur que pour vous fait éclater Tullie,
Alarment à tel point ce coeur né soupçonneux,
Qu'il voudrait vous pouvoir sacrifier tous deux ;
Et, sans bien pénétrer quelle est votre origine,
Il veut que cette nuit ma main vous assassine,
Sans croire cependant que vous soyez Sextus :
Mais il vous croit du moins un ami de Brutus.
Il vient de me quitter pour passer chez Fulvie ;
Je crains qu'à Cicéron il n'en coûte la vie.
Les moments vous sont chers ; et c'est fait de vos jours
Si de ceux du tyran je n'abrège le cours.
Pour sauver l'un de vous il faut immoler l'autre :
Choisissez du trépas de César ou du vôtre.
Rien n'est sacré pour moi dès qu'il s'agit de vous.

SEXTUS
L'assassinat, Philippe, est indigne de nous.
Avant que d'éclater, tu pouvais l'entreprendre ;
Mais, instruit du projet, je dois te le défendre.
Je m'en ferais un crime après l'avoir appris,
Et l'on t'eût pardonné de l'avoir entrepris.

PHILIPPE
On ne peut trop louer un soin si magnanime :
Mais je vois d'un autre oeil l'autel et la victime.
Le destin n'a point mis des sentiments égaux
Dans l'âme de l'esclave et celle du héros.
Mon devoir le plus saint, c'est de sauver mon maître :
Qui, d'Octave ou de vous, aujourd'hui le doit être ?
César ne fut jamais ni mon dieu ni mon roi ;
Et le plus fier tyran n'est qu'un homme pour moi.
Si, pour vous soutenir, une égale fortune
Rendait entre vous deux la puissance commune,
Et que de l'immoler vous eussiez le dessein,
Sextus pourrait ailleurs chercher un assassin :
Mais s'armer du poignard qu'un lâche nous destine,
Ce n'est que le punir alors qu'on l'assassine.
Se laisser prévenir est moins une vertu
Que l'imbécillité d'un courage abattu.
Il ne vous reste plus qu'une fuite douteuse ;
Pour le fils de Pompée elle serait honteuse.
Bientôt de toutes parts vous serez observé ;
Prévenez donc le coup qui vous est réservé.

TULLIE
Rejetez les conseils que Philippe vous donne ;
Mais fuyons, puisqu'ainsi votre honneur nous l'ordonne.
Allons trouver mon père, et remettons aux dieux
Le soin de nous sauver de ces funestes lieux.

PHILIPPE
Moi, je vais retrouver César : daignez attendre
Que je sois en état du moins de vous défendre.
Vous verrez, si mon bras ne peut vous secourir,
Que Philippe avec vous est digne de mourir.


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