Scène 1
Cicéron, Tullie, Sextus
CICERON
Héritier des vertus du plus grand des
Romains,
Si digne de mémoire et des honneurs
divins,
Adoré dans la paix, redouté dans la
guerre,
Qui vit parer son char du globe de la terre,
Fils de Pompée enfin, à cet auguste
nom
Vous daignez allier celui de Cicéron.
Je ne vous ceindrai point le front d'un diadème
;
Je n'ai plus de trésor que cet autre
moi-même :
O mon fils ! puisse-t-il faire votre bonheur,
Et vous être aussi cher qu'il le fut à mon
coeur !
Et vous, unique bien que le destin me laisse,
Délices de ma vie, espoir de ma
vieillesse,
Qui n'avez plus pour dot que mon âme et mes
pleurs,
Puissiez-vous n'hériter jamais de mes malheurs
!
Je veux avant ma mort que ma main vous unisse ;
J'ai promis à Sextus ce tendre sacrifice :
Mais, après cet hymen qui va combler nos
voeux,
Fuyez, éloignez-vous d'un père malheureux
;
Je ne veux plus vous voir dans une triste ville
Où les morts même ont peine à
trouver un asile.
Approchez, mes enfants ; venez, embrassez-moi ;
Jurez-vous dans mon sein une constante foi ;
De nos derniers adieux scellons une alliance
Que nous désirions tous avec impatience.
Que vois-je ? on se refuse à mes embrassements
!
TULLIE
Qu'exigez-vous de nous dans ces cruels moments ?
Quoi ! lorsqu'avec bonté votre amour nous
assemble,
Ne nous unissez-vous que pour mourir ensemble ?
Et comment sans frémir pouvez-vous
ordonner
A Sextus comme à moi de vous abandonner ?
Quel nouveau désespoir contre nous vous anime
?
De nos soins mutuels nous feriez-vous un crime ?
C'est vous-même, seigneur, qui dans ce triste
jour
Me faites malgré moi douter de votre
amour.
Quoi ! ce père, l'objet de toute ma
tendresse,
Qui me cherchait encor, quoiqu'il me vît sans
cesse,
Ce père qui semblait ne vivre que pour
moi,
Ne pourra désormais me voir qu'avec effroi
!
Quel transport imprévu de votre âme
s'empare ?
Apprenez-vous d'Octave à devenir barbare ?
La flotte de Sextus nous attend tous au port :
Faites-vous sur vous-même un
généreux effort ;
C'est votre fille en pleurs, cette même
Tullie
Du père le plus tendre autrefois si
chérie,
Qui, la mort dans le sein, vous demande à
genoux
De ne lui point ravir ce qu'elle tient de vous :
Ma vie est dans vos mains, et ne tient qu'à la
vôtre ;
Daignez en ce moment nous suivre l'un et l'autre.
Ce lieu n'est point encore entouré de
soldats
Qui puissent observer ou retenir vos pas ;
Nous pouvons en secret gagner les bords du Tibre
:
Mon père, suivez-nous, puisque vous êtes
libre,
Et que vous n'êtes pas au nombre des
proscrits.
CICERON
Ah ! c'est moins par respect pour moi que par
mépris.
Ne pouvant m'effrayer, Antoine m'humilie :
C'est pour flétrir mon nom que le cruel
m'oublie.
Si sa main m'eût proscrit, l'univers aurait
su
Que parmi ces héros du moins j'aurais
vécu.
Pour braver mes tyrans je veux mourir dans Rome :
En implorant ses dieux c'est moi seul qu'elle nomme
;
Je ne priverai point de mes derniers soupirs
Ce lieu qui fut l'objet de mes premiers
désirs.
J'ai tant vécu pour moi, si peu pour ma
patrie,
Que je veux dans son sein du moins finir ma vie :
Si je fuyais, César, qui me redoute encor,
A ses projets bientôt donnerait plus
d'essor.
SEXTUS
Cessez de vous flatter d'une espérance vaine
;
César aime Tullie, et craint peu votre
haine.
Dans ses murs malheureux Rome va succomber ;
Croyez-vous qu'avec elle il soit beau de tomber,
Lorsqu'en lui conservant un ami si fidèle
Nous pouvons espérer de renaître avec elle
?
N'avons-nous pas ailleurs des secours
assurés,
La Sicile, Brutus, Rhodes, les conjurés ?
CICERON
Qui ? moi, mon fils, que j'aille, errant dans la
Sicile,
Allumer le flambeau d'une guerre civile ?
SEXTUS
Eh ! comment pouvez-vous désormais
l'éviter ?
Ce n'est pas vous d'ailleurs qui l'allez
susciter.
Il n'est point aujourd'hui de climat sur la terre
Qui puisse être à l'abri des fureurs de la
guerre ;
Traversez l'univers de l'un à l'autre
bout,
Vous trouverez la guerre et des Romains partout,
Enfants infortunés d'une ville
déserte,
Qui ne peut plus sentir vos soins, ni votre
perte.
Pourquoi vous obstiner à mourir dans ses murs
?
Donnons-lui des secours plus brillants et plus
sûrs.
Croyez-vous qu'il sera pour vous plus honorable
D'être aux yeux de César
traîné comme un coupable,
Pour servir de risée au soldat furieux,
Qui fera peu de cas d'un nom si glorieux ?
Rome n'est plus qu'un spectre, une ombre en
Italie,
Dont le corps tout entier est passé dans l'Asie
:
C'est là que notre honneur nous appelle
aujourd'hui ;
Rendons-nous à sa voix, et marchons avec
lui.
Ce n'est pas le climat qui lui donna la vie,
C'est le coeur du Romain qui forme sa patrie.
Qui doit s'intéresser à Rome plus que moi
?
(il montre la statue de Pompée
renversée)
Voyez ces monuments de douleur et d'effroi,
Ces marbres mutilés, dont le morne silence
N'en demande pas moins de sang pour leur vengeance
;
Il ne leur reste plus que le nom précieux
D'un héros que l'on vit marcher égal aux
dieux :
Votre sort est écrit sous ce nom
redoutable,
A tout mortel fameux exemple formidable ;
Et pour le prévenir vous n'avez qu'à
vouloir.
La honte suit toujours un lâche désespoir
;
Il vaut mieux se flatter d'un espoir
téméraire,
Que de céder au sort dès qu'il nous est
contraire ;
Il faut du moins mourir les armes à la
main,
Le seul genre de mort digne d'un vrai Romain ;
Mais mourir pour mourir n'est qu'une folle
ivresse,
Triste enfant de l'orgueil, nourri par la
paresse.
Ranimez-vous, mon père, et soyez plus
jaloux
De la haute vertu que j'admirois en vous.
CICERON
S'il est vrai que Sextus la respecte et l'admire,
Qu'il règle donc ses soins sur ceux qu'elle
m'inspire.
SEXTUS
C'est-à-dire, seigneur, que pour vous
imiter
II faut mourir ensemble, et ne nous point
quitter.
CICERON
Ah, Sextus ! quoi ! c'est vous qui voulez que je fuie
!
Non, ne vous flattez pas que je passe en Asie ;
Ni que, des conjurés empruntant le
secours,
De mes jours malheureux j'aille flétrir le cours
:
Rien ne peut m'engager à quitter l'Italie
;
Cependant je suis prêt, pour contenter
Tullie,
A sortir avec vous de ce triste palais :
La nuit, à Tusculum nous nous joindrons
après ;
Au bois le plus prochain ma fille ira m'attendre
:
Dans deux heures, Sextus, ayez soin de vous
rendre
Avec quelques soldats au pont Supplicien.
Le temps ne permet pas un plus long entretien ;
Adieu : mais avant tout je veux revoir
Mécène.
Scène 2
Tullie, Sextus
TULLIE
Ah, Sextus ! notre fuite est encore incertaine ;
Mécène à Cicéron fera
changer d'avis,
Et les plus généreux ne seront pas
suivis.
On vient : éloignez-vous ; c'est César
qui s'avance.
SEXTUS
Il serait dangereux d'éviter sa présence
:
Le tyran nous a vus ; je me rendrais suspect
Si je disparaissais à son premier aspect :
Il croit que sur ses bords la Seine m'a vu naître
;
Et d'ailleurs je crains peu César, quel qu'il
puisse être.
Scène 3
Octave, Sextus, Tullie
OCTAVE
Je cherchais Cicéron ; je veux encor le
voir,
Quoique sa dureté me laisse peu d'espoir.
Mais que fait près de vous ce Gaulois, dont
l'audace
Semble vouloir ici me disputer la place ?
TULLIE
Quel rang près de Tullie auriez-vous
prétendu
Pour croire qu'à tout autre il serait
défendu ?
OCTAVE
En des lieux où je crois pouvoir parler en
maître,
Sans mes ordres exprès on ne doit point
paraître,
Et surtout un Gaulois : qu'il retourne en son camp
;
C'est parmi ses soldats qu'il trouvera son rang.
SEXTUS
Depuis quand sommes-nous sous ton
obéissance,
Pour oser me parler avec tant d'arrogance ?
Le sort de mes pareils ne dépend point de toi
;
Je ne relève ici que des dieux et de moi.
Aux lois du grand César nous rendîmes
hommage,
Mais ce ne fut jamais à titre d'esclavage
:
Comme de la valeur il connaissait le prix,
Il estimait en nous ce qui manque à son
fils.
Sans le fer des Gaulois le César qui me
brave
Eut vu borner sa gloire au simple nom d'Octave.
OCTAVE
Qu'entends-je ? holà, licteurs !
TULLIE
César, modère-toi ;
Apprends que ce guerrier est ici sur ma foi,
Sur celle des Romains, dont tu n'es pas le
maître,
Malgré tous les projets que tu formes pour
l'être.
Si tu te plains de lui, pourquoi l'outrageois-tu
?
Penses-tu n'outrager que des coeurs sans vertu ?
S'il te faut des garants, je réponds de la
sienne ;
Commence à nous donner des preuves de la
tienne.
Si de l'humanité tu méconnais la
voix,
Des peuples alliés respecte au moins les droits
;
Sois humain, généreux, et cesse de
proscrire,
Si tu veux sur les coeurs t'établir un
empire.
L'art de se faire aimer, et celui de
régner,
Sont deux arts que ton père aurait dû
t'enseigner :
Mais en vain tu prétends livrer à ta
vengeance
Un guerrier qui n'est point soumis à ta
puissance ;
Jusqu'au dernier soupir je défendrai ses
jours.
OCTAVE
Ingrate, qui des miens voulez trancher le cours,
Et de mes ennemis me rendre la victime,
Vous justifiez trop le courroux qui m'anime.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que cet audacieux,
Qui veut ne relever que de vous et des dieux,
Dans ses divers complots plus ardent que
vous-même,
Brave des triumvirs l'autorité suprême
:
Je sais qu'il a sauvé Messala,
Métellus,
Lucilius, Pison, les fils de Lentulus ;
Mais, malgré son orgueil, je lui ferai
connaître
Que je puis à mes lois l'immoler comme un
traître.
SEXTUS
En sauvant tes proscrits j'ai fait ce que j'ai dû
:
Ton père en pareil cas eût loué ma
vertu ;
Toi-même, applaudissant à mes soins
magnanimes,
Tu devrais me louer de t'épargner des
crimes,
Et rougir, quand tu crois être au-dessus de
moi,
Qu'un Gaulois à tes yeux soit plus Romain que
toi.
Viole nos traités, punis-moi d'aimer Rome,
Et d'oser de nous deux être le plus grand
homme.
OCTAVE
Téméraire étranger, tu m'apprends
mon devoir ;
Et ta mort...
TULLIE
Si ma voix est sur toi sans pouvoir,
De ce rival des dieux interroge l'image ;
(elle lui montre la statue de
César)
Que sa clémence au moins devienne ton partage
:
Du grand nom de César si tu veux
hériter,
Dans ses soins vertueux commence à
l'imiter.
Epargne ce guerrier, je demande sa vie :
Ose me refuser.
OCTAVE
Imprudente Tullie,
Qui voulez de régner me donner des
leçons,
Que ne me donnez-vous de plus nobles soupçons
?
De la vertu du moins empruntez le langage.
J'aurais trop à rougir d'en dire davantage
;
Mais je ne crois pouvoir mieux vous humilier
Qu'en vous abandonnant le soin de ce guerrier,
Que je crois en effet plus digne de
clémence
Qu'il ne se croit encor digne de ma vengeance.
Adieu.
(aux licteurs) Vous, suivez-moi.
Scène 4
Sextus, Tullie
TULLIE
Sextus, qu'avez-vous fait ?
SEXTUS
Trop peu pour mon courroux, puisqu'il est sans
effet.
Tout César n'est ici qu'un objet de
colère.
Héritier de l'ingrat qui détruisit mon
père,
Octave n'est pour moi qu'un rival odieux
Dont l'orgueilleux mépris m'a rendu furieux
:
Tenté plus d'une fois d'en punir
l'insolence...
Qu'il rende de ses jours grâce à votre
présence.
TULLIE
Sextus, ce fier rival n'en est pas un pour vous ;
Un amant méprisé ne fait point de jaloux
:
Mais un grand coeur doit-il céder sans
espérance
Aux dangereux appas d'une aveugle vengeance ?
Ah ! quand même à César on
donnerait la mort,
Son trépas seul peut-il relever votre sort
?
Tout vous promet ailleurs de hautes
destinées,
Qui sans gloire en ces lieux se verraient
terminées.
Fuyons, mon cher Sextus ; fuir n'est un
déshonneur
Que pour ceux dont on peut soupçonner la valeur
;
Fuyons, loin de tenter des efforts inutiles.
Tandis qu'en ce palais on nous laisse
tranquilles,
Allons, sans plus tarder, rejoindre
Cicéron.
La vertu de Mécène, exempte de
soupçon,
Ne nous en doit pas moins alarmer sur son
zèle.
Je vois, sur son départ, que mon père
chancèle.
Courons le raffermir : Octave est violent ;
Pour nous perdre tous trois il ne faut qu'un
moment.
SEXTUS
Ah ! ne redoutez rien ; je connais la prudence
De ce nouveau tyran peu sûr de sa
puissance.
Comme il me croit Gaulois, et qu'il a besoin
d'eux,
Il craint trop d'irriter ces peuples dangereux.
Scène 5
Philippe, Sextus, Tullie
TULLIE
Jugez de ses frayeurs à l'objet qui s'avance
;
C'est l'affranchi chargé du soin de sa
vengeance,
Qui vient vous immoler, ou s'assurer de vous.
Ah, Sextus ! laissez-moi m'offrir seule à ses
coups.
SEXTUS
Vous exposer pour moi, c'est m'outrager, Tullie.
M'enviez-vous l'honneur de défendre ma vie
?
(à Philippe)
Approche, digne chef des infâmes humains
Que César entretient pour ses lâches
desseins.
PHILIPPE, à part
Quel trouble dans mon coeur élève sa
présence !
O mes yeux ! contemplez : voilà sa
ressemblance,
Le port majestueux de cet homme divin,
Qui, tout percé de coups, vint mourir sur mon
sein.
Hélas! si c'était lui... Mais puis-je
méconnaître
Et les traits et la voix de mon auguste maître
?
Quelle horreur en ces lieux règne de toutes
parts !
Dieux ! quel spectacle affreux vient frapper mes
regards !
(il s'appuie sur les débris de la statue de
Pompée)
Chers débris, monuments de la fureur
d'Octave,
Arrosez-vous des pleurs d'un malheureux esclave ;
Ou plutôt revivez, triste objet de mes
voeux,
Et venez recevoir l'âme d'un malheureux.
Je me meurs.
TULLIE
Que dit-il ? et qu'est-ce qui l'arrête ?
SEXTUS
Avance : à m'immoler ta main est-elle
prête ?
Que vois-je ! quel mortel se présente à
mes yeux !
Grands dieux, n'est-il donc plus de vertus sous les
deux !
L'erreur qui me flattait malgré moi se
dissipe.
Qui m'eût dit qu'à regret je reverrais
Philippe ?
Ce fidèle affranchi du plus grand des
mortels,
Qui semblait avec lui partager ses autels ;
Que ses derniers soupirs avaient couvert de gloire
;
Ce Philippe, autrefois si cher à ma
mémoire,
Qui sut de la vertu m'aplanir les chemins,
Philippe est devenu chef de mes assassins.
Tu pleures, coeur ingrat ! que de torrents de
larmes
Il faudrait pour laver tes parricides armes !
Va, comble tes forfaits : si tes barbares mains
N'ont point assez trempé dans le sang des
Romains,
Viens, cruel, dans le mien ennoblir ton
épée ;
Plonge-la dans le sein du malheureux
Pompée.
PHILIPPE
Ah, Sextus !
SEXTUS
Serais-tu capable d'un remords ?
PHILIPPE
Ecoutez-moi, mon maître, ou me donnez la
mort.
Daignez vous rappeler l'histoire de ma vie ;
D'aucun crime jamais elle ne fut flétrie.
SEXTUS
Lève-toi.
PHILIPPE
Non, seigneur, souffrez qu'à vos genoux,
Avant que de mourir, je m'explique avec vous.
SEXTUS
Lève-toi.
PHILIPPE
Se peut-il que mon illustre élève
Contre un infortuné s'indigne et se
soulève ?
A-t-il pu soupçonner un coeur tel que le
mien
De vouloir enfoncer un poignard dans le sien ?
(il montre la statue de Pompée)
Hélas ! depuis la mort de ce maître
adorable
Je n'ai fait que gémir de son sort
déplorable.
Octave, prévenu que j'avais
mérité
Qu'un maître pût compter sur ma
fidélité,
Me prévint, et bientôt m'accorda son
estime.
On sait que ce tyran s'est fait une maxime
D'attacher à son sort les hommes
généreux
Qui par quelques vertus se sont rendus fameux.
C'est ainsi que j'ai su gagner sa confiance :
Mais, dans l'art de tromper imitant sa science,
Philippe n'a jamais trempé dans ses
forfaits,
Et Rome n'a de moi reçu que des bienfaits.
Mais c'est par d'autres soins qu'un esclave
fidèle
Doit vous justifier son amour et son zèle.
Octave ne croit plus que vous soyez Gaulois :
Votre noble fierté, les accents de la
voix,
Vos soins pour les proscrits échappés
vers Ostie,
Et l'ardeur que pour vous fait éclater
Tullie,
Alarment à tel point ce coeur né
soupçonneux,
Qu'il voudrait vous pouvoir sacrifier tous deux ;
Et, sans bien pénétrer quelle est votre
origine,
Il veut que cette nuit ma main vous assassine,
Sans croire cependant que vous soyez Sextus :
Mais il vous croit du moins un ami de Brutus.
Il vient de me quitter pour passer chez Fulvie ;
Je crains qu'à Cicéron il n'en
coûte la vie.
Les moments vous sont chers ; et c'est fait de vos
jours
Si de ceux du tyran je n'abrège le cours.
Pour sauver l'un de vous il faut immoler l'autre
:
Choisissez du trépas de César ou du
vôtre.
Rien n'est sacré pour moi dès qu'il
s'agit de vous.
SEXTUS
L'assassinat, Philippe, est indigne de nous.
Avant que d'éclater, tu pouvais l'entreprendre
;
Mais, instruit du projet, je dois te le
défendre.
Je m'en ferais un crime après l'avoir
appris,
Et l'on t'eût pardonné de l'avoir
entrepris.
PHILIPPE
On ne peut trop louer un soin si magnanime :
Mais je vois d'un autre oeil l'autel et la
victime.
Le destin n'a point mis des sentiments
égaux
Dans l'âme de l'esclave et celle du
héros.
Mon devoir le plus saint, c'est de sauver mon
maître :
Qui, d'Octave ou de vous, aujourd'hui le doit
être ?
César ne fut jamais ni mon dieu ni mon roi
;
Et le plus fier tyran n'est qu'un homme pour moi.
Si, pour vous soutenir, une égale fortune
Rendait entre vous deux la puissance commune,
Et que de l'immoler vous eussiez le dessein,
Sextus pourrait ailleurs chercher un assassin :
Mais s'armer du poignard qu'un lâche nous
destine,
Ce n'est que le punir alors qu'on l'assassine.
Se laisser prévenir est moins une vertu
Que l'imbécillité d'un courage
abattu.
Il ne vous reste plus qu'une fuite douteuse ;
Pour le fils de Pompée elle serait
honteuse.
Bientôt de toutes parts vous serez observé
;
Prévenez donc le coup qui vous est
réservé.
TULLIE
Rejetez les conseils que Philippe vous donne ;
Mais fuyons, puisqu'ainsi votre honneur nous
l'ordonne.
Allons trouver mon père, et remettons aux
dieux
Le soin de nous sauver de ces funestes lieux.
PHILIPPE
Moi, je vais retrouver César : daignez
attendre
Que je sois en état du moins de vous
défendre.
Vous verrez, si mon bras ne peut vous secourir,
Que Philippe avec vous est digne de mourir.
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