Chapitre V - Thermes

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Frigidarium

Sous un ciel brûlant, l'usage des bains est un des premiers besoins de la vie, et l'on ne peut comprendre comment les modernes Italiens en sont venus à se baigner bien plus rarement que les habitants des contrées du Nord. Dans l'antiquité, les ablutions fréquentes n'étaient pas moins nécessaires à la santé que rendues indispensables par la coutume de porter des sandales ; aussi, riches et pauvres, grands et petits se baignaient-ils chaque jour, et arriva-t-il un moment où les oisifs, comme nous l'apprend Pline, se baignèrent jusqu'à sept fois par jour et passèrent aux thermes la plus grande partie des journées et des nuits.

Les bains ne furent d'abord que de simples piscines dont l'usage avait été, dit-on, emprunté aux Spartiates, et où l'on venait nager et se laver, comme le prouve leur ancien nom, lavatrina. A la fin de la République, il n'y avait encore que fort peu d'établissements de ce genre particuliers ou publics ; ils furent introduits à Rome au temps de Pompée ; mais aucun n'était monumental, aucun surtout n'était pourvu de toutes les recherches qu'on y apporta plus tard.

Ainsi que l'indique son étymologie (Qermai, étuves), le mot thermes, thermae, ne désigna dans le principe que les bains d'eau chaude, soit naturelle, soit artificielle ; on lui donna une plus grande extension en l'appliquant également aux bains d'eau froide. Nous croyons toutefois que la dénomination de thermes doit être réservée aux vastes édifices, et que les bains simples et modestes ne portèrent jamais que les noms de lavatrina, balnea ou balineae. Ceux-ci se multiplièrent à l'infini, et leur nombre s'accrut tellement qu'au IVe siècle, Publius Victor en compte huit cent cinquante-six dans sa statistique de Rome. Quant aux thermes proprement dits, ils ne datent guère que de l'époque impériale ; ce ne fut que sous Auguste et ses successeurs qu'ils devinrent, à l'instar des gymnases des Grecs, des édifices somptueux, couvrant un énorme espace et renfermant dans leur vaste enceinte tout ce qui pouvait charmer les sens et récréer les esprits. On peut les regarder comme les constructions dans lesquelles les Romains, vainqueurs du monde et enrichis des dépouilles de presque tous les peuples de l'univers, ont déployé le plus de luxe et de magnificence. Les chefs-d'oeuvre de tous les arts concouraient à l'embellissement de ces lieux de délices ; on sait que le groupe du Laocoon fut découvert dans les bains de Titus, et que des ruines des thermes de Caracalla sortirent l'Hercule et le Taureau Farnèse, le Torse du Belvédère, la Flore et les deux Gladiateurs. Les murs et les plafonds étaient décorés de peintures; le pavé de presque toutes les salles était revêtu de mosaïques ; les baignoires étaient creusées dans les marbres les plus précieux. Aux thermes de Caracalla, trois mille personnes pouvaient se baigner à la fois, et on n'y comptait pas moins de mille six cents sièges de marbre : Pline nous apprend que le luxe des bains des empereurs sur le mont Palatin étaient bien plus grand encore, puisqu'on trouvait dans les salles destinées aux femmes des sièges et des baignoires d'argent.

Au temps de Constantin, Rome renfermait dans son sein quinze de ces thermes magnifiques dont les premiers furent construits par Agrippa, et dont les ruines gigantesques de ceux de Titus, de Caracalla, de Dioclétien, peuvent encore nous faire concevoir l'immensité. Là se trouvaient réunis, outre les bains publics et leurs nombreuses parties constitutives, des cabinets pour les bains particuliers, des portiques, des xystes ou promenades plantées d'arbres, des gymnases , des palestres, des conisteria où les athlètes se couvraient de poussière, des sphéristères ou jeux de paume, des exèdres pour les conférences philosophiques, des ephoebea, lieux destinés à l'éducation des jeunes gens, des bibliothèques, des théâtres pour les représentations dramatiques, des arènes pour les combats de gladiateurs, enfin jusqu'à des palais et des temples.

Outre ses thermes splendides, dont le Panthéon était le principal ornement, Agrippa ne construisit pas moins de cent soixante-dix bains publics et gratuits. Plus tard, à l'exception des enfants qui, jusqu'à quatorze ans, ne payaient pas, ainsi que nous l'apprend Juvénal, tout le monde paya à la porte la rétribution d'un quadrant (1), petite monnaie d'airain, quatrième partie d'un as, et pour cette modique somme on put prendre bain froid, bain tiède, bain chaud et bain de vapeur. Ce prix si peu élevé ne dut pas peu contribuer à répandre l'usage des bains jusque dans les dernières classes du peuple ; d'ailleurs, c'était surtout pour les pauvres que furent institués les bains publics, les riches ayant presque tous des bains dans leurs propres maisons. Ceux-ci en vinrent cependant à préférer les bains publics où ils trouvaient un lieu de réunion et des récréations de toutes sortes.

Dès l'aurore, le son d'une cloche annonçait l'ouverture des bains, sonat aes thermarum, dit Martial ; mais les riches ne les fréquentaient pas aux premières heures de la journée ; ils préféraient y aller entre midi et le coucher du soleil ; les débauchés, différaient jusqu'après souper (2) et s'y rendaient aux heures avancées de la nuit, plus favorables aux plaisirs qu'ils allaieut y chercher (3).

Connaissant combien était général l'usage des bains dans l'antiquité, on s'étonnait avec raison de ne voir sortir des ruines de Pompéi aucun édifice qui leur fût consacré, quand d'ailleurs on savait qu'il en avait existé, car dès le commencement des fouilles, le 1er mars 1749, on avait trouvé dans l'habitation de la rue des Tombeaux appelée maison de Cicéron, employée comme pierre à la niche d'un autel, une inscription portant qu'un certain Januarius, affranchi, donnait des bains d'eau de mer et d'eau douce dans les thermes de Marcus Crassus Frugi.

THERMAE.
M. CRASSI FRVGI AQVA. MARINA. ET BALN.
AQVA. DVLCI. IANVARIVS L.

Enfin en juillet 1824, cette lacune fut comblée en partie par la découverte de bains voisins du Forum ; mais ceux-ci n'avaient point assez d'étendue pour avoir pu suffire aux besoins d'une ville aussi considérable, et on devait compter sur quelque nouvelle découverte, du même genre. Cette espérance n'a pas été trompée et nous aurons à décrire un second établissement de bains, sinon plus beau, au moins plus considérable que le premier, établissement reconnu dès 1853 et aujourd'hui entièrement déblayé. Qui sait si l'avenir ne nous réserve pas encore quelque monument du même genre que semblent nous promettre diverses inscriptions trouvées dans les ruines ? Quoi qu'il en soit, les anciens bains sont restés au nombre des plus précieuses découvertes faites jusqu'à ce jour. Les thermes romains, malgré leur immensité, sont dans un tel état de ruine, que les parties qui les composent sont souvent méconnaissables et ont été différemment expliquées par les auteurs qui ont entrepris de les décrire. A Pompéi, au contraire, l'absence de xystes, de théâtres, de palestres et de ce nombre infini d'autres accessoires qui rendent les thermes de la capitale si difficiles à comprendre, permet de se rendre compte d'une manière satisfaisante et positive de chaque partie de l'édifice qui ne contient que les salles absolument nécessaires à sa destination réelle.




(1)  «Pendant que, fier comme un roi, tu iras te baigner pour un quadrant». :
Dum tu quadrante lavatum
Rex ibis
. (HORACE, Sat. 3)

(2)  Cet usage du bain immédiatement après le repas semble peu compatible avec nos principes d'hygiène et, malgré son adoption presque générale, il n'était pas moins dangereux pour les anciens ; témoin ces vers de Juvénal :
«La punition ne se fait pourtant pas attendre lorsque tu déposes tes vêtements, encore tout gonflé de ton repas, et que tu portes aux bains un paon non digéré. De là les morts subites et sans testament».
Poena Tamen praesens, quum tu deponis amictus
Turgidus, et crudum pavonem in balnea portas.
Hinc subitae mortes, atque intestata senectus
. (Sat. I).
On sait que les anciens tenaient à déshonneur de décéder intestat.

«Néron, dit Suétone, restait à table depuis la moitié du jour jusqu'à la moitié de la nuit, prenant ensuite des bains chauds, ou, pendant l'été, des bains rafraîchis par de la neige». (Vie de Néron, XXVII).

(3)  «Alexandre Sévère fut le premier qui permit les bains publics pendant la nuit, dans les grandes chaleurs de l'été ; mais il paraît que plus tard on y alla en toutes saisons et même à l'époque des plus grands froids.
«Je ne vais pas aux bains au coucher du soleil pendant les Saturnales pour ne point perdre la nuit après avoir perdu le jour ; je ne laisse pourtant pas de me baigner, mais à une heure convenable, pour ne pas me glacer le sang ; il sera temps après ma mort d'être raide et livide au sortir de l'eau».
Non lavo sub noctem Saturnalibus, ne et noctem et diem perdam ; attamen lavo et debita hora et salubri, quae mihi et calorem et sanguinem servet : rigere et pallere post lavacrum mortuus possum. (Tertullien, Apologet. XLII).