Amphithéâtre

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Vue extérieure de l'amphithéâtre

Les amphithéâtres destinés aux combats des gladiateurs et des bêtes féroces sont une invention romaine ; comme l'indique leur nom ἀμφιθέατρον, ils se composent de la réunion de deux théâtres placés en face l'un de l'autre, et dont les deux orchestres réunis formaient l'arène. Nous avons dit, et l'on verra par une inscription de l'amphithéâtre de Pompéi, que ces monuments portaient aussi le nom de spectacula, lieu d'où l'on regarde, mot qui n'est que la traduction de l'expression grecque.

Nous n'avons pas de données précises sur les premiers amphithéâtres qui furent construits à Rome ; ils ne durent y être établis que lorsque les théâtres et les cirques ne suffirent plus aux plaisirs du peuple, quoique déjà ceux-ci eussent été ensanglantés par plus d'un combat. Rome dut à Statilius Taurus, ami d'Auguste, le premier amphithéâtre construit en pierres, dont les débris ont formé la petite éminence occupée aujourd'hui par la place de Monte-Citorio. Plus tard, Vespasien éleva ce prodigieux Colisée, le plus gigantesque de tous les travaux exécutés par les Romains, ce Colisée où pouvaient s'asseoir à l'aise quatre-vingt-sept mille spectateurs.

L'amphithéâtre de Pompéi est loin d'atteindre ces proportions colossales, mais tel qu'il était, il pouvait encore contenir vingt mille spectateurs, nombre bien considérable pour une ville de cet ordre. Placé à l'angle S.-E. de l'enceinte de Pompéi, cet édifice, reconnu dès 1748, fut le premier qu'on entreprit de déblayer ; mais depuis une partie avait été recouverte, et ce n'est que sous le règne de Ferdinand II qu'il a été entièrement dégagé. Dans l'introduction de cet ouvrage, nous avons raconté la querelle sanglante qui eut lieu dans cet amphithéâtre entre les Pompéiens et les Nucériens ; l'interdiction de jeux pendant dix ans, qui en fut la suite, et les cataclysmes des années 63 et 79, expliquent le triste état de l'édifice.

Nous ne répéterons pas les détails que nous avons donnés sur les combats de gladiateurs à l'occasion des bas-reliefs du tombeau de Scaurus ; mais nous avons réservé pour les citer ici deux inscriptions lues, la première sur l'album de l'édifice d'Eumachia, la seconde sur le mur de la basilique où elle fut trouvée, le 6 octobre 1814 ; ce sont de véritables affiches de spectacle.

FAMILIA GLADIATORIA
VENATIO ET VELA.

«La troupe de gladiateurs, chasse et velarium».

A. SVETTII CERII
AEDILIS FAMILIA GLADIATORIA PVGNABIT POMPEIS
PR. K. IVNIAS. VENATIO ET VELA ERVNT.

«La troupe de gladiateurs de l'édile Aulus Svettius Cerius, combattra à Pompéi la veille des calendes de juin; il y aura chasse et velarium».

Revenons à l'amphithéâtre témoin des jeux sanglants qu'annonçaient ces affiches. II est formé de pierres de lave, et son architecture est à l'extérieur dénuée de tout ornement ; nous verrons qu'à l'intérieur, au contraire, elle était plus soignée que dans la plupart des monuments de ce genre.

Pour diminuer les frais de construction, on avait bâti l'édifice dans une espèce de bassin creusé en partie de main d'homme , de sorte que l'arène se trouve beaucoup plus basse que le sol extérieur, qui atteint le niveau de la seconde précinction. Le plus grand diamètre de l'amphi-théâtre est de 130 mètres ; le plus petit de 102 mètres. La direction de l'ovale est du N. au S.; à ses extrémités se trouvent les deux entrées principales ouvrant sur l'arène ; celle du nord seule y conduisait directement ; le passage au contraire qui se présente à l'extrémité méridionale de l'ellipse, s'il eût été continué en ligne droite, eût abouti aux remparts ; pour remédier à cet inconvénient, il tournait brusquement à droite sous les gradins et venait déboucher sous l'une des arcades tournées à l'ouest vers la ville.

Quarante autres arcades, dont plusieurs servaient de vomitoires et conduisaient au grand corridor circulaire sur lequel reposent les gradins, entourent l'édifice ; par une disposition tout exceptionnelle elles sont surmontées d'un deambulacrum, large terrasse à laquelle on arrivait par cinq grands escaliers extérieurs. Là se trouve un nombre égal de petites arcades donnant accès au sommet de la troisième cavea, et qui portent sur leurs voûtes les loges des femmes, auxquelles conduisaient plusieurs escaliers.

A l'entrée du grand vomitoire du nord se trouvent à l'intérieur deux niches qui durent contenir des statues de magistrats municipaux, d'après les inscriptions qui se lisent au-dessous, à droite :

C. CVSPIVS C. F. PANSA PONTIF.
D. VIR I. D.

A gauche :

C. CVSPIVS C. F. PANSA PATER D. V. I. D.
IIII QVINQ. PRAEF. ID. EX D. D. LEGE PETRON.

Ces statues étaient protégées par des grilles de fer, et on voit encore sur la pierre les trous dans lesquels ces dernières étaient scellées.

Dans le pavé de lave du vomitoire, à gauche, sont espacées des pierres creusées en carré évidemment destinées à recevoir des poteaux soutenant une barrière ; par ce moyen, lorsque la foule se pressait dans le vomitoire, un étroit passage restait libre entre la barrière et la muraille pour la circulation des employés de l'amphithéâtre et des soldats chargés du maintien de l'ordre. Ainsi que je l'ai dit, un grand corridor circulaire voûté, un cryptoportique, éclairé par des arcades et de nombreux soupiraux, s'étendait sous les gradins, et on y arrivait par les divers vomitoires.

On voit sur les murs de ce cryptoportique, de même qu'au théâtre, des inscriptions et des dessins, fruits du désoeuvrement des spectateurs qui attendaient l'ouverture ou qui étaient venus y chercher un abri contre la pluie. Quelques-unes cependant font exception, car elles sont peintes en grandes lettres rouges sur des bandeaux blancs, et on y reconnaît encore des noms de magistrats parmi lesquels j'ai pu déchiffer celui d'Holconius.

Sous le cryptoportique existent les escaliers conduisant à la première cavea, et ceux par lesquels on montait à la seconde. Ces derniers sont doubles et se trouvent dans un espace découvert qui, régnant tout autour de l'amphithéâtre, établissait une séparation absolue entre ces deux caveae. Les clefs de voûte de deux arcades, ouvrant sur deux de ces escaliers doubles au S.-E. de l'arène, présentent les seules sculptures qui existent dans l'amphithéâtre ; l'une est une tête de Mercure, l'autre une Victoire sur un char ; toutes deux ornent les clefs des arcs et sont placées entre deux espèces de rosaces également sculptées (1).

L'arène était entourée d'un mur ou podium élevé d'environ 2 mètres ; celui-ci a été presque entièrement reconstruit, et l'appui en pierre qui le surmontait, et dans lequel était scellée la grille de fer qui protégeait les spectateurs, a été également remplacé ; on y a rétabli les inscriptions qui y étaient gravées en l'honneur des magistrats qui avaient concouru à l'achèvement ou à la restauration de l'amphithéâtre. Ces inscriptions se trouvent toutes dans le côté oriental de l'arène. Voici dans quel ordre elle se présentent à gauche lorsqu'on entre par le grand vomitoire du nord : elles sont placées sans doute en face de chaque partie de l'édifice rétablie ou construite par les magistrats qui y sont mentionnés (2).

M. PAG. AVG. F. PRO LUD. EX D. D.

«Le maître (magister) du faubourg Augusto-Félix, au lieu de jeux, par décret des Décurions».

N. ISTACIDIVS II VIR I. D. PR. IV. LV. EX. D. D.

«N. Istacidius, Duumvir chargé de rendre la justice, au lieu de quatre jeux, par décret des Décurions».

N. ISTACIDIVS N. F. II VIR PRO LVD. LVM. A. AVDIVS
A. F. RVFVS. II VIR PRO LVD. P. CAESETIVS
SEXT. CAPITO II VIR PRO LVD. LVM. M.
GANTRIVS M. F. MARCELLVS II VIR PRO
LVD. LVM. CVNEOS III F. C. EX D. D.

«N. Istacidius, fils de Nonnius, Duumvir, au lieu de jeux et d'illumination ; A. Audius, fils d'Aulus, Duumvir, au lieu de jeux ; P. Caesetius Sextus Capito, Duumvir, au lieu de jeux et d'illumination ; M. Gantrius Marcellus, fils de Marcus, Duumvir, au lieu de jeux et d'illumination, ont fait faire trois coins, cunei, d'après un décret des Décurions».

MAG. PAG. AVG. PRO LVD. EX D. D.

«Le maître du faubourg Augusto-Félix, au lieu de jeux, par décret des Décurions».

Au-dessus de la troisième de ces inscriptions en est une dernière gravée sur le plat de l'appui du podium :

L. SAGINIVS II VIR I. D. PLI. L. EX D. D.

«L. Saginius, Duumvir chargé de rendre la justice, au lieu de jeux, par décret des Décurions». (3)

La muraille du podium était ornée de peintures qui ont entièrement disparu ; elles offraient les combats d'un tigre contre un ours, d'un cerf contre une lionne, d'un ours contre un taureau, etc. Une d'elles, beaucoup plus curieuse, nous a été conservée par la gravure ; elle paraît représenter les apprêts d'un combat de gladiateurs. On y voit un laniste ou maître des gladiateurs semblant donner des conseils à ceux qui vont combattre, pendant que deux autres gladiateurs assis attendent leur tour, et qu'un musicien s'exerce à sonner d'une de ces immenses trompettes recourbées dont la musique grossière animait les combattants.

Au milieu du côté occidental, ce même mur est percé d'une petite porte carrée, le catabolus, qui donnait entrée aux bêtes féroces renfermées dans les loges placées sous les gradins.

Au-dessus du podium s'élèvent les gradins divisés en trois étages ou caveae. Dix-huit gradins composent l'étage supérieur, summa cavea ; une précinction ou passage le séparait de l'étage intermédiaire, la media cavea, formé de douze gradins. Par une disposition que je n'ai trouvée dans aucun autre amphithéâtre, le gradin supérieur de cette cavea était à dossier et se terminait à chaque escalier par un bras taillé dans la pierre, de manière à présenter l'aspect d'une suite de larges canapés.

Ainsi que je l'ai dit, cette cazea était entièrement séparée de la cavea inférieure, l'ima cavea, par le passage découvert contenant les escaliers. Il serait impossible, sans le secours d'une coupe, de faire comprendre la disposition des gradins de cet étage inférieur. I1 se compose, aux deux extrémités, de cinq gradins a b c d e, semblables à ceux des autres caveae de l'amphithéâtre, c'est-à-dire hauts de 0 m 37, larges de 0m 82 et creusés légèrement au fond afin que les pieds des spectateurs ne pussent pas incommoder les personnes assises sur le gradin inférieur. Cette précaution n'existe dans aucun autre amphithéâtre, non plus que la moulure qui décore le bord des gradins et leur donne une élégance à laquelle on n'est point habitué.

Au milieu de chacun des deux grands côtés de l'amphithéâtre est un vaste espace fermé à chaque extrémité par un petit mur à hauteur d'appui f g, perpendiculaire au podium m n. Cet espace ne contient que quatre gradins h i k l au lieu de cinq. Ceux-ci n'ont que 0m 35 de hauteur, mais ils sont plus profonds que les autres de 0m 08 et n'ont point de moulures. Il est certain que ces gradins réservés aux vestales, aux magistrats et autres personnages considérables, étaient couverts de tapis sur lesquels on posait des coussins, des chaises et des bisellium.

Les caveae, suivant l'usage, étaient divisées en coins, cunei, par de nombreux escaliers qui, rayonnant autour de l'arène, aboutissaient aux portes donnant sur la galerie extérieure ou deambulacrum.

Deux cunei entiers ont été restaurés au N.-E., et on les voit aujourd'hui tels qu'ils étaient au temps où venaient s'y asseoir les habitants de Pompéi et de Nuceria.

Citons encore, en terminant la description de ce monument, des inscriptions (trouvées à la fin de 1815) qui sont répétées sur deux pierres déposées sur le sol, l'une près de la grande porte méridionale de l'amphithéâtre, l'autre près de l'un des vomitoires qui regardent la ville du côté du couchant.

C. QVINCTIVS C. F. VALGVS
M. PORCIVS M. T. DVO VIR.
QVINQ. COLONIAE HONORIS
CAUSSA SPECTACVLA DE SVA
PEQ. AG. COER. ET COLONIAE
LOCVM IN PERPETVOM DEDER.

«C. Quinctius Valgus, fils de Caius, et M. Porcius, fils de Marcus, Duumvirs quinquennats, ont construit à leurs frais l'amphithéâtre (spectacula agenda curaverunt) pour l'embellissement de la colonie, et en ont donné l'emplacement à perpétuité».

Cette inscription, rapprochée de celles que nous avons déjà données, est d'une grande importance en ce qu'elle nous fait connaître les auteurs et l'époque de la fondation de l'amphithéâtre que les divers magistrats mentionnés dans les inscriptions du podium ne firent que terminer, en construisant quelques cunei du côté oriental. Le P. Garrucci suppose avec toute vraisemblance que, commencé par Valgus et Porcius, l'édifice fut achevé par leurs successeurs et par les maîtres du faubourg Augusto-Félix, qui voulurent contribuer à une dépense dont devaient profiter également leurs administrés. Or le faubourg Augusto-Félix n'existait pas avant l'envoi d'une compagnie de vétérans à Pompéi par Auguste, l'an de Rome 747 : la construction de l'amphithéâtre ne peut donc être antérieure à cette époque, et le P. Carrucci (Questioni Pompeiane) a prouvé d'une manière positive qu'elle lui est peu postérieure.


(1)  Cette figure se trouve souvent tracée au compas sur les murs de Pompéi et notamment sur ceux du grand Lupanar.

(2)  Ces inscriptions ont été trouvées le 2 avril 1815.

(3)  Ces inscriptions présentent une énigme assez difficile à expliquer. Que veulent dire les mots PRO LVD. pro ludis ? On a cru devoir traduire pour les jeux, et voir par conséquent dans l'inscription la mention de jeux célébrés dans l'amphithéâtre par certains magistrats. Cette interprétation eût été parfaitement acceptable si dans la troisième inscription on ne trouvait pas les mots PRO LVD. LVM. que le P. Garrucci lit pro ludorum luminatione, pour l'illumination des jeux, et M. Mommsen, pro ludorum luminibus, pour les lumières des jeux. Cette explication ne nous ayant pas paru complètement satisfaisante, nous avons consulté l'un de nos savants confrères, M. Léon Rénier, connu par les études spéciales qu'il a faites de l'épigraphie antique. Nos lecteurs seront heureux de trouver ici sa réponse, dont nous avons cru devoir adopter les conclusions si bien motivées :

«L'interprétation du P. Carrucci et celle de M. Mommsen, dit M. Léon Rénier, prouveraient, si l'on était forcé de s'y tenir, que l'on donnait des jeux à la lumière dans l'amphithéâtre de Pompéi, ce qui ne me parait pas admissible. Voici comment j'interprète le passage de l'inscription : Marcus GANTRIVS, Marci Filius, MARCELLVS duum VIR PRO LVDis, LVMinatione, CVNEOS III Faciendos Curavit EX Decreto Decurionum. PRO LVDis, L V Minatione ; c'est-à-dire au lieu des jeux et de l'illumination, qu'il devait donner à l'occasion de son élection aux fonctions de Duumvir. L'ellipse de la conjonction et n'a rien qui doive nous surprendre ; elle était de règle dans le style épigraphique (Voy. Morcelli, De Stylo inscr., p.4486, id. Rom.). Les honneurs municipaux se payaient ordinairement par des jeux, des spectacles, des distributions de sportules, etc., dépenses improductives que l'on échangeait quelquefois, comme ici, contre d'autres dépenses équivalentes dont le résultat devait être plus durable. Dans une inscription de Djemilah (l'ancienne Colonia Cuiculitanorum) que j'ai publiée dans un mémoire qui fait partie du dernier volume de la Société des antiquaires de France, on voit un magistrat de cette ville élever une basilique au lieu d'un spectacle de gladiateurs qu'il devait donner. On pourrait citer beaucoup d'exemples analogues.
Les interprétations du P. Garrucci et de M. Mommsen sont tout à fait conjecturales ; la mienne s'appuie sur deux exemples qui me paraissent concluants. Le premier m'est fourni par une inscription de Rome publiée par Fabretti, Inscript. Domestic., p. 243, n. 656, et par Orelli, p. 3324, laquelle se termine ainsi P0PVLO VISCERATionem GLADIATORES DEDIT LVMINAtionem LVDOS Iunoni Sospitae Magnae Reginae SOLVS FECIT.
Le second se trouve dans une inscription du recueil de Muratori, pl. 652, n. 6, dans laquelle on lit :
..VS. SPORTVLAS ITEM POPVLO FIERI ET
..PVERIS NVCES SPARGI DIE Supra Scripte ET
LVMINATIONE.
Cette dernière inscription est une inscription funéraire dans laquelle il n'est question ni de jeux ni de spectacles, c'est ce qui me fait penser que dans celles de l'amphithéâtre de Pompéi il n'y a pas de connexité entre les mots L V D et L V M ; ces mots désignent deux spectacles différents que les nouveaux magistrats devaient donner au peuple, et dont un décret des Décurions les avait dispensés en leur imposant l'obligation d'appliquer à la construction de l'amphithéâtre une somme au moins équivalente à celle qu'ils avaient ainsi économisée».