Grand théâtre, ou théâtre tragique

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Grand théâtre

Cet édifice reconnu le 25 juillet 1764 ne fut déblayé que près de trente ans plus tard. En 1792 tous les travailleurs y furent réunis par ordre spécial du roi, et l'année suivante il était entièrement exhumé. Suivant l'usage généralement adopté par les Grecs et les Romains, il était adossé à une élévation qui, en économisant les frais de substructions, a permis de placer l'entrée principale A, à la hauteur de la seconde précinction, point d'où est prise notre vue.

Deux autres entrées B C, par des corridors voûtés, se trouvaient aux côtés de la scène et, venant aboutir dans l'orchestre aux points D D, donnaient accès aux gradins inférieurs au nombre de cinq, réservés aux personnages privilégiés.

Chacun de ces corridors ou vomitoires avait un embranchement également voûté qui, passant sous les gradins, conduisait par six degrés à la hauteur de la première précinction, et à la seconde ou media cavea. Enfin un escalier placé à droite des gradins, au point E, permettait d'arriver directement à la summa cavea composée de quatre gradins seulement, exhaussés sur un mur d'environ 2 mètres, et aussi au sommet de l'édifice pour le service du velarium. Le mur supérieur n'a cessé de sortir de terre depuis la destruction de Pompéi, et il est inconcevable que, jusqu'en 1764, on n'ait pas eu la curiosité de rechercher à quel édifice il appartenait.

Cette partie du théâtre a été restaurée depuis sa découverte ; on a rétabli jusqu'à l'une des poutres qui soutenaient le velarium et plusieurs des corbeaux et modillons qui les portaient.

On remarquera sur le plan la disposition tout exceptionnelle de la partie du monument réservée au public, de l'amphithéâtre, comme nous l'appelons à tort, de la cavea, comme eussent dit les Romains. Au lieu d'être un hémicycle parfait, ainsi que le veut Vitruve et que nous le présentent tous les théâtres antiques connus, celui-ci est en forme de fer à cheval ; son diamètre est de 68 mètres, et il pouvait contenir cinq mille spectateurs. Les gradins de marbre blanc étaient au nombre de vingt-neuf, partagés en trois étages par deux précinctions, divisées elles-mêmes par cinq escaliers, itinera ou scalae, dont chaque gradin formait deux degrés, en cinq cunei ou coins F et en deux parties L qui ne peuvent mériter ce nom, étant de forme rectangulaire. Ces deux parties, qui se trouvent aux côtés de la scène et sur les reins des voûtes des deux vomitoires, complétaient les ailes du fer à cheval et se terminaient, dans leur partie inférieure, par deux tribunes réservées ou podium G, dans l'une desquelles on a trouvé les débris d'une chaise curule. Ce podium avait un superbe entablement en marbre dont une petite partie est conservée. Le premier ordre ou ima cavea H était, ainsi que je l'ai dit, composé de cinq gradins ; le second en avait vingt et le troisième quatre seulement. Sur le marbre du premier gradin de la seconde cavea, on reconnaît encore les traces de lettres de bronze qui y étaient incrustées autour d'un espace vide, et formaient cette inscription :

M. HOLCONIO       M. F. RVFO
II. VIR. I. D.       QVINQVIENS
ITER. QVINQ.       TRIB. M. A. P.
FLAMINI AVG. PATII. COL. D. D.

«A Marcus Holconius Rufus, fils de Marcus, duumvir chargé pour la cinquième fois de rendre la justice, quinquevir pour la seconde fois, tribun des soldats nommé par le peuple, flamine d'Auguste, patron de la colonie, par décret des duumvirs».

Des traces encore visibles sur la pierre qui porte cette inscription font penser que les Pompéiens y avaient érigé un bisellium ou une statue en l'honneur de cet Holconius auquel la ville devait plusieurs de ses principaux monuments, ainsi que l'atteste une autre inscription placée sur la scène et que nous avons déjà citée :

MM. HOLCONI. RVFVS ET CELER
CRYTAM TRIBUNAL THEATRUM
S. P.
AD DECVS COLONI1.

«Marcus Holconius Rufus et Marcus Holconius Celer ont érigé à leurs frais une crypte, un tribunal et un théâtre pour l'ornement de la colonie».

Nous avons décrit le tribunal. C'est dans la partie supérieure du théâtre et en dehors de l'hémicycle qne se trouve la crypte I, espèce de tour carrée en dehors et ronde en dedans, haute d'environ 4 mètres et large de 6m 70 ; c'était un réservoir qui fournissait l'eau nécessaire à l'arrosement du théâtre. Il est difficile toutefois de nous rendre compte par quel procédé on pouvait élever l'eau à une si grande hauteur. Le théâtre étant découvert, on ne peut supposer que le réservoir ait été rempli par les eaux pluviales qu'on y aurait rassemblées ; cependant nous ne pouvons douter du témoignage de tous les auteurs antiques qui nous disent que, pour tempérer la chaleur, cette eau était répandue en pluie fine sur les spectateurs, et qu'on poussait même la recherche jusqu'à la parfumer avec des essences (1). Cn. Pompée fut le premier qui mit en usage ce moyen de rafraîchir le public (2).

Auprès de la crypte est, ainsi que je l'ai dit, une des principales entrées du théâtre, ouvrant sur le corridor voûté conduisant au sommet de la seconde cavea et portant la suma cavea. On arrivait à cette porte par le portique du Forum triangulaire.

Au centre de l'orchestre, c'est-à-dire de la partie K comprise entre les gradins inférieurs de l'avant-scène, s'élevait un piédestal M, dont il ne reste plus de trace et que quelques auteurs ont cru avoir été destiné à porter une statue , qui évidemment eût coupé le point de vue de la manière la plus désagréable. Nous devons plutôt y reconnaître la thymèle, ce petit autel sur lequel, ainsi que je l'ai dit, on sacrifiait à Bacchus au commencement du spectacle. Cet autel, il est vrai, n'existe point ordinairement dans les théâtres romains ; mais nous ne devons pas oublier que Pompéi était une colonie grecque, une ville de la Grande Grèce qui dut conserver plus d'un souvenir, plus d'un usage de la mère patrie.

Le mur d'avant-scène ou proscenium 0 0 s'étend entre D D et N N sur une largeur de 24m 30 ; il portait le plancher en bois N N ou pulpitum, formant l'avant-scène sur laquelle se tenaient les acteurs. Ce plancher étant détruit permet de voir aujourd'hui à découvert le dessous du pulpitum ou l'hyposcenium, lieu où se plaçaient les instruments propres à imiter le tonnerre, dans lequel rentrait le rideau d'avant-scène, et sur lequel enfin étaient ménagées les trappes pour les apparitions. Le mur d'avant-scène 0 0 présente une niche semi-circulaire et six carrées que l'on peut supposer, avec quelque vraisemblance, avoir été destinées à contenir les musiciens quand ils n'étaient pas placés aux côtés de l'avant-scène sur le pulpitum lui-même. Ces musiciens non seulement soutenaient la voix des acteurs (3) et des choeurs, mais, de même que chez les modernes, ils jouaient pendant les entr'actes. Le premier acte du Pseudolus de Plaute se termine par ces mots :

«Pendant que je vais combiner mes fourberies, ce joueur de flûte vous divertira». Tibicen vos interea hic delectaverit.

Enfin, au fond s'élève ce que les anciens appelaient proprement la scène P P, mais qui correspond à notre toile de fond, dont elle ne diffère qu'en ce qu'elle était d'une construction solide, richement décorée de colonnes, de marbres et de statues, mais restant constamment la même pour toutes les pièces que l'on représentait, sauf quelques décorations mobiles qu'on y ajouta plus tard, qu'on appelait scena versilis ou trigones mobiles, et qui tenaient lieu de nos coulisses.

La scène de Pompéi avait été dépouillée de tous ses marbres, et tout porte à croire que l'édifice, endommagé par le tremblement de terre de 64, était en réparation à l'époque de la catastrophe de 79. Elle présente les trois portes ordinaires ; celle du milieu Q, ouverte suivant l'usage au fond d'un hémicycle, était l'aula regia ; les deux autres P P étaient les hospitales. Entre ces parties sont deux niches R R qui contenaient les statues de Néron et d'Agrippine.

Derrière la scène est le postscenium S S, lieu où se retiraient les acteurs ; enfin derrière celui-ci s'étend une vaste cour T T adossée au Quartier des soldats U, qui pouvait répondre à notre foyer des acteurs et dans laquelle on descendait par un plan incliné V, à la droite duquel est une grande salle X qui servait sans doute de magasin pour les accessoires.

Enfin, à gauche de la cour et près de l'entrée du grand corridor B, on voit dans la muraille la copie d'une inscription aujourd'hui au musée qui nous apprend le nom de l'architecte :

MARTORIVS M. L. PRIMVS
ARCHITECTVS.

«Martorius Primus, architecte, affranchi de Marcus».

Dans la partie de l'édifice qui communique au Forum triangulaire, on a trouvé quelques fragments de statues de marbre, une grande quantité de bois carbonisé, des morceaux de draperies appartenant à des statues de bronze, un très grand nombre de tuiles et d'inscriptions presque toutes frustes.


(1)  On appelait ce raffinement de luxe sparsiones.
«Alors (au temps de Romulus) le voile n'était pas suspendu sur un théâtre de marbre, et le safran liquide ne rougissait pas encore l'avant-scène».
Tunc neque marmoreo pendebant vela theatro,
Nec fuerant liquida pulpita rubra croco
.
Ovid. Ars amandi. I, v.103 et 104.

Properce exprime la même pensée presque dans les mêmes termes :
«Alors des voiles suspendus n'ondoyaient pas au-dessus d'un théâtre, et dans les fêtes solennelles l'avant-scène n'exhalait pas les parfums du safran».
Nec sinuosa cavo pendebant vela theatro ;
Pulpita solemnes non oluere crocos.
IV. Carm. I.

Dans ces deux passages, la partie est évidemment prise pour le tout. Le pulpitum n'était pas seul arrosé de parfums, car Sénèque dit formellement que, par d'étroits tuyaux disposés avec art, on faisait monter à une hauteur considérable et retomber sur les spectateurs une suave rosée aromatisée de safran.
Hodie utrum tandem sapientiorem putas qui invenit quemadmodum in immensam altitudinem crocum latentibus fistulis exprimat.
Epist. XC.

(2)  Cneius Pompeius ante omnes aquae per semitas decursu aestivum minuit fervorem. VAL. MAX. II, 4, §6.

(3)  Cicéron fait ressortir avec sa finesse ordinaire le ridicule de cet accompagnement de flûte dans les scènes les plus pathétiques de la tragédie : «Puisque, dit-il, il récite de si beaux vers au son de la flûte, je ne vois pas de quoi il a peur». Non intelligo quid metuat cum tam bonos septenarios fundat ad tibiam.Tuscul. I, 44.