Quartier des soldats |
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Quartier des soldats |
Non loin du tribunal, et sur le côté oriental du Forum triangulaire, s'élève un édifice généralement désigné sous le nom de Quartier des Soldats. Découvert en 1766, fouillé en 1767, il n'a été toutefois complètement déblayé qu'en 1794 ; il fut le premier monument dont les fouilles aient été exécutées avec soin et dans une pensée de conservation ; on a même rétabli une partie du côté méridional d'après les indications et autant que possible avec les matériaux fournis par les ruines mêmes. La destination de ce monument a donné lieu à de nombreuses controverses, et les savants ne sont pas encore tous d'accord sur ce sujet. Sa position à côté des deux théâtres avait d'abord fait penser que ce pouvait être le portique où les spectateurs se réfugiaient en cas de pluie (1) ; et en effet il a pu servir à cet usage, tout en ayant une autre destination qui seule peut expliquer la multiplicité des chambres qui accompagnent les portiques. |
Une supposition plus moderne, mais non plus vraisemblable selon nous, est que ce lieu fut un marché qui, suivant l'usage assez fréquent chez les Romains, se serait tenu tous les neuf jours (2) ; en conséquence, quelques auteurs lui donnent le nom de Forum nundinarium. Les partisans de cette hypothèse, entraînés par l'aspect réel de l'édifice, ont bien voulu pourtant convenir que peut-être des soldats pouvaient y être établis, mais seulement pour maintenir l'ordre dans le marché.
Je ne sais en vérité pourquoi on a cherché à substituer cette dénomination à celle de Quartier des soldats qui lui fut assignée dès l'origine Il est évident qu'une ville de l'importance de Pompéi, une ville fortifiée, dut avoir une garnison et, pour loger cette garnison, une caserne. Pourquoi donc chercher cette caserne ailleurs que dans un monument dont le plan est si conforme à cette destination ? Les portes étroites et peu nombreuses eussent été très incommodes et même dangereuses pour un marché où une foule nombreuse se serait pressée en désordre, tandis qu'elles pouvaient parfaitement suffire pour des soldats marchant régulièrement et deux par deux. Un harnais de cheval de selle, des armes, des casques, des cnémides ou bottines de bronze, ont été trouvés ici ; mais ce sont, il est vrai, des armes de gladiateurs et non de soldats. Que doit-on en conclure ? Que des gladiateurs de passage à Pompéi logeaient à la caserne, ce qui est plus naturel que de loger au marché. Dans les chambres on n'a pas trouvé de traces de lit ; mais les soldats couchaient assez ordinairement sur la paille. Le seul grand appartement qui existe dut être destiné au chef de la garnison.
Une seule cuisine eût été insuffisante si la nourriture de tous n'eût pas été préparée en commun, et nous verrons que celle du Quartier des soldats était évidemment destinée à la préparation des aliments d'une grande quantité de personnes. Enfin quelle eût été dans un marché la destination d'une prison aussi sévère que celle qui a été reconnue ici ? Ajoutons qu'en aucun lieu de la ville on n'a trouvé une aussi grande quantité de squelettes ; on n'en a pas compté moins de soixante-trois, répartis surtout dans les chambres du premier étage. N'est-il pas supposable que quelques motifs de discipline ont retenu les soldats à leur poste trop longtemps pour permettre à tous d'échapper à la mort ?
Ceci posé, passons en revue les diverses parties de l'édifice, et voyons si elles ne nous fourniront pas encore de nouvelles preuves à l'appui de notre opinion.
Le Quartier des soldats est un vaste parallélogramme, une sorte de cloître entouré de portiques élevés en avant de bâtiments à deux étages ; ces portiques, soutenus par vingt-deux colonnes dans un sens et dix-sept dans l'autre, en comptant deux fois les colonnes d'angle, ont des grands côtés 55 mètres de longueur, et des petits 41m 10, sur une largeur de 4m 30 ; ils entourent un vaste préau, une area qui dut servir aux exercices de la garnison. Ce préau a 46m 60 sur 34m 80 ; on y voit au centre une grande table antique et dans l'angle N.-E. une fontaine moderne, ombragée de saules pleureurs.
Les soixante-quatorze colonnes de tuf revêtu de stuc étaient primitivement d'un ordre dorique grec très simple et de bon goût ; à l'époque d'une restauration, les chapiteaux avaient été enrichis d'un plus grand nombre de moulures, changement qui ne paraît pas avoir nui à leur étégante. Ces colonnes, hautes de 3m 60, sont lisses jusqu'au tiers de leur hauteur et cannelées dans les deux autres tiers ; elles sont peintes en rouge. Les deux colonnes du centre de chacun des grands côtés du portique et la colonne du milieu des deux petits étaient colorées en bleu, peut-être afin que, divisant la place d'armes en quatre, elles servissent de jalons pour les manoeuvres. Dans les entre-colonnements du côté méridional et d'une partie du côté oriental, étaient des piédestaux dont on voit encore les traces sur les dalles ; il est difficile de supposer qu'ils aient pu porter tous des statues ; force est donc d'avouer que nous ignorons leur destination.
Tout l'intérieur du portique et des chambres était également peint et présentait des ornements assez élégants, bien qu'exécutés avec négligence. En plusieurs endroits, des soldats désoeuvrés avaient tracé à la pointe, sur le stuc des colonnes, des inscriptions et des figures grossières représentant des guerriers, des combats de gladiateurs, dessins semblables en tout à ceux dont aujourd'hui encore le jeune lazzarone, ou le gamin de Paris, illustrent les murailles de nos villes modernes. Nous reproduisons un de ces dessins, haut seulement de 0m 06, qui était gravé à la pointe sur le stuc rouge de la neuvième colonne en venant du théâtre. |
Cette figure a été détachée et portée au musée, mais la colonne a conservé un assez grand nombre d'inscriptions grecques et latines, la plupart illisibles ; j'ai pu y déchiffrer celle-ci, dont l'interprétation est encore un problème :
VIII K. FEBR.
TABVLAS POSITAS
IN MUSCARIO
CCC. VIIII. SS. CCCC. XXX.
Sous une grande partie du monument s'étendent des citernes dans lesquelles on puisait par une ouverture qui existe dans le portique oriental. Les eaux pluviales y étaient amenées par un caniveau de pierre qui règne au pied des colonnes tout autour de la cour. Ce caniveau est interrompu de distance en distance par des trous carrés un peu plus profonds, dans lesquels se trouvaient précipitées les impuretés que les eaux pouvaient charrier.
On est entré longtemps dans le Quartier des soldats et dans les fouilles de Pompéi par une ouverture moderne a pratiquée dans l'angle S.-E. de l'édifice ; immédiatement on trouve à droite un petit escalier conduisant au premier étage, converti en habitation pour les gardiens. Cet étage, répétition du rez-de-chaussée, n'avait entre les diverses pièces qui le composaient d'autre communication qu'un balcon continu en bois dans le genre de ceux qui, de notre temps, relient encore les différentes chambres de la plupart des auberges. On voit encore dans la muraille les trous de scellement des poutres qui portaient le balcon.
Suivant le portique oriental, nous voyons, après plusieurs chambres de soldats, une petite salle b qui dut être la prison de la caserne. Le 20 décembre 1766, quatre malheureux y furent trouvés renfermés, mais libres de leurs mouvements, bien que des fers fussent déposés auprès d'eux. Ces fers ou ceps ont été portés au musée et remplacés par une grossière copie en bois ; ils consistaient en vingt-deux morceaux de fer hauts de 0m 15 environ, s'élevant perpendiculairement sur un plateau transversal dans lequel ils étaient rivés ; à leur extrémité supérieure ils portaient une ouverture dans laquelle on passait une barre qui retenait les jambes des prisonniers engagées de telle sorte qu'ils ne pouvaient se tenir qu'assis ou couchés.
A côté de la prison est un large escalier e conduisant à un appartement plus vaste que les autres, et qui dut être la demeure du commandant. Au fond d'un grand portique d, soutenu par quatre piliers carrés, s'ouvrent deux magasins e e, et la cuisine f dont les murs de deux côtés étaient garnis d'âtres relevés. Ces salles entièrement ruinées sont converties en jardin. Après une petite chambre l se présente un second portique g dont le toit reposait sur trois colonnes ioniques. C'est sous ce portique que se trouvaient une porte ouvrant sur le postscenium de l'Odéon, et la principale entrée de la caserne h, donnant sur une rue qui longe le mur de ce postscenium. Le seuil très bien conservé laisse voir la trace de scellement des crapaudines qui recevaient les pivots des battants de la porte. A droite de celle-ci est une chambre k destinée au portier, et le portique lui-même dut abriter les soldats de garde à l'entrée de la caserne. Une autre porte plus petite m, placée non loin de là dans l'angle N.-E., conduisait à la cour qui s'étend derrière le grand théâtre. Le côté septentrional nous offre, après huit chambres de soldats, un escalier étroit n qui en rejoint un beaucoup plus large, partant de la cour du grand théâtre et montant aux portiques du Forum triangulaire.
Le côté occidental ne présente qu'une suite de cellules interrompue par un terre-plein dont il est difficile de deviner l'usage ; peut-être était-il destiné à soutenir les terres du Forum ; ce n'est qu'une simple conjecture que nous émettons, et sans y attacher plus d'importance qu'elle ne mérite. Ce terre-plein portait des chambres à la hauteur du premier étage.
Les cellules sont toutes semblables ; l'une d'elles o, vers l'extrémité du portique occidental, contient encore un de ces moulins que l'on croit avoir servi pour l'huile et dont nous verrons un autre exemple à Pompéi. |
Enfin au centre du quatrième côté de l'édifice était une salle plus grande p, aujourd'hui convertie en logement pour les gardiens, et dont les parois étaient décorées de trophées militaires, peintures dont un fragment est conservé au musée de Naples. C'est dans cette pièce, qui, par sa forme et sa position, ressemblait au tablinum des habitations particulières et que tout annonçait avoir été la chambre du conseil, le lieu de réunion des chefs, que furent trouvés des armes, des casques richement ornés qui pourraient bien n'avoir eu d'autre destination que celle de décorer la salle ; si cette conjecture était véritable, elle ferait tomber les conséquences qui ont été tirées de la forme inusitée de ces armes, plus convenables pour des gladiateurs que pour des soldats. Plusieurs pièces d'armures étaient incrustées d'argent ; sur l'un des casques était représentée la guerre de Troie. Ajoutons en terminant que, dans une pièce voisine, on découvrit une trompette d'airain fort singulière, aujourd'hui au musée, à laquelle étaient ajustées six flûtes d'ivoire recouvertes de bronze et une chaîne qui permettait de la porter suspendue au cou. Enfin, au milieu de la dernière pièce q est un âtre relevé antique qui sert encore de cheminée aux gardiens.
Nous avons achevé la visite de ce monument, si intéressant à tant de titres ; pouvons-nous espérer que l'examen auquel nous venons de nous livrer aura achevé de prouver que ce n'est pas sans de justes raisons que nous lui avons conservé le nom de Quartier des soldats ?
(1) «Il
doit y avoir des portiques derrière la
scène, afin que quand il surviendra
inopinément des pluies au milieu des jeux, le
peuple s'y puisse abriter en sortant du
théâtre». (Vitruve, V, 9). |
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(2) «C'est
un vrai cuisinier de foire ; il ne fait la cuisine
qu'un jour sur neuf». Cocus ille nundinali'st, in nonum diem |