La maison de Siricus

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Elle porte le n° 16 de la Via del lupanare. Le nom du propriétaire de cette habitation n'est pas douteux ; il est encore tracé en grandes lettres rouges à droite de la porte ; il avait déjà été lu en 1851 sur un pilier près de l'entrée de la grande maison que nous verrons avoir été jointe à celle-ci ; enfin ces preuves ont encore été corroborées par la découverte du sceau même de Siricus. Sa maison, fouillée en 1862, n'a pas de boutiques ; sa porte à deux battants était revêtue de nombreuses têtes de clous en bronze, bullae (1), dont 85 furent retrouvées. M. Fiorelli a pu faire mouler plus de la moitié de cette porte sur l'empreinte qu'elle avait laissée dans les cendres durcies.

Le prothyrum, sans aucun ornement, a un seuil de pierre volcanique ; on voit dans le haut de ses murailles restées blanches les trous des poutres qui soutenaient le premier étage. Le pavé en opus signinum, et semé de petits cubes de marbre blanc, présente au fond cette inscription en mosaïque : SALVE LVCRVM, «Gain, je te salue». D'après un tel souhait, même sans autre preuve, on pourrait supposer presque avec certitude que Siricus était négociant. Sous le pavé est un chenal qui conduisait les eaux dans la rue et que l'on pouvait nettoyer au moyen de deux petits regards fermés par des plaques de marbre blanc. On trouva dans ce prothyrum une lampe de bronze et plusieurs de ces cylindres d'os qui servaient de charnières.

En entrant dans l'atrium on voit de suite à droite une pierre sur laquelle reposait un coffre-fort maintenu par un boulon qui existe encore en partie. Les murailles couvertes d'un ciment grossier n'avaient pas encore reçu leur décoration et forment un singulier contraste avec les peintures élégantes de plusieurs des pièces voisines. Au milieu de l'impluvium est un compluvium de marbre blanc ayant à sa droite un puteal de pierre calcaire fendu et ayant été raccommodé par les anciens. Au bout du bassin, dont le milieu conserve l'embouchure de bronze d'un jet d'eau, est une petite table carrée, un monopodium, et derrière elle un piédestal de marbre qui dut porter une figure ou un animal jetant de l'eau qui arrivait par un trou encore visible. En arrière de la fontaine est une autre table rectangulaire de marbre blanc plus grande que la première, mais portée également par un seul pied cannelé ; la tranche de sa tablette est ornée de deux petites têtes de lion en relief.

A la droite du prothyrum est une chambre à coucher pour deux esclaves, reconnaissable aux entailles faites dans les parois pour les chevets de deux lits ; elle est éclairée par une fenêtre grillée percée dans le haut de la muraille, qui est blanche et ornée seulement de quelques vases, cygnes, griffons, etc. On y trouva un vase de bronze et des clous de fer tombés de la charpente du plafond.

Le côté droit de l'atrium n'a pas de chambres, mais seulement une grande muraille conservant les traces d'une armoire de bois qui contenait des ustensiles de verre, de terre cuite et de métal, et deux entailles verticales de Om 08 de profondeur sur 0m 43 de largeur où étaient encastrés deux poteaux, deux antes qui s'élevant jusqu'au toit en soutenaient les principales poutres. Au fond de l'atrium est à droite une petite, chambre sans ornements ayant communiqué avec le tablinum par une porte qui avait été condamnée au moyen de grands carreaux de plâtre et transformée en une armoire garnie de trois tablettes dont on voit encore l'indication.

Quant à la salle qui occupe la place ordinaire du tablinum, elle est entièrement ouverte par devant, mais fermée des trois autres côtés ; l'absence de toute décoration fait penser que ce fut une espèce de bureau, de comptoir. On y trouva, le 13 février 1862, les ossements d'un chien et divers objets parmi lesquels un sceau de bronze portant le nom SIRICI en relief, une belle bague ayant pour chaton une tête d'homme gravée sur cornaline, beaucoup d'ornements et deux serrures provenant d'une grande caisse dont 128 cylindres d'os composaient les charnières. Dans ce coffre restaient des débris de tissus qui pourraient faire croire que c'était de ce genre de marchandises que Siricus faisait commerce.

Revenant au prothyrum nous trouvons à sa gauche, une grande chambre pavée en opus signinum ayant sur la rue une fenêtre large de 0m 80, haute de 0m 60, conservant quelques restes de sa grille. La décoration de cette pièce était simple, et ses peintures ont en grande partie disparu ; on voit cependant encore, dans des panneaux blancs encadrés de lignes jaunes et rouges, des architectures, deux paysages, quelques oiseaux, un cerf et un carquois, un griffon et une lyre, etc. Sur le soubassement noir sont des plantes aquatiques. La symétrie de cette pièce était gâtée par un escalier qui, appliqué à la muraille du prothyrum, en transformait une partie en mansarde. Cet escalier, qui conduisait à un étage porté par des solives dont les trous sont encore visibles, était en bois ; il avait son entrée sous le portique de l'atrium immédiatement à côté du prothyrum. Un meuble de bois, garni de gros anneaux, de poignées, de serrures et de bulles, était appuyé contre la paroi gauche de la salle, et à côté était un beau candélabre dont la base était ornée de masques scéniques.

A gauche de l'atrium est une grande et belle salle, une exèdre pavée en opus signinum, à l'exception d'un grand panneau qui en occupe le centre et qui est formé de carreaux de jaune antique et d'un carreau double de marbre violet. Ce panneau est entouré d'un rinceau de mosaïque blanche et noire qui, du côté de l'entrée, s'étendait jusqu'au seuil. Les murs conservent de remarquables peintures. A droite est Vulcain présentant à Thétis le bouclier d'Achille ; une femme ailée placée derrière la déesse lui indique avec une baguette les détails de cette oeuvre merveilleuse, où sont retracés, suivant la description homérique (2), les signes du zodiaque et plusieurs constellations. Sur un cippe et sur le sol sont déposés le casque, les jambières et la cuirasse qui complètent l'armure.

Sur la muraille du fond est représenté Hercule ivre, couronné de lierre, étendu à terre au pied d'un arbre ; il est revêtu de la sandyx, sorte de tunique transparente et il a perdu une de ses chaussures ; il s'appuie sur son bras gauche dont la main laisse échapper une large coupe qu'un Amour cherche à lui ravir ; d'autres Amours s'efforcent de soulever la massue, et quatre autres encore, montés sur un autel, portent le carquois du demi-dieu. A l'arrière-plan sont assis, à droite Bacchus accompagné de ses suivants, et à gauche Vénus avec deux de ses nymphes, ou, comme le suppose Fiorelli, Omphale et deux jeunes Lydiennes.

La peinture de gauche représente Neptune et Apollon présidant à la construction des murailles de Troie (3).

Ces trois sujets principaux, peints sur fond rouge, sont accompagnés de belles architectures sur fond blanc ; celles de la muraille du fond sont surtout d'une grande richesse et contiennent deux figures, à gauche Apollon avec la lyre et le plectre, à droite Calliope tenant un long papyrus déroulé. Au-dessus de chacune de ces espèces de petits temples est un paysage en camaïeu jaune.

Le reste de la salle offre des panneaux également jaunes ayant au milieu les autres Muses jouant de divers instruments ou tenant des masques ; deux seulement, debout et drapées, n'ont point d'attributs. La frise de la salle est formée d'un fond noir sur lequel courent de superbes rinceaux où se jouent des animaux et des figures.

Immédiatement après l'exèdre, se présente, dans l'atrium, l'entrée d'un corridor où est une petite niche qui dut servir à poser une lampe ; il conduit à une grande cuisine d'où part un autre corridor aboutissant à une seconde porte sur la rue du Lupanar. La cuisine conserve son fourneau, une auge en partie doublée de plomb, un laraire avec la peinture ordinaire des serpents, un four et enfin les débris d'un moulin à moitié enterré et qui semble avoir servi d'évier. Une salle toute nue et voisine du four fut probablement un bûcher.

Rentrant dans l'atrium, on trouve à gauche après le corridor un grand triclinium ayant une large fenêtre ouverte sur le péristyle, un triclinium fenestratum. Les murs de cette salle sont blancs et divisés par des bandes rouges et jaunes. Les peintures qui les décoraient sont en assez mauvais état ; elles représentaient des candélabres, des architectures, des quadrupèdes, des animaux, des dauphins, des masques, des Tritons, des Bacchantes et trois sujets principaux. A gauche est la Toilette d'Hermaphrodite entouré de six nymphes dans diverses attitudes ; la seconde peinture qui a été enlevée pour le musée représente Enée debout accompagné de Mnesthée, du fidèle Achate et du jeune Ascagne éploré ; il présente sa cuisse au chirurgien Iapis, qui, à l'aide d'une pince, s'efforce d'en extraire le fer d'une flèche qu'il vient de recevoir en combattant les Latins ; dans le fond on voit Vénus apportant à son fils le dictame qui doit cicatriser sa blessure (4).

Dans la troisième peinture, qui est fort effacée, on voit une jeune fille vêtue de vert, ayant des anneaux ronds aux bras et aux jambes et dont le mouvement semble indiquer l'horreur ou une immense douleur ; une autre femme, plus âgée, couverte d'un long manteau blanc et couronnée de lauriers, la montre à un héros nu, armé d'un javelot et de l'épée courte nommée parazonium ; dans le fond est le char du guerrier. Fiorelli croit voir dans cette composition la reine Amata et Lavinie s'efforçant de détourner Turnus de combattre Enée (5). Dans le triclinium, que décoraient ces peintures, furent trouvés quatre vases de bronze, une fiole de verre, un vase à huile, un olearium en terre cuite et quelques clous et fragments de barres de fer.

Par les fauces situées à gauche de la pièce remplaçant le tablinum, on entre dans un péristyle incomplet, peu orné, avant de deux côtés seulement des portiques soutenus par des colonnes octogones de briques revêtues de stuc, et des deux autres une simple muraille à laquelle étaient appliquées quelques constructions. Les colonnes des portiques étaient réunies par un pluteus dans lequel étaient engagés deux puteals en terre cuite dont il ne reste plus qu'un seul. Dans l'area sont quatre colonnes de plus petite dimension et peintes en vert qui portèrent une treille.

Ce péristyle, depuis longtemps fouillé, avait été regardé à l'époque de sa découverte comme faisant partie de la maison des princes de Russie. Le côté droit n'avait pas été déblayé afin de conserver plusieurs toits, les plus intacts qui eussent encore été découverts à Pompéi ; aujourd'hui tout est dégagé et ces toits n'existent plus.

Ils présentaient l'exemple le plus complet de la manière dont étaient assemblées les imbrices ou tuiles creuses, les tuiles à rebords parallèles et certaines autres tuiles à rebords contigus qui se plaçaient dans les angles pour faciliter l'écoulement des eaux. Plusieurs tuiles portaient le nom du fabricant N. SABINVS.

Presque à la hauteur de ce toit on a trouvé un squelette et un grand nombre de monnaies d'or et de bronze.

A l'extrémité des portiques, à droite, est une petite chambre très simple que couvrait ce toit ; elle était éclairée par une lucarne percée dans le haut de sa muraille ; des peintures qui la décoraient, on ne reconnaît plus qu'une tête de jeune garçon. Immédiatement à côté de cette chambre est une porte conduisant dans une grande enceinte qui paraît avoir été une cour avec une sortie aujourd'hui condamnée. On y voit encore les arrachements d'un petit cabinet et les murs d'une salle où est une peinture très médiocre représentant un vieillard assis donnant une leçon de lyre à une jeune fille debout.

Revenant au péristyle, on y voit au fond du portique de gauche une sorte de réduit sans ornements, assez profond et fort étroit.


(1)  «Ne t'ai-je pas ordonné de rendre brillants les clous de cuivre de la porte ?»
Jussin'in splendorem dari bullas has foribus nostris ? (Plaute, Asinaria, II, 4, v.21).

(2)  Homère, Iliade, XVIII, v. 479.

(3)  Homère, Iliade, XXI, v447.

(4)  Virgile, Enéide, XII, v. 385.

(5)  Virgile, Enéide, XII, v. 55.