Introduction - La destruction de la ville

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«Les vents s'assoupissaient, dit Bulwer ; l'écume expirait sur l'azur de cette mer délicieuse. Dans l'orient de légères vapeurs réfléchissaient par degrés les teintes de rose qui annonçaient le matin ; la lumière allait reprendre son empire. Cependant, immobiles et sombres se montraient encore dans le lointain les fragments compacts de la nuée destructive, au sein de laquelle les bandes rouges, mais d'un éclat de plus en plus faible, trahissaient les feux encore ardents de la montagne des Champs-Brûlés. Les murs blancs et les brillantes colonnes qui ornaient cet admirable rivage n'étaient plus. Morne et triste était la contrée naguère couronnée par les villes d'Herculanum et de Pompéi. Ces villes, les filles bien-aimées de la mer, étaient arrachées à ses embrassements ! Pendant une longue suite de siècles, elle étendra vainement ses bras azurés, ne les retrouvera plus et gémira sur les tombes de ses enfants perdus !»

A ces détails que nous fournissent l'histoire et la poésie, nous en ajouterons quelques autres extraits des auteurs contemporains, ou que l'état des lieux a permis de constater. Les feux souterrains du volcan, dans leur effort pour s'ouvrir un passage, firent sauter le sommet de la montagne, qui roula en lave brûlante jusqu'à la mer, ou fut dispersée soit en éclats, soit en cendre si subtile que les vents la portèrent jusqu'en Egypte et même en Syrie. A Rome, dans la matinée du 24, le soleil fut obscurci par la masse énorme de cendres et de fumée que le volcan avait lancée dans les plus hautes régions de l'atmosphère. Herculanum, Retina ( Resina) et Oplonte (1) furent ensevelies sous la lave dans quelques parties, mais principalement par un déluge d'eau et de cendres que vomit la montagne, et qui remplit ces villes comme le métal en fusion remplit les concavités du moule. Cette espèce de mortier devint bientôt par le refroidissement aussi dur que la pierre, et les malheureuses cités se trouvèrent englouties sous une couche solide de plus de 20 mètres d'épaisseur.

Pompéi, au contraire, soit parce que sa position élevée la préserva de ces torrents, soit parce que les courants d'eau et de lave prirent une autre direction, fut, aussi bien que Stabies, recouverte surtout d'une couche de 6 à 7 mètres de cendres et de petites pierres ponces qu'on nomme à Naples Lapilli. Cette pluie volcanique tomba sans doute par ondées successives et non en masse, car aucun des habitants n'eût échappé, tandis que jusqu'à présent on n'a encore trouvé qu'environ 500 squelettes, nombre bien faible pour les deux tiers d'une ville dont les calculs les plus modérés évaluent la population à près de 110.000 âmes.

Dion dit, et une foule d'auteurs ont répété après lui, qu'au moment de la catastrophe, le peuple presque entier était au théâtre et y fut enseveli. Les auteurs qui ont adopté la version de l'historien de Nicée n'ont pas réfléchi qu'elle est absolument contraire à la nature et à l'action des volcans et particulièrement du Vésuve, dont les éruptions sont toujours précédées d'indices sur lesquels il n'est pas permis de se méprendre. D'ailleurs, ce qui est bien plus décisif, un seul squelette a été découvert dans le théâtre. Il est donc certain que la plupart des habitants eurent le temps de s'échapper, et nous verrons que beaucoup de ceux qui périrent furent retenus par des causes indépendantes des effets du volcan, ou furent victimes de leur cupidité et de leur amour pour leurs richesses. Les matières volcaniques ne s'élevèrent nulle part au-dessus du premier étage des maisons, et si les étages supérieurs, assez rares du reste, furent détruits et avaient entièrement disparu, ce dut être d'abord par l'effet de l'éboulement causé par la combustion des charpentes et le poids des pierres et des cendres accumulées sur les toits, et plus tard par suite de l'intempérie des saisons et du peu de solidité de la construction. On a trouvé des indices qui portent à croire qu'après la destruction de la ville, quelques habitants revinrent fouiller leurs demeures pour retirer leurs effets les plus précieux ; il fut même question de reconstruire les villes détruites, car nous lisons dans Suétone (2) : «Le règne de Titus fut troublé par des événements aussi tristes qu'imprévus : l'éruption du Vésuve dans la Campanie ; à Rome, un incendie qui dura trois jours et trois nuits, une peste dont les ravages furent effroyables. Il montra dans ces malheurs la vigilance d'un prince et toute la tendresse d'un père, consolant les peuples par ses édits, les secourant par ses bienfaits. Des consulaires désignés par le sort furent chargés de réparer les désastres de la Campanie. Les biens de ceux qui avaient péri dans l'éruption du Vésuve sans laisser d'héritiers furent employés à la reconstruction des villes détruites.» Quoi qu'il en soit, ce projet de reconstruction n'eut pas de suite, soit à cause de la mort de Titus arrivée moins de deux ans plus tard, soit parce que l'on reconnut que la dépense excéderait le bénéfice et qu'il valait mieux abandonner un territoire voué pour plusieurs siècles à la stérilité.

Quelques auteurs, tels que Ignarra et Laporte-Dutheil, ont avancé que Pompéi n'avait pas disparu dans l'éruption de 79 et que, réparée, elle avait encore subsisté jusqu'à l'an 471, époque à laquelle un tremblement de terre l'aurait définitivement engloutie ; ils se fondent sur ce que Pompéi se trouve encore sur la carte de Peutinger exécutée à Constantinople à la fin du IVe siècle ; mais ils ont oublié une remarque bien importante et qui anéantit complètement leur système : c'est que, jusqu'à ce jour, dans les ruines de Pompéi, on n'a pas trouvé une seule médaille postérieure au règne de Titus et à l'année 79. Si le nom de Pompéi existe encore sur la carte de Peutinger, c'est qu'une partie de ses habitants avait élevé à quelque distance de la ville détruite un bourg qui sans doute en avait pris le nom. Cela est si vrai, que l'on a retrouvé, entre Bosco reale et Bosco tre case, au nord de Pompéi et plus près du Vésuve, cette nouvelle Pompéi, qui gardait aussi des bronzes magnifiques et des statues des meilleurs temps, vieux débris arrachés sans doute à son ancienne splendeur ; mais les maisons qui renfermaient ces bronzes et ces statues étaient, comme architecture et comme peinture, tellement en désaccord avec ces chefs-d'œuvre de l'art, qu'évidemment plusieurs siècles séparaient les uns des autres.

Pompéi n'avait pas été entièrement oubliée dans l'antiquité, car Alexandre Sévère y fit faire des fouilles et en tira une grande quantité de marbres, de colonnes, de statues d'un très beau travail, qu'il employa dans les constructions nouvelles qu'il faisait élever à home. Vinrent enfin la barbarie et ses ténèbres qui recouvrirent Pompéi mieux que n'avaient pu le faire les cendres du Vésuve, et la malheureuse ville fut pour longtemps effacée de la mémoire des hommes.


(1)  Oplonte occupait à peu près le site de la Torre dell'Annunziata.

(2)  Suétone, Titus, VIII