Préface d'Henri Bornecque
L'ouvrage connu sous le nom de Rhétorique
à Hérennius est un manuel de
rhétorique, publié entre 86 et 82 avant J.-C.,
comme certains passages de l'oeuvre permettent de le
déterminer, c'est-à-dire pendant la
période où les partisans de Marius dominent
à Rome. Dans l'histoire de l'éloquence romaine,
la Rhétorique se place donc après
l'époque de Crassus et d'Antoine, et avant celle
d'Hortensius et de Cicéron.
Si nous ignorons le titre exact de l'ouvrage, c'est qu'il a
disparu au début de l'exemplaire original auquel se
rattachent nos plus anciens manuscrits, et le nom de l'auteur
a disparu en même temps. Naturellement on a
essayé de le retrouver.
On a pensé à Cicéron. Entre le de
Inventione et la Rhétorique, il existe des
ressemblances frappantes : les exemples, les citations sont
souvent les mêmes ; on note, dans les deux ouvrages, la
même division des cas où il faut user de
l'exorde par insinuation et exprimée à peu
près dans les mêmes termes. Mais ces
ressemblances peuvent très bien s'expliquer soit par
un original commun, soit par le fait que Cicéron a eu
la Rhétorique entre les mains. D'autre part,
pour donner un exemple d'ambiguïté des termes, la
Rhétorique propose : Tullius heres meus
Terentiae uxori meae, etc. Or le fils de Cicéron
s'appelait Tullius et sa femme Térentia. Mais Tullius
est né en 65 seulement et Térentia n'a
épousé Cicéron qu'en 79,
c'est-à-dire après la date de 82, où il
semble bien que la Rhétorique a
été publiée ; ce passage serait donc une
glose. Enfin l'attribution de la Rhétorique
à Cicéron ne date que de saint
Jérôme.
D'ailleurs l'examen des deux ouvrages révèle de
nombreuses différences entre les deux auteurs.
Celui du de Inventione est un tout jeune homme, celui
de la Rhétorique un homme mûr, qui a des
préoccupations d'affaires.
D'autre part, l'auteur de la Rhétorique n'est
pas un écrivain de métier, c'est un dilettante.
Il n'a composé son livre que dans l'intervalle de ses
occupations ordinaires et pour faire plaisir à son
ami. Il annonce des traités de grammaire, de politique
et d'art militaire qu'il n'a pas donnés. Il proclame
un goût marqué pour les études
philosophiques.
Les tendances politiques et littéraires ne sont pas
les mêmes que celles de Cicéron. L'auteur de la
Rhétorique est un ardent démocrate :
Cicéron, lui, n'a jamais affecté une telle
ardeur. De même, l'auteur de la
Rhétorique est un adversaire résolu des
Grecs, que Cicéron regarde comme ses maîtres et
qu'il cite continuellement. Au contraire de Cicéron,
il prend ses exemples dans l'histoire contemporaine. Enfin,
suivant la remarque de M. Marx, le dernier et principal
éditeur de la Rhétorique, cet ouvrage,
pour la forme, se rapproche bien moins des traités,
voire des premiers traités de Cicéron, que de
la langue simple et même négligée des
ouvrages de Varron.
A défaut de Cicéron, le traité a
été attribué à Cornificius, sur
la foi de passages de la Rhétorique qui sont
cités dans Quintilien comme empruntés à
un Traité des figures de Cornificius. Mais il
semble que Cornificius s'en était tenu à
l'étude des figures.
Moins sûres encore sont les autres attributions que
l'on a proposées. Il faut donc se résigner
à l'anonymat et se borner à étudier
l'ouvrage en lui-même.
Il comprend quatre livres, chacun avec un préambule et
une conclusion, généralement brefs. Dans les
deux premiers et les quinze premiers chapitres du livre III,
il est traité de la disposition, dans la suite du
livre III de la disposition, du débit, de la
mémoire, dans le livre IV du style.
L'auteur, bien qu'adversaire des Grecs, les a imités :
il a pris pour modèle, entre autres, un original,
peut-être Hermagoras de Temnos, rhéteur du IIe
siècle, à l'imitation duquel il multiplie les
règles et les dénombrements techniques. Mais il
laisse aux Grecs tout ce qui n'est que curieux ; c'est
à l'histoire de son pays qu'il demande des sujets de
discours et de controverses ; c'est chez Plaute ou chez
Ennius qu'il puise ses exemples, à moins qu'il ne les
compose lui-même.
Par ce dernier trait, en même temps que par l'emploi de
termes techniques presque exclusivement latins, il atteint la
première qualité qu'il vise, la clarté.
La deuxième, la brièveté, il y parvient
en laissant de côté les finesses
théoriques, comme nous l'avons indiqué plus
haut, et en ayant toujours devant les yeux le
côté pratique.
Il montre donc dans quelle mesure l'esprit latin et
l'érudition grecque se combinent à la veille de
l'apparition de Cicéron, et ce n'est pas là son
côté le moins intéressant. D'autre part,
il nous donne, semble-t-il, une idée assez exacte de
l'enseignement des rhéteurs qui, depuis une vingtaine
d'années, au moins, enseignaient la rhétorique
en latin, et qui, selon le mot de M. Pichon, ont
été à la fois les adversaires et les
plagiaires des rhéteurs grecs.
Pour ces deux raisons, la Rhétorique à
Herennius est toujours étudiée,
malgré les défectuosités de la
composition (il y a des répétitions et le livre
IV est d'une étendue disproportionnée) et de la
forme, où certaines phrases, lourdement construites,
et certains passages, qui offrent un singulier mélange
de négligence et d'affectation, gâtent un
exposé un peu sec, mais généralement, il
faut en convenir, net, clair et précis.